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Date : 19990421


Dossier : T-2309-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS

ENTRE :

     HOFFMAN-LA ROCHE et

     SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     et APOTEX INC.,

     intimés.

     ORDONNANCE

     La requête en sursis est rejetée.

                                 John M. Evans

                            

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Richard Jacques, LL. L.     


Date : 19990421


Dossier : T-2309-98

ENTRE :

     HOFFMAN-LA ROCHE et

     SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     et APOTEX INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      Introduction

[1]      Dans une ordonnance datée du 7 avril 1998, j'ai accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par Hoffman-La Roche. J'ai statué qu'un avis de conformité délivré à Apotex par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social le 9 novembre 1998 à l'égard de comprimés de 750 mg de naproxen à libération prolongée était nul et sans effet, et je l'ai annulé. La décision prise par le ministre le 2 décembre 1997 de retirer l'avis étant en conséquence valide, j'ai accordé une déclaration à cet effet.

[2]      Cette ordonnance a eu pour effet de confirmer l'opinion du ministre à l'égard de sa position sur le plan juridique au moment où il avait révoqué l'avis de conformité le 2 décembre 1997. Cette ordonnance a aussi établi qu'Apotex avait commis une erreur de droit en soutenant que l'avis de conformité qui lui avait été délivré était valide et, comme cet avis n'avait pas été révoqué pour des motifs de santé, de sécurité ou d'efficacité aux termes de l'article C.08.006(2) du Règlement sur les aliments et drogues, que le retrait de cet avis par le ministre était censément nul et sans effet.

[3]      Apotex entend interjeter appel de mon ordonnance à la Cour d'appel fédérale dans le cadre d'une audition avancée, et elle a présenté une demande de sursis de cette ordonnance aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et du paragraphe 398(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Hoffman-La Roche et le ministre se sont tous les deux opposés énergiquement à cette requête.

[4]      Par souci d'exhaustivité, je devrais aussi ajouter qu'après l'audition de la présente requête le vendredi 16 avril 1999, le juge Reed a rendu une ordonnance le lundi 19 avril 1999 déclarant que la préparation des comprimés de naproxen à libération prolongée ne contrefait pas le brevet d'Hoffman-La Roche, et que le brevet est invalide.

B.      Questions et analyse

[5]      Les parties se sont entendues sur deux questions. Premièrement, le critère en trois volets établi dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, régit l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder un sursis en attendant l'issue d'un appel. Deuxièmement, l'appel envisagé par Apotex soulève une question sérieuse.

[6]      Toutefois, les parties ne se sont pas entendues sur la question de savoir si Apotex avait prouvé qu'elle subirait un préjudice irréparable si un sursis d'exécution de mon ordonnance n'était pas accordé, ni sur la question de savoir si la prépondérance des inconvénients favorisait le statu quo. Même si je reconnais que les différents volets du critère ne doivent pas être abordés d'une façon mécanique, mais plutôt considérés de manière holistique ou cumulative, je vais néanmoins commencer par les examiner séparément.

i) Préjudice irréparable

     a) caractère théorique et mesure de redressement déclaratoire

[7]      Hoffman-La Roche prétend que mon ordonnance n'a rien changé à la position juridique des parties depuis que j'ai conclu que le litige sur la validité de l'avis de conformité était théorique, car le ministre intimé souscrivait à l'opinion de la requérante Hoffman-La Roche, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, selon laquelle l'avis est invalide. En conséquence, Apotex ne subirait aucun préjudice, irréparable ou non, si un sursis d'exécution d'ordonnance n'était pas accordé.

[8]      Cette thèse me semble irréaliste. Avant le prononcé de mon ordonnance, Hoffman-La Roche et le ministre, d'une part, et Apotex, d'autre part, ont fait valoir des opinions différentes à l'égard de leurs droits respectifs. Hoffman-La Roche et le ministre ont soutenu que, vu qu'aucun avis de conformité valide n'avait été délivré à Apotex, il était illégal pour elle de commercialiser sa version du naproxen au Canada. En revanche, Apotex soutenait que l'avis de conformité était valide et que son retrait était censément nul. Par conséquent, comme le ministre lui avait délivré un avis de conformité, avis qu'il n'avait pas le pouvoir de révoquer d'après les faits de l'espèce, Apotex était dans une situation lui permettant de commercialiser légalement le naproxen au Canada.

