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     Date : 20000511

     Dossier : IMM-1153-99



Entre :

     FARIBORZ PARTOWMOGHADAM

     Demandeur

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


A. INTRODUCTION


[1]      M. Fariborz Partowmoghadam (le "demandeur"), est un citoyen de la République islamique de l"Iran ("l"Iran") qui revendique le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques imputées, de son appartenance à un groupe social particulier et pour des motifs reliés à la religion. Il allègue avoir une crainte bien-fondée de persécution vis-à-vis des autorités iraniennes qui lui reprochent appuyer une organisation iranienne ("Komuleh") dissidente et parce qu"il fait face à des accusations non-fondées d"adultère.

[2]      Le demandeur recherche dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire la révision de la décision du 8 février 1999 de la Section du statut de réfugié (le "tribunal") lui ayant refusé la reconnaissance du statut de réfugié.

B.      LA DÉCISION DU TRIBUNAL

     (a)      Constatation des faits allégués

[3]      Entre mai 1988 et mai 1998, le demandeur travaillait à Doubaï, dans les Émirats Arabes Unis et possédait le statut de résident temporaire. En août 1997, par hasard, il rencontra à Doubaï, Fatemeh, son ex-copine. Quelques jours après, ils poursuivirent leur relation et elle lui aurait appris qu"elle avait marié un intégriste présentement en mission au Consulat iranien. Elle indiqua au demandeur que son mari est une "sale personne".

[4]      Par la suite, Fatemeh visita à plusieurs reprises le demandeur à son appartement. Un jour, le mari de cette dernière s"introduisit de force chez le demandeur pour y chercher sa conjointe. Celui-ci les frappa tout les deux et par la suite quitta les lieux, tout en menaçant de mort le demandeur. Le lendemain, le demandeur fut convoqué au Consulat iranien.

[5]      Le Consul lui aurait appris que les autorités avaient été informées de son origine Sunnite et du fait qu"il sympathisait avec l"organisation kurde Komuleh. De plus, le Consul l"accusa d"avoir trompé et violé Fatemeh et que pour cela, il devait être puni. Après ces accusations, on lui donna un mois pour se présenter devant la justice iranienne afin de régler le problème.

[6]      Le demandeur prétend que quelques mois après ces événements, on aurait tenté de porter atteinte à sa vie à deux reprises. À son avis, la source de ses problèmes ne peut être que le mari de Fatemeh ou des éléments opposés aux Sunnites. Lors d"un appel téléphonique en Iran, le demandeur aurait appris de son père qu"il avait reçu une lettre de la justice islamique lui ordonnant de se présenter devant elle. Il aurait également été informé que Fatemeh aurait été lapidée pour adultère.

[7]      Puisque son visa expirait dans quelques temps et que son patron refusait de le renouveler, le demandeur quitta alors les Émirats Arabes Unis pour le Canada où il débarqua le 20 mai 1998.

     (b)      Les conclusions du tribunal

[8]      Le tribunal est d"avis que le demandeur ne s"est pas déchargé de son fardeau de preuve de démontrer qu'il avait une crainte bien-fondée de persécution. Selon lui, le demandeur n"est pas crédible et digne de foi. Dans ses motifs, le tribunal indique :

Le témoignage du revendicateur ne s"est pas avéré direct et franc, mais plutôt vague et évasif. Certaines déclarations et explications en ce qui a trait à des éléments majeurs de sa revendication ont été jugés invraisemblables, intrinsèquement suspect ou autrement dit insatisfaisants. Ainsi, la SSR n"a pas pu accorder au revendicateur le bénéfice du doute.

[9]      Les conclusions du tribunal trouvent en partie leur source dans l'appréciation faite par ce dernier de la preuve documentaire qui indique que les "Sunnites constituent en Iran, un groupe religieux minoritaire objet de discrimination et parfois même de persécution par le régime d'inspiration chiite". Le tribunal ajoute "ainsi, il serait plausible pour le revendicateur, comme il le prétend, qu'il ne participe pas aux activités de ses compatriotes chiites, qu'il appuie financièrement une organisation kurde d'opposition et qu'il s'est vu ciblé de façon spécifique à cause de son statut de Sunnite".

