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     T-2806-96

MONTRÉAL (QUÉBEC), CE 18e JOUR DE SEPTEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE:

     HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED, and

     SYNTEX PHARMACEUTICALS

     INTERNATIONAL LIMITED

     Requérantes

     ET

     THE MINISTER OF NATIONAL HEALTH

     AND WELFARE, and

     RHODIAPHARM INC.

     Intimés

     ORDONNANCE

     Cette requête est rejetée, le tout sans frais.

     Richard Morneau

     Protonotaire

     T-2806-96

ENTRE:

     HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED, and

     SYNTEX PHARMACEUTICALS

     INTERNATIONAL LIMITED

     Requérantes

     ET

     THE MINISTER OF NATIONAL HEALTH

     AND WELFARE, and

     RHODIAPHARM INC.

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU,

PROTONOTAIRE:

Introduction

     La question principale qui se pose en l'espèce est de déterminer si l'intimée, Rhodiapharm Inc. (ci-après "Rhodiapharm"), a, par sa requête soumise en vertu de la règle 1618 des Règles de la Cour fédérale (les règles), convaincu cette Cour que des frais sur une base avocat-client devraient lui être octroyés, immédiatement ou via taxation, vu que les requérantes (ci-après "Roche") auraient initié, puis retiré, leur demande de contrôle judiciaire dans des circonstances qui équivaudraient à des raisons spéciales au sens de la règle 1618.1

     De façon plus directe, Rhodiapharm cherche à nous amener à conclure qu'il est patent que Roche a introduit une demande de contrôle judiciaire (la demande) sachant que cette demande était tout à fait futile et vexatoire en fait et en droit, et ce, dans le seul but de lui faire encourir des frais d'honoraires inutiles, frais qu'elle évalue à près de $10,000.

     D'entrée de jeu, je déclare que je suis de ceux qui croient que si une partie introduit une demande dans le seul but de nuire économiquement à une autre partie, le désistement2 subséquent de la partie requérante devrait entraîner à son égard une condamnation aux frais selon le tarif, voire sur une base avocat-client.3

     Reste à savoir ici s'il est clair et évident4 que l'on peut tirer une telle conclusion.

Les faits

     En termes de calendrier, on retient que le 11 novembre 1996, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) (DORS/93-133) (ci-après "le règlement"), Rhodiapharm faisait parvenir à Roche des avis d'allégation concernant neuf brevets.

     Le 20 décembre 1996, Roche déposait sa demande afin d'empêcher Rhodiapharm d'obtenir du Ministre de la Santé et du Bien-être social (le ministre) un avis de conformité relativement aux suppositoires contenant du Naproxen que Rhodiapharm souhaitait mettre sur le marché.

     Le 22 janvier 1997, les procureurs de Rhodiapharm avisaient les procureurs de Roche qu'aucune preuve ne serait produite en réponse à la preuve déposée par Roche.

     Le dossier de Roche en vertu de la règle 1606 a été produit le 7 mars 1997.

     Après divers pourparlers entre la Cour et les procureurs des parties, question sur laquelle je ne puis au terme de la preuve présentée devant moi blâmer clairement les procureurs de Roche pour quelque lenteur, la Cour a fixé par ordonnance au 19 juin 1997 la date d'audition au mérite de la demande.

     Le 6 juin 1997, Roche informait Rhodiapharm qu'elle était disposée à certaines conditions à retirer sa demande.

     Le procureur responsable de ce dossier pour Rhodiapharm n'a eu connaissance de cette lettre qu'à son retour au bureau le 16 juin 1997.

     Le 16 juin 1997, Roche informait cette Cour qu'elle retirait unilatéralement sa demande.

     À cette même date, Rhodiapharm informait la Cour qu'elle désirait préserver son droit d'obtenir une condamnation pour frais sur une base avocat-client vu les circonstances de la présente affaire.

     Le 17 juin 1997, l'honorable juge Dubé autorisait Roche à retirer sa demande sous réserves des droits de Rhodiapharm de requérir la taxation de ses frais en vertu de la règle 1618; d'où la présente requête.

Analyse

     À l'égard de ces étapes, que peut-on reprocher à Roche?

     Au départ, il y a des principes ou faits objectifs sur lesquels je ne peux tirer de conclusions négatives à l'égard de cette partie.