[9]      Mon ordonnance a eu pour effet de régler ce différend et de déclarer que l'avis de conformité était invalide et que, par conséquent, Apotex ne pouvait légalement commercialiser son naproxen. Même si cette ordonnance déclare officiellement et rétroactivement les droits des parties, elle tranche en réalité une question juridique qui était auparavant incertaine, et empêche Apotex de commercialiser le naproxen jusqu'à ce qu'elle soit annulée ou qu'une autre instance soit engagée.

[10]      Pour des raisons similaires, je rejette l'argument d'Hoffman-La Roche selon lequel la mesure de redressement déclaratoire n'étant pas constitutive des droits et obligations des parties, elle ne peut faire l'objet d'un sursis. Toutefois, la déclaration portant que le retrait par le ministre de l'avis de conformité est valide a une incidence sur la position juridique des parties et elle peut donc causer un préjudice irréparable si elle ne fait pas l'objet d'un sursis d'exécution en attendant l'issue de l'appel interjeté par Apotex.

[11]      Enfin, Hoffman-La Roche soutient qu'Apotex ne profiterait pas d'un sursis parce que, même s'il était accordé, il ne lui permettrait pas de commercialiser légalement le naproxen en attendant l'issue de l'appel, car il n'y aurait toujours pas d'avis de conformité. Là encore, cet argument me semble fondé sur une conception erronée. Si un sursis est accordé avant l'appel, la question de savoir si un avis de conformité a été délivré à Apotex fait encore l'objet d'un différend juridique. Si Apotex obtient gain de cause en appel, il sera jugé qu'elle disposait d'un avis de conformité valable pour son naproxen à compter du moment où le ministre l'a délivré le 9 novembre 1998.

     b) préjudice pécuniaire et atteinte à la réputation

[12]      Apotex fait valoir que si l'ordonnance ne fait pas l'objet d'un sursis, elle subira un préjudice irréparable par suite des pertes sur les ventes de ses produits, du retour et de la destruction de comprimés déjà fournis aux pharmaciens et non encore délivrés et, à plus long terme, des dommages à sa réputation en tant que fournisseur fiable de produits pharmaceutiques. Apotex fait aussi valoir qu'il se peut qu'elle perde à jamais sa position de leader sur le marché des produits pharmaceutiques génériques et plus particulièrement du naproxen et que, si l'ordonnance ne fait pas l'objet d'un sursis, elle entraînera une grave désorganisation de la chaîne de distribution, au détriment d'Apotex et de ses clients. De plus, il surviendra des retards inutiles et préjudiciables et d'autres inconvénients d'ordre administratif par suite de la radiation du naproxen d'Apotex des listes de médicaments provinciales, et de sa réinscription si l'appel est fructueux.

[13]      Des ventes éventuelles seront perdues car les autorités provinciales en matière de santé seront avisées qu'aucun avis de conformité n'a été délivré à Apotex pour le naproxen, et ce produit sera radié des listes de médicaments provinciales, qui énumèrent les médicaments génériques qui sont interchangeables avec les produits de marque énumérés.

[14]      Apotex fait valoir que, même si ses ventes de naproxen ont été à ce jour très modestes, ce n'est que le 15 avril 1999 que ce médicament a été inscrit sur la liste de médicaments en Ontario, et que cette province devrait être, de loin, le plus important marché pour son produit, soit nettement plus que 10 millions de dollars.

