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Date : 20010418

Dossier : IMM-4517-99

Référence neutre : 2001 CFPI 346

ENTRE :

                        EVA ORGONA (alias KAROLYNE ORGONA)

et KRISZTINA ORGONA

demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 modifiée, d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 18 août 1999, dans laquelle cette dernière a conclu qu'Eva Orgona et sa fille, Krisztina Orgona, ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.


1. Les faits

[2]                Les demanderesses sont des citoyennes de la Hongrie qui ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention sur la base de leur origine ethnique et de leur appartenance à un groupe social particulier : les Tziganes. Eva Orgona était la représentante désignée de sa fille, et Krisztina Orgona s'est fondée sur l'information contenue dans le Formulaire de renseignements personnels de sa mère.

[3]                La Commission a résumé les faits à la page 1 de la décision :

[TRADUCTION] Eva Orgona (alias Karolyne Orgona) (45 ans) (la revendicatrice principale) et Krisztina Orgona (18 ans), respectivement mère/représentante désignée et sa fille, sont des citoyennes de la Hongrie qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention sur la base de leur origine ethnique et leur appartenance à un groupe social particulier : les Tziganes. Les revendicatrices prétendent que, vu leur appartenance à ce groupe, il y a une forte probabilité qu'elles subissent des mauvais traitements équivalant à de la persécution si elles retournent en Hongrie. Elles allèguent que, pendant toute leur vie, elles ont été harcelées, humiliées et elles ont été la cible de discrimination. Elles soutiennent que, depuis 1996, elles ont commencé à faire l'objet d'une discrimination plus importante et elles ont été intimidées, à plusieurs reprises, attaquées et battues sur la rue par des extrémistes de la droite tels que les skinheads. Une fois, à une station de métro, elles ont été accostées par un groupe de skinheads, intimidées et menacées de se faire violer. Elles ont été pourchassées par le groupe jusqu'à ce qu'elles parviennent à un quai éclairé où il y avait d'autres passagers proches.


Krisztina Orgona se fonde sur l'exposé des faits fourni par sa mère, exposé dans lequel les revendicatrices font référence aux expériences de Krisztina Orgona en matière de discrimination et de mauvais traitements fréquents de aux mains de ses compagnons de classe ainsi que de ses professeurs à l'école. Une fois, pendant qu'elle était à un camp tzigane, cette revendicatrice et d'autres jeunes tziganes ont été attaqués par des skinheads. Un édifice du camp a été incendié, les cheveux de la revendicatrice ont été tirés et une autre personne a été grièvement blessée. La revendicatrice en question serait demeurée en état de choc pendant deux semaines. La revendicatrice soutient que par suite des mauvais traitements fréquents, elle a souffert de stress, d'inflammation des parois de son estomac, d'insomnie, de perte d'appétit et de crises de larmes.

Les revendicatrices prétendent que les mauvais traitements qu'elles ont subis en Hongrie sont uniquement motivés par leur origine ethnique. Elles craignent le courant dominant d'intolérance et de racisme dans la population en générale - dans le cas de Krisztina Orgona, particulièrement les compagnons de classe et les professeurs - et les extrémistes, y compris les skinheads. Les revendicatrices ne semblent pas craindre la police, et elles ne soutiennent pas non plus qu'aucune organisation étatique les cible ou d'autres gens dans une situation semblable à la leur pour leur faire du mal. Les revendicatrices allèguent cependant qu'elles ont tentéd'obtenir la protection de la police, d'organismes tziganes et du cousin de la revendicatrice principale qui dirige un organisme tzigane et qu'elles ont discutéde leurs expériences avec ceux-ci. Les revendicatrices insistent sur le fait que la police ne leur a pas accordésuffisamment d'attention, et que les organismes tziganes et le cousin mentionné précédemment ont dit aux revendicatrices qu'elles ne pouvaient aucunement leur venir en aide et qu'elles devraient porter plainte à la police.