     Premièrement, le fait que Roche ait attendu la limite de quarante-cinq jours prévue au règlement pour déposer sa demande constitue une possibilité qui lui était offerte par un texte réglementaire et est, en soi, un fait neutre.

     Il en va de même à l'égard du fait que Roche a déposé son dossier de la règle 1606 à la limite du délai prévu par cette règle. La règle 1614 permet à la Cour d'abréger le délai de la règle 1606. Rhodiapharm aurait pu faire appel à cette règle si elle croyait que Roche ne devait pas bénéficier en partie du délai de la règle 1606 qui se trouvait à être prolongé de près d'un mois en raison des vacances de Noël.

     Deuxièmement, on doit rappeler - et j'assume que le procureur de Rhodiapharm partage cette position - que le fait en soi et pour lui-même de se désister d'une demande ne constitue pas une circonstance aggravante ou spéciale. L'effet combiné des règles 1616 et 1618 doit certes être de permettre à une partie de bonne foi de retirer sa demande sans devoir se rendre à une audition au mérite.

     -    L'arrêt Pharmacia

     Revenant aux avis d'allégation (les avis) envoyés par Rhodiapharm, le procureur de cette dernière soutient que ces derniers laissent clairement voir l'absence de questions litigieuses de faits ou de droit à être tranchées vu que les véritables questions en litige avaient toutes été déjà décidées par la division d'appel de cette Cour.

     On retient de la preuve que le procureur de Rhodiapharm en est arrivé très tôt à cette conclusion, soit à la vue même de la demande. Sur la base de l'arrêt Pharmacia, supra, il aurait conclu qu'il ne pouvait présenter une requête pour faire radier la demande de Roche et que, conséquemment, Rhodiapharm n'avait d'autre choix que de laisser le temps courir et se résigner à contester la demande au mérite.

     Je pense que le procureur a trop restreint les enseignements du juge Strayer dans l'arrêt Pharmacia, supra. S'il était convaincu de sa conclusion ci-haut énoncée, il aurait pu, peu après avoir reçu signification de la demande de Roche, attaquer cette dernière et ainsi mettre fin à l'écoulement du temps; période pour laquelle, de plus, les quarante-cinq premiers jours ont été l'oeuvre du règlement.

     Dans Pharmacia, le juge Strayer a précisé en fin d'analyse ce qui suit (en pages 54-5):

         This is not to say that there is no jurisdiction in this court either inherent or through rule 5 by analogy to other rules, to dismiss in summary manner a notice of motion which is so clearly improper as to be bereft of any possibility of success. (See e.g. Cyanamid Agricultural de Puerto Rico Inc. v. Commissioner of Patents (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (F.C.T.D.); and the discussion in Vancouver Island Peace Society et al. v. Canada (Minister of National Defence) et al., [1994] 1 F.C. 102; 64 F.T.R. 127, at 120-121 F.C. (T.D.)). Such cases must be very exceptional and cannot include cases such as the present where there is simply a debatable issue as to the adequacy of the allegation in the notice of motion.         
         (mes soulignés)         

     Si une partie a raison de s'attaquer de façon préliminaire à une demande, je doute également que la Cour - même si elle en venait à rejeter cette attaque préliminaire - condamnerait à coup sûr la partie ayant présenté la requête en radiation à des frais sur une base avocat-client. Une telle condamnation survient en principe lorsque la Cour décèle des abus dans la conduite des parties ou de leurs procureurs. Des cas d'exceptions ne peuvent altérer cette règle. La crainte exprimée de la part de Rhodiapharm à cet égard n'est pas à mon avis justifiée.

     Les présents propos ne doivent toutefois pas être vus comme une perception libérale en faveur de la présentation de requêtes en radiation à l'encontre de requêtes. On doit s'assurer au départ que l'on est bel et bien dans une situation d'exception au sens de l'arrêt Pharmacia.

     -    Arguments de faits

     Par ailleurs, une revue des avis que Rhodiapharm a fait parvenir au ministre et à Roche ne me convainc pas que dans les faits la position de Rhodiapharm était à sa face même sans conteste.

     Suivant Rhodiapharm, ses avis démontrent qu'à l'exception de tout autre produit, Rhodiapharm visait uniquement la mise en marché de suppositoires contenant du Naproxen, médicament pour lequel Roche avait, en vertu du règlement, soumis au ministre diverses listes de brevets. Les brevets de Roche portant sur les suppositoires n'impliqueraient, suivant Rhodiapharm, que des brevets contenant des revendications de procédé et d'intermédiaire.

