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Date : 20040603

Dossier : T-1672-02

Référence : 2004 CF 775

Toronto (Ontario), le 3 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                             MICHAEL TESSIER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il y a presque deux ans, un tribunal de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) a refusé d'accorder au demandeur la possibilité de présenter l'argument voulant qu'il eût le droit de bénéficier de la _ procédure d'examen expéditif _ prévue par les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (modifiée) (la Loi) et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) en vigueur à l'époque et maintenant. Dans la présente demande, le demandeur conteste cette décision et fait également valoir que les dispositions en question enfreignent les droits que lui confère l'article 7 de la Charte.

[2]                Bien que les questions juridiques soulevées dans la présente affaire n'aient à présent aucune incidence pratique sur le demandeur, et bien que j'aie le pouvoir discrétionnaire de refuser d'instruire la présente demande parce que le demandeur n'a pas épuisé les recours lui permettant de faire appel devant la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (voir Condo c. Canada, [2003] A.C.F. no 310, 2003 CAF 99, dossier A-55-03), l'avocat du défendeur n'a pas soutenu que les questions soulevées étaient théoriques, et je décide d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de rendre une décision.

[3]                Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a eu raison de refuser d'entendre l'argument du demandeur et que même si les droits que l'article 7 confère au demandeur sont entrés en jeu à l'époque en cause, ils n'ont pas été violés.


A.         Les faits

[4]                Le 13 septembre 2001, le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans et dix mois pour avoir commis, le 1er octobre 1999, l'infraction de complot en vue de commettre un vol. Le 24 décembre 2001, des modifications de la Loi ayant pour effet de resserrer les conditions d'octroi de la libération conditionnelle aux personnes qui purgent une peine pour cette infraction sont entrées en vigueur. Le 6 septembre 2002, le demandeur a présenté sa demande de semi-liberté et de libération conditionnelle totale à la Commission. À cette occasion, l'avocat du demandeur a demandé à la Commission de prendre en considération l'argument selon lequel, pour les besoins de la libération conditionnelle, le cas du demandeur devait être examiné à la lumière de la version de la Loi antérieure à l'entrée en vigueur des modifications. La Commission a rejeté cette demande pour des motifs ayant trait à la compétence, à savoir qu'elle n'était pas disposée à trancher la question parce que celle-ci ne lui avait pas été transmise par le Service correctionnel du Canada.

B.         Les dispositions touchant la procédure d'examen expéditif en litige

[5]                Les dispositions qui donnent lieu à la contestation du demandeur sont les articles 125 et 126 de la Loi, qui sont rédigés comme suit :



125. (1) Le présent article et l'article 126 s'appliquent aux délinquants condamnés ou transférés pour la première fois au pénitencier - autrement qu'en vertu de l'accord visé au paragraphe 16(1) -, à l'exception de ceux :

125. (1) This section and section 126 apply to an offender sentenced, committed or transferred to penitentiary for the first time, otherwise than pursuant to an agreement entered into under paragraph 16(1)(b), other than an offender

a) qui y purgent une peine pour une des infractions suivantes :

(a) serving a sentence for one of the following offences, namely,

(i) le meurtre,

(i) murder,

(ii) une infraction mentionnée à l'annexe I ou un complot en vue d'en commettre une,

(ii) an offence set out in Schedule I or a conspiracy to commit such an offence,

(ii.1) une infraction mentionnée aux articles 83.02 (fournir ou réunir des biens en vue de certains actes), 83.03 (fournir, rendre disponibles, etc. des biens ou services à des fins terroristes), 83.04 (utiliser ou avoir en sa possession des biens à des fins terroristes), 83.18 (participation à une activité d'un groupe terroriste), 83.19 (facilitation d'une activité terroriste), 83.2 (infraction au profit d'un groupe terroriste), 83.21 (charger une personne de se livrer à une activité pour un groupe terroriste), 83.22 (charger une personne de se livrer à une activité terroriste) ou 83.23 (héberger ou cacher) du Code criminel, ou un complot en vue d'en commettre une,