[10]      Après avoir reconnu que les explications du revendicateur sur les divergences dans les croyances religieuses entre Sunnites et Chiites "sont apparues satisfaisantes" le tribunal note, néanmoins, les invraisemblances suivantes:

     (1)      Premièrement, le tribunal pointe l"incapacité du demandeur d"identifier un quelconque chef spirituel en Iran ou d"identifier le chef spirituel Sunnite arrêté et assassiné en 1996 par des agents du régime, à son retour des Émirats Arabes Unis. Le tribunal conclut: (page 9 du dossier de demandeur)
         Il attribue ses défaillances de connaissances au fait qu"il réside à Doubaï depuis des nombreuses années et à son manque d"intérêt dans le sujet. L'explication du revendicateur est insatisfaisante et intrinsèquement suspecte, car elle ne concorde pas avec l'ensemble des faits allégués. De plus, considérant la proximité géographique de Doubaï avec l'Iran et le fait que le revendicateur rentre en Iran à chaque année pour un mois lors des vacances, le tribunal ne voit pas comment il peut prétendre ignorer le ou les noms de chef spirituel Sunnite ayant été ciblé par le régime. Dans ce contexte, la SSR conclut que cette partie du témoignage du revendicateur est peu crédible.
     (2)      Deuxièmement, le tribunal ne croit pas que le demandeur soutienne l"organisation dissidente kurde Komuleh que la preuve documentaire identifie comme étant la branche kurde du Parti communiste en Iran. En effet, le tribunal souligne le fait que le demandeur ne connaît ni l"idéologie et ni la philosophie de Komuleh et ce, malgré le fait qu"il l"aide financièrement et qu"il ait un ami à la fois kurde et Sunnite. Le tribunal qualifie d"insatisfaisante l"explication donnée et conclut ainsi:
La Section du Statut de réfugié (SSR) s"explique mal que le revendicateur ne soit nullement au courant de la tendance politique et idéologique de l"organisation dont il se dit sympathisant et ce d"autant plus que l"organisation est d"inspiration communiste. Il n'est guère nécessaire de s'intéresser à la politique pour être minimalement au courant de l'option politique d'une organisation avec laquelle on sympathise et qu'on finance. On comprend mal que son ami kurde Reza ne l'aurait jamais mis au courant de ces faits. Le témoignage du revendicateur quant à son prétendu soutien à une organisation kurde d'opposition est peu crédible et invraisemblable.
     (3)      Troisièmement, le demandeur est interrogé quant aux jours et aux dates précises référents à des événements clés. Le tribunal souligne que le demandeur ait été en mesure de fournir les dates et les mois mais incapable de fournir précisément les jours de semaine des événements principaux. Le tribunal cite plusieurs exemples dont ceux-ci:
     Il se souvient d'avoir rencontré son ami Fatemeh le 6 août 1997, mais il ne se souvient pas quel jour de semaine c'était. Il se rappelle qu'elle aurait appelé deux jours après pour fixer un rendez-vous le lendemain et qu'elle aurait accepté d'aller chez lui trois jours après la rencontre, mais sans plus. Il n'hésite pas cependant pour dire qu'il n'a jamais rencontré son amie les fins de semaine à savoir le vendredi et qu'il a effectivement vu son amie pour la dernière fois le 5 septembre 1997.
         Confronté au fait que le 5 septembre est un vendredi, il se ravise et dit que c'était le 5 ou vers le 5 septembre. Dans la même veine, quoique le revendicateur se rappelle très bien des dates et des heures où sa maison a été incendiée et qu'on lui a tiré dessus, il est incapable de préciser le jour de semaine de ces faits marquants.
         Lorsqu"il a été interrogé sur quand il aurait terminé de travailler à Doubaï, le revendicateur sombre dans un témoignage vague et évasif...
         La SSR s'explique mal que la mémoire du revendicateur puisse être si défaillante sur certains éléments d'événements principaux. Il est quant à nous intrinsèquement suspect qu'il puisse oublier l'ensemble de ces jours en question quand il semble bien se remémorer les dates, simultanément qu'il est incapable de préciser les dates et le jour de semaine où il aurait terminé son emploi à Doubaï.
     (4)      Quatrièmement, le tribunal ne peut s'expliquer pourquoi un avis de comparution ait été envoyé chez le père du demandeur, à Téhéran, plutôt que chez lui à Doubaï et indique qu"il est surprenant de constater que le demandeur ait été mis au courant de cet avis par son père lors d'un appel qu"il aurait fait pour informer ce dernier du fait qu'on lui aurait tiré dessus le même jour, à savoir le 15 décembre 1997". Sur ce point, le tribunal dit:
     Confronté au fait que l'avis avait été émis le 16 décembre, le revendicateur modifia son témoignage pour dire que c'était le ou vers le 15/16 décembre, et le fait que l'avis n'affiche pas les raisons de la comparution, nous porte à lui accorder aucune valeur probante. Pour les raisons précitées, nous concluons que cette partie du témoignage du revendicateur n'est point crédible.

