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                                                                                                                                 Date : 19990120

                                                                                                                               Dossier : T-66-86

ENTRE :

                            BERTHA L'HIRONDELLE, agissant en son nom et au nom

                           de tous les autres membres de la bande indienne de Sawridge,

                                      WAYNE ROAN, agissant en son nom et au nom

                        de tous les autres membres de la bande indienne d'Ermineskin, et

                                 BRUCE STARLIGHT, agissant en son nom et au nom

                             de tous les autres membres de la bande indienne de Sarcee,

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                                                                                             (intimés),

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                                                                                      (requérante),

                                                                          - et -

                          CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA

               CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

                            et NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA,

                                                                                                                                      intervenants.


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                        (Prononcés à l'audience à Edmonton (Alberta)

                                                               le 20 janvier 1999)

LE JUGE HUGESSEN

[1]         Par voie de requête, la Couronne demande le prononcé de deux ordonnances, l'une radiant le nom de Wayne Roan, qui agit en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne d'Ermineskin, comme demandeur, et l'autre tendant à la tenue de procès distincts en l'espèce.

[2]         L'action elle-même a récemment été sensiblement modifiée, moyennant autorisation, par le dépôt d'une nouvelle déclaration. Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire intentée au nom de trois premières nations ou bandes indiennes. Les demandeurs sont des personnes nommément désignées, qui agissent au nom de ces bandes indiennes ou premières nations. Je reproduis ci-dessous les paragraphes 1 à 4 et le paragraphe 28 de la nouvelle déclaration :

[traduction]

1.              Les demandeurs affirment que chacune des bandes indiennes demanderesses (ci-après appelées les « premières nations » ) sont des bandes indiennes reconnues, entre autres, par la Couronne et par la Loi sur les Indiens, dont les terres de réserve sont situées dans la province d'Alberta. À différents moments entre 1876 et 1899, des représentants de ces premières nations ont signé des instruments d'adhésion aux traités 6, 7 et 8 respectivement avec Sa Majesté la Reine (Sa Majesté).

2.              Les demandeurs affirment que ces premières nations existaient en tant que sociétés politiques distinctes dotées de leurs propres institutions, coutumes et traditions, et régies par leurs propres lois, avant la colonisation de l'Amérique du Nord par les Européens ou l'affirmation par des États européens de leur souveraineté. Elles ont en outre été reconnues comme telles par la Couronne par la signature de leurs traités respectifs et la constitution subséquente de leurs réserves.

3.              Subsidiairement, les demandeurs affirment que ces premières nations existaient en tant que sociétés politiques distinctes dotées de leurs propres institutions, coutumes et traditions, qui gouvernaient leurs propres effectifs au moyen de leurs propres lois, avant la colonisation de l'Amérique du Nord par les Européens ou l'affirmation par des États européens de leur souveraineté. Elles ont en outre été reconnues comme telles par la Couronne par la signature de leurs traités respectifs et la constitution subséquente de leurs réserves.

4.              Les demandeurs affirment que ces premières nations possèdent un titre indien ou ancestral non éteint sur leurs terres de réserve.

                [...]

28.            Par conséquent, les demandeurs demandent ce qui suit :

a.un jugement déclaratoire portant que les modifications sont incompatibles avec les dispositions de l'article 35 de la Constitution du Canada dans la mesure où elles portent atteinte au droit de chacune de ces premières nations de se gouverner elles-mêmes, de déterminer elles-mêmes l'appartenance à leurs effectifs et de posséder un titre ancestral non éteint sur leurs terres de réserve, ou les privent de ces droits, et, dans cette mesure, sont donc inopérantes;

b.un jugement déclaratoire portant que les modifications sont incompatibles avec les droits que l'article 35 reconnaît aux premières nations et que l'article 25 de la Charte protège, et, dans cette mesure, sont donc inopérantes;

c.en tout état de cause, un jugement déclaratoire portant que les modifications sont incompatibles avec les nouveaux droits des premières nations protégés par l'article 25 de la Charte et, dans cette mesure, sont donc inopérantes;

d.les dépens de l'action sur la base avocat-client; et

e.toute autre réparation que la Cour peut estimer juste.

