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     Date : 19990125

     Dossier : IMM-1718-98

OTTAWA (Ontario), le 25 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

     WILFREDO JIMINEZ,

     demandeur,

ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

     " P. Rouleau "

                                             juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990125

     Dossier : IMM-1718-98

ENTRE :

     WILFREDO JIMINEZ,

     demandeur,

ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration pour contester une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle la Commission a statué, le 26 mars 1998, que M. Jiminez n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La demande de contrôle s'appuie sur l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. Voici l'extrait pertinent de l'article 2 :

(2) Cessation of convention Refugee Status - A person ceases to be a Convention refugee when

...

(e) the reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside fwhich the person remained, cease to exist.

(3) Exception - A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution.

(2) Perte du statut de réfugié au sens de la Convention - Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où :

...

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.

(3) Exception - Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.

[2]      La Cour est saisie des questions suivantes :

     1)      La Commission a-t-elle mal interprété le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration?
     2)      La Commission a-t-elle mal appliqué le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration aux faits établis en preuve?
     3)      Compte tenu des décisions Arguello-Garcia, (1993), 21 Imm L.R. (2d) 285 et Shahid, (1995), 28 Imm L.R. (2d) 130, rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale, un critère additionnel devait-il être appliqué, selon lequel la persécution antérieure doit avoir laissé des séquelles psychologiques permanentes chez le demandeur, même si celui-ci a peut-être déjà satisfait à la règle fondamentale voulant qu'il ait été victime d'actes de persécution " atroces " ou " épouvantables " dans le pays qu'il fuit?

[3]      M. Jiminez est né à Santa Ana, au Salvador, le 12 mai 1960. Il a vécu avec sa mère jusqu'à l'âge de 14 ans, puis il s'est enrôlé dans l'armée. Il a été admis comme mineur grâce à l'aide de son oncle, un militaire de haut rang. Après neuf mois, son oncle a pris des mesures pour qu'il soit libéré. Il est devenu policier en 1976. Trois mois après son entrée en fonction, il a été affecté à la Section des enquêtes criminelles. En 1977, il a commencé à mener des enquêtes privées sur des décès non imputés de personnes dont les dépouilles portaient des marques de mutilation et de torture. En 1979, M. Jiminez a formé un groupe avec 20 autres policiers pour enquêter sur ces décès. Il en est venu à penser qu'un certain Roberto Mayor Daguison, major dans l'armée, était responsable de ces crimes.

[4]      Le 2 août 1979, M. Jiminez a demandé à être relevé de ses fonctions en qualité d'agent de police. Le 27 septembre, trois véhicules dont les glaces avaient été noircies ont surgi à côté de lui; on lui a dit qu'il s'était attiré des ennuis et qu'il allait en subir les conséquences. Il a reconnu les véhicules comme appartenant aux escadrons de la mort. On lui a recouvert la tête d'une cagoule noire et on lui a passé des menottes. On l'a ensuite emmené dans un lieu où il a été battu, interrogé et torturé. On lui a ordonné, sous les menaces, d'interrompre son enquête sur les décès. Il s'est rendu compte qu'on torturait aussi d'autres membres de son groupe.

[5]      Deux jours plus tard, on a attaché M. Jiminez à une chaise et on lui a fixé des électrodes aux chevilles et à la tête. On lui a placé les pieds dans l'eau et on lui a administré des chocs électriques. On l'a battu et on lui a assené des coups sur la tête avec la crosse d'un fusil. On lui a fait plusieurs lacérations avec un couteau et on lui a versé du lait bouillant sur la poitrine. On l'a laissé étendu sur le sol, ensanglanté. Pendant sa détention, d'autres personnes ont été violées devant lui et, selon son témoignage, il aurait lui aussi été violé.

[6]      On a jeté M. Jiminez parmi des cadavres, le croyant mort. Il a été découvert par des membres de la Croix Rouge. Constatant qu'il était toujours vivant, ils l'ont transporté à l'hôpital. On a retrouvé des balles d'arme à feu dans son pied, sa cuisse et son mollet. Il avait un doigt déformé par la torture et le visage enflammé à la suite des coups qu'il avait reçus. Il avait aussi les dents cassées.

