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                                                                                                                                 Date : 20040812

                                                                                                                    Dossier : IMM-3530-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1122

ENTRE :

                                                        SUHITHA KULARATNAM

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                Un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a refusé de reconnaître à la demanderesse, une Tamoule âgée de 24 ans, la qualité de réfugiée et de personne à protéger. Le tribunal a formulé des commentaires au sujet, entre autres, de la norme de preuve applicable à l'article 97 et du lien existant entre la détention, la corruption et la persécution, commentaires qui sont tous problématiques.


Les faits

[2]                Mme Kularatnam a allégué que sa famille a été harcelée par les Tigres pendant plusieurs années. Ils ont donc déménagé à Colombo. Tous les frères et soeurs de la demanderesse, à l'exception d'un seul, ont fini par fuir le Sri Lanka. Un frère et une soeur de la demanderesse se sont déjà vu reconnaître le statut de réfugiés au Canada.

[3]                En juillet 2001, après avoir été attaquée par les Tigres, Mme Kularatnam a été détenue pendant trois jours et maltraitée physiquement. Elle n'a été mise en liberté qu'après que son père a payé un pot-de-vin aux fonctionnaires de police.

[4]                Le tribunal n'a jamais dit qu'il ne croyait pas la demanderesse, mais il a formulé des commentaires qui portent à croire qu'il avait des réserves quant à sa crédibilité.

[5]                Le tribunal a conclu que selon la jurisprudence émanant de la Cour, de courtes périodes de détention aux fins de prévenir des perturbations ou de lutter contre le terrorisme ne constituaient pas de la persécution. Le tribunal s'est contenté de dire, au sujet de la corruption, que la Cour avait confirmé des conclusions relatives à la PRI même lorsque des pots-de-vin avaient été payés pour rendre possible la mise en liberté.

[6]                Le tribunal a en outre conclu qu'en application de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), le fardeau de preuve dont la demanderesse devait s'acquitter pour démontrer qu'elle était une _ personne à protéger _ était plus lourd du fait qu'elle n'était pas une réfugiée.


Analyse

[7]                Le défendeur a d'abord traité de ce dernier commentaire, et il a reconnu que le tribunal avait commis une erreur en ce qui concerne le fardeau de la preuve aux termes de l'article 97. Il a cependant soutenu que ce commentaire n'était pas pertinent compte tenu du fondement véritable de la décision.

[8]                Comme la présente affaire sera renvoyée à la Commission pour nouvel examen, je me contenterai de dire qu'il n'est pas du tout certain que cette erreur de droit soit sans conséquence lorsqu'on est en présence d'une conclusion touchant la crédibilité exprimée en termes voilés. Un tribunal différemment constitué ne commettra sûrement pas la même erreur en ce qui concerne le fardeau de la preuve.

[9]                La conclusion du tribunal selon laquelle de courtes périodes de détention ne constituent pas de la persécution est une conclusion touchant le droit applicable. La norme de contrôle à laquelle sont assujetties les conclusions de droit est la norme de la décision correcte.

[10]            Depuis la décision Velluppillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 301, l'affirmation du tribunal n'est exacte qu'en partie. Les détentions de courte durée justifiées par la nécessité de faire respecter la loi ne constituent pas, en règle générale, de la persécution. Cependant, la Commission doit tenir compte de la situation particulière de chaque demandeur, et notamment de son âge et de ses expériences antérieures. Elle ne l'a pas fait en l'espèce.

[11]            Outre l'âge et les expériences antérieures d'un demandeur, l'endroit où celui-ci a été détenu et le traitement qu'il a subi pendant la détention pourraient être pertinents dans certaines circonstances, tout comme pourraient l'être les circonstances de sa mise en liberté.


[12]            Le tribunal a écarté la question de la corruption, au sujet de laquelle la demanderesse avait fait valoir que la corruption pouvait constituer de la persécution, en se référant à sa conclusion selon laquelle il existait une PRI viable. Le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a établi un lien exclusif entre la corruption et la conclusion qu'il a tirée quant à la PRI.

[13]            Le fait, pour la police, d'exiger des pots-de-vin constitue une forme d'extorsion. Dans les décisions Nadarajah c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] F.C. 500 et Packiam et al c. Ministre de la Citoyenneté et de Immigration, [2004] F.C. 649, la Cour a conclu que l'extorsion pouvait, dans certaines circonstances, constituer de la persécution pour les besoins de la Convention. Certes, l'omniprésence de la pratique consistant à exiger des pots-de-vin est pertinente à la question de la protection de l'État.

[14]            Compte tenu de ces décisions, un tribunal différemment constitué de la Commission va examiner la question de savoir si la corruption constitue de la persécution, à tout le moins à la lumière des faits de la présente affaire. En disant cela, je n'entends pas influencer la décision du tribunal, mais uniquement faire en sorte qu'il se penche sur la question.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.


[16]            Comme l'affaire est renvoyée à la Commission, aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _          

   Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-3530-03

INTITULÉ :                                 SUHITHA KULARATNAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 17 JUIN 2004

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                   MONSIEUR LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :               LE 12 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Michael Crane                               POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michael Crane                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                                                                                 

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

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