[3]         Quelque temps auparavant, un avis de désistement a été déposé au nom de la bande indienne d'Ermineskin par un avocat mandaté pour représenter cette bande. Cet avocat a produit un affidavit dans le cadre de l'instance, et je reproduis dans les présents motifs les paragraphes 15 et 16 de cet affidavit :

[traduction]

15.            Le lundi 14 décembre 1998, j'ai moi-même parlé avec le chef dûment élu de la bande indienne d'Ermineskin, Gerry Ermineskin, qui m'a de nouveau confirmé que M. Wayne Roan n'était nullement habilité à représenter la bande indienne d'Ermineskin dans la présente action ou dans une autre action, ou à donner des instructions à un avocat au nom de la bande indienne d'Ermineskin.

16.            Autant que je sache et après discussion de l'affaire avec le chef de la bande indienne d'Ermineskin, Gerry Ermineskin, il me paraît clair que la bande indienne d'Ermineskin et son conseil de bande ne désirent pas être parties à l'instance et désirent que leur nom soit radié de l'intitulé. En outre, la bande ne consent pas à ce que M. Wayne Roan agisse en qualité de représentant de la bande indienne d'Ermineskin dans la présente action.

[4]         Cette preuve n'a pas été contredite et, de fait, le déclarant n'a pas été contre-interrogé.

[5]         Dans une instance interlocutoire antérieure dans la présente affaire, le juge Strayer, qui n'était pas encore juge à la Cour d'appel, a dû statuer sur une demande présentant certaines similitudes et portant sur la qualité pour agir des demandeurs pris individuellement. Il a conclu que les demandeurs avaient qualité pour agir, mais il a ajouté ces mots[1] :

                J'ai également précisé que si on devait rapporter la preuve - et rien n'indique qu'une telle preuve existe - que la présente action n'est qu'un trompe-l'oeil et qu'elle a reçu peu d'appui sinon aucun de la part des bandes au nom desquelles elle est intentée, la Cour pourrait être tenue d'examiner une action en radiation de la déclaration. Mais tel n'est pas le cas dont je suis saisi.

                                                                                                                                                                                       [à la page 464]

[6]         La preuve dont j'ai été saisi est peut-être plus forte, mais le fait qu'elle n'a pas été contredite, que la bande au nom de laquelle M. Roan cherche à faire valoir des droits a expressément manifesté son refus d'être partie à l'instance, et que les droits mêmes qui sont revendiqués sont des droits collectifs qui ne sont pas susceptibles d'exercice par une personne prise individuellement et, d'ailleurs, ne sont pas revendiqués en tant que tels dans la déclaration, m'amène à conclure que M. Roan n'est pas une partie apte à agir comme demandeur à l'instance, et que lui permettre de continuer à le faire constituerait un abus du processus judiciaire.

[7]         Par conséquent, je vais rendre une ordonnance radiant de l'intitulé et de l'action le nom de Wayne Roan, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne d'Ermineskin.

[8]         Cette remarque m'amène au deuxième aspect de la requête de la Couronne, soit la poursuite des causes d'action des autres demandeurs, les bandes indiennes de Sawridge et de Sarcee, en tant qu'instances distinctes. Il est maintenant clair, et on me pardonnera de dire que ce ne l'était pas autant lorsque l'instance a été introduite il y a bien des années de cela, que les droits ancestraux et issus de traités qui sont revendiqués sont des droits spécifiques à la bande et spécifiques aux faits. Le passage qui expose le plus clairement la règle actuelle est tiré des motifs prononcés par le juge en chef dans l'arrêt R. c. Van Der Peet[2] :

Les droits ancestraux n'ont pas un caractère général et universel. Leur portée et leur contenu doivent être déterminés au cas par cas. Le fait qu'un groupe autochtone possède le droit ancestral de faire une chose donnée ne permet pas, à lui seul, d'établir qu'une autre collectivité autochtone a le même droit. L'existence du droit en question dépendra de la situation spécifique de chaque collectivité autochtone.

