Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990329

     Dossier : IMM-990-98

ENTRE:

         Sawsan EL-CHEIKH YOUSSEF,

         Mahmoud LATIF ABU SAID,

         Ahmad LATIF ABU SAID,

         Mohamad LATIF ABU SAID,

         Hanadi LATIF ABU SAID,

         Partie Requérante

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie Intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM                                 

INTRODUCTION

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 29 août 1997 faisant droit à la requête du Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration concernant la perte de statut de réfugié des requérants présentée en vertu de l'alinéa 69.2(1) de la Loi sur l'immigration. Les requérants demandent à la Cour d'annuler la décision et de renvoyer le dossier pour audition et jugement conformément aux directives que la Cour estime appropriées.

FAITS

[2]          La requérante, d'origine palestinienne et née au Liban en 1964, est apatride. Elle s'est mariée en 1978 avec Salah Abou Said et a eu quatre enfants. En 1994, à la suite du décès d'un ami, le mari de la requérante est devenu intégriste ainsi que violent et agressif envers elle et ses enfants. Il a tenté, à plusieurs reprises, de leur imposer les rituels de la religion musulmane et il a tenté de marier sa fille aînée à un cheikh intégriste. La requérante s'est réfugiée chez ses parents pendant un certain temps et a quitté le pays lorsqu'elle a appris que son mari comptait demander à la Cour religieuse islamique de l'obliger à retourner au foyer conjugal.

[3]          La requérante et ses enfants sont arrivés au Canada le 19 septembre 1995 et ont revendiqué le statut de réfugié. Le 14 février 1996, la requérante et ses enfants obtenaient le statut de réfugié sans audition. Le 16 avril 1996, la requérante a complété une demande de résidence permanente pour elle-même et ses enfants. Elle y a inscrit le nom de son mari à titre de personne à charge hors Canada. La requérante soutient que son mari a changé et que ses enfants ont besoin de sa présence mais qu'elle n'envisage pas reprendre la vie commune avec lui. En février 1997, la requérante a été interviewée par un agent d'immigration concernant la venue de son mari au Canada.

[4]          Le 29 août 1997, le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration a fait une demande relative à la perte du statut de réfugié en vertu de l'alinéa 69.2(1) de la Loi sur l'immigration. Par décision en date du 12 février 1998, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié, faisait droit à la requête du ministre.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[5]      La requérante allègue que la Commission a donné droit à la requête du Ministre sans évaluer si les changements invoqués étaient fondamentaux, concrets et durables et qu'elle était tenue d'exiger un degré de preuve plus élevé que lors de la revendication du statut. En outre, la Commission aurait erré dans l'appréciation de l'ensemble des faits en fondant sa décision sur des faits arbitraires et en négligeant de tenir compte de faits pertinents présentés par la requérante.

[6]      En réponse aux prétentions de la partie requérante, le Ministre soutient que la Commission a correctement appliqué le critère légal aux faits en l'espèce. Les critères jurisprudentiels - fondamental, concret et durable - relatifs à la preuve d'un changement de circonstances ne s'appliquent pas à la situation de la requérante qui n'a pas fui le Liban en raison de la conjoncture politique et sociale. Le changement de circonstances est une question de faits qui doit s'interpréter en fonction de la situation personnelle de la requérante qui a donné lieu à la reconnaissance du statut de réfugié. L'appréciation des faits de la Commission est fondée en l'espèce sur la preuve au dossier.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]      La demande de contrôle judiciaire soulève deux questions.

     1)      La Commission a-t-elle erré dans l'application des critères juridiques relatifs au changement de circonstances et du fardeau de preuve lié à une demande de cessation du statut de réfugié?                 
     2)      La Commission a-t-elle erré dans l'appréciation de l'ensemble des faits au dossier et du changement de circonstances?                 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION

69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention par une personne qui s'est vu reconnaître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règlements.

69.2 (1) The Minister may make an application to the Refugee Division for a determination whether any person who was determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee has ceased to be a Convention refugee.


