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Date : 20041101

Dossier : T-527-04

Référence : 2004 CF 1536

ENTRE :

                                                            SHELDON TAYLOR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                M. Taylor (le demandeur), un détenu de l'établissement de Millhaven, a été déclaré coupable par le président indépendant (le PI) de l'infraction prévue à l'alinéa 40i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi), à savoir être en possession d'un « surin » . Le PI a notamment conclu que pour déterminer si M. Taylor était ou non coupable, la question de savoir s'il savait ou aurait dû savoir que le surin se trouvait dans sa cellule n'était pas pertinente.


Contexte

[2]                La cellule de M. Taylor a fait l'objet d'une fouille d'urgence par un agent du Service correctionnel. Pendant la fouille, l'agent a découvert une arme de fabrication artisanale ou surin (une pièce de métal d'une longueur de sept pouces aiguisée à une extrémité) facilement repérable sous le lit de M. Taylor.

[3]                M. Taylor a été accusé d'avoir commis l'infraction prévue à l'alinéa 40i) de la Loi. Les dispositions pertinentes, soit l'alinéa 40i) et l'article 43 sont reproduites ci-dessous :



40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :                                           

i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic;

[...]

43.    (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.

Présence du détenu

         (2) L'audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants:

            a) celui-ci décide de ne pas y assister;

b) la personne chargée de l'audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste;

c) celui-ci en perturbe gravement le déroulement.

Déclaration de culpabilité

        (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

40. An inmate commits a disciplinary offence who

i) is in possession of, or deals in, contraband;

...

43.    (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

Presence of inmate

        (2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless

(a) the inmate is voluntarily absent;

(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate's presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or

(c) the inmate seriously disrupts the hearing.

Decision

        (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.


[4]                Dans le cadre de sa décision, le PI a tiré la conclusion reproduite ci-dessous, laquelle est au coeur du litige :

[traduction] [...] vous savez, bien honnêtement, le seul fait que M. Taylor ait pu avoir cet objet pour une journée, un mois ou même quatre mois n'est pas pertinent. Et dans les circonstances, il en est de même de la question de savoir s'il savait ou aurait dû savoir qu'il se trouvait dans sa cellule.

[5]                Le demandeur invoque l'erreur de droit et soutient que l'infraction reprochée n'a pas été prouvée hors de tout doute raisonnable.

Analyse

Norme de contrôle

[6]                Le défendeur soutient que si l'erreur de droit est assujettie à la norme de la décision correcte, il en est autrement de la déclaration de culpabilité qui met en jeu l'appréciation des faits et l'évaluation de la crédibilité des témoins et à l'égard de laquelle une norme plus stricte s'applique, soit celle de la décision raisonnable simpliciter.


[7]                Dans la mesure où le motif énoncé par le PI est un énoncé de droit, à savoir que la connaissance réelle et la connaissance présumée ne sont pas des facteurs pertinents, sa décision doit être correcte sur ce point. De plus, dans la mesure où l'énoncé est considéré vouloir dire que dans les circonstances de l'espèce, la connaissance réelle et la connaissance présumée n'étaient pas des facteurs à prendre en compte - sans doute parce que M. Taylor aurait été déclaré coupable au regard de l'un ou l'autre des facteurs -, il demeure un énoncé de droit, à savoir que la connaissance présumée ( « aurait dû savoir » ) est un critère juridique applicable en ce qui concerne l'infraction de possession d'un objet interdit.

[8]                La Cour doit faire preuve d'une grande déférence à l'égard d'un tribunal administratif qui se prononce en matière disciplinaire, mais celui-ci doit néanmoins appliquer le bon critère juridique. Voir Forrest c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 713 (C.F. 1re inst.) (QL).

[9]                Il faut aussi garder à l'esprit que la norme de preuve applicable sous le régime de l'article 43 est, comme en droit criminel, celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. Le législateur a reconnu qu'une déclaration de culpabilité à l'égard de ce type d'infraction peut avoir de graves conséquences, dont la perte de privilèges, de salaire et de liberté ainsi qu'une incidence négative sur une éventuelle libération conditionnelle. Par conséquent, toute ambiguïté concernant le fondement de la déclaration de culpabilité doit être interprétée en faveur du détenu.


La notion de connaissance

[10]            Le critère applicable en matière de possession par un détenu d'un objet interdit consiste à déterminer s'il a été démontré hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait où se trouvait l'objet interdit et qu'il en avait la garde et le contrôle. Ce principe a été reconnu dans trois décisions de la Cour : Ryan c. William Head Institution, [1997] A.C.F. no 1290 (C.F. 1re inst.); Lee c. Kent Institution, [1993] A.C.F. no 1136; McLarty c. Canada, [1997] A.C.F. no 808.

[11]            La connaissance réelle est habituellement établie par inférence à partir du contexte factuel étant donné qu'il est rare qu'une admission soit faite à ce sujet. C'est donc par déductions que la connaissance réelle est établie. La connaissance présumée, c'est-à-dire celle qu' une personne est légalement réputée avoir, est un critère juridique et non un moyen de preuve. Ainsi, l'énoncé du PI signifie qu'il existe deux types de connaissance - la connaissance réelle et la connaissance présumée. Il s'agit d'un énoncé erroné du droit et la décision du PI devrait, par conséquent, être annulée sur ce fondement.

Fardeau de la preuve

[12]            Le défendeur prétend que, dans les circonstances, la preuve permettait d'inférer que l'inculpé avait la connaissance voulue. Il fait plus particulièrement référence au fait que M. Taylor était le seul occupant de la cellule, qu'elle avait été fouillée cinq fois par le passé, et qu'à ces occasions on n'avait pas trouvé d'arme, que sa cellule était fouillée au mois une fois par mois, qu'elle était propre et à l'ordre et qu'il avait suffi de regarder sous le lit pour repérer l'arme.

[13]            En toute déférence pour le PI, la Cour ne peut comprendre comment ces faits pris isolément ou dans leur ensemble permettent d'établir hors de tout doute raisonnable que M. Taylor avait sciemment le surin en sa possession. Voir Lee c. Kent, précité.

[14]            Les faits susmentionnés ne sous-tendent pas que la seule inférence possible est que M. Taylor savait qu'il possédait une arme. Il n'a pas été prouvé que M. Taylor était le seul à s'être trouvé dans la cellule mis à part les agents du Service correctionnel du Canada. Le PI n'a jamais examiné la question de savoir si M. Taylor avait l'usage exclusif de sa cellule, s'il était le seul à y avoir accès ou si une autre personne avait pu placer le surin en dessous du lit.

[15]            Il est manifestement déraisonnable de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité sur le fondement des faits susmentionnés ou sur le fondement de l'ensemble des faits de l'instance.

Conclusion

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision du PI annulée.               

            « Michael Phelan »                      

Juge                                

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B

COUR FÉDÉRALE


Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                           T-527-04

INTITULÉ :                                          SHELDON TAYLOR c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DATE DE L'AUDITION :                   KINGSTON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                    5 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :              1er NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Philip K. Casey                                     POUR LE DEMANDEUR

Tatiana Sandler                          POUR LE DÉFENDEUR                                                                                                            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Philip K. Casey

11 Princess Street

bureau 203

Kingston (Ontario)

                                                                                                POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR        

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