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                                                                                                                                            Date: 20010126

                                                                                                                              Dossier: IMM-5115-97

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2001

DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

JOVAN MIHAJLOV

                                                                                                                                                     demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(6) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) à l'égard de la décision par laquelle un agent des visas a refusé un visa au demandeur, le 7 octobre 1997.

[2]         Le demandeur est citoyen et résident de la Yougoslavie; il a présenté une demande de résidence permanente à titre de conseiller agricole et de membre de la catégorie des parents aidés. Le demandeur et sa conjointe se sont présentés à une entrevue devant un agent des visas au haut-commissariat du Canada, en Angleterre, au mois de septembre 1997.


[3]         Pendant l'entrevue, l'agent des visas avait erronément l'impression que la profession de conseiller agricole était classifiée sous l'appellation « Biologistes et scientifiques assimilés » par opposition aux appellations « Travailleurs spécialisés dans les sciences biologiques et agronomiques » ou « Agronomes et scientifiques assimilés » de la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP). Par suite de cette erreur, l'agent des visas s'est davantage penché, lors de l'entrevue d'appréciation, sur la question des sciences biologiques qu'il ne l'aurait fait s'il avait classifié correctement la profession du demandeur.

[4]         Toutefois, en examinant le dossier le lendemain après-midi, l'agent des visas s'est rendu compte de son erreur et a examiné tous les éléments de preuve applicables à la bonne appellation professionnelle. À la page 6 de son affidavit du 27 mars 1998, il déclare que, lors de l'entrevue, il a obtenu suffisamment de renseignements pour être en mesure d'apprécier la demande.

[5]         Le passage pertinent de la décision de l'agent des visas en date du 7 octobre 1998 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Je vous ai d'abord apprécié à titre de conseiller agricole, soit la profession que vous aviez l'intention d'exercer au Canada selon votre formulaire de demande. Comme je l'ai expliqué à l'entrevue, la profession de conseiller agricole, telle qu'elle est définie dans la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP), s'applique au scientifique agricole qui conseille les agriculteurs sur les soins généraux à apporter au bétail et à la volaille, sur les cultures, sur l'alimentation des animaux, la prophylaxie et le traitement des maladies. La recherche et l'expérimentation scientifique constituent une composante importante de cette profession. Pour être admissible à cette profession, une personne doit avoir plus de quatre années, et jusqu'à dix années, de formation professionnelle spécifique. Selon la description des fonctions que vous avez donnée à l'entrevue, j'ai conclu que, même si votre travail englobait certaines des fonctions exercées par un conseiller agricole, vous n'aviez pas la formation nécessaire à titre de scientifique et vous n'aviez pas non plus l'expérience nécessaire pour me permettre de considérer que vous avez de l'expérience dans cette profession.


[6]         Le demandeur n'a pas obtenu de points pour l'expérience et la demande de visa a donc été rejetée conformément au paragraphe 11(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.

[7]         Les parties donnent un compte rendu plutôt différent au sujet de ce qui s'est passé à l'entrevue. Le demandeur soutient qu'il n'a pas eu la possibilité de répondre aux questions que l'agent des visas se posait au sujet de la demande, en particulier en ce qui concerne ses études et son expérience, telles qu'elles se rapportaient au travail effectué par un conseiller agricole. Dans son affidavit du mois de janvier 1998, le demandeur déclare ce qui suit : [TRADUCTION] « On m'a posé fort peu de questions au sujet de mon expérience dans le domaine agricole » et : [TRADUCTION] : « [L]'agent des visas ne m'a pas donné la possibilité de démontrer mes connaissances et mon expérience à titre de scientifique dans le domaine agricole. » [1] Cet énoncé est étayé par l'affidavit du demandeur, qui renferme les notes que ce dernier avait prises juste après l'entrevue au sujet des questions qui lui avaient été posées[2].