(ii.1) an offence under section 83.02 (providing or collecting property for certain activities), 83.03 (providing, making available, etc. property or services for terrorist purposes), 83.04 (using or possessing property for terrorist purposes), 83.18 (participation in activity of terrorist group), 83.19 (facilitating terrorist activity), 83.2 (to carry out activity for terrorist group), 83.21 (instructing to carry out activity for terrorist group), 83.22 (instructing to carry out terrorist activity) or 83.23 (harbouring or concealing) of the Criminal Code or a conspiracy to commit such an offence,


(iii) l'infraction prévue à l'article 463 du Code criminel et relative à une infraction mentionnée à l'annexe I - sauf celle qui est prévue à l'alinéa (1)q) de celle-ci - et ayant fait l'objet d'une poursuite par mise en accusation,

(iii) an offence under section 463 of the Criminal Code that was prosecuted by indictment in relation to an offence set out in Schedule I, other than the offence set out in paragraph (1)(q) of that Schedule,

(iv) une infraction mentionnée à l'annexe II et sanctionnée par une peine ayant fait l'objet d'une ordonnance rendue en vertu de l'article 743.6 du Code criminel,

(iv) an offence set out in Schedule II in respect of which an order has been made under section 743.6 of the Criminal Code,

(v) le meurtre, lorsqu'il constitue une infraction à l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, une infraction mentionnée à l'annexe I ou une infraction mentionnée à l'annexe II pour laquelle une ordonnance a été rendue en vertu de l'article 140.4 de la Loi sur la défense nationale,

(v) an offence contrary to section 130 of the National Defence Act where the offence is murder, an offence set out in Schedule I or an offence set out in Schedule II in respect of which an order has been made under section 140.4 of the National Defence Act, or

(vi) un acte de gangstérisme, au sens de l'article 2 du Code criminel, y compris l'infraction visée au paragraphe 82(2);

(vi) a criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code, including an offence under subsection 82(2);

a.1) qui ont été déclarés coupables de l'infraction visée à l'article 240 du Code criminel;

(a.1) convicted of an offence under section 240 of the Criminal Code;

b) qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité à condition que cette peine n'ait pas constitué un minimum en l'occurrence;

(b) serving a life sentence imposed otherwise than as a minimum punishment; or

c) dont la semi-liberté a été révoquée.

(c) whose day parole has been revoked.

(1.1) Il est entendu que le présent article et l'article 126 :

(1.1) For greater certainty, this section and section 126


a) s'appliquent aux délinquants visés au paragraphe (1) et qui, après leur condamnation ou leur transfèrement au pénitencier pour la première fois, sont condamnés pour une infraction - autre qu'une infraction visée à l'alinéa (1)a) - commise avant cette condamnation ou ce transfert;

(a) apply to an offender referred to in subsection (1) who, after being sentenced, committed or transferred to penitentiary for the first time, is sentenced in respect of an offence, other than an offence referred to in paragraph (1)(a), that was committed before the offender was sentenced, committed or transferred to penitentiary for the first time; and

b) ne s'appliquent pas aux délinquants visés au paragraphe (1) et qui, après leur condamnation ou leur transfèrement au pénitencier pour la première fois, commettent une infraction à une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement supplémentaire est infligée.

(b) do not apply to an offender referred to in subsection (1) who, after being sentenced, committed or transferred to penitentiary for the first time, commits an offence under an Act of Parliament for which the offender receives an additional sentence.

(2) Le Service procède, au cours de la période prévue par règlement, à l'étude des dossiers des délinquants visés par le présent article en vue de leur transmission à la Commission pour décision conformément à l'article 126.

(2) The Service shall, at the time prescribed by the regulations, review the case of an offender to whom this section applies for the purpose of referral of the case to the Board for a determination under section 126.

