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Date : 20030204

Dossier : T-1514-01

Référence neutre : 2003 CFPI 112

ENTRE :

CAMBRIDGE LEASING LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY


[1]                 La demanderesse sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre défendeur de traiter les déclarations de taxe de vente harmonisée (la TVH) qu'elle a produites pour les mois de novembre et de décembre 2000 ainsi que pour les mois de janvier et de février 2001, et de verser les soldes créditeurs qu'elle a demandés. L'affaire a été entendue à Fredericton le 21 mai 2002 en même temps qu'une demande présentée par le défendeur aux fins de la radiation de la requête que la demanderesse avait présentée en vue d'obtenir des réparations, notamment pour le motif que l'affaire n'avait plus qu'un intérêt théorique et que l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, empêchait l'octroi des réparations demandées. Le défendeur soutient que la requête de la demanderesse n'a donc aucune chance de succès. Les présents motifs portent sur les deux requêtes entendues par la Cour. À la même audience, la Cour a examiné une demande d'injonction présentée à l'encontre du ministre défendeur par des personnes morales liées exerçant des activités semblables et faisant valoir des demandes semblables à celles de la demanderesse. Voir : Nautica Motors Inc. et 506913 N.B. Ltd. c. Ministre du Revenu national (dossier du greffe no T-172-01).

[2]                 Les déclarations en question ainsi que les documents de la demanderesse ont été vérifiés par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) et les documents de la demanderesse ont subséquemment été renvoyés aux fins d'une enquête criminelle menée par l'ADRC. Pendant que ces vérifications et enquêtes étaient en cours, la demanderesse a présenté sa demande au mois d'août 2001 en vue d'obtenir une ordonnance demandamus. Le 22 novembre 2001, un avis de cotisation a été envoyé à la demanderesse pour les mois de novembre et de décembre 2000. Les crédits réclamés par la demanderesse pour ces mois-là ainsi que pour les mois de janvier et de février 2001 et les crédits réclamés pour les mois subséquents ont tous été affectés au montant faisant l'objet de la cotisation, et, au mois de mai 2002, il y avait encore un montant qui aurait censément été dû au ministre.

[3]                 Une demande de redressement similaire a été présentée par des personnes morales liées exerçant les mêmes activités que Cambridge Leasing. La demande de ces personnes morales se rapportait à des déclarations qui avaient été produites pour la période de déclaration du mois de mai 1998 ainsi que pour les mois d'août, de septembre et d'octobre 1998. Le traitement de ces déclarations a été retardé à cause des vérifications et enquêtes effectuées par l'ADRC. Au mois de novembre 2001, des cotisations, appelées les cotisations provisoires, ont été établies à l'égard de ces personnes morales liées. La demande que ces personnes morales avaient présentée en vue d'obtenir une ordonnance de mandamus a été examinée par M. le juge O'Keefe au mois de décembre 2001 et, au mois d'avril 2002, le juge a rendu une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de traiter les déclarations de TVH produites par ces personnes morales liées pour les mois en question. Le juge a refusé d'ordonner au ministre d'accorder les crédits de taxe sur les intrants qui étaient censément dus à la demanderesse.


[4]                 Lorsque la demande de Cambridge Leasing visant l'obtention d'une réparation similaire a été entendue, l'avocat de la demanderesse a soutenu qu'il y avait essentiellement chose jugée puisque les mêmes questions et les mêmes arguments avaient été soulevés devant le juge O'Keefe et examinés par celui-ci. Au nom du défendeur, il est affirmé qu'il y a certaines différences, en particulier que, contrairement au cas dont le juge O'Keefe était saisi, la demanderesse avait produit dans ce cas-ci, au mois de janvier 2002, un avis d'opposition à la cotisation du mois de novembre 2001. Aucun avis d'opposition de ce genre n'avait été produit avant que les arguments présentés dans l'affaire Nautica aient été entendus par le juge O'Keefe. En outre, le défendeur affirme que, dans cette affaire-là, le juge n'a pas été invité à tenir compte de l'effet des décisions rendues dans les affaires Western Minerals Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1962] R.C.S. 592, 62 D.T.C. 1163, 34 D.L.R. (2d) 163 (C.S.C.) et Optical Recording Co. c. ministre du Revenu national (1990), 116 N.R. 200 (C.A.F.) à l'égard des demandes de redressement présentées par la demanderesse en l'espèce.

[5]                 Dans l'arrêt Western Minerals Ltd., la Cour suprême du Canada a rejeté l'appel interjeté par le contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle était alors en vigueur, et a statué qu'une cotisation d'impôt initiale établie par le ministre compte tenu des observations du contribuable était la « première cotisation pour l'année d'imposition » au sens de la disposition législative relativement au moment auquel commençaient à courir les intérêts payables sur le montant d'impôt finalement demandé dans les nouvelles cotisations établies par le ministre. À mon avis, l'arrêt Western Minerals Ltd. porte sur l'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu et n'est pas utile lorsqu'il s'agit d'examiner l'obligation à caractère public, le cas échéant, qui incombe au ministre de traiter à bref délai les déclarations produites par le contribuable en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, soit la question primordiale dont était saisi le juge O'Keefe dans l'affaire Nautica et dont la Cour est ici saisie.