[7]      À sa sortie de l'hôpital, il s'est caché dans la ferme de son grand-père, à la campagne. Il a ensuite appris que plusieurs membres de son groupe avaient été assassinés. Plus tard, il s'est organisé avec ceux qui restaient et d'autres personnes pour entrer par effraction dans des locaux militaires en vue de s'emparer des dossiers que l'armée conservait sur eux. En ressortant, l'un d'entre eux a été tué d'un coup de feu.

[8]      M. Jiminez a quitté le Salvador quelques jours après ce raid pour se rendre aux États-Unis Il a vécu avec sa mère à New York pendant quelques mois, puis il est demeuré aux États-Unis, apparemment, pendant sept ans. Il est arrivé au Canada en 1987, où il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

[9]      Pendant qu'il habitait à Toronto, M. Jiminez a commencé à consommer de la drogue et de l'alcool. Sous l'influence de l'alcool, il a appelé une téléphoniste et lui a fait des menaces. À la suite de cet incident, on l'a conduit dans un hôpital psychiatrique pour y être évalué. Il a commencé à avoir peur d'être renvoyé au Salvador. Il s'est donc rendu à un passage frontalier, au Manitoba, où il a prétendu être mexicain, pour être renvoyé ailleurs qu'au Salvador, le cas échéant. Un membre du consulat mexicain l'a interrogé et il a conclu qu'il n'était pas mexicain.

[10]      M. Jiminez a déménagé à Vancouver en mai ou en juin 1992. En 1993, il a été accusé d'entrée par effraction dans l'appartement de son ancienne petite amie, après avoir essayé d'y entrer de force. Il a été assujetti à une ordonnance de probation d'une durée de 14 mois et il a écrit à la victime pour lui présenter des excuses. M. Jiminez a reconnu sa culpabilité à une accusation de trafic de stupéfiants, malgré les conseils de son avocat, après avoir été trouvé en possession de " de gramme de cocaïne d'une valeur marchande de 30 $. Il a été condamné avec sursis et assujetti à une période de probation de 12 mois. À l'époque où M. Jiminez a commis ces infractions, il consommait beaucoup de drogue. Après cet incident, il a commencé à suivre une thérapie pour mettre fin à sa dépendance.

[11]      En avril 1996, il a été attaqué par quatre hommes qui lui ont causé des blessures graves au cerveau et il a perdu beaucoup de mobilité du côté droit. Bien qu'il soit encore capable de prendre soin de lui-même, M. Jiminez souffre d'incapacité mentale en raison des coups qu'il a reçus. Maria Undurraga, psychologue agréée, a constaté lors d'une consultation, le 29 mars 1997, que M. Jiminez a beaucoup de difficulté à se souvenir d'événements récents et anciens, qu'il devient très facilement confus, qu'il éprouve des difficultés importantes sur le plan de la parole et qu'il fait plus d'anxiété en situation de stress.

[12]      Le Dr Baker a examiné M. Jiminez le 15 septembre 1997. Ce médecin a noté qu'il ressentait facilement de la fatigue et qu'il présentait un trouble de l'élocution. Il a constaté que les mains de M. Jiminez avait de nombreuses cicatrices , compatibles avec des lacérations infligées intentionnellement avec un couteau. Son avant-bras portait une cicatrice pouvant résulter d'un coup de couteau, tout comme sa paroi abdominale, du côté droit. Il a également constaté sur sa poitrine la présence de cicatrices compatibles avec des brûlures causées par un liquide chaud. D'après les marques qu'il portait aux genoux, il était plausible que des chocs électriques aient été administrés à M. Jiminez. À cette époque, M. Jiminez se plaignait de cauchemars, disait que les événements survenus au Salvador lui revenaient en mémoire le jour et affirmait avoir peur des policiers. Le Dr Baker a conclu que les symptômes dont M. Jiminez se plaignait étaient compatibles avec le syndrome de stress post-traumatique.

[13]      Le 28 novembre 1997, Le Dr Paredes, psychiatre, a examiné M. Jiminez. Il a conclu que M. Jiminez souffrait de démence consécutive à une blessure à la tête, bien que sa consommation de drogue et d'alcool ne puisse pas être écartée comme l'une des causes de cette démence. Le Dr Paredes a conclu qu'il était difficile de poser un diagnostic après coup, quant à l'état de M. Jiminez avant qu'il souffre de démence, mais qu'il pouvait avoir souffert du syndrome de stress post-traumatique après avoir été torturé en 1979.