(3) L'étude du dossier se fonde sur tous les renseignements pertinents qui sont normalement disponibles, notamment :

(3) A review made pursuant to subsection (2) shall be based on all reasonably available information that is relevant, including

a) les antécédents sociaux et criminels du délinquant obtenus en vertu de l'article 23;

(a) the social and criminal history of the offender obtained pursuant to section 23;

b) l'information portant sur sa conduite pendant la détention;

(b) information relating to the performance and behaviour of the offender while under sentence; and

c) tout autre renseignement révélant une propension à la violence de sa part.

(c) any information that discloses a potential for violent behaviour by the offender.


(4) Au terme de l'étude, le Service transmet à la Commission, dans les délais réglementaires impartis mais avant la date d'admissibilité du délinquant à la libération conditionnelle totale, les renseignements qu'il juge utiles.

(4) On completion of a review pursuant to subsection (2), the Service shall, within such period as is prescribed by the regulations preceding the offender's eligibility date for full parole, refer the case to the Board together with all information that, in its opinion, is relevant to the case.(5) Le Service peut déléguer aux autorités correctionnelles d'une province les pouvoirs que lui confère le présent article en ce qui concerne les délinquants qui purgent leur peine dans un établissement correctionnel de la province.

(5) The Service may delegate to the correctional authorities of a province its powers under this section in relation to offenders who are serving their sentences in provincial correctional facilities in that province.

126. (1) La Commission procède sans audience, au cours de la période prévue par règlement ou antérieurement, à l'examen des dossiers transmis par le Service ou les autorités correctionnelles d'une province.

126. (1) The Board shall review without a hearing, at or before the time prescribed by the regulations, the case of an offender referred to it pursuant to section 125.

(2) Par dérogation à l'article 102, quand elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, la Commission ordonne sa libération conditionnelle totale.

(2) Notwithstanding section 102, if the Board is satisfied that there are no reasonable grounds to believe that the offender, if released, is likely to commit an offence involving violence before the expiration of the offender's sentence according to law, it shall direct that the offender be released on full parole.

(3) Si elle est convaincue du contraire, la Commission communique au délinquant ses conclusions et motifs.

(3) If the Board does not direct, pursuant to subsection (2), that the offender be released on full parole, it shall report its refusal to so direct, and its reasons, to the offender.

(4) La Commission transmet ses conclusions et motifs à un comité constitué de commissaires n'ayant pas déjà examiné le cas et chargé, au cours de la période prévue par règlement, du réexamen du dossier.

(4) The Board shall refer any refusal and reasons reported to the offender pursuant to subsection (3) to a panel of members other than those who reviewed the case under subsection (1), and the panel shall review the case at the time prescribed by the regulations.

(5) Si le réexamen lui apporte la conviction précisée au paragraphe (2), le comité ordonne la libération conditionnelle totale du délinquant.

(5) Notwithstanding section 102, if the panel reviewing a case pursuant to subsection (4) is satisfied as described in subsection (2), the panel shall direct that the offender be released on full parole.


(6) Dans le cas contraire, la libération conditionnelle totale est refusée, le délinquant continuant toutefois d'avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5).

(6) An offender who is not released on full parole pursuant to subsection (5) is entitled to subsequent reviews in accordance with subsection 123(5).

(7) Pour l'application du présent article, une infraction accompagnée de violence s'entend du meurtre ou de toute infraction mentionnée à l'annexe I; toutefois, il n'est pas nécessaire, en déterminant s'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant en commettra une, de préciser laquelle.

(7) In this section, "offence involving violence" means murder or any offence set out in Schedule I, but, in determining whether there are reasonable grounds to believe that an offender is likely to commit an offence involving violence, it is not necessary to determine whether the offender is likely to commit any particular offence.

(8) En cas de révocation ou de cessation de la libération conditionnelle, le délinquant perd le bénéfice de la procédure expéditive.

(8) Where the parole of an offender released pursuant to this section is terminated or revoked, the offender is not entitled to another review pursuant to this section.

126.1 Les articles 125 et 126 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la procédure d'examen expéditif visant à déterminer si la semi-liberté sera accordée au délinquant visé à l'article 119.1.

[Non souligné dans l'original.]