C.      L'AFFIDAVIT DU DEMANDEUR

[11]      Le demandeur déposa un affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire dont deux éléments sont à retenir. Premièrement, le demandeur déclare avoir mentionné à l'audition le fait qu'il est de confession Sunnite mais que toutefois, il ne pratique pas sa religion. Il affirme également avoir mentionné à l'audience qu'il ne s'intéressait pas à la politique et qu'il n'était pas au courant des activités du Komuleh, sauf celles concernant l"aide humanitaire qu"il apporte pour les Kurdes. Deuxièmement, au sujet des dates, le demandeur indique qu"il utilise le calendrier persan pour se rappeler de certains événements mais que, par contre, puisqu'à Doubaï le calendrier grégorien est utilisé, c'est avec ce calendrier qu'il organisait ses affaires. Il dépose qu'à l'audition, l'interprète n'avait pas sa table de conversion pour traduire les dates du calendrier persan au calendrier grégorien et que l'interprète a mentionné à plusieurs reprises qu'il s'agissait que d'une conversion approximative.




D.      ANALYSE

[12]      La décision du tribunal démontre clairement les invraisemblances tirées par lui et pourquoi il n"a pas cru le témoignage du demandeur. L"arrêt Aguebor c. Le Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.F.A.) nous enseigne que le tribunal a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage, de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer l"intervention de la Cour.

[13]      De plus, l"arrêt Shahamati c. Le Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1994] F.C.J. No. 415 (F.C.A.), établit que le tribunal, afin d"apprécier la crédibilité d"un récit ou d"un témoignage, peut s"appuyer sur le bon sens et la rationalité. Je note que le tribunal soulève aussi, dans ses motifs, des contradictions dans le témoignage du demandeur, un facteur primordial dans l"analyse de la crédibilité.

     (1)      Le problème des dates précises - les deux calendriers

[14]      Le tribunal écarte l"avis de comparution émis par les autorités iraniennes aux motifs que le demandeur a changé son témoignage. De plus, le tribunal trouve intrinsèquement suspect que le demandeur puisse oublier le jour de la semaine où certains événements principaux se sont produits. Pour en conclure ainsi, le tribunal cite des dates très précises.

[15]      Cependant, à l"audition, le tribunal avait été averti qu"il y avait un problème avec les dates précises. Le demandeur répondait aux questions avec l"aide d"un interprète et utilisait le calendrier persan pour se rappeler de certains événements que l"interprète traduisait aux dates correspondant au calendrier grégorien. À titre d"exemple, à la page 444 du dossier certifié, l"interprète, s"adressant au président, indique ce qui suit:

Ici, Monsieur le Président, Monsieur, il... je dois... je dois vous informer qu"effectivement, Monsieur il a parlé de 26 du neuvième mois, mais comme j"ai fait sans... sans calendrier, moi j"ai dit le ... le 15 alors qu"en réalité ça peut être...

[16]      À la page 415 du dossier certifié, l"interprète indique au président: "[E]t là encore, comme je vous donne à un jour près".