     Je retiens de l'argumentation de Rhodiapharm que ces brevets, et plus spécialement quatre de ceux-ci, soit pour les fins des présentes les brevets 660, 717, 627 et 338, ne seraient point couverts par le règlement, le tout tel qu'établi par cette Cour dans les arrêts suivants: Deprenyl Research Ltd. v. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.), Eli Lilly and Co. v. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 126 (C.A.F.) et Hoffmann-La Roche Ltd. v. Canada (Minister of National Health and Welfare) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1.5

     Toutefois, dans les faits, la preuve qui m'a été présentée m'indique que les avis, et leur signification à Roche et au ministre par deux envois subséquents, pouvaient laisser croire à Roche que ces avis laisseraient place à un débat qui irait au-delà des brevets listés par Roche pour ses suppositoires et dont l'exclusion du règlement semblait acquise depuis les décisions précitées de la division d'appel de cette Cour.

     On retient du témoignage de la représentante de Rhodiapharm, ainsi que de son contre-interrogatoire, que la lettre couverture de son premier envoi des avis, contrairement à la lettre accompagnant un mois plus tard son deuxième envoi6, ne fait pas expressément référence, en objet, à des suppositoires. Visait-on dans les avis des produits autres que des suppositoires?

     Une telle confusion à cet égard a pu gagner en croyance chez Roche par une lecture des avis qui, pour certains, se réfèrent, entre autres, à des tablettes produites par Roche. En ce qui a trait au brevet 338, on a même omis de compléter certaines cases que l'on compléta toutefois pour les autres brevets.

     Si l'on doit reconnaître que cette confusion ne devait pas être capitale aux yeux de Roche au moment du dépôt de sa demande vu que cette dernière n'en fait pas alors expressément état, il n'en demeure que Roche faisait face également à cette époque à un autre fait qui pouvait, lui, laisser davantage croire que du moins l'un des avis pouvait porter sur les tablettes que Roche produit. En effet, un avis fait état du brevet 1,204,671 (le brevet 671) et ce brevet n'est pas listé par Roche à l'égard de suppositoires. Il appert, de plus, que ce brevet ne doit pas être vu comme un brevet contenant des revendications de procédé et d'intermédiaire.7 Un avis faisant référence au brevet 671 échappait donc en principe au débat déjà couvert par la Cour d'appel fédérale.

     En incluant ce brevet 671 dans la liste de brevets mentionnés à sa demande devant cette Cour, on ne peut, à la lumière des faits résumés ci-haut, rejeter de façon assurée que Roche n'avait pas en tête légitimement cette situation sur laquelle elle désirait que la Cour se penche avant que le ministre n'aille plus avant dans le processus d'approbation. Au mois de mars 1997, Roche reviendra sur ces aspects dans le cadre du dépôt de son mémoire.

     -      Arguments de droit

     À l'égard des arguments de droit, on ne peut nier que par sa demande, Roche se réservait, comme elle l'a fait d'ailleurs dans son mémoire, la possibilité de soulever un argument de droit qui cherche à sortir du débat déjà réglé par la Cour d'appel. Cet argument serait à l'effet que les brevets 717 et 660 contiendraient des revendications qui pourraient être vues comme autre chose que des revendications de procédé ou d'intermédiaire. Le mémoire de Roche fait état également de cet argument.8

     J'en conclus donc que des éléments de faits et de droit permettaient à Roche d'entreprendre une demande le 20 décembre 1996. Ayant choisi de ne pas déposer de preuve en réponse à la demande de Roche, Rhodiapharm ne s'est fait entendre au dossier que le 3 avril 1997 lors du dépôt de son mémoire. Rhodiapharm y étale alors ses arguments quant aux brevets 338, 671, 717 et 660. Elle y indique, entre autres, que le brevet 671 ne fait pas partie de l'équation en jeu puisque Rhodiapharm ne vise que des suppositoires.

     Tel qu'on l'a vu précédemment, Roche informait Rhodiapharm le 6 juin 1997 qu'elle était prête à retirer sa demande.9

     Quels sont réellement les motifs ayant amené Roche à ne pas aller au mérite mais à chercher plutôt à se désister de sa demande?