[9]         Les Règles de la Cour fédérale (1998) traitent de façon très libérale la jonction de parties et la réunion de causes d'action. Elles misent sur la simplicité et visent à faciliter le règlement des instances de la manière la plus rapide, la plus efficace et la moins onéreuse qui soit. À mon avis, il n'y a absolument pas de doute que les droits revendiqués par les bandes indiennes de Sawridge et de Sarcee remplissent les conditions prévues à la règle 102 en matière de jonction de parties. Les deux instances vont certainement soulever certaines questions communes de droit et de fait.

[10]       Ce droit de jonction est toutefois subordonné au pouvoir discrétionnaire prépondérant de la Cour d'ordonner que des causes d'action soient jugées séparément lorsque, ainsi qu'il est mentionné à la règle 106, « l'audition de deux ou plusieurs causes d'action ou parties dans une même instance compliquerait indûment ou retarderait le déroulement de celle-ci ou porterait préjudice à une partie » .

[11]       Après mûre réflexion, je suis arrivé à la conclusion que même si l'instance soulève des questions communes de droit et de fait, les questions litigieuses qui seront de loin les plus importantes et les plus complexes seront des questions distinctes[3], et qu'il est fort probable que la preuve que fera chaque demandeur des droits ancestraux qu'il revendique et de l'étendue de ces droits prendra beaucoup plus de temps au procès que la preuve des questions communes de droit et de fait qui pourraient surgir, et qui concerneront probablement pour la plupart, à mon avis, l'étendue de la violation des droits revendiqués ou d'éventuels moyens de défense pouvant être invoqués. Je suis donc d'avis que la réunion des causes d'action compliquera indûment ou retardera le déroulement de l'instance, et je vais ordonner que les deux causes d'action des bandes qui restent soient poursuivies en tant qu'instances distinctes.

[12]       Dans mon ordonnance, je vais également préciser que les avocats pourront me demander, à titre de juge responsable de la gestion de l'instance, des directives concernant les questions de procédure qui pourraient nécessiter des éclaircissements compte tenu des deux ordonnances que je rends aujourd'hui. De toute évidence, des modifications devront être apportées à la déclaration, et la Cour devra modifier les numéros du greffe de manière à distinguer les deux instances.

[13]       Les deux parties ont demandé que les dépens leur soient adjugés. Je ne rendrai pas d'ordonnance à ce sujet. La question des dépens est laissée à la discrétion du juge ou des juges qui statueront sur le fond en temps voulu.

                                                                                                          « James K. Hugessen »       

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                 T-66-86

INTITULÉ :                              BERTHA L'HIRONDELLE, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Sawridge, et BRUCE STARLIGHT, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Sarcee,

                                                                        - et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                        - et -

CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA, CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA) et NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 20 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE HUGESSEN

EN DATE DU :                                                 1er février 1999

COMPARUTIONS :

Catherine Twinn                                                POUR LES DEMANDEURS

(Bertha L'Hirondelle et tous les autres membres de la bande indienne de Sawridge)


Philip Healy                                                       POUR LES DEMANDEURS

(Bruce Starlight et tous les autres membres de la bande indienne de Sarcee

Patrick Hodgkinson                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Mary King

Jon Faulds                                                         POUR LES INTERVENANTS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Catherine Twinn                                                POUR LES DEMANDEURS

(Bertha L'Hirondelle et tous les autres membres de la bande indienne de Sawridge)

Aird & Berlis                                         POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)(Bruce Starlight et tous les autres membres de la bande indienne de Sarcee

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général

du Canada

Fields Atkinson Perraton                                    POUR LES INTERVENANTS

Edmonton (Alberta)                                           (Conseil national des autochtones du Canada)



     [1]Twinn c. Canada, [1987] 2 C.F. 450, à la page 464.

     [2][1996] 2 R.C.S. 507.

     [3]La Couronne a produit des éléments de preuve indiquant que les deux bandes occupent des terres situées dans des régions de l'Alberta qui sont très éloignées les unes des autres et qu'elles sont régies par des traités différents; une fois de plus, ces éléments de preuve n'ont pas été contredits et les demandeurs n'ont déposé aucune preuve quant à l'existence possible de questions communes.

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