[4]                J'ajoute à cet exposé des faits qu'Eva Orgona prétend qu'elle a souffert à plusieurs reprises de discrimination en matière d'emploi, et qu'on a souvent refusé de lui donner un emploi vu ses origines tziganes. Pour obtenir du travail, elle devait nier son origine ethnique; lorsque ses collègues de travail et ses employeurs découvraient qu'elle était tzigane, elle était alors ridiculisée, physiquement maltraitée, et congédiée. En 1996, son entreprise de produits de boulangerie a été dévalisée, vandalisée, et couverte de slogans antre-tziganes. Par la suite, elle a dû cesser d'exploiter son entreprise étant donné que les clients craignaient de fréquenter une entreprise qui appartenait à une Tzigane.

[5]                Vers la fin de l'année 1996, alors qu'elle écoutait de la musique tzigane à la maison, des voisins d'Eva Orgona ont frappé à la porte, ont crié des propos racistes, et l'ont menacé ainsi que sa fille. Elle a porté plainte à la police, mais cette dernière a refusé d'agir.


[6]                En 1997, le conducteur d'un tramway a demandé à Eva Orgona de payer un passage supplémentaire bien qu'elle ait déjà remis un billet. Après l'avoir poussée et insultée, le conducteur l'a pourchassée dans la rue.

[7]                Les problèmes auxquels les demanderesses étaient confrontées s'étendaient à leurs relations avec les commerçants. Elles ont été soumises à des fouilles humiliantes dans des magasins, et on a refusé de les servir parce qu'elles étaient tziganes. En janvier 1997, un commerçant a tenté de vendre de la viande avariée à Eva Orgona, en déclarant que les tziganes ne méritaient pas de manger. Lorsqu'elle s'est plainte, il l'a agressée, laissant une cicatrice sur son visage qui a été montrée au tribunal lors de l'audience. Elle n'a pas rapporté cette l'agression à la police parce qu'elle pensait que cette dernière ne donnerait pas suite à sa plainte.


[8]                Krisztina Orgona a fait l'objet de mauvais traitements à l'école de la part de ses collègues de classe ainsi que de ses professeurs. En 1997, un professeur a séparé les enfants tziganes, y compris Krisztina Orgona, des autres enfants de la classe, soi-disant pour maintenir une [TRADUCTION] « salle de classe propre » . Après avoir changé d'école, Krisztina Orgona a été physiquement agressée. Elle a par la suite été admise à l'hôpital pour des maladies dues au stress. Pendant le séjour de dix jours à l'hôpital de Krisztina Orgona, un professeur a fait courir une rumeur selon laquelle elle s'était absentée pour se faire avorter. En dernier lieu, les enfants tziganes ont fait l'objet de ségrégation par rapport aux autres étudiants hongrois lors de la cérémonie de graduation à son école secondaire de Krisztina Orgona. Apparemment, chaque école tient un registre qui identifie les étudiants tziganes.

[9]                En 1997, les demanderesses craignaient de quitter leur appartement. Finalement, elle ont quitté la Hongrie et sont venues au Canada où elles ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 27 mars 1998. Le fils d'Eva Orgona, Eric Orgona, s'est vu accordé antérieurement le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada et il demeure à Toronto.

2. Les questions en litige

a.        La Commission a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle lorsque conformément à ce qui est allégué, un commissaire, Najibullah Tahiri, s'est endormi pendant l'audience?

b.        La conduite des commissaires lors de l'audience a-t-elle soulevé une crainte raisonnable de partialité?

c.        La Commission a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle en n'entendant pas le témoignage de vive voix portant sur un document que la Commission a admis en preuve après que l'audience fut terminée?


d.        La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées rendues de façon abusive ou arbitraire sans égard pour les éléments de preuve dont elle disposait; ou la Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant aucunement compte d'éléments de preuve pertinents ou en ne prenant pas en considération des éléments de preuve pertinents?

3. Analyse

a.      La Commission a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle lorsque conformément à ce qui est allégué , un commissaire, Najibullah Tahiri, s'est endormi pendant l'audience?