[15]      L'avocat d'Apotex a souligné que même une perte pécuniaire quantifiable peut être irréparable lorsqu'elle n'est pas recouvrable : arrêt RJR-MacDonald, précité, à la page 341. Il a fait valoir que, si l'appel était fructueux, Apotex n'aurait aucune cause d'action contre le ministre pour recouvrer la perte causée par le retrait illégal de l'avis de conformité par ce dernier : North American Gateway Inc. c. Canada (CRTC) (C.A.F., 97-A-47, 26 mai 1997). De plus, ni Hoffman-La Roche ni le ministre ne se sont engagés à dédommager Apotex de toute perte semblable si Apotex obtient gain de cause en appel : Apotex c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 82 C.P.R. (3d) 429, aux pages 431 et 432 (C.A.F.).

[16]      Je suis aussi disposé à accepter que la désorganisation, les retards et les autres inconvénients susceptibles d'être causés à Apotex et à d'autres personnes, dont des médecins et des pharmaciens, par la radiation et la réinscription possible du produit d'Apotex constitueront un préjudice important, pour lequel ni Apotex ni qui que ce soit d'autre n'a le droit d'être indemnisé.

[17]      Toutefois, étant donné qu'aucune preuve ne quantifie le volume et la valeur des comprimés qui seraient retournés et détruits si le naproxen d'Apotex était radié des listes de médicaments provinciales, cet élément du prétendu préjudice est purement conjectural.

[18]      De plus, je partage les doutes exprimés par le juge Campbell dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 81 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.) au sujet des risques de dommage à la réputation qui résulteraient de la radiation du naproxen d'Apotex. Les médecins, les pharmaciens et les autres clients pourraient sans doute considérer étonnant et troublant que ce produit ait été lancé sur le marché, retiré de ce dernier et ensuite remis en circulation.

[19]      Toutefois, les médecins et les pharmaciens savent que les litiges sont monnaie courante au sein de l'industrie pharmaceutique et qu'à l'occasion cette situation mène à une certaine incertitude au sujet du statut juridique d'un médicament déterminé, ce qui n'a rien à voir avec leur innocuité ou leur efficacité. J'estime qu'Apotex est tout à fait en mesure d'expliquer la situation qui s'est produite en l'espèce, et ce, d'une manière qui n'endommagera pas à long terme sa réputation générale à titre de fournisseur fiable de produits pharmaceutiques.

[20]      Apotex craint aussi que, dans l'éventualité où un sursis ne serait pas accordé, un produit concurrent soit lancé sur le marché avant le sien, y compris un médicament " générisé " dont Hoffman-La Roche ferait la promotion, ce qui empêcherait à jamais Apotex de devenir le leader du marché générique pour le naproxen. Toutefois, en l'absence de toute preuve qu'un concurrent générique soit sur le point d'entrer sur le marché, j'estime que cette prétention relative au préjudice irréparable est conjecturale.

[21]      Ma conclusion sur cet élément du critère en trois volets est qu'Apotex a établi de manière plausible, sinon convaincante, le préjudice irréparable que causerait la désorganisation de la distribution du naproxen et la probabilité qu'elle perde des ventes importantes, particulièrement en Ontario, entre la date des présentes et l'issue de l'appel.

ii) Prépondance des inconvénients

[22]      Apotex se fonde sur la déclaration suivante du juge Godman dans International Corona Resources Ltd. v. Lac Mineral Ltd. (1986), 21 C.P.C. (2d) 252, à la page 255 (C.A. Ont.), faite dans le contexte d'une requête en sursis d'exécution d'une ordonnance pendant qu'un appel était en cours :

     [TRADUCTION] J'estime qu'en règle générale il est dans l'intérêt de la justice de maintenir le statu quo pendant qu'un appel est en cours lorsqu'il est possible de le faire sans porter préjudice aux intérêts de la partie qui obtient gain de cause.         

[23]      L'avocat d'Apotex a souligné que, pour ce qui est des dommages, cette dernière s'était engagée à remédier à toute perte subie par Hoffman-La Roche par suite des ventes de naproxen par Apotex entre le prononcé de mon ordonnance et son appel infructueux, le cas échéant. Le statu quo ne causerait aucun préjudice à Hoffman-La Roche. Les parties seraient tout simplement replacées dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant le prononcé de mon ordonnance, moment où leurs opinions divergeaient sur la question juridique de savoir si Apotex disposait d'un avis de conformité à l'égard du naproxen.