69.3 (1) Dans les cas visés à l'article 69.2, la section du statut procède à l'examen de la demande par une audience dont elle communique au ministre et à l'intéressé les date, heure et lieu et au cours de laquelle elle leur donne la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations.

69.3 (1) Where an application to the Refugee Division is made under section 69.2, the Refugee Division shall conduct a hearing into the application, after having notified the Minister and the person who is the subject of the application of the time and place set for the hearing, and shall afford the Minister and that person a reasonable opportunity to present evidence, cross-examine witnesses and make representations.


2.(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où :

...

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.

2.(2) A person ceases to be a Convention refugee when

...

e) he reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside of which the person remained, cease to exist.


46.04(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi mais sous réserve des paragraphes (3.1) et (8), l'agent d'immigration accorde le droit d'établissement à l'intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, s'il est convaincu qu'aucun d'entre eux n'est visé à l'un des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou n'a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

46.04(3) Notwithstanding any other provision of this Act, but subject to subsections (3.1) and (8), an immigration officer to whom an application is made under subsection (1) shall grant landing to the applicant, and to any dependant for whom landing is sought if the immigration officer is satisfied that neither the applicant nor any of those dependants is a person described in paragraph 19(1)(c.1), (c.2), (d), (e), (f), (g), (j), (k) or (l) or a person who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of


a) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée;

(a) more than six months has been imposed; or


b) soit passible d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

b) five years or more may be imposed.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[8]      J'estime qu'il est important de reproduire une grande partie de la décision de la Commission, compte tenu des faits particuliers de la présente affaire :