[14]      L'audience devant la Commission du statut de réfugié a eu lieu le 4 et le 26 septembre 1997. M. Jiminez a témoigné. La Commission a néanmoins conclu qu'il souffrait d'incapacité mentale depuis 1996 et qu'il n'était pas en mesure de témoigner correctement à l'appui de sa revendication. La Commission s'est appuyée sur le FRP rempli par M. Jiminez avant sa blessure à la tête et sur les rapports du psychiatre.

[15]      La Commission a conclu que M. Jiminez avait été battu, brûlé, violé, atteint par des coup de feu et laissé pour mort au Salvador en 1979. Elle a aussi conclu que la situation au Salvador avait changé de façon radicale depuis 1979.

[16]      La Commission a conclu que rien ne permettait de conclure à l'existence de raisons impérieuses tenant à des actes de persécution antérieure subis au Salvador. La Commission a statué que les dossiers psychologiques produits pour M. Jiminez se limitaient à une évaluation de son état actuel résultant des graves blessures à la tête qu'il a subies en avril 1996 et que le Dr Paredes ne pouvait écarter la consommation excessive de drogue et d'alcool comme l'une des causes de son état. La Commission a décidé : [Traduction] " Il n'a pas été établi que les souffrances manifestes du requérant sont dues à des séquelles permanentes d'actes de persécution antérieure ".

[17]      Compte tenu de ces conclusions, la Commission a déclaré qu'il n'était pas nécessaire de se demander si les clauses d'exclusion, prévues aux alinéas 1Fa) et 1Fc) de l'annexe de la Loi sur l'immigration, s'appliquaient comme le soutenait le ministre (à la suite des accusations de trafic).

[18]      La Cour doit maintenant analyser en détail la jurisprudence que la Commission a apparemment suivie. Si la situation dans un pays a changé à tel point que la source de la crainte de persécution du revendicateur n'existe plus, le revendicateur cesse d'être un réfugié au sens de la Convention. Seul fait exception le revendicateur décrit dans le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.

[19]      L'arrêt de principe concernant l'interprétation du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration est l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.). Dans un passage souvent cité, le juge Hugessen affirme, à la page 748 :

         Quelle que soit l'interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre à quiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n'est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est-à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.         
         Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l'avocat n'en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l'échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d'origine. En fait, une interprétation qui produirait un tel résultat me semblerait à la fois répugnante et absurde.         

[20]      Madame le juge Desjardins a ajouté, dans une opinion concordante, à la page 751, que les" paragraphes 2(2) et (3) ont été ajoutés à la définition de réfugié au sens de la Convention afin de "faire mieux coïncider celle-ci avec la Convention des Nations Unies relative aux réfugiés" ". Voici le paragraphe 136 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié :

         Il est fréquemment admis que l'on ne saurait s'attendre qu'une personne qui a été victime " ou dont la famille a été victime " de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s'il a eu un changement de régime dans le pays, cela n'a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l'attitude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d'esprit du réfugié.         

[21]      La Loi reconnaît qu'une revendication est valide dans des circonstances spéciales même si, pour paraphraser le juge Desjardins, à la page 752, " la crainte de persécution elle-même n'est plus objectivement fondée ".

[22]      Le juge Rothstein semble s'être appuyé sur l'arrêt Obstoj (précité) dans l'affaire Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 767 (1re inst.); " la personne qui ne craint pas avec raison d'être persécutée à l'avenir, ne pourra se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention que si, dans le passé, elle a subi des persécutions tellement épouvantables que même une évolution de la situation dans son pays d'origine, qui supprimerait le risque d'être persécutée à l'avenir, ne fera pas obstacle à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention ". En pareil cas, le revendicateur se verra reconnaître le statut de réfugié pour des motifs d'ordre humanitaire.