[24]      Toutefois, dans mon esprit, la question plus difficile pour Apotex est celle qu'a soulevée l'avocat du ministre pour s'opposer au sursis. Il a fait valoir qu'il est dans l'intérêt public de s'assurer que les participants au régime réglementaire créé par le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) respectent ce régime. Accorder à Apotex un sursis la récompenserait en réalité pour avoir entrepris de commercialiser le naproxen alors qu'elle savait, ou aurait dû savoir, qu'aucun avis de conformité valable ne lui avait été délivré.

[25]      Selon l'avocat du Ministère, l'intérêt que protège le ministre en l'occurrence ne se limite pas aux questions de santé et de sécurité, même si ces questions sont manifestement au coeur du régime réglementaire d'approbation de la commercialisation de nouveaux médicaments. Il y va de l'intérêt public quand il s'agit de l'administration ordonnée du régime dans l'ensemble, y compris ses dispositions visant à équilibrer au moyen des droits de propriété intellectuelle les valeurs concurrentes, savoir l'accroissement de la recherche et la baisse du prix des produits pharmaceutiques.

[26]      À cette prétention, Apotex répond que sa conduite ne pourrait être qualifiée de violation consciente et délibérée de la loi du genre de celle que la Cour voulait interdire dans Attorney-General for Ontario v. Grabarchuk (1976), 67 D.L.R. (3d) 31, à la page 38 (C. div. Ont.).

[27]      Apotex soutient qu'à tout le moins, elle a continué à commercialiser son naproxen après que le ministre lui a censément retiré l'avis de conformité en raison d'une véritable erreur de droit commise de bonne foi. Apotex croyait que l'avis de conformité qui lui avait été délivré était valide et elle a donc agi apparemment en toute légalité, même si, dans ce cas, la Cour a subséquemment statué que cet avis était invalide.

[28]      Toutefois, Apotex vise plus haut en se fondant sur la lettre à partir de laquelle M. Bernard Sherman, président et chef de la direction d'Apotex, infère que le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social s'est engagé à ne pas nuire à la poursuite de la commercialisation du naproxen par Apotex en attendant l'issue de la demande de contrôle judiciaire d'Hoffman-La Roche qui s'est soldée par mon ordonnance du 7 avril 1999.

[29]      Après avoir examiné la lettre en question, je conclus qu'il n'y avait pas d'engagement comme le prétend M. Sherman, et que son libellé ne peut raisonnablement étayer une telle conclusion, sauf peut-être dans l'esprit d'une personne dont l'intérêt personnel dans l'affaire l'incite fortement à croire à l'existence d'un tel engagement.

[30]      Même si je suis disposé à accepter qu'Apotex peut avoir véritablement cru qu'elle respectait la loi, je suis aussi amené à conclure que, lorsqu'elle a décidé d'agir en fonction de son opinion sur sa position juridique, elle l'a fait en sachant pleinement qu'elle pourrait avoir tort. Il se peut bien que le fait de prendre un risque calculé de cette nature ne soit pas la façon la plus flagrante de " faire fi de la loi ", mais elle est néanmoins susceptible de miner la bonne administration du régime réglementaire et son intégrité, et elle constitue une certaine façon de se faire justice soi-même que la Cour ne saurait encourager.

[31]      Comme le juge Pearce l'a souligné dans Attorney-General v. Harris, [1961] 1 QB 74, à la page 95 (Eng. C.A.), remarque que le juge Reid a approuvée dans l'affaire Attorney-General for Ontario v. Grabarchuk, précitée, à la page 39 :

     [TRADUCTION]         
     ...la violation en toute impunité par un citoyen mène à la violation par d'autres citoyens, ou à un sentiment général que la loi est injustement favorable à ceux qui persistent à en faire fi...         

Une société pharmaceutique qui estime que le ministre a agi illégalement peut toujours engager un litige, et on ne peut guère dire que l'industrie pharmaceutique ne connaît pas bien le processus judiciaire, ou ne dispose pas des ressources nécessaires pour retenir les services des meilleurs conseillers juridiques.