                 LES FAITS RELATÉS DANS LA REQUÊTE DU REPRÉSENTANT DU MINISTRE                 
                      Les intimés sont arrivés au Canada le 20 septembre 1995 munis de faux passeports suédois ou falsifiés; ils déposaient un formulaire de renseignements personnels (FRP) le 2 octobre 1995, et les enfants basaient leur revendication sur celle de leur mère.                 
                      Le 14 février 1996, le statut de réfugié leur est reconnu sans audience par un commissaire de la Section du statut de réfugié. Selon les données au FRP, l'intimée craint de retourner au Liban dû aux agissements de son mari " insupportable ".                 
                      Le représentant du ministre nous informe, dans sa requête, que le 16 avril 1996, madame EL-CHEIKH-YOUSSEF a signé une demande de résidence permanente pour " réfugié au sens de la Convention " y incluant comme personne à charge hors du Canada son mari, monsieur Salah LATIF ABU SAID.                 
                      Le 5 février 1997, elle déclare à un agent d'immigration que son époux, qui buvait, a changé, que ses enfants le réclament, que monsieur a reconnu sa faute et qu'il n'a jamais battu les enfants.                 
                      Le 14 mars 1997, le bureau d'immigration reçoit une déclaration où, de nouveau, madame dit que son mari a reconnu sa faute et qu'il la regrette. On lit également : " D'autre part, la femme a besoin d'un homme tout comme lui a besoin de sa femme afin de bâtir une vie heureuse pour les enfants de l'avenir. Il faut qu'il y ait une famille complète, un père, une mère, des enfants avec du travail. "                 
                      Les faits invoqués dans le FRP de l'intimée, reçu à la Commission le 17 octobre 1995, se résument ainsi :                 
                      De nationalité palestinienne, madame est née dans un camp de réfugié du Sud Liban. Son père l'aurait obligée à marier son cousin en 1978. Elle décrit que sa vie fut comme " un enfer " et que ses parents, malgré ses demandes, avaient refusé de la reprendre. On lit dans son FRP :                 
                 " Le grand problème était mon mari lui-même qui passe depuis une année, dans un état psychologique très difficile ce qui est devenu un grand danger pour moi et pour mes enfants. Suite au décès d'un ami, le comportement de mon mari a changé : il ne parle que de religion et de la nécessité de vivre pour Dieu. Il a commencé à frapper les enfants pour les obliger à jeûner et à aller avec lui à la mosquée. J'ai refusé et j'ai résisté à ses initiatives continues, ce qui l'a poussé à me frapper et à me torturer à chaque fois que j'essayais de lui interdire de lever mes enfants avant l'aube, pour les conduire à la mosquée... "                 
                      Madame s'opposait au désir de son mari qui voulait que leur fille aînée marie son ami, Cheikh Ahmad Oueiti. Une amie aurait informé l'intimée principale au début d'août 1995 que son mari voulait s'adresser à la cour religieuse islamique pour l'obliger à retourner chez elle, bien qu'elle avait insisté pour avoir le divorce. Par l'intermédiaire d'une tante, une personne d'une agence de voyage obtint des passeports pour les intimés afin de venir au Canada.                 
                 ANALYSE                 
                      Deux témoins ont été entendus : l'intimée et monsieur Maurice Groulx, l'agent d'immigration qui a rencontré madame le 5 février 1997.                 
                      Le procureur de l'intimée a admis les points 1, 2, 3 et 5 de la requête du ministre.                 
                      L'intimée témoigne désirer faire venir son mari car il avait changé, qu'elle en a besoin pour l'aider avec les 4 enfants, et qu'elle croit qu'il a pris sa leçon en ayant été éloigné des enfants si longtemps. D'après les parents de l'intimée, il ne voit plus son ami Cheihk qui était la personne l'encourageant vers l'islamisme. Selon son témoignage, sa crainte, c'est-à-dire les agissements de son mari, qui équivalaient à l'enfer et qui l'avaient fait fuir le Liban, n'existent plus. Elle compte que la loi canadienne la protégera.                 
                      Monsieur Groulx, responsable de traiter la demande de résidence permanente de madame, explique les circonstances de son entrevue avec elle et de la rédaction du résumé qu'il en a fait. Cette dernière lui a dit, par l'entremise de l'interprète choisi par elle-même, désirer faire venir son mari car son comportement avait changé. Il témoigne que madame s'est enquise, à plusieurs reprises, si son mari arriverait bientôt et qu'elle lui a dit ne pas vouloir demander le divorce car ce serait une cause de perturbation pour les enfants. Enfin, l'intimée a répété à l'audience les mêmes propos qu'elle avait tenus avec l'agent d'immigration affirmant que monsieur avait changé et qu'il ne voyait plus son ami l'intégriste, qui avait été la cause de son changement d'attitude auprès d'elle et des enfants.                 
                      Depuis qu'elle est reconnue réfugiée, que ce soit dans ses déclarations écrites et verbales en présence de l'agent d'immigration ou devant ce tribunal, elle maintient la même version, c'est-à-dire que le comportement de son mari a changé et qu'il est même revenu comme il était au début de leur mariage et qu'elle en a besoin auprès de ses enfants. L'intimée ne craint plus son mari, l'agent persécuteur qui l'a fait fuir le Liban en 1995.                 
                 DÉCISION                 
                      Devant le fait que l'intimée reconnaît ne plus craindre son mari, l'agent persécuteur qui l'a fait fuir le Liban.                 
                      Devant le fait que les raisons qui ont amené la Section du statut de réfugié à conférer le statut de " réfugié au sens de la Convention " n'existent plus puisque, maintenant, l'intimée réclame la présence de son mari et qu'elle soutient qu'il ne connaît plus ses problèmes de violence.                 

     Le tribunal conclut que les raisons préalablement invoquées pour l'obtention du statut de réfugié n'existent plus et que les intimés n'ont plus besoin de la protection du Canada. Il accueille la requête du représentant du ministre et déclare que les intimés, Sawsan EL-CHEIKH-YOUSSEF, Mahmoud LATIF ABU SAID, Ahmad LATIF ABU SAID, Mohamad LATIF ABU SAID et Hanadi LATIF ABU SAID ont perdu le statut de " réfugié au sens de la Convention " accordé le 14 février 1996.

[9]      Il est important de remarquer qu'à la page 3 de sa décision, la Commission déclare, au troisième paragraphe : " Selon son témoignage, sa crainte, c'est-à-dire les agissements de son mari, qui équivalaient à l'enfer et qui l'avaient fait fuir le Liban, n'existent plus. Elle compte que la loi canadienne la protégera " (Non souligné dans l'original).

