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Date : 19980115


T-1347-97

TORONTO (Ontario), le jeudi 15 janvier 1998

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

     WILLIAMS INFORMATION SERVICES CORPORATION,

     et WILTEL COMMUNICATIONS (CANADA), INC.,

     Demanderesses,

     - et -

     WILLIAMS TELECOMMUNICATIONS CORP.,

     Défenderesse.

     ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     VU la requête présentée en date du 14 janvier 1998 au nom de la défenderesse, sollicitant :

1.      Une ordonnance abrégeant le délai de dépôt de l'avis de requête;

2.      Une ordonnance annulant l'ordonnance de se justifier datée du 6 octobre 1997;

3.      Toute autre réparation que la Cour jugera juste et appropriée.

LE JUGE REED :

[1]      La présente requête n'a pas été plaidée entièrement, ni en ce qui concerne l'autorisation d'abréger le préavis, ni sur le fond. Elle a été soumise, le 14 janvier 1998, à M. le juge Joyal qui a donné les directives suivantes :

                 L'examen du dossier révèle que les questions soulevées par l'avocat de la défenderesse relèvent du juge présidant l'audience de justification déjà fixée au 15 janvier 1998.                 

[2]      La lecture des documents écrits appuie sans conteste la conclusion que les questions soulevées doivent faire l'objet d'une audition sur le fond, et non d'une demande d'annulation de l'ordonnance de se justifier. Quoi qu'il en soit, la requête n'a plus de raison d'être étant donné la conclusion tirée relativement à la requête principale, relativement à laquelle la Cour a demandé aux parties de présenter des arguments et qui a entraîné le rejet de l'ordonnance de se justifier.

[3]      La requête est donc rejetée.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     Date: 19980205

     Dossier: T-1347-97

ENTRE

     WILLIAMS INFORMATION SERVICES CORPORATION

     et WILTEL COMMUNICATIONS (CANADA), INC.,


Demanderesses,


et


WILLIAMS TELECOMMUNICATIONS CORP.,


Défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED :

[1]      Une ordonnance de se justifier a été rendue le 6 octobre 1997, enjoignant à la défenderesse et à James Williams de comparaître pour exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être déclarés coupables d'outrage au tribunal pour avoir omis de respecter un engagement qu'ils avaient pris envers la Cour le 10 septembre 1997.

[2]      Au début de l'audience et avant d'entendre les témoins, j'ai demandé que des observations soient présentées au sujet de la nature et de l'existence de l'engagement qui avait censément été pris envers la Cour. L'examen du dossier ne m'a pas permis de découvrir l'existence d'un engagement.

[3]      Voici les faits. Le 8 septembre 1997, la demanderesse a déposé une requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire destinée à empêcher la défenderesse d'utiliser le nom WILTEL au salon professionnel qui devait avoir lieu du 15 au 18 septembre 1997, à Toronto. Le 10 septembre 1997, la défenderesse a présenté une requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire destinée à empêcher la demanderesse d'utiliser le nom WILTEL au même salon. Ces requêtes devaient être entendues le 11 septembre 1997.

[4]      Le 10 septembre 1997, les parties ont conclu l'entente suivante, que leurs avocats respectifs ont signée pour leur compte :

         [TRADUCTION]                 
         1.      Chaque partie s'engage envers la Cour à afficher dans son stand, au salon de l'ACTE qui doit avoir lieu à Toronto, un avis disant ceci :                 
                 "X n'est pas associée à Y"                 
             Dans cet avis, X désignera le propriétaire du stand où l'avis est affiché, et Y désignera l'autre personne concernée; l'affiche mesurera au moins deux pieds par un pied et sera placée bien en vue; les caractères du texte auront une dimension appropriée.                 
         2.      Les parties s'engagent à informer les membres du personnel travaillant dans leurs stands respectifs qu'ils doivent s'abstenir de dire quoi que ce soit qui puisse nuire à la réputation de l'autre partie.                 

[5]      Le 11 septembre 1997, l'avocat de la demanderesse a comparu et a informé la Cour que les demandes d'injonction interlocutoire avaient été réglées et qu'elles devraient être rejetées sur consentement. Des ordonnances ont été signées; elles étaient ainsi libellées :

         [TRADUCTION]
             Cette requête est rejetée, sur consentement, la question des dépens devant être tranchée par le juge de première instance.                 

[6]      Une lettre de l'avocat de la défenderesse, datée du 11 septembre 1997, qui a été versée dans le dossier du greffe, se lit en partie comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         [...] En ce qui concerne [...] les requêtes relatives à l'injonction interlocutoire, les parties ont convenu qu'elles soient rejetées au moyen d'une ordonnance rendue sur consentement, la décision au sujet des dépens étant réservée au juge du procès. [...] Cette transaction n'a été conclue que vers 20 h 30 hier au soir, et nous regrettons tout inconvénient que cet avis tardif peut causer à la Cour et à son personnel.                 