[10]            Les demanderesses affirment que la Commission a contrevenu aux règles de la justice naturelle lorsqu'un commissaire, M. Tahiri, a paru s'endormir pendant l'audience. À l'appui de cette allégation, les demanderesses font référence à 28 pages de la transcription dans lesquelles M. Tahiri est silencieux.

[11]            Le défendeur prétend qu'il existe suffisamment de preuve dans la transcription de l'instance pour démontrer que M. Tahiri a participé à l'audience. Par ailleurs, s'il paraissait s'être endormi, il appartenait aux demanderesses de formuler une objection.

[12]            Dans Lopez c. M.C.I., [1997] A.C.F. no 979 (1re inst.), le juge Heald a déclaré :

[11] Après avoir lu attentivement la transcription de l'instance devant la Commission, je suis convaincu que la prétention des requérants n'est pas fondée. Il ressort de la transcription que la commissaire en question a fait plusieurs interventions pertinentes et utiles tout au long de l'audience, ce qui contredit la proposition selon laquelle elle dormait pendant l'audience. En outre, je trouve révélateur le fait que l'avocat des requérants n'a pas formulé d'objection en temps utile relativement à cette situation.

[13]            Dans Grbic c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 1538 (1re inst.), le juge McKeown a affirmé :


[5] Pour ce qui est de la première question en litige, M. Tahiri est peu intervenu au cours de l'audience, mais cela n'est pas inhabituel. À l'exception d'un passage de trente pages, la transcription indique qu'il a participé à l'audience. Il n'est pas inhabituel qu'un des membres de la formation se charge de poser la plupart des questions, ce qui ne veut pas dire que l'autre membre de la formation dorme.

[...]

[8] Je note également que le juge Pratte a déclaré dans Caplan c. Canada (D.R.H.), [1997] A.C.F. no 1371 (C.A.) au paragraphe 4 ce qui suit :

La seconde attaque de la requérante mériterait un examen sérieux si la preuve établissait que l'un des membres de la Commission s'était, en fait, endormi au cours de l'audition. Toutefois, la seule preuve à cet égard est l'affidavit de la requérante selon laquelle un membre de la Commission « semblait » , selon elle, endormi. Cela ne suffit pas. Un membre d'un tribunal ou un juge qui est bien éveillé, peut sembler pour certains endormi.

[9] À mon avis, la transcription révèle que le commissaire a effectivement participé à une bonne partie de l'audience. Les commentaires qu'a formulés la demanderesse à l'audience sont manifestement incompatibles avec l'idée qu'un des commissaires se serait endormi. J'estime que la Commission n'a commis aucune erreur sur ce point.

[14]            Bien que M. Tahiri n'ait pas participé aussi souvent que M. Popatia pendant l'audience, la transcription démontre qu'il est intervenu fréquemment en posant des questions et en formulant des commentaires, quoique pas pendant la partie de l'audience à laquelle les demanderesses font référence. La transcription de l'instance ne renferme pas de preuve qui démontre qu'il s'est endormi pendant le témoignage, et le seul élément de preuve quant à cette question provient des affidavits des demanderesses qui indiquent qu'un commissaire [TRADUCTION] « paraissait » endormi. Cette preuve est insuffisante pour déterminer si M. Tahiri dormait effectivement à un moment quelconque durant l'audience au cours de laquelle il a participé en posant des questions et en formulant des commentaires.


b.      La conduite des commissaires lors de l'audience a-t-elle soulevéune crainte raisonnable de partialité?

[15]            Les demanderesses allèguent que le président de l'audience, M. Popatia, a fait preuve de partialité lors de l'audience. Elles affirment avec insistance qu'il était agressif envers Krisztina Orgona durant son témoignage. Elles soutiennent également qu'il lui a pas permis de boire de l'eau pendant qu'elle témoignait. Finalement, elles affirment que les commissaires se sont regardés et se sont tous deux souris d'une manière sarcastique lorsqu'Eva Orgona a pleuré pendant son témoignage.

