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Date : 20011213

Dossier : IMM-6327-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1380

ENTRE :

                                                                       ROSALIE SIBA

                                                                                                                                         Demanderesse

                                                                                  ET

                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                              ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Section du statut » ) selon laquelle la demanderesse, une citoyenne du Congo-Brazzaville, n'est pas une réfugiée au sens de la Convention au motif que son histoire n'était pas crédible et qu'elle n'avait pas démontré une crainte subjective de persécution.


[2]                 Les faits dans la décision du tribunal sont relatés comme suit :

     Les difficultés de la revendicatrice auraient débuté en 1993. En avril, le frère de la revendicatrice et sa famille auraient été tués par un tandem de milices Cobras et de Ninjas car ce dernier, étant membre du parti congolais du travail (PCT), était perçu par les Ninjas comme un ennemi.

     En avril, la milice s'en serait prise à la revendicatrice et à sa famille. Ils auraient fait irruption chez elle, tiré des coups de feu en l'air, et auraient exigé qu'elle leur remette les bijoux et l'argent, pour enfin mettre leur menace de viol à exécution. Terrifiée, la revendicatrice se serait réfugiée chez une voisine, pour enfin se diriger vers Pointe noire pour un calme relatif qu'elle croyait pouvoir y trouver.

     Constatant que certaines tensions ethniques y persistaient, la revendicatrice aurait fortement craint que le combat ne reprenne. C'est alors qu'elle aurait décidé de quitter le Congo pour la Belgique, laissant derrière elle ses deux enfants à sa soeur.

     Plus tard, après avoir terminé son programme d'études en Belgique, la revendicatrice aurait sollicité une inscription au Canada pour couronner ses études. Mais, avant de se rendre au Canada, ayant cru au Forum national pour la réconciliation, l'unité, la démocratie et la reconstruction du Congo qui s'était tenu en janvier 1998 à Brazzaville, ainsi qu'aux nouvelles diffusées par les médias d'une accalmie, elle serait rentrée dans son pays pour rendre visite à ses enfants.

     À son arrivée au Congo, elle voit son passeport saisi et confisqué par les autorités, sous prétexte, lui aurait-on dit, que tous les passeports congolais devaient être changés. La promesse qu'un nouveau passeport lui serait remis plus tard, n'aurait pas été honorée, selon ses dires.

     Le 26 juin 1999, alors qu'elle se rend au poste de police pour savoir ce qu'il advenait des membres de sa famille et dont on avait pillé et saccagé la maison, cette dernière se verra arrêtée, détenue et interrogée sur sa vie, ses relations et ses activités politiques en Europe et surtout, sur ses anciennes activités au sein de la UPADS, à l'époque où elle habitait le Congo.

     Après plusieurs jours de détention, elle sera accusée de complicité et de collaboration avec les anciennes autorités en Belgique en référence à son oncle, ex-premier conseiller et ambassadeur du Congo à Bruxelles, qualifié de « génocidaire » parce qu'il avait servi pendant le régime de Pascal Lissouba.


     Gardée prisonnière pendant trois semaines dans des conditions inhumaines, elle devrait son salut à un gardien qui était le cousin du père de ses enfants. Ce dernier aurait permis que la revendicatrice s'évade du lieu de sa détention le 25 juillet 1999, et du Congo quelques deux mois plus tard.

[3]                 La Section du statut a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et qu'elle n'avait pas démontré une crainte subjective de persécution. Elle concluait également à l'absence de minimum de fondement de la revendication en vertu du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. 1-2 (la « Loi » ).

i)          L'obligation d'agir équitablement - audi alteram partem

[4]                 De façon générale, la Cour n'intervient pas sur une question de crédibilité vu le principe bien établi que la Section du statut, vu son expertise, est le tribunal le mieux placé pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Cependant, ce principe présuppose qu'il y a eu une audience pleine et entière laquelle permettra au tribunal de jauger la crédibilité d'un revendicateur. Une audience pleine et entière signifie que le revendicateur a l'opportunité de présenter sa cause et de faire valoir les motifs sous-jacents à sa revendication.