[7]      Comme je l'ai dit aux avocats, j'ai examiné le résumé de l'audience et le procès-verbal dressé par le greffier à l'audience du 11 septembre 1997. Il n'est fait mention dans ni l'un ni l'autre de ces documents d'un engagement pris envers la Cour. J'ai également parlé au juge qui a signé les ordonnances de rejet du 11 septembre 1997 pour savoir si un engagement avait été pris oralement; or, aucun engagement n'avait été pris. Je crois comprendre, compte tenu des observations présentées par les avocats, que la transaction à laquelle les parties sont arrivées n'avait pas été communiquée à la Cour parce que les deux parties voulaient que l'entente demeure confidentielle. On a uniquement informé la Cour du fait qu'une transaction avait été conclue.

[8]      L'avocat des demanderesses soutient que le libellé de l'entente du 10 septembre 1997 devrait être interprété comme disant : [TRADUCTION] "un engagement est par les présentes pris envers la Cour [...]" plutôt que comme disant : [TRADUCTION] "[c]haque partie s'engage envers la Cour [...]". Il soutient également qu'étant donné que les avocats sont des fonctionnaires judiciaires, lorsqu'ils ont signé l'entente pour le compte de leurs clientes, l'entente est devenue un engagement pris envers la Cour.

[9]      Les jugements Baxter Laboratories Ltd. c. Cutter Ltd. (1983), 75 C.P.R. (2d) 1 (C.S.C.) et H. Bernbaum Import-Export Co. c. Myer Bald Inc. (1994), 54 C.P.R. (2d) 435 (C.F. 1re inst.) ont été cités à l'appui des arguments des demanderesses.

[10]      Dans l'arrêt Baxter, la Cour avait énoncé ses motifs par écrit et elle avait demandé aux avocats de préparer une ordonnance officielle pour signature. L'ordonnance a été signée une semaine plus tard. En vertu des Règles de la Cour fédérale, une ordonnance ne prend officiellement effet qu'au moment où l'ordonnance rendue par écrit est signée. Néanmoins, la Cour suprême a statué que les mesures prises après que les motifs eurent été prononcés, mais avant que l'ordonnance officielle ait été signée, et contraires aux dispositions de l'ordonnance telles qu'elles étaient décrites dans les motifs, pouvaient constituer un outrage au tribunal. Il a été statué que pareilles mesures gênaient la bonne administration de la justice et qu'elles portaient atteinte à l'ordre et à la dignité de la Cour.

[11]      En statuant qu'il était possible qu'un outrage soit commis, la Cour a énoncé le raisonnement suivant :

         [...] Elle appuie sa position sur une abondante jurisprudence anglaise. Halsbury's Laws of England, vol. 24, 4e éd. par. 1099, résume le droit comme suit :                 
             [TRADUCTION] Une injonction prohibitive entre en vigueur dès qu'elle est prononcée et non à compter du moment où elle est rédigée et complétée. En conséquence la partie qu'elle vise sera coupable d'outrage si elle enfreint l'injonction après en avoir été avisée, même si l'ordonnance n'a pas encore été rédigée.                 

     [...]

         Le même type d'analyse s'applique à la période comprise entre les motifs de jugement et le prononcé du jugement. Cutter soutient, en réalité, qu'il s'agit d'une période de grâce pendant laquelle le défendeur peut désobéir impunément aux interdictions énoncées dans les motifs de jugement. Accepter un tel argument équivaudrait à reconnaître qu'il est loisible à une partie de faire échec totalement à une injonction. Cela minerait tout le processus de recours aux tribunaux pour régler des différends. C'est précisément ce que les pouvoirs relatifs à l'outrage au tribunal visent à éviter.                 

[12]      Dans l'affaire Bernbaum, la demanderesse avait demandé une injonction interlocutoire destinée à empêcher la défenderesse d'utiliser la marque de commerce qui lui appartenait censément. Il n'a pas été donné suite à cette demande lorsque la défenderesse a déposé des engagements devant la Cour. Les engagements étaient énoncés dans un document qui se trouvait dans une enveloppe scellée, visée par une ordonnance de confidentialité. L'ordonnance de confidentialité avait pour effet de garder les engagements en dehors du domaine public. Elle n'empêchait pas le juge ou le personnel de la Cour d'avoir accès aux documents. Lorsqu'une ordonnance de se justifier a été demandée par suite de la violation des engagements, monsieur le juge Muldoon s'est inquiété de ce que les engagements ne continuent pas à demeurer en dehors du domaine public étant donné que les procédures d'outrage sont de nature quasi pénale.