[8]         Le défendeur soutient de son côté que l'agent des visas a posé au demandeur des questions [TRADUCTION] « détaillées » au sujet de ses études et de son expérience. En outre, l'agent des visas a informé le demandeur qu'il craignait que celui-ci n'eût pas fait les études et qu'il n'eût pas l'expérience nécessaires pour effectuer le travail de conseiller agricole et il lui a demandé s'il avait des questions ou des commentaires. Le demandeur a répondu qu'il n'en avait pas.

[9]         Ces divergences de vues sont réelles, mais elles ne sont pas habituelles en ce sens que chaque participant à pareille procédure considère l'échange de propos selon un point de vue particulier. Le résultat subséquent influe parfois sur ce point de vue. Quoi qu'il en soit, les contradictions qui existent au sujet de ce qui s'est passé à l'entrevue ne constitueraient pas un motif justifiant l'annulation de cette décision.

[10]       Toutefois, ce qui est encore plus sérieux, c'est la façon dont l'agent des visas a décrit la profession envisagée, à savoir celle de conseiller agricole. En effet, l'agent des visas a initialement considéré cette profession comme faisant partie de l'appellation « Biologistes et scientifiques assimilés » et il a mené l'entrevue sur cette base. Il s'est par la suite rendu compte de son erreur et il a conclu que la profession en question faisait plutôt partie de l'appellation « Agronomes et scientifiques assimilés » . La description donnée par la CCDP au sujet de cette appellation est la suivante :

Ce groupe de base comprend les scientifiques qui font de la recherche sur la culture, l'élevage, la génétique et la viabilité des plantes et des animaux, sur la nature et la composition des sols afin d'étendre le champ des connaissances en agriculture et en horticulture, puis d'appliquer ces connaissances au développement, à la reproduction ainsi qu'à la conservation des plantes et des animaux.

[11]       L'agent des visas n'a pas cité le passage de la description figurant dans la CCDP dans lequel il est question des fonctions d'un conseiller agricole. Ce passage est ci-dessous reproduit :


Conseille les agriculteurs sur les soins généraux à apporter au bétail et à la volaille, sur les cultures, sur l'alimentation des animaux, la prophylaxie et le traitement des maladies:

Visite les fermes pour examiner le cheptel et discuter des taux de croissance et de production, des maladies et des problèmes d'alimentation. Conseille les agriculteurs sur divers problèmes que pose une grande culture en particulier. Isole et abat les volailles malades, et en fait l'autopsie afin de déterminer les causes de la maladie. Prélève des spécimens de plantes et de grains, des échantillons de fourrage et autres aliments pour le bétail, pour fins d'analyses en laboratoire. Recommande de nouvelles méthodes pour améliorer l'entretien des troupeaux ou accroître la fertilité des cultures. Conseille et aide les agriculteurs en matière de soins et de services vétérinaires. Surveille et coordonne le travail de techniciens-spécialistes et de techniciens. Surveille l'exécution des programmes établis par les spécialistes en alimentation du bétail, en vue de déterminer les taux de conversion alimentaire et les frais afférents.

[12]       Dans la lettre de refus qu'il a envoyée au demandeur, l'agent des visas a dit qu'à son avis, la profession en question était celle de « scientifique agricole » et que [TRADUCTION] « la recherche et l'expérimentation scientifique » constituaient une composante importante de la profession. L'agent des visas a concédé que le demandeur avait exercé certaines des fonctions relevant d'un conseiller agricole, mais il a dit qu'il n'avait pas [TRADUCTION] « la formation nécessaire à titre de scientifique » et qu'il n'avait pas non plus l'expérience nécessaire pour qu'il soit possible de considérer qu'il avait de l'expérience dans cette profession.