[23]      Ainsi, selon le juge Hugessen, dans l'arrêt Obstoj, la persécution doit être épouvantable et atroce au point où cette seule expérience constitue une raison impérieuse de ne pas renvoyer le revendicateur du statut de réfugié dans son pays d'origine. De même, dans Velasquez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 76 F.T.R. 210, à la page 212, le juge Gibson a statué que le paragraphe 2(3) s'applique s'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures. Dans cette affaire, il a conclu que le viol brutal, par trois hommes, de l'épouse d'un homme de 78 ans au Salvador faisait partie des situations visées par le paragraphe 2(3).

[24]      Les parties ont alors porté à l'attention de la Cour deux autres décisions portant sur cette question et elles ont laissé entendre que la portée du critère appliqué dans Obstoj, précité, pouvait avoir été étendue.

[25]      Dans la décision Arguello-Garcia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown, à la page 288, a fait remarquer que le paragraphe 2(3) est fondé sur un " grand principe humanitaire qui permet à celui qui a souffert de persécution grave par le passé de garder ou d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention malgré les changements fondamentaux qui se sont produits dans son pays d'origine ". Dans cette affaire, le revendicateur avait été détenu, violé et battu au Salvador parce qu'on le soupçonnait d'être membre des guérilleros. Son frère et d'autres membres de sa famille avaient été assassinés par la Garde nationale et sa mère, témoin des meurtres, était décédée sous le choc trois jours plus tard. Le juge McKeown a statué, à la page 288, qu'en se fondant uniquement sur des facteurs objectifs , la persécution dont le requérant avait souffert était suffisamment " atroce " et " épouvantable " pour justifier l'application du paragraphe 2(3). Toutefois, le juge McKeown a ajouté que le revendicateur continuait à éprouver de graves problèmes psychologiques à la suite de sa persécution et qu'il avait, selon son témoignage, une forte crainte subjective de retourner au Salvador.

[26]      Le juge Noël, dans une remarque incidente formulée dans l'affaire Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 28 Imm. L.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.), à la page 136, a énoncé le critère comportant trois volets qui avait été établi selon lui par le juge McKeown dans la décision Arguello-Garcia, précitée. Voici comment il a conclu son analyse :

         (1)      Il faut que le demandeur ait été victime d'actes de persécution "atroces" ou "épouvantables" dans le pays qu'il fuit.         
         (2)      Il faut que le demandeur ait une crainte subjective de persécution telle qu'il refuse de retourner dans son pays d'origine et de se réclamer de la protection des autorités de ce pays         
         (3)      Il faut que cette persécution laisse des séquelles psychologiques permanentes chez le demandeur.         

[27]      Le juge Noël a enchaîné, à la page 138, en affirmant que la Commission était tenu de prendre en considération le degré d'atrocité des actes commis contre le revendicateur et leurs répercussions sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine. Le juge Noël partageait l'avis exprimé par le juge Rothstein dans l'affaire Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 77 F.T.R. 309, à la page 312, selon lequel le paragraphe 2(3) n'exige pas que le revendicateur craigne toujours d'être persécuté. Toutefois, la norme à laquelle il doit satisfaire est sévère, comme l'affirme le juge Rothstein, à la page 312 :

         Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.         

[28]      Soulignons qu'en entamant l'examen de la décision Shahid, j'ai précisé qu'il s'agissait d'une remarque incidente. Cela est très évident à la lecture de l'ensemble de la décision. Bien que le juge Noël ait indiqué que le juge McKeown avait peut-être établi un critère comportant trois volets, il semble le rejeter au paragraphe 25, à la page 138, lorsqu'il écrit :

         Il est clair, à la lumière des décisions Obstoj et Hassan, supra, que la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s'appliquant qu'aux personnes qui craignent toujours d'être persécutées.         

Il ajoute :

         Une fois qu'elle a entrepris d'examiner la demande du requérant au regard du paragraphe 2(3), la Commission est tenue de prendre en considération le degré d'atrocité des actes dont il a été la victime...         

[29]      Il ne fait aucun doute que le revendicateur doit s'acquitter d'un lourd fardeau en établissant l'existence de raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures telles que le changement de situation dans le pays n'a aucun effet : Yong-Gueico c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 987 (1re inst.), le juge Cullen; aussi, Brown c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 988 (1re inst.), le juge Richard (maintenant juge en chef adjoint). L'existence de raisons impérieuses est une question de fait : Rasanayagam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1080 (1re inst.), le juge Wetston.