[32]      À l'appui de son allégation relative à un engagement entre le ministre et Apotex, l'avocat d'Apotex s'est fondé en particulier sur deux lettres de M. Dann Michols, directeur général du Programme des produits thérapeutiques, Santé Canada, écrites en réponse à des lettres que M. Sherman avait envoyées pour protester rapidement contre le retrait de l'avis de conformité.

[33]      Dans une lettre datée du 14 décembre 1998, en réponse à une lettre de M. Sherman datée du 3 décembre 1998, M. Michols a déclaré qu'il avait examiné les observations de M. Sherman, mais qu'il continuait de penser que l'avis de conformité était nul. Et dans une lettre datée du 31 décembre 1998, en réponse à une lettre datée du 14 décembre 1998 écrite par M. Sherman en réponse à la lettre de M. Michols portant la même date, ce dernier a réitéré la position de Santé Canada sur ces questions, et il a conclu : [TRADUCTION] " comme vous l'avez souligné, la Cour fédérale a été saisie de cette question ".

[34]      Monsieur Sherman prétend inférer de ce dernier commentaire et de son contexte que Santé Canada s'est engagé à permettre à Apotex de continuer à commercialiser le naproxen et s'en remettait simplement à l'issue de la demande de contrôle judiciaire présentée par Hoffman-La Roche.

[35]      Monsieur Sherman a en outre déclaré que sa croyance en l'existence d'un accord découlait aussi du fait que le ministre savait qu'Apotex commercialisait et vendait le naproxen, malgré le retrait de l'avis de conformité le 2 décembre 1992. Les éléments de preuve qui suivent appuient l'opinion de M. Sherman selon laquelle le ministre était au courant des activités d'Apotex.

[36]      Premièrement, dans sa lettre datée du 14 décembre 1992, M. Sherman avait averti M. Michols qu'Apotex considérerait comme une dépréciation déloyale de la qualité des marchandises toutes déclarations de sa part faites à un tiers portant que l'avis de conformité d'Apotex était invalide. Deuxièmement, Apotex avait avisé le ministre, comme le veut le Règlement, qu'elle commercialisait le naproxen. Troisièmement, un employé d'Hoffman-La Roche avait déclaré dans un affidavit déposé le 17 décembre 1998 pour le compte d'Hoffman-La Roche dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire qu'Apotex commercialisait déjà le naproxen. Et, comme cet affidavit aurait été signifié au ministre en tant qu'intimé dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, il faut croire que le ministre savait ce qu'Apotex faisait.

[37]      Toutefois, dans le cadre de la requête en sursis, un affidavit a été déposé pour le compte du ministre par Mme Anne Bowes, qui occupe le poste de spécialiste de la réglementation (Brevets) du Programme des produits thérapeutiques de Santé Canada. Mme Bowes a déclaré, premièrement, que ce n'est qu'en lisant l'affidavit de M. Sherman daté du 11 avril 1999 qu'elle avait appris qu'Apotex commercialisait le naproxen et, deuxièmement, qu'Apotex n'avait pas avisé par écrit le ministre de la commercialisation de ses comprimés de naproxen.

[38]      La première déclaration ne me semble pas particulièrement dommageable pour la thèse d'Apotex, à savoir qu'elle avait des motifs raisonnables de croire que le ministre était au courant qu'elle commercialisait le naproxen, même si, en fait, cela était faux.

[39]      Par ailleurs, je considère plus grave le fait qu'Apotex n'ait pas, conformément à l'article C.01.014.3 du Règlement sur les aliments et drogues, avisé le ministre qu'elle vendait du naproxen. Apotex ne peut expliquer pourquoi le ministre n'a pas reçu le formulaire de notification qu'elle dit avoir rempli et daté du 9 novembre 1998. J'aurais pensé que si Apotex avait réellement voulu s'assurer qu'elle agissait légalement, elle aurait pris les mesures nécessaires pour s'assurer que le ministre recevrait son avis. Au mieux, on peut dire qu'Apotex a fait preuve d'un manque de diligence, sinon d'une attitude quelque peu cavalière, à l'égard de sa conformité à la réglementation.