[16]            Les demanderesses allèguent que la conduite des commissaires soulève une crainte raisonnable de partialité. Elles plaident que le critère de l'arrêt Committee for Justice & Liberty c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, a été satisfait : une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à la conclusion que la conduite des commissaires soulève une crainte raisonnable de partialité.

[17]            Le défendeur prétend que les accusations des demanderesses selon lesquelles les commissaires auraient fait preuve d'agressivité et auraient été sarcastiques ne sont pas étayées par la preuve au dossier.   


[18]            Les demanderesses ont porté deux extraits de la transcription à l'attention de la Cour. Je les ai examinés et la transcription de l'audience ne me convainc pas que l'on puisse dire du président de l'audience, ou de l'ensemble des commissaires, qu'ils ont fait preuve de partialité, ou qu'une personne raisonnable assistant à l'audience estimerait qu'il a ou qu'ils ont suscité une crainte raisonnable de partialité.

[19]            Le premier extrait démontre qu'à une occasion le président de l'audience a rassuré Eva Orgona lorsqu'elle a indiqué qu'elle était nerveuse. L'extrait dénote également que pendant qu'il tentait de clarifier le témoignage, il a aussi fourni des précisions à la demanderesse quant à l'aspect de la preuve qui était important. À mon avis, cet extrait ne démontre pas que la conduite de M. Popatia a soulevé une crainte raisonnable de partialité.

[20]            Le deuxième extrait en cause pour les demanderesses porte sur une partie de l'interrogatoire de Krisztina Orgona mené par le président de l'audience. À mon avis, ce passage ne susciterait pas une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'un observateur raisonnable. M. Popatia a tenté de préciser les détails de la demande de Krisztina Orgona. Selon moi, la preuve au dossier ne saurait servir de fondement pour déterminer que l'ensemble des commissaires étaient agressifs, ou qu'ils ont agi d'une manière inappropriée envers les demanderesses, ou que leurs interventions donneraient lieu à une crainte raisonnable de partialité. Je constate que la question n'a pas été soulevée dans l'un ou l'autre des cas lors d'une partie de l'audience qui a trait aux demanderesses.


c.        La Commission a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle en n'entendant pas le témoignage de vive voix portant sur un document que la Commission a admis en preuve après que l'audience fut terminée?

[21]            La Commission a informé l'avocat des demanderesses, par voie de lettre datée du 17 mars 1999, approximativement cinq mois après la fin de l'audience, qu'elle avait reçu des renseignements récents sur la situation des Tziganes en Hongrie. La Commission a divulgué les renseignements et a demandé que les avocats présentent des prétentions écrites au plus tard le 6 avril 1999. Les demanderesses allèguent que la Commission a contrevenu aux règles de justice naturelle en ne leur permettant pas de réagir oralement à cette preuve. Le défendeur affirme qu'il n'y a pas eu contravention aux règles de justice naturelle étant donné que les demanderesses ont eu l'occasion de présenter des prétentions écrites, mais elles ont choisi de ne pas le faire.   


[22]            Dans l'arrêt Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a à nouveau traité de la nature variable du concept de l'équité procédurale. La décision de Madame le juge L'Heureux-Dubé, qui s'exprimait au nom de la Cour, indique que l'examen de toutes les circonstances dans lesquelles se trouvent la personne dont les intérêts sont profondément touchés pour déterminer si elle a eu une possibilité valable de faire valoir sa cause de façon complète et équitable ne reposait pas sur le fait de savoir si une audience avait été tenue. (Voir Baker, précité, à la page 837). Je ne suis pas convaincu qu'il était essentiel de tenir une audience pour que la demanderesse ait une occasion raisonnable de donner suite aux renseignements que la Commission a reçus après l'audience et ensuite divulgués à la demanderesse, qui s'est vue accorder trois semaines pour répondre par écrit. Je constate que des conclusions semblables ont été tirées, certes dans des circonstances différentes, par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité, et par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Yassine c. M.E.I. (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F. ), et dans l'arrêt Suresh c. M.C.I., [2000] 2 C.F. 592 (C.A.).

d.      La Commission a-t-elle fondésa décision sur des conclusions de fait erronées rendues de façon abusive ou arbitraire sans égard pour les éléments de preuve dont elle disposait; ou la Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant aucunement compte d'élé ments de preuve pertinents ou en ne prenant pas en considération des éléments de preuve pertinents?