[6]                 Dans l'arrêt Optical Recording Co., précité, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel interjeté par le ministre à l'encontre d'une décision du juge des requêtes, qui avait annulé les ordonnances de saisie-arrêt rendues par le ministre aux fins du recouvrement de l'impôt qui était censément dû en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, après que le ministre eut omis de recouvrer un montant dû au titre de l'impôt et eut délivré un avis de cotisation en faisant savoir que l'impôt ne serait pas recouvré si certaines conditions étaient remplies. Le juge des requêtes avait conclu que la conduite du ministre était illégale et que la cotisation et les ordonnances de saisie-arrêt étaient dénuées de fondement. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel, qui s'est fondée sur la disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu selon laquelle une cotisation est réputée valide, sous réserve uniquement de l'établissement d'une nouvelle cotisation, ou à moins d'être modifiée ou annulée à la suite d'une opposition qui a été retenue. Dans l'affaire Optical Recording Co., l'instance découlait d'une cotisation établie par le ministre. En vertu de la Loi sur la Cour fédérale, telle qu'elle était alors en vigueur, la Cour n'avait pas compétence pour accorder la réparation demandée étant donné que la Loi de l'impôt sur le revenu prévoyait la procédure par laquelle toute question relative à la cotisation pouvait être portée en appel ou être examinée.


[7]                 Ni l'une ni l'autre de ces décisions ne me convainc que le juge O'Keefe aurait rendu une décision différente si la chose avait été portée à son attention. Je tire cette conclusion parce qu'il me semble que la décision du juge est fondée sur l'obligation qui incombe au ministre d'établir à bref délai ou du moins dans un délai raisonnable, une cotisation à l'égard des déclarations conformément au paragraphe 229(1) de la Loi sur la taxe d'accise. En outre, le juge a conclu que les cotisations provisoires qui avaient été établies dans l'affaire Nautica n'étaient clairement pas des cotisations finales établies pour le compte du ministre. Dans ces conditions et puisqu'on a refusé de traiter les déclarations des demanderesses, les cotisations provisoires ayant uniquement été établies quelques jours avant l'audience, le juge a ordonné que la cotisation soit établie. Le juge n'a pas ordonné que les crédits soient accordés à la demanderesse et, par conséquent, dans son ordonnance, il n'a pas tenté de dicter ou de contester le résultat de la cotisation.

[8]                 En l'espèce, la demanderesse soutient que la question est chose jugée, mais à vrai dire, la décision rendue par le juge O'Keefe dans l'affaire Nautica n'est pas ici déterminante étant donné que les parties demanderesses, même si elles sont liées entre elles, sont différentes dans les deux cas et que les faits sont quelque peu différents, du moins selon la réponse qui a été donnée au moyen d'une opposition à la cotisation du mois de novembre avant l'audition de l'affaire ici en cause. Il est soutenu que la production de l'avis d'opposition, au mois de janvier 2002, n'était qu'une mesure de précaution et ne privait pas la Cour de sa compétence lorsqu'il s'agissait de déterminer si le ministre avait satisfait aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 229 de la Loi sur la taxe d'accise.


[9]                 Je suis d'accord pour dire que la production d'un avis d'opposition, au mois de janvier 2002, ne prive pas la Cour de sa compétence, si cette compétence repose sur la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. La compétence nécessaire pour rendre une ordonnance de mandamus en général est conférée à la Cour par les articles 18 et 18.1 de cette loi et l'article 18.5 n'y fait pas obstacle. Cette dernière disposition limite la compétence que possède la Cour en vertu des articles 18 et 18.1 « lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel » entre autres devant la Cour canadienne de l'impôt, du moins dans la mesure où une décision peut faire l'objet d'un appel. En pareil cas, la décision ne peut être portée en appel, ou ne peut faire l'objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention sauf en conformité avec la Loi qui prévoit expressément une procédure d'appel.

[10]            Il est vrai qu'une procédure particulière est prévue par la Loi sur la taxe d'accise aux fins de la contestation d'une cotisation établie par le ministre. En effet, les paragraphes 299(3) et (4) prévoient que, sous réserve d'une annulation prononcée lors d'une opposition ou d'un appel selon la Loi, une cotisation est valide et exécutoire. Le paragraphe 301(1.4) prévoit la production d'un avis d'opposition à une cotisation et l'article 306 prévoit que la personne faisant opposition peut interjeter appel à la Cour de l'impôt. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2 confère à cette cour une compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels découlant entre autres de la Loi sur la taxe d'accise (partie IX, qui est ici en cause).