[13]      La décision Baxter et la décision Bernbaum ne s'appliquent pas aux faits dont la Cour est saisie en l'espèce. Dans l'arrêt Baxter, la Cour avait déjà clairement fait savoir quelle ordonnance elle prévoyait rendre. Le prononcé de l'ordonnance officielle a été retardé parce qu'on a attendu que les avocats présentent un projet d'ordonnance. La Cour et les deux parties étaient au courant du contenu de l'ordonnance qui devait être rendue. Dans l'affaire Bernbaum, on avait communiqué les engagements à la Cour en les déposant au greffe, quoique sous le couvert d'une ordonnance de confidentialité qui avait pour effet de les conserver en dehors du domaine public.

[14]      Le paragraphe 355(1) des Règles de la Cour fédérale est ainsi libellé :

         355.(1) Est coupable d'outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d'un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. [...]                 

[15]      Je ne vois pas comment une entente conclue entre les parties, qui a été signée pour leur compte par leurs avocats et qui n'a jamais été communiquée à la Cour, peut être définie comme étant un engagement pris envers la Cour. Il n'est pas possible non plus de considérer que cela gêne la bonne administration de la justice ou porte atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. Les parties ont chacune convenu de prendre un engagement envers la Cour, mais elles ne l'ont jamais fait. Il est possible de faire une analogie avec une transaction, signée par les avocats pour le compte de leurs clients, qui n'est pas respectée. Si les conditions de la transaction ne font jamais partie de l'ordonnance de la Cour, que ce soit directement ou indirectement par renvoi, la violation de ces conditions ne peut pas devenir un motif permettant de conclure à un outrage au tribunal.

[16]      Je citerai Halbury's Laws of England, 4e éd., vol. 9, par. 75 :

         [TRADUCTION]                 
         Un engagement pris envers la Cour par une personne ou par une société dans une instance en cours, sur laquelle la Cour se fonde pour sanctionner une mesure particulière ou le fait qu'on a omis d'agir, a le même effet qu'une injonction rendue par la Cour et toute violation de l'engagement constitue une inconduite équivalant à un outrage.                 

[17]      L'une des décisions citées à l'appui de ce résumé du droit est Biba Ltd. v. Stratford Investments Ltd., [1972] 2 All E.R. 1041, que C.J. Miller a examinée dans Contempt of Court (Oxford, 1989), à la page 1045.

[18]      Lorsqu'un engagement est pris entre les parties mais non envers la Cour, il convient de demander d'abord à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à la partie en cause de respecter l'engagement, puis si cette dernière ne se conforme pas à l'ordonnance, d'intenter une action fondée sur l'outrage : Re A. Solicitor, [1966] 3 All E.R. 53 (Ch. D.); Re Solicitor, Re: Williams v. Swan & Gray Coach Lines, [1942] 4 D.L.R. 488 (C.A. Ont.); Dashwood v.Dashwood (1927), 71 Sol. Jo. 911.

[19]      Pour les motifs exposés plus haut, j'ai conclu que la défenderesse et M. Williams ne pouvaient pas être déclarés coupables d'outrage au tribunal du fait qu'ils ne s'étaient pas conformés à l'entente du 10 septembre 1997.

[20]      L'avocat de la défenderesse et M. Williams ont demandé que les dépens leur soient adjugés sur la base procureur-client. Comme je l'ai dit à l'audience, je ne suis pas prête à adjuger ces dépens. Les arguments sur ce point qui ont donné lieu au rejet de l'allégation d'outrage n'ont pas été soulevés par les avocats. C'est la Cour qui a pris l'initiative de le faire. Si la question avait été soulevée plus tôt, par exemple par l'avocat de la défenderesse, cela aurait permis de trancher l'affaire plus rapidement et les deux parties auraient pu économiser énormément d'argent. Toutefois, les deux avocats ont signé, pour le compte de leur cliente, une entente portant que "chaque partie s'engage envers la Cour [...]" et, par la suite, ni l'une ni l'autre partie n'ont pris pareil engagement. Dans ces conditions, les frais de l'instance devraient suivre l'issue de l'action principale.

     "B. Reed"

    

     Juge

Toronto (Ontario),

le 5 février 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :      T-1347-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      WILLIAMS INFORMATION SERVICES CORPORATION et WILTEL COMMUNICATIONS (CANADA), INC.,

     et

     WILLIAMS TELECOMMUNICATIONS CORP.

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 15 JANVIER 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE REED

EN DATE DU      5 FÉVRIER 1998

ONT COMPARU :

     Michael Charles, Robert B. Storey

         pour les demanderesses

     Neil R. Belmore, Peter W. Choe

         pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Robert B. Storey, Mark Robbins

     BERESKIN & PARR

     Avocats

     C.P. 401, bureau 4000

     40, rue King ouest

     Toronto (Ontario)

     M5H 3Y2

         pour les demanderesses

     Neil R. Belmore, Peter W. Close

     GOWLING, STRATHY & HENDERSON

     Avocats

     Bureau 4900

     Commerce Court West

     Toronto (Ontario)

     M5L 1J3

         pour la défenderesse

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