[13]       À mon avis, l'agent des visas a interprété la description des fonctions d'un conseiller agricole d'une façon plus rigoureuse que ce qui était justifié. Selon une interprétation juste de cette description, telle qu'elle est citée ci-dessus, je ne crois pas qu'il soit raisonnablement possible de conclure que la recherche et l'expérimentation scientifique constituent une composante majeure de la profession. La description du « conseiller agricole » décrit bien le travail, qui consiste à adapter des principes scientifiques en matière d'agriculture à la pratique actuelle de cette noble profession. Le fait que l'agent des visas a mis l'accent sur les compétences scientifiques a malheureusement embrouillé sa conception des conditions afférentes à la profession et, partant, de l'expérience du demandeur.

[14]       Dans sa lettre de refus, l'agent des visas a indiqué qu'il avait également apprécié le demandeur par rapport aux professions énumérées dans la Classification nationale des professions (la CNP), qui a remplacé la CCDP à titre d'ouvrage de référence le 1er mai 1997. Le demandeur a été apprécié par rapport à la CCDP parce qu'il avait présenté sa demande avant le 1er mai 1997 et que la demande était encore en suspens à cette date. Toutefois, les agents des visas ont fréquemment appliqué la CNP dans les cas en instance au cours de la période de transition si la chose était avantageuse pour le demandeur. Dans la CNP, cette profession fait partie de l'appellation de « Agronomes, conseillers/conseillères et spécialistes en agriculture » . Voici la description générale de l'appellation :

Les agronomes, les conseillers et les spécialistes en agriculture conseillent et aident les exploitants agricoles dans tous les aspects de la gestion agricole, soit les cultures, la fertilisation, les récoltes, l'érosion et la composition des sols, la prévention des maladies, la nutrition, la rotation des cultures et la commercialisation. Ils travaillent dans des entreprises, des institutions et des organismes gouvernementaux qui aident la communauté agricole, ou ils peuvent travailler à leur compte.

[15]       Parmi les appellations professionnelles énumérées, il y a celles de « conseiller/conseillère auprès des producteurs » d' « agent itinérant/agente itinérante, agriculture » , de « conseiller/conseillère en agriculture » . Selon la façon dont j'interprète le dossier, cela se rapproche beaucoup plus de la profession à l'égard de laquelle le demandeur estimait avoir les compétences voulues et pour laquelle il voulait être apprécié.


[16]       Si l'on aborde ce problème comme étant un problème d'interprétation erronée de la CCDP, la première question qui se pose est celle de la norme de contrôle. Or, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, comme l'a conclu le juge Reed dans la décision Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 296; l'erreur commise par l'agent des visas se rapproche fort de la limite. Le problème que pose l'entrevue en l'espèce est que l'on soupçonne que les participants se contredisent. Le demandeur a déclaré avoir des compétences techniques et chercher un poste comportant des applications pratiques. L'agent des visas a apprécié le demandeur comme étant un scientifique qui pouvait uniquement occuper un poste dans le domaine de la recherche et de l'expérimentation, à défaut de quoi il devait être apprécié comme agriculteur. L'agent des visas n'a pas semblé envisager la possibilité que certaines professions se situent entre celle de chercheur scientifique et celle d'agriculteur. Dans cette mesure, la décision de l'agent des visas était déraisonnable puisque l'existence de pareils postes est prévisible. Cela étant, j'infirmerais la décision de l'agent des visas et je renverrais l'affaire pour réexamen par un agent des visas différent.

ORDONNANCE

[17]       La décision que Keith Swinton a prise le 7 octobre 1997 est par les présentes infirmée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent des visas différent.

                « J. D. Denis Pelletier »                 

     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                 IMM-5115-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Jovan Mihajlov c. Le ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 6 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Pelletier en date du 26 janvier 2001

ONT COMPARU :

Arthur I. Yallen                                                                  POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arthur I. Yallen                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            Affidavit de Jovan Mihajlov, déposé le 2 mars 1998, dossier de la demande, onglet 3, par. 9 et 11.

[2]              Ibid, onglet 3A.

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