[30]      L'avocat de M. Jiminez ne conteste pas les conclusions de la Commission selon lesquelles la situation a changé de façon appréciable au Salvador depuis que M. Jiminez a quitté le pays. La seule question en litige est celle de l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. La Commission a conclu, dans sa décision sur ce point, qu'il n'existait aucun motif de conclure à l'existence de raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures survenues au Salvador, compte tenu que les dossiers psychologiques produits pour M. Jiminez se limitaient à une évaluation de son état actuel à la suite des blessures qu'il a subies à la tête en avril 1996 et que le Dr Parades a affirmé ne pas pouvoir écarter la consommation de drogue et d'alcool comme l'une des causes de son état.

[31]      Le défendeur soutient que la Commission [Traduction] " précise clairement que la preuve n'était pas suffisante pour fonder la conclusion que la persécution subie par le revendicateur au Salvador était exceptionnelle au point de lui avoir causé des souffrances permanentes de l'ordre de celles ressenties par le demandeur dans l'affaire Arguello-Garcia ".

[32]      Le ministre invoque la décision Arguello-Garcia pour affirmer que le critère implique une " souffrance permanente ". Je ne suis pas d'accord. Le juge McKeown lui-même a dit, à la page 288 de la décision Arguello-Garcia , qu'en se fondant " uniquement sur des facteurs objectifs " il aurait conclu que le revendicateur souffrait suffisamment pour justifier l'application du paragraphe 2(3). La preuve du syndrome de stress post-traumatique a simplement renforcé sa conclusion lorsqu'il a apparemment résumé la preuve.

[33]      L'avocat du ministre a pressé la Cour d'analyser l'arrêt prononcé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Obstoj et de le comparer aux décisions rendues par les juges McKeown et Noël afin de déterminer si, en fait, pour que le paragraphe 2(3) s'applique, le revendicateur du statut de réfugié doit prouver que la persécution lui a laissé des séquelles psychologiques permanentes.

[34]      Je ne pense pas que les décisions invoquées proposent un critère supplémentaire consistant en l'existence de séquelles permanentes. La jurisprudence n'est, selon moi, aucunement contradictoire. Je crains que l'avocat ait mis l'accent sur les remarques incidentes plutôt que sur les motifs déterminants.

[35]      L'avocat ayant présenté ce critère additionnel comme argument subsidiaire devant le tribunal, il peut avoir créé une certaine confusion quant à l'état du droit. Le tribunal semble avoir reconnu le fait que le demandeur a été battu, torturé, brûlé, violé et atteint par des coups de feu au Salvador et qu'on l'a laissé pour mort. Toutefois, la Commission n'a pas tranché la question de savoir si le demandeur pouvait bénéficier de l'exception prévue par le paragraphe 2(3).

[36]      Enfin, on m'a demandé, dans le cas où je déciderais de renvoyer l'affaire pour réexamen, de préciser à la S.S.R. le résultat auquel elle devrait parvenir. Je ne suis pas d'accord. Une question de fait se pose et ne peut être tranchée que par la Commission, soit celle de savoir si le cas de l'appelant fait partie des situations exceptionnelles visées par le paragraphe 2(3).

[37]      La Commission a semblé avoir centré son attention sur la question de savoir si les problèmes dont M. Jiminez souffre actuellement sont des " séquelles de sa persécution antérieure ". La Commission a tenu pour établi que M. Jiminez avait été battu, brûlé, violé, atteint par des coups de feu et laissé pour mort. Toutefois, elle ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si les actes de persécution subis par M. Jiminez étaient assez " épouvantables " et " atroces " pour justifier l'application du paragraphe 2(3). Il est clair qu'elle a ainsi commis une erreur de droit.

[38]      La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

     " P. Rouleau "

                                             juge

OTTAWA (Ontario)

25 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1718-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      WILFREDO JIMINEZ c. LE MINISTRE
                     DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          29 DÉCEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :          25 JANVIER 1999

ONT COMPARU :

Me RENEE M. MILLER                      POUR LE DEMANDEUR
Me BRENDA CARBONELL                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RENEE MILLER LAW CORPORATION              POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (C.-B.)

Me MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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