126.1 Sections 125 and 126 apply, with such modifications as the circumstances require, to a review to determine if an offender referred to in subsection 119.1 should be released on day parole.


[6]                Il est important de mentionner que l'article 102, auquel renvoie le paragraphe 126(2), est libellé de la façon suivante :



102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d'avis qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.


[7]                Ainsi, si l'on interprète l'article 102 à la lumière des articles 125 et 126, les conditions d'octroi de la libération conditionnelle sont les suivantes : en vertu de l'article 102, un délinquant qui ne peut pas bénéficier de la procédure d'examen expéditif visée aux articles 125 et 126 doit prouver qu'il ne présentera pas _ un risque inacceptable pour la société _ pour obtenir une libération conditionnelle. Toutefois, les dispositions relatives à la procédure d'examen expéditif prévoient qu'un délinquant condamné pour la première fois peut, par le truchement du paragraphe 126(2), se prévaloir de la procédure d'examen expéditif s'il ne tombe pas sous le coup des alinéas 125(1)a), b) ou c), et ce, dans le mesure où la condition moins exigeante de l'absence de motifs raisonnables de croire qu'il commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté est remplie.

[8]                La manière dont il faut procéder pour mettre en oeuvre la procédure d'examen expéditif devant la Commission est décrite à l'article 159 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :



159. (1) Le Service doit examiner le cas du délinquant visé à l'article 125 de la Loi dans le mois qui suit son admission dans un pénitencier ou dans un établissement correctionnel provincial lorsqu'il doit purger sa peine dans cet établissement.

159. (1) The Service shall review the case of an offender to whom section 125 of the Act applies within one month after the offender's admission to a penitentiary, or to a provincial correctional facility where the sentence is to be served in such a facility.

(2) Le Service doit, conformément au paragraphe 125(4) de la Loi, transmettre à la Commission le cas du délinquant au plus tard trois mois avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(2) The Service shall refer the case of an offender to the Board pursuant to subsection 125(4) of the Act not later than three months before the offender's eligibility date for full parole.

(3) La Commission doit, conformément au paragraphe 126(1) de la Loi, examiner le cas du délinquant au plus tard sept semaines avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

(3) The Board shall, pursuant to subsection 126(1) of the Act, review the case of an offender not later than seven weeks before the offender's eligibility date for full parole.

(4) Le comité doit, conformément au paragraphe 126(4) de la Loi, réexaminer le cas du délinquant avant la date de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

[Non souligné dans l'original.]

(4) A panel shall, pursuant to subsection 126(4) of the Act, review the case of an offender before the offender's eligibility date for full parole.


[9]                Le demandeur se plaint du fait que même s'il s'agit de sa première condamnation, la disposition d'exclusion du sous-alinéa 125(1)a)(ii) l'a empêché de se prévaloir des dispositions relatives à la procédure d'examen expéditif étant donné qu'il purgeait une peine pour une infraction figurant à l'annexe 1. Les parties conviennent qu'en l'absence de cette disposition d'exclusion, indépendamment de la question des conditions qui doivent être remplies, l'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle aurait fait l'objet d'un examen environ trois mois avant qu'elle ne l'a été dans les faits.


C.        Contestation fondée sur la Charte

[10]            Dans l'avis de question constitutionnelle en date du 4 février 2003 qu'il a présenté, le demandeur [traduction] _ met en cause la validité constitutionnelle de l'art. 94 de la L.C. 2001, ch. 41 _. La loi à laquelle il renvoie est la Loi antiterroriste, et la disposition contestée modifie le libellé de l'article 125 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de façon à ce qu'il corresponde au libellé reproduit ci-dessus. Si j'ai bien compris, le demandeur se plaint essentiellement du fait que les dispositions d'exclusion de l'article 125, lorsqu'elles sont interprétées de concert avec le paragraphe 126(2), sont injustes du fait qu'elles rendent plus exigeantes les conditions auxquelles il doit satisfaire pour obtenir une libération conditionnelle. Le demandeur soutient donc que la disposition modificative est nulle parce qu'elle porte atteinte aux droits que lui confère l'article 7 de la Charte.