     Roche n'a pas soumis d'affidavit à cet égard. Son procureur a indiqué à la Cour que satisfaite à la lecture de l'ensemble des procédures que Rhodiapharm ne visait que des suppositoires, Roche avait pris une "décision d'affaires" de retirer sa demande vu que le marché des suppositoires représente une faible partie de son marché.

     Que ce soit pour cette raison spécifique ou non que Roche ait décidé de se désister, je retiens qu'elle était justifiée de déposer une demande et, dans les circonstances, d'attendre le mémoire de Rhodiapharm pour revoir sa position et, possiblement, pour juger après étude que les arguments de droit qu'elle cherchait à faire valoir dans sa demande, puis dans son mémoire, ne valaient pas somme toute de se rendre au mérite.10

     Je ne suis donc pas convaincu que des frais sur une base avocat-client devraient être octroyés, immédiatement ou via taxation, à Rhodiapharm vu que je ne puis conclure qu'il soit clair et évident que Roche a introduit puis retiré sa demande pour des raisons futiles et vexatoires. Il n'y a donc pas ici présence de raisons spéciales au sens de la règle 1618.

     La présente requête sera donc rejetée, le tout sans frais pour aucune des parties même si Roche a réclamé les dépens sur la requête.

     Richard Morneau

     Protonotaire

Montréal (Québec)

le 18 septembre 1997

             T-2806-96

HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED, and

SYNTEX PHARMACEUTICALS

INTERNATIONAL LIMITED

             Requérantes

THE MINISTER OF NATIONAL HEALTH AND WELFARE, and

RHODIAPHARM INC.

             Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-2806-96

HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED, and

SYNTEX PHARMACEUTICALS

INTERNATIONAL LIMITED

     Requérantes

ET

THE MINISTER OF NATIONAL HEALTH AND WELFARE, and

RHODIAPHARM INC.

     Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 8 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR:Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 18 septembre 1997

COMPARUTIONS:

Me Gunars A. Gaikis pour les requérantes

Me François Grenier pour l'intimée Rhodiapharm Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart & Biggar pour les requérantes

Me Gunars A. Gaikis

Toronto (Ontario)

Léger Robic Richard pour l'intimée Rhodiapharm Inc.

Me François Grenier

Montréal (Québec)

Sous-procureur général du Canada pour l'intimé The Minister of National

Me Robert Jaworski Health and Welfare

Toronto (Ontario)

__________________

     1      Cette règle se lit comme suit:
             1618.    Il n'y aura pas de frais à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire, à moins que la Cour n'en ordonne autrement pour des raisons spéciales.

     2      Désistement qui s'effectue suivant la règle 1616. Cette règle se lit:
             1616.    La partie requérante peut, à tout moment, se désister de sa demande de contrôle judiciaire:
             a)    soit sur dépôt du consentement de toutes les parties et de tous les intervenants;
             b)    soit avec la permission de la Cour.

     3      Cette conséquence devrait tenir lorsqu'une même conclusion est tirée au terme du rejet d'une demande, que le rejet survienne au mérite ou de façon préliminaire sur la base de l'arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, pages 52 et suivantes (l'arrêt Pharmacia). Nous aurons l'occasion de reparler de ce dernier arrêt.

     4      Je pense que c'est le test à retenir en l'espèce puisque la demande de Roche n'a pas fait l'objet d'une audition au fond et que l'on se trouve à regarder la demande de la même manière que si elle avait fait l'objet d'une demande de radiation.

     5      Roche se rend à ces vues sauf, tel que nous le verrons plus loin, qu'elle soutient qu'en droit les brevets 717 et 660 contiendraient des revendications qui pourraient ne pas être qualifiées de procédé ou d'intermédiaire.

     6      Un deuxième envoi s'est avéré nécessaire en raison d'un problème de preuve de signification avec le premier envoi.

     7      Voir à cet effet le paragraphe 21 du mémoire de Roche déposé le 7 mars 1997.

     8      Voir le paragraphe 23 dudit mémoire.

     9      On ne peut certes reprocher à Roche le fait que Rhodiapharm n'ait eu connaissance de cette position que le 16 juin 1997 vu l'absence entre-temps de son procureur.

     10      La Cour suprême a refusé le 26 juin 1997 la permission d'en appeler dans les affaires Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. , supra et Eli Lilly and Co. v. Apotex Inc., supra. Ce n'est donc pas ce facteur qui a pu jouer dans l'esprit de Roche.

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