[10]      Selon l'avocat de la requérante, cela démontre que la crainte que cette dernière éprouvait à l'égard de son mari quand ils étaient au Liban ne disparaîtrait que si elle bénéficiait de la protection du Canada.

ANALYSE

[11]      La requérante allègue que le Ministre ne s'est pas acquitté du fardeau de démontrer qu'il s'est produit un changement fondamental, concret et durable justifiant la perte du statut de réfugié conformément à l'alinéa 2.2 e) de la Loi sur l'immigration. À l'appui de cette prétention, la requérante réfère la Cour au texte du Professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworths, 1991, pages 200 à 203, et aux décisions Barabhuiyan c. M.E.I., 92-A-998, 30 novembre 1993, C.F. 1ère instance; Boateng c. M.E.I., 92-A-6524, 19 mai 1993, C.F. 1ère instance.

[12]      Le professeur Hathaway, en parlant du changement de circonstances, est d'avis que : [TRADUCTION] " le changement doit être d'une importance politique substantielle, il doit y avoir lieu de croire que le changement politique substantiel est vraiment efficace et on doit prouver que le changement de circonstances est durable ".

[13]      Le juge Tremblay-Lamer, dans l'arrêt Barabhuiyan (précité), dit aux pages 4 à 6, en traitant du changement de circonstances :

                      Les lignes directives pour évaluer le changement de circonstances ont été tracées à maintes reprises par la Cour d'appel fédérale [Ahmed c. M.E.I., (A-89-92, 14 juillet 1992, non rapporté (C.A.F.); Cuadra c. M.E.I., (A-179-92, 20 juillet 1993, non rapporté (C.A.F.)].                 
                      Le juge Marceau dans l'arrêt Ahmed a constaté :                 
                         ...De même, le simple fait qu'il y a eu un changement de gouvernement ne suffit manifestement pas pour satisfaire à la condition d'un changement dans les circonstances à la suite duquel la crainte authentique devient déraisonnable et, partant, dénuée de fondement ... les simples déclarations du gouvernement mis en place il y a quatre mois, selon lesquelles il était en faveur de la loi et de l'ordre ne peuvent être considérées comme une indication sans équivoque du changement réel et effectif qui est nécessaire pour éliminer le fondement objectif de la crainte de l'appelant, si l'on tient compte de l'origine de cette crainte et des antécédents de ce gouvernement pour ce qui est de la violation des droits de la personne.                         
                      Dans l'arrêt Cuadra le juge Marceau se penche sur Ahmed pour réviser la décision du tribunal :                 
                         ...Là encore une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée.                         
                      À ces arrêts s'ajoute une jurisprudence qui place l'emphase sur les circonstances particulières du requérant. Je fais référence, entres autres, aux arrêts Bhuiyan et Boateng [Bhuiyan c. M.E.I., (92-A-6737, 13 septembre 1993, non rapporté (C.F. 1ere instance); Boateng c. M.E.I., (92-A-6524, 19 mai 1993, non rapporté (C.F. 1ere instance)].                 
                      Dans l'arrêt Bhuiyan, le juge MacKay conclut :                 
                         ...Il n'est pas nécessaire d'établir que les changements qui se sont produits dans un pays, sont [TRADUCTION] "réels" ou [TRADUCTION] "durables" ou même [TRADUCTION] "importants". Il suffit qu'il y ait une preuve de changement. La tâche du tribunal est de conclure, par rapport à l'avenir, qu'un changement s'est produit et que, cela étant, on ne peut plus dire que le requérant en cause a raison de craindre d'être persécuté puisque, étant donné la situation au moment de l'audience, rien ne permet de conclure objectivement que le demandeur risque réellement d'être persécuté. Pareille conclusion doit être fondée sur la façon dont le tribunal apprécie la prépondérance des probabilités à partir des éléments de preuve qu'il juge dignes de foi.                         