[11]            L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, est rédigé comme suit :


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[12]            La plainte du demandeur est rédigée en ces termes :

[traduction] Au moment du prononcé de la sentence, l'infraction dont il a été déclaré coupable n'avait pas pour effet d'empêcher le demandeur de bénéficier de la procédure d'examen expéditif. Le 24 décembre 2001, le Parlement du Canada, au moyen du projet de loi C-36, a modifié la loi de façon à empêcher un délinquant ayant perpétré cette infraction de voir son cas examiné dans le cadre de la procédure d'examen expéditif. Le demandeur fait respectueusement valoir qu'il a conclu avec l'État une entente en vertu de laquelle il allait présenter un plaidoyer de culpabilité et être condamné à la peine prévue par la loi; qu'il est injuste de la part de l'État de dire maintenant : _ Nous revenons sur les conditions de l'entente, vous allez à présent écoper de cette peine. _

Le demandeur soutient que la loi qui régit sa peine est celle qui était en vigueur au moment où il a perpétré l'infraction. Les modifications qui y ont été apportées par la suite ne devraient pas s'appliquer à lui.

À titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que la loi applicable est la loi qui était en vigueur au moment du prononcé de la sentence. (Mémoire des faits et du droit du demandeur, paragr. 14, 15 et 16.)

[13]            L'article 125 de la Loi édicte que ses dispositions s'appliquent aux personnes qui ont été condamnées. Par conséquent, si l'article 125 résiste à la contestation fondée sur la Charte, l'argument que je viens de citer ne tient pas.

1. Les arguments

[14]            Le demandeur avance l'argument suivant à cet égard :

[traduction] Le demandeur fait valoir que la modification apportée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est une modification de fond et non pas une modification procédurale. En tant que modification de fond, la modification apportée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est contraire aux principes de justice fondamentale.


De plus, le demandeur soutient respectueusement qu'il a subi une privation de liberté d'une gravité justifiant la protection accordée par la Charte. Le demandeur fait valoir que la modification apportée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition modifie sa peine d'une manière qui va au-delà d'un simple changement dans la façon dont elle doit être purgée mais qui représente plutôt un changement de fond dans la peine elle-même et est par conséquent contraire aux principes de justice fondamentale. (Mémoire des faits et du droit du demandeur, paragr. 17 et 18.)

[15]            En réponse, l'avocat du défendeur affirme que la décision rendue par la juge en chef McLachlin dans l'arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 constitue un précédent qui lie la Cour et qui répond de façon exhaustive à l'argument du demandeur.

[16]            La juge en chef décrit les faits et analyse l'article 7 aux paragraphes suivants de l'arrêt Cunningham :

1. Le 14 février 1981, l'appelant a été condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans pour homicide involontaire coupable par suite d'un meurtre brutal commis à Chatham Head (Nouveau-Brunswick). Aux termes de la Loi sur la libération conditionnelle en vigueur à l'époque de la détermination de sa peine, il avait droit d'être mis en liberté surveillée après avoir purgéenviron les deux tiers de sa peine, le 8 avril 1989, à la condition d'avoir fait preuve de bonne conduite.

2. En 1986, la Loi sur la libération conditionnelle a été modifiée de façon à permettre au commissaire aux services correctionnels, dans les six mois de la _ date prévue pour la libération _, de renvoyer un cas à la Commission nationale des libérations conditionnelles lorsqu'il a des motifs de croire, sur le fondement de renseignements obtenus dans ces six mois, que le détenu commettra vraisemblablement, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable : Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. 1985, ch. P-2, art. 21.3(3)a)(ii) (aj. ch. 34 (2e suppl.), art. 5). La Commission des libérations conditionnelles peut, si elle le juge àpropos, refuser de libérer le détenu. [...]