[17]      Dans l"arrêt Tung c. Le Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1991), N.R. 388, où il était question de la qualité d'une interprétation, le juge Stone indiquait, au paragraph 13:

     In my opinion, the appellant was entitled, through the interpreter, to tell the story of his fear in his own language as well as he might have done had he been able to communicate to the Board in the English language. Natural justice demanded no less. Manifestly, however, he was unable to do so upon points of key importance to his claim because of the poor quality of the translation. I have no doubt that this circumstance prejudiced the appellant in the proceedings below as it does here where we are expected to review important aspects of the Board"s decision on a record which is plainly deficient.

Récemment, dans Mohammadian c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (IMM-6500-98), le 10 mars 2000, mon collègue le juge Pelletier a procédé à l"analyse de la jurisprudence dans le cas de défauts d'interprétation devant un tribunal. Selon cette jurisprudence, il est nécessaire que (1) le problème soit soulevé devant le tribunal et que (2) les défauts d"interprétation soient suffisamment importants pour causer un préjudice.

[18]      En l"espèce et après avoir examiné le procès-verbal des notes sténographiques, j"en viens à la conclusion qu"il n"était pas raisonnable pour le tribunal de tirer des contradictions et des invraisemblances quant à l"avis de convocation du demandeur et quant à l"incapacité du demandeur de fournir des dates exactes sur des événements importants, puisque le tribunal ne connaissait pas lui-même ces dates exactes.

     (2)      Le demandeur est-il Sunnite?

[19]      Reconnaissant que la preuve documentaire établit que les Sunnites en Iran constituent un groupe religieux minoritaire, persécuté par le régime d"inspiration Chiite et que les explications du demandeur sur les divergences dans les croyances religieuses entre Sunnites et Chiites sont apparues satisfaisantes, le tribunal, néanmoins, semble conclure que le demandeur n"est pas Sunnite.

[20]      Le demandeur explique pourquoi il ne pouvait identifier un chef spirituel Sunnite en Iran ou celui arrêté en 1996 par les agents du régime. En effet, il témoigne qu"à Doubaï, il n"a pratiqué que la prière du vendredi et qu"il n"était pas intéressé aux événements touchant sa religion, ajoutant, à la page 459 du dossier certifié "... bon, écoutez, c"est pas parce que je suis sunnite que je dois être au courant de tout ce qui se passe. J"avais tellement de problèmes...".

[21]      Le tribunal devait, d"une façon claire et précise, écarter le témoignage du demandeur sur ce point. Sa conclusion est équivoque et ne rencontre pas les exigences établies dans l"arrêt Mahathmasseelan c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1991), 37 N.R. 1 (F.C.A.).

[22]      De plus, les membres du tribunal ne pouvaient écarter l"ensemble du témoignage du demandeur sur la seule base de la non connaissance par lui des noms de certains chefs spirituels. Dans l"arrêt Owusu-Ansah c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 106 (C.F.A.) la Cour fédérale d"appel en venait à cette conclusion dans des circonstances semblables.


     (3)      Soutien à l"organisation kurde

[23]      D"après son témoignage, le demandeur invoque son soutien à l"organisation kurde Komuleh, soutien qui se limite toutefois à une contribution monétaire (procès-verbal des notes sténographiques, pages 407 et 431). Le tribunal trouve son témoignage "peu crédible et invraisemblable".

[24]      À mon avis, cette conclusion du tribunal est déraisonnable au motif que les inférences tirées par celui-ci ne sont pas fondées sur la preuve et sont de nature spéculative.

[25]      Selon le tribunal, le demandeur devait connaître la tendance politique de Komuleh "d"autant plus que l"organisation est d"inspiration communiste". Avec respect, le tribunal ne pouvait tirer cette inférence; être une organisation communiste ou non ne contredit pas le témoignage du demandeur qui indique s"intéresser peu à la politique et justifier sa contribution pour des motifs humanitaires. L"inférence que le tribunal "comprend mal que son ami Reza ne l"aurait jamais mis au courant" est également de nature spéculative.




E.      CONCLUSION

[26]      Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie et la revendication du demandeur doit être ré-examinée par un tribunal constitué différemment. Aucune question certifiée n"a été proposée.


     "François Lemieux"

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

le 11 mai 2000

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