     Je ne crois pas qu'un courant de jurisprudence exclut l'autre. Il y a dans l'évaluation du changement de circonstances une norme objective qui étudie la politique sociale et politique du pays en cause en s'appuyant sur la preuve documentaire au dossier au jour de l'audience. Le changement doit être assez profond et durable pour éliminer le doute d'un danger possible de persécution. Cependant, il doit, à mon avis, être apprécié par la suite à la lumière du vécu du requérant de telle sorte que dans son cas particulier et à la lumière du motif de sa revendication, il n'existe non plus de doute d'un danger possible.

[14]      En examinant les déclarations du professeur Hathaway et du juge Tremblay-Lamer, il est évident que ces derniers et les personnes qu'ils citent en ce qui concerne le critère susmentionné font référence à un changement politique ou social dans un pays.

[15]      Je suis convaincu que le " critère " ci-dessus, tel qu'énoncé par le professeur Hathaway et le juge Tremblay-Lamer, ne s'applique pas aux faits de la présente affaire, car la requérante n'a pas fondé sa revendication du statut de réfugié sur la conjoncture politique ou sociale au Liban, ni sur la façon dont cette conjoncture la touchait.

[16]      En l'espèce, les motifs qui ont justifié l'octroi du statut de réfugié ainsi que les changements sur lesquels se fonde la demande de révocation n'ont pas trait à la conjoncture politique ou social au Liban. La revendication initiale ainsi que la demande de révocation du Ministre font état de circonstances personnelles liées au comportement et aux convictions religieuses du mari de la requérante.

[17]      La reconnaissance du statut était fondée, tel qu'il appert du formulaire de renseignement personnel de la requérante, sur la crainte de violence et de torture depuis que son mari avait adopté des convictions religieuses intégristes. Elle disait craindre que son mari force leur fille aînée à se marier à un cheikh intégriste et qu'il la force à regagner le foyer conjugal en ayant recours à la Cour religieuse islamique. En l'espèce, la demande du Ministre se fonde sur les renseignements obtenus de la requérante lors d'une rencontre le 5 février 1997 avec l'agent d'immigration concernant sa demande de résidence permanente. La requérante aurait déclaré vouloir faire venir son mari au Canada pour le motif que son comportement avait changé depuis qu'il ne voyait plus son ami intégriste, qu'il regrette son comportement et que ses enfants ont besoin de sa présence. Pour ces raisons, la requérante aurait déclaré ne plus craindre son mari.

[18]      Compte tenu des faits dans la présente affaire, la Commission était-elle tenue d'évaluer si les changements invoqués étaient fondamentaux, concrets et durables? Les convictions religieuses et les regrets d'un individu, en l'espèce du persécuteur de la requérante, sont difficilement mesurables en termes de durabilité ou d'effectivité ou d'importance. À mon avis, il serait tout à fait déraisonnable d'essayer de déterminer si les convictions religieuses ou les regrets d'un individu ont changé à un tel point que l'on puisse conclure qu'il s'agit d'un changement fondamental, effectif et durable. La Commission n'a pas commis d'erreur en n'appliquant pas ces critères jurisprudentiels à la situation de la requérante, sauf pour dire que dans l'éventualité où la personne, la requérante, croit que son mari a changé à un point tel que ses actionS ne l'inquiètent plus, alors, je suis convaincu, la Commission pouvait conclure que le changement était fondamental, concret et durable.

[19]      Je suis également convaincu que la Commission, ayant entendu ce que la requérante avait à dire, savoir que son mari avait changé à un point tel qu'elle ne paraissait plus s'inquiéter des actions de ce dernier, même si le critère de durabilité, etc. s'appliquait, ce qui n'est pas le cas, a eu raison de prendre la décision qu'elle a prise.

[20]      En outre, la question d'un " changement de circonstances " est une question de fait. Dans l'arrêt Yusuf c. M.E.I. , A-130-92, 9 janvier 1995 (non rapporté) C.A.F., le juge Hugessen, à la page 2, énonce :

Nous ajouterions que la question du " changement de situation " risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun " critère " juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme " important ", " réel " et " durable " n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi ; le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.