4. Toutefois, il ne l'a pas été. Peu de temps avant la date de sa libération, l'appelant a reçu un avis selon lequel le commissaire avait décidé de demander sa détention continue aux termes des modifications de 1986 de la Loi sur la libération conditionnelle. [...]

5. Par suite d'une audience relative à la détention, il a été ordonné que l'appelant soit détenu jusqu'àl'expiration de sa peine le 13 février 1993, sous réserve de révisions annuelles. [...]


12. Àmon avis, il est inutile de se demander si le droit à la liberté était _ dévolu _ ou non. Les seules questions qui se posent aux termes de la Charte sont de savoir si un droit à la liberté garanti est restreint et, le cas échéant, si cette restriction est conforme aux principes de justice fondamentale. [...]

15. Je conclus que l'appelant a été privé de liberté. La question suivante est de savoir si la privation est suffisamment grave pour justifier la protection de la Charte. La Charte n'assure pas une protection contre les restrictions insignifiantes ou _ négligeables _ à l'égard des droits : R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 759 (le juge en chef Dickson); R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, à la p. 314; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, à la p. 259; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 168 et 169. Il en découle que la restriction de l'attente d'un détenu en matière de liberté ne fait pas nécessairement intervenir l'application de l'art. 7 de la Charte. La restriction doit être suffisamment importante pour justifier une protection constitutionnelle. Exiger que toutes les modifications apportées à la manière dont une peine est purgée soient conformes aux principes de justice fondamentale aurait pour effet de banaliser les protections conférées par la Charte. Selon le juge Lamer dans l'arrêt Dumas, précité, à la p. 464, il doit y avoir une _ modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté _. [...]

17. Ayant conclu que l'appelant a été privé d'un droit à la liberté garanti par l'art. 7 de la Charte, nous devons déterminer si cela est contraire aux principes de justice fondamentale aux termes de l'art. 7 de la Charte. À mon avis, bien que la modification de la Loi sur la libération conditionnelle visant à éliminer la mise en liberté surveillée automatique ait restreint le droit à la liberté de l'appelant, elle n'a pas porté atteinte aux principes de justice fondamentale. Ces principes touchent non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société. La justice fondamentale exige un juste équilibre entre ces droits, tant du point de vue du fond et que de celui de la forme (voir Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, aux pp. 502 et 503, le juge Lamer; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 212, le juge Wilson; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869 à la p. 882, le juge Iacobucci). À mon avis, l'équilibre obtenu en l'espèce satisfait à cette exigence.

18. La première question est de savoir si, du point de vue du fond, la modification de la loi établit un juste équilibre entre les droits de l'accusé et les intérêts de la société. Il n'est pas nécessaire de souligner l'intérêt qu'a la société d'être protégée contre les actes de violence qui pourraient survenir par suite de la mise en liberté anticipée de détenus dont la peine n'a pas été purgée au complet. Par ailleurs, il faut également tenir compte du droit du détenu à une mise en liberté anticipée sous condition.


19. L'équilibre est atteint par la restriction de l'attente qu'a le détenu par rapport à la façon dont la peine doit être purgée. L'attente relative à la mise en liberté surveillée est changée par la modification accordant le pouvoir discrétionnaire d'interdire une mise en liberté anticipée lorsque les intérêts de la société sont menacés. Une modification de la façon dont une peine est purgée, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'endroit du détenu, n'est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale. En fait, notre système de justice a toujours permis aux autorités correctionnelles d'apporter des modifications appropriées à la manière dont une peine doit être purgée, en ce qui a trait au lieu, aux conditions, aux installations de formation ou au traitement. Un grand nombre de modifications des conditions dans lesquelles les peines sont purgées sont apportées de façon administrative pour répondre aux besoins immédiats ou au comportement du détenu. D'autres modifications sont d'ordre plus général. Par exemple, à l'occasion, une loi ou un règlement introduit de nouvelles méthodes en droit correctionnel. Ces initiatives modifient la manière dont certains détenus dans le système purgent leurs peines.