[5]                 Or, dans le présent dossier, après avoir lu la transcription à maintes reprises, j'en viens à la conclusion que la demanderesse n'a pas eu la possibilité de se faire entendre.

[6]                 À plusieurs reprises au cours de l'audience, le Tribunal a empêché Mme Siba de s'exprimer et de compléter ses réponses. Voici certains exemples frappants. Dans le premier extrait, le tribunal ne laisse pas la demanderesse élaborer sur la lettre qu'elle a reçue.

Q. Mais comment vous avez su qu'il fallait apporter ça ? [...]

R. J'avais reçu une lettre de l'ambassade dans laquelle ...

Q. L'ambassade de quel pays ? De... du Canada ?

(Dossier du Tribunal, p. 281)

[7]                 Même chose dans l'extrait ci-dessous, où la demanderesse ne peut finir de s'expliquer concernant la saisie de son passeport:

Par le Président (s'adressant à la revendicatrice)

[...]

Q. Oui, mais pourquoi ils ont saisi votre passeport en '99 ?

R. Excusez-moi. En ... en '99, je suis partie au moment où le pouvoir en place avait changé parce qu'en '96 c'était le président Pascal Lissouba qui était au pouvoir. Donc, il y avait pas de raison que je n'aille pas au Congo parce que j'avais perdu ma mère.

Par le Commissaire (s'adressant à la revendicatrice)

- Vous n'avez pas saisi ...

Par le Président (s'adressant à la revendicatrice)

Q. Mais...

Par le Commissaire (s'adressant à la revendicatrice)

- ... répondre à la question...

(Dossier du Tribunal, p.285)

[8]                 Peu après, le tribunal interrompt à nouveau la demanderesse:

R. Je voudrais préciser quelque chose. En ‘96, je suis allée au Congo, il y avait les... le décès de ma mère et en ‘93, c'était une confrontation entre les ressortissants... les milices de monsieur Bernard Kolela (phonétique) et les milices de monsieur Pascal Lissouba. Donc c'étaient deux tribus qui... qui s'affrontaient et à ce moment-là j'étais dans la JUPADS. Je sais...


- Mais Madame, vous dites vous-même qu'en ‘99, qu'à toutes fins pratiques il y a plus... il y a plus de gouvernement au Congo.

[...]

Q. C'est tout ? Pour vous, c'est ... on a retiré votre passeport, il y a aucun motif qui était relié ?

R. Jusque là, je...

Q. D'après ma compréhension de ... des explications ...

(Dossier du Tribunal, pp. 286-287).

[9]                 Le Tribunal a même interrompu la demanderesse à la toute fin de l'audience:

Par le Président(s'adressant à la revendicatrice)

Q. Est-ce que vous souhaiteriez rajouter quelque chose, Madame ? Dire quelque chose au tribunal ?

R. La seule chose que je voudrais ajouter, c'est de me croire pour...

Q. Vous en êtes où présentement dans vos études ? Vous êtes à quel niveau ? Est-ce que vous êtes toujours inscrite à Sherbrooke ?

(Dossier du Tribunal, p. 313)

[10]            Bien sûr il est permis et même souhaitable que le tribunal interroge le témoin, puisque l'audience a pour but de permettre au tribunal de découvrir la vérité et de s'assurer que seuls les vrais réfugiés auront gain de cause.


[11]            Cependant, un tel exercice ne doit pas servir à effrayer les revendicateurs lesquels doivent affronter le formalisme d'une audience dont l'issue aura pour eux des conséquences graves puisque essentiellement leur témoignage déterminera en grande partie de leur revendication. Une telle approche ne peut desservir que l'intérêt de la justice. Cette audience ne doit pas se transformer en « chasse aux sorcières » mais doit permettre un échange serein entre le revendicateur et le tribunal dans une atmosphère propice à la recherche de la vérité. Elle doit donner à l'individu l'opportunité d'expliquer sa situation, ne peut être l'objet de constantes interruptions, d'animosité, de remarques désobligeantes.

ii)         La notion de minimum de fondement

[12]            Quant à la conclusion du tribunal sur l'absence de minimum de fondement de la revendication, le défendeur soutient vu l'arrêt Sheikh, [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.) que la preuve documentaire objective sur la situation au Congo-Brazzaville ne saurait à elle seule vu l'absence de crédibilité de la demanderesse suffire pour conclure au minimum de fondement de sa revendication.