[21]      Par conséquent, quand il s'agit d'un changement de conjoncture politique dans le pays d'origine d'une personne ou simplement d'un changement dans la situation personnelle d'une personne pour lequel cette dernière a revendiqué le statut de réfugié, comme c'est une question de fait, la Commission pouvait conclure, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, que la crainte " initiale " de la requérante avait disparu.

[22]      Quand une demande est présentée conformément au paragraphe 69.2(1) de la Loi sur l'immigration en vue de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié, le fardeau de démontrer qu'il y a perte du statut de réfugié incombe au ministre. Ainsi, les éléments de preuve que doit présenter le ministre à la Commission, dans une demande présentée aux termes du paragraphe 69.2(1), en vue de " s'acquitter de son fardeau de la preuve " ne sont pas toujours les mêmes. Ils dépendent des circonstances particulières de l'affaire.

[23]      Je suis convaincu que dans une affaire comme en l'espèce, il n'appartient pas au ministre le fardeau de prouver que le mari de la requérante a changé et que le changement est durable. Le ministre doit prouver que le changement s'est produit et qu'il s'agit d'un changement important.

[24]      Je n'ai pas l'intention dans la présente décision de prendre connaissance des éléments de preuve dont la Commission disposait en ce qui concerne le changement de circonstances. Je suis convaincu, après avoir lu les documents au dossier, " le premier FRP qui donne les motifs de revendication du statut de réfugié (voir les pages 21 à 25 de la décision du tribunal), la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 15 février 1996 par laquelle " [l]es revendications ont été réglées sans audience " et " les demandeurs sont réfugiés au sens de la Convention " (page 123 du dossier du tribunal), la demande de résidence permanente (pages 124 à 135) dans laquelle la requérante, à la page 125, inscrit son mari comme personne à charge hors du Canada, ainsi que les notes rédigées par un représentant du ministre après une entrevue avec la requérante (pages 123 à 129), ainsi que la déclaration de la requérante (pages 134 et 135) dans laquelle elle déclare clairement ne plus craindre son mari pour les raisons qu'elle donne " que la Commission a eu raison de conclure comme elle l'a fait.

[25]      J'ai également pris connaissance de la transcription de l'audience.

[26]      Je suis convaincu que la décision de la Commission ne peut pas être jugée déraisonnable, compte tenu des déclarations de la requérante portant sur la façon dont son mari a changé, que l'on retrouve dans les documents susmentionnés, et compte tenu du fait que je suis persuadé, tout comme l'était la Commission, que la requérante souhaite vivre avec son mari car ses enfants ont besoin d'un père.

[27]      Je trouve peu plausible le fait que la requérante souhaite faire venir au Canada, que ce soit pour vivre avec elle ou non, la personne même qu'elle avait prétendument fuie et qui avait motivé sa revendication du statut de réfugié. Ce fait ne peut être compréhensible que s'il est démontré que la requérante ne s'inquiète plus de se retrouver avec son mari et qu'elle croit que son mari serait un bon père pour leurs enfants.

[28]      L'alinéa 2(2)e) prévoit, comme je l'ai dit, qu'une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention quand les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée ont cessé d'exister.

[29]      Il est manifeste que, conformément à l'alinéa 2(2)e) de la Loi, il n'y a plus de raisons qui permettent de croire que la requérante est une réfugiée, compte tenu des déclarations de la requérante à M. Maurice Groulx, agent d'immigration, en date du 5 février 1997, de sa demande écrite de faire venir son mari au Canada et de son témoignage que son mari a changé et sera un bon père.

[30]      On ne peut pas dire que la décision de la Commission est déraisonnable, ni que cette dernière n'a pas appliqué le bon " critère " pour traiter de la question du " changement de circonstances " compte tenu des faits dans la présente affaire.

[31]      La Commission ne peut pas décider de la " durabilité " du " changement de circonstances " dans une affaire comme en l'espèce. Il suffit que la Commission soit convaincue que le " changement de circonstances " est important et efficace.

[32]      Les éléments de preuve dans la présente affaire font clairement état du fait que le changement est à la fois important et efficace.

[33]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                

                                                                             " Max M. Teitelbaum "

                        

             J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 29 mars 1999


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.