20. La question suivante est de savoir si la nature de cette modification particulière des règles relatives à la manière de purger la peine, viole la Charte. À mon avis, la réponse est négative. La modification découle directement de l'intérêt public dans la protection de la société contre les personnes susceptibles de causer un tort considérable si elles sont mises en liberté surveillée. Le commissaire ne peut renvoyer l'affaire devant la Commission des libérations conditionnelles pour qu'elle l'examine que s'il est convaincu d'après les faits qui lui sont présentés que ce pourrait être le cas. De plus, la Commission ne peut ordonner le maintien de l'incarcération du détenu que si elle est convaincue qu'il y a un risque important de récidive. Par conséquent, le droit à la liberté du détenu n'est restreint que dans la mesure où l'on démontre que cela est nécessaire pour la protection du public. Il est difficile de contester la justesse de l'attribution d'un pouvoir discrétionnaire limité pour l'examen de demandes de libération conditionnelle de personnes susceptibles de commettre une infraction qui cause un tort considérable ou la mort. Essentiellement, l'équilibre est suffisamment atteint.

2. Conclusion

[17]            En l'espèce, l'avocat du défendeur a reconnu pendant l'audience que la modification en cause, qui a donné naissance à la disposition d'exclusion qui a eu une incidence sur la capacité du demandeur de bénéficier de la procédure d'examen expéditif, a privé le demandeur d'un droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte. Toutefois, le défendeur soutient que cette privation n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale.


[18]            En l'espèce, comme dans l'affaire Cunningham, l'équilibre qu'il faut prendre en considération est l'équilibre entre l'intérêt de la personne qui affirme que sa liberté a été limitée et la protection du public. Dans la présente affaire, avant l'entrée en vigueur des modifications en décembre 2001, le demandeur pouvait bénéficier de la procédure d'examen expéditif. Toutefois, les modifications apportées à la Loi ont fait en sorte que, ayant été placé dans la catégorie des personnes qui, apparemment de l'avis du Parlement, constituent un danger pour le public, le demandeur a été privé de la possibilité de voir son cas examiné dans le cadre de la procédure d'examen expéditif et n'a ainsi pas pu bénéficier de conditions d'octroi de la libération conditionnelle plus souples. À l'instar de la Cour dans l'arrêt Cunningham, je conclus que ce changement découle directement de l'intérêt public dans la protection de la société contre les personnes susceptibles de causer un tort considérable.

[19]            À mon avis, la modification législative en cause n'enfreint pas les principes de justice fondamentale. En l'espèce, l'intérêt qu'il faut privilégier est l'intérêt qu'a la société à faire en sorte que les personnes qui peuvent constituer un danger pour le public ne puissent pas se prévaloir des dispositions relatives à la procédure d'examen expéditif, et ce, même si elles font l'objet d'une première condamnation.

[20]            Par conséquent, je rejette la contestation fondée sur la Charte.

D. Le rejet par la Commission


[21]            Il ne fait aucun doute que suite à l'entrée en vigueur des modifications, le demandeur ne peut bénéficier de la procédure d'examen expéditif prévue aux articles 125 et 126, et ce, parce qu'il purge une peine pour une infraction qui figure à l'annexe I. De plus, aux termes de l'article 159 du Règlement, le processus visé dans celui-ci ne s'applique pas. Par conséquent, je suis d'avis que la Commission a eu raison de refuser de tenir compte de l'argument qui lui avait été soumis.

                                        ORDONNANCE

Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande est rejetée. Il n'y a pas d'adjudication des dépens.

                                                                      _ Douglas R. Campbell _             

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                        COUR FÉDÉRALE

                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1672-02

INTITULÉ :                                                       MICHAEL TESSIER

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   KINGSTON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 17 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                        LE 3 JUIN 2004

COMPARUTIONS:

John D. Dillon                                                     POUR LE DEMANDEUR

Jeff Anderson                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

O'Connor Law Office                                          POUR LE DEMANDEUR

Kingston (Ontario)

Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                    Date : 20040603

                         Dossier : IMM-1672-02

ENTRE :

MICHAEL TESSIER

                                           demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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