[11]            L'interprétation que je donne à ces diverses dispositions législatives m'amène à conclure qu'elles ne prévoient pas expressément, comme l'exige l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, que la Cour n'a pas compétence pour entendre une demande visant l'obtention d'une ordonnance de mandamus, comme elle le ferait dans des circonstances appropriées afin d'obliger le ministre à s'acquitter d'une obligation à caractère public prévue par la Loi sur la taxe d'accise. J'examinerai maintenant la question de savoir si cette compétence doit être exercée en l'espèce.

[12]            À l'appui de la requête que le défendeur a présentée en vue de faire radier la demande, il est soutenu que la question ne présente plus qu'un intérêt théorique. Dans la mesure où la demande vise l'obtention d'une ordonnance relative au traitement des déclarations de TVH de la demanderesse, il est affirmé que l'objectif visé a déjà été atteint par suite de l'établissement de la cotisation dont avis a été donné au mois de novembre 2001, du moins en ce qui concerne les déclarations qui ont été produites aux mois de novembre et décembre 2000, et en fait en ce qui concerne les déclarations des mois de janvier et de février 2001, par suite de l'inclusion de tout crédit demandé par la demanderesse dans le montant demandé au titre des taxes dans la cotisation du mois de novembre 2001.

[13]            Je note que, dans la décision qu'il a rendue dans l'affaire Nautica, le juge O'Keefe mentionne, au paragraphe 47, que la demande visant l'obtention d'une ordonnance de mandamus avait été présentée par les demanderesses le 28 mars et que le défendeur avait établi une « cotisation provisoire de TVH » au mois de novembre 2001. Le juge fait ensuite remarquer ce qui suit :

Je suis d'avis que le défendeur, en n'établissant qu'une « cotisation provisoire » de TVH, laquelle ne fixe pas un montant final, a, en fait, refusé de traiter la demande de remboursement des demanderesses.


[14]            Il faut se rappeler que dans cette affaire-là, les avis de cotisation avaient été délivrés après un long délai, quelques jours à peine avant l'audience, et qu'aucun avis d'opposition à la cotisation établie par le ministre n'avait été produit avant l'audition de la demande. En l'espèce, l'avis d'opposition a été produit au mois de janvier 2002, à la suite de l'avis de cotisation établi au mois de novembre. Cette cotisation a peut-être été décrite dans une lettre d'envoi comme une « cotisation provisoire » , mais le ministre demandait des taxes s'élevant à un montant supérieur aux crédits remboursables demandés par la demanderesse pour les déclarations produites mensuellement du mois de novembre 2000 au mois de février 2001. Indépendamment de la question de savoir si la demande du ministre sera en fin de compte maintenue, la production de l'avis d'opposition, quelle qu'ait pu être l'intention du contribuable à ce moment-là, a mis en état la procédure de contestation prévue par la Loi sur la taxe d'accise à l'égard de la cotisation et notamment à l'égard du montant d'une taxe due en vertu de la Loi et du montant réclamé par la demanderesse aux fins du crédit et du remboursement. En fait, l'avis d'opposition reconnaît la procédure prévue par la loi à l'égard de la contestation de toute question découlant de l'établissement de la cotisation.

[15]            À mon avis, la production d'un avis d'opposition assurait une procédure permettant l'examen efficace des questions soulevées par la demanderesse, y compris toute question se rapportant au retard de la part du ministre. La procédure normale prévue par la Loi sur la taxe d'accise aux fins de la cotisation et du règlement de tout différend y afférent était en place au mois de janvier 2002.


[16]            Dans ces conditions, étant donné que la procédure prévue par la Loi sur la taxe d'accise était en place lorsqu'il s'agissait de réaliser les objectifs ici visés par la demanderesse, il n'y a pas lieu pour la Cour d'exercer sa compétence en vue de délivrer une ordonnance de mandamus, qui est une réparation extraordinaire relevant de sa compétence. Au moment où l'affaire a été entendue, on ne pouvait plus dire que le ministre défendeur refusait de satisfaire à ses obligations légales, ce qui est reconnu par la production de l'avis d'opposition à la cotisation établie par le ministre.

[17]            Pour ces motifs, une ordonnance rejetant la demande de mandamus présentée par la demanderesse est rendue.

[18]            Puisque j'ai statué au fond sur la demande d'ordonnance de mandamus en la rejetant, il n'y a pas lieu d'examiner en détail la requête incidente que le défendeur a présentée en vue de faire radier la demande, laquelle a été entendue en même temps. La requête en radiation, qui a été présentée par le ministre défendeur, est rejetée au moyen d'une ordonnance distincte.

[19]            Les ordonnances qui sont ici rendues prévoient qu'aucuns dépens ne sont adjugés.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 février 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1514-01

INTITULÉ :                                                                     CAMBRIDGE LEASING LTD.

c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             FREDERICTON (N.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 21 MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           MONSIEUR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 4 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

M. EUGENE J. MOCKER                                              POUR LA DEMANDERESSE

M. JOHN J. ASHLEY                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MOCKLER, PETERS, OLEY,                                       POUR LA DEMANDERESSE

ROUSE WILLIAMS

FREDERICTON

M. MORRIS ROSENBERG                                            POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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