[13]            Je ne crois pas qu'il faille donner à l'arrêt Sheikh, supra, une portée aussi vaste. Il faut retenir de l'arrêt Sheikh que lorsque la seule preuve reliant le demandeur au préjudice invoqué émane du témoignage de l'intéressé et que celui-ci est jugé non crédible, la Section du statut peut, après une analyse de la preuve documentaire, conclure à l'absence de minimum de fondement.

[14]            D'ailleurs, dans l'affaire Jules, [1994] A.C.F. no. 835 QL, je concluais qu'une preuve générale sur la situation politique en Haïti laquelle n'était pas reliée à la situation de la revendicatrice ne permettait pas à elle seule de déduire quoi que ce soit à l'égard de la revendication.


[15]            Cependant, lorsqu'il existe au dossier une preuve indépendante et crédible qui se rapporte à la situation de la demanderesse, on ne peut conclure à l'absence de minimum de fondement.

[16]            Récemment, dans l'affaire Foyet c. Canada (M.C.I.) [2000] A.C.F. no. 1591 QL, le juge Denault faisait le point sur la portée qu'il faut donner à l'arrêt Sheikh lequel doit être vu dans le contexte législatif qui existait à l'époque et qui n'est plus le même aujourd'hui.

[17]            Le nouveau paragraphe 69.1(9.1) de la Loi requiert l'analyse de l'ensemble de la preuve tant objective que subjective. Je suis d'accord avec le juge Denault que l'interprétation libérale de Sheikh, précité, ne peut se concilier avec le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi.

[18]            Comme je l'avais déjà mentionné dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (M.C.I.) [1999] A.C.F. no. 694 QL au paragraphe 11 :

[TRADUCTION] À mon avis, la Commission a omis d'examiner toute la preuve soumise. Elle a simplement rejeté la demande de la demanderesse principale parce qu'elle a jugé qu'elle n'était pas crédible. Dans les circonstances de l'espèce, il existait d'autres éléments de preuve susceptibles d'influer sur l'appréciation de la demande. Ces autres éléments de preuve auraient donc dû être appréciés expressément.

[19]            Lorsque la preuve documentaire est pertinente, je suis aussi d'avis, eu égard aux conséquences sérieuses qu'entraîne un prononcé aux termes de l'alinéa 69.1(9.1), que le tribunal est tenu de motiver expressément à la lumière de la preuve objective les raisons qui ont mené à son application.

[20]            Dans le présent dossier, le tribunal n'a pas évalué expressément l'ensemble de la preuve, laquelle comprenait entre autres un rapport médical et psychologique qui corroborait l'histoire de la demanderesse quant aux sévices subis. Il n'a de plus fourni aucun motif expliquant de façon expresse les raisons qui l'ont poussé à conclure à l'absence de minimum de fondement quant à l'application de l'alinéa 69.1(9.1) de la Loi.

[21]            Pour ses motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est retourné pour une nouvelle audition par un tribunal différemment constitué.

                                                                      "Danièle Tremblay-Lamer"          

juge

Montréal (Québec)

le 13 décembre 2001


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE SECTION

Date : 20011213

Dossier : IMM-6327-00

Entre :

ROSALIE SIBA

                                                                            Demanderesse

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                    Défendeur

                                                                                                                              

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                 ET ORDONNANCE

                                                                                                                              


                                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                          NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-6327-00

INTITULÉ :                                                   ROSALIE SIBA

                                                                                                                                                                       Demanderesse

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                               Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                         le 11 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DE L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                                              13 décembre 2001

COMPARUTIONS:

Me Stewart Istvanffy                                                                               POUR LA DEMANDERSSE

Me Sylviane Roy                                                                                       POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)                                                                                   POUR LA DEMANDERSSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

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