[40]      Je ne suis pas convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise le statu quo en attendant l'issue de l'appel interjeté à l'égard de l'ordonnance que j'ai prononcée. J'estime que c'est en violation de son obligation légale d'aviser le ministre qu'Apotex commercialisait le naproxen, et que les lettres de M. Michols et leur contexte, ne permettaient pas raisonnablement à Apotex de croire que le ministre avait accepté qu'elle continue à commercialiser et à vendre le naproxen, sans encourir de sanction, jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire présentée par Hoffman-La Roche.

[41]      Enfin, je dois tenir compte de l'ordonnance prononcée par le juge Reed le 19 avril 1999. Après l'audience, M. Radomski, l'avocat d'Apotex, a présenté des observations écrites selon lesquelles cette ordonnance faisait en sorte qu'il était inutile de ne pas accorder le sursis car il n'y a pas d'intérêt lié à un brevet à protéger, et que la santé et la sécurité n'ont jamais été une source d'inquiétude en ce qui a trait au naproxen d'Apotex.

[42]      Compte tenu de mon point de vue sur la question, l'ordonnance du juge Reed ne tranche pas la requête en sursis parce qu'elle n'aborde pas le principal motif sur lequel j'ai fondé mon jugement, soit l'intérêt public de s'assurer que les personnes qui ne se conforment pas à la loi ne devraient pas en profiter. De plus, l'ordonnance du juge Reed peut très bien faire l'objet d'un appel et, ce qui est concevable, être infirmée.

[43]      Toutefois, je reconnais aussi qu'il est dans l'intérêt public de s'assurer que l'on a rapidement accès à des médicaments de rechange moins coûteux que les médicaments d'origine. Dans des observations écrites, M. Woyiwada, l'avocat du ministre, a déclaré qu'au vu de l'ordonnance du juge Reed, le ministre consentirait à des ordonnances annulant l'interdiction accordée par le juge Reed en mars 1996, et modifiant en conséquence l'ordonnance du juge MacKay datée du 8 janvier 1997, ce qui permettrait de délivrer un avis de conformité à Apotex.

[44]      Cette solution me semble intéressante parce qu'elle concilie, d'une façon à la fois fondée sur des principes et pratique, les motifs d'intérêt public pertinents en l'espèce : le respect de la loi et la concurrence.

C.      Conclusion

[45]      Même si Apotex s'est acquittée du fardeau de preuve relatif au préjudice irréparable, tout préjudice qu'elle peut subir résulterait largement de la décision qu'elle a prise consciemment de commercialiser le naproxen, malgré le statut juridique incertain de l'avis de conformité (Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 22 C.P.R. (3d) 493, aux pages 507 à 509 (C.F. 1re inst.)), et du fait qu'elle ne s'est pas assurée d'avoir avisé adéquatement le ministre qu'elle commercialisait le naproxen.

[46]      Même si, normalement, l'intérêt de la justice peut favoriser l'octroi d'un sursis en attendant l'issue d'un appel lorsque le requérant a donné un engagement à l'égard des dommages et que l'appel soulève une question grave, en l'espèce l'intérêt public qu'il y a de promouvoir le respect du régime réglementaire fait pencher la balance de l'autre côté.

[47]      Pour ces motifs, la requête en sursis d'exécution d'ordonnance est rejetée.

OTTAWA (ONTARIO)                          John M. Evans

                                

21 avril 1999                                  J.C.F.C.     

Traduction certifiée conforme :

Richard Jacques, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NE DE DOSSIER :              T-2309-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HOFFMAN-LA ROCHE ET AUTRES c.
                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      16 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. LE JUGE EVANS

EN DATE DU :              21 avril 1999

ONT COMPARU :

Peter Wilcox                  pour la requérante

Frederick B. Woyiwada          pour l'intimé (le ministre)

Harry B. Radomski

Richard Naiberg              pour l'intimée (Apotex)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)              pour la requérante

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada     

Ottawa (Ontario)              pour l'intimé

Goodman Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)              pour l'intimée

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