[23]            Le défendeur soutient que les longs motifs fournis par le tribunal témoignent d'une bonne compréhension des éléments de preuve pertinents quant à la crainte des demanderesses d'être persécutées en Hongrie. Le défendeur cite l'arrêt Hassan c. M.E.I. (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.) pour la prémisse selon laquelle le fait que la Commission n'a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n'entache pas sa décision de nullité. Qui plus est, le défendeur prétend que la Commission était en droit d'apprécier la preuve de la manière dont elle l'a fait. Dans l'arrêt Brar c. M.E.I., [1986] A.C.F. no 346 (C.A.), le juge Thurlow a conclu que l'appréciation de la preuve relève de la compétence de la Section du statut de réfugié en tant que juge des faits relativement aux revendications du statut de réfugié au sens de la Convention :


Nous estimons que la plaidoirie de l'avocat du requérant ne soulève que des questions ayant trait à la crédibilité et au poids des éléments de preuve et ne fournit aucun fondement légal permettant à cette cour de modifier la décision de la Commission d'appel de l'immigration.

[24]            Les demanderesses allèguent que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de renseignements pertinents ou en rendant une décision sans tenir compte de l'ensemble de la preuve. De plus, les demanderesses soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit étant donné que ses conclusions étaient arbitraires, et manifestement déraisonnables. Il s'agit de la norme de contrôle appropriée en ce qui a trait aux conclusions de fait de la Commission, selon l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, tel que modifiée.

[25]            La Commission a dressé la liste suivante de ses conclusions de fait à la page 9 de la décision :

[TRADUCTION]

En tenant compte de la preuve dont je dispose ainsi que de mes observations relatives à l'aspect physique des revendicatrices, je tire les conclusions de fait suivantes :

1.            Les revendicatrices sont tziganes;

2.             Les revendicatrices ne sont pas aussi facilement identifiables du point de vue ethnique qu'elles allèguent l'être en Hongrie;

3.             Même si les revendicatrices étaient aussi facilement identifiables qu'elles le prétendent, ce avec quoi je ne suis pas d'accord, elles se sont intégrées à un point tel qu'on ne peut dire d'elles qu'elles ne disposent d'aucun moyen raisonnable pour obtenir des renseignements et la protection de l'état ou une autre protection;


4.             Dans la mesure où elles sont identifiables à titre de non-hongroises, leur crainte d'être humiliées, de faire l'objet de harcèlement, de discrimination et d'être marginalisées dans certains aspects de leurs vies - emploi, éducation, loisirs en public - est bien fondée mais il ne s'agit pas d'une crainte de préjudice que je considère être de la persécution ou y équivaloir selon la preuve en l'espèce;

5.             Même si l'on peut dire que le préjudice constitue de la persécution, ce avec quoi je ne suis pas d'accord, il existe des éléments de preuve crédibles selon lesquels le gouvernement central et les institutions de la Hongrie, et les nombreuses ONG qui y oeuvrent, reconnaissent le besoin d'aborder les plus graves des problèmes que vivent les Tziganes, tentent d'aborder ces problèmes et de mettre à exécution ou à l'essai des initiatives conçues pour résoudre ou réduire l'incidence des problèmes : c'est-à -dire, les revendicatrices n'ont pas réfuté la présomption selon laquelle l'État démocratique dont elles sont citoyennes, qui a le contrôle de son territoire et qui dispose d'organismes de protection, est capable de protéger ses citoyens;

6.             Les revendicatrices n'ont donc pas fourni de preuve claire et convaincante portant que la Hongrie est incapable ou refuse de les protéger.

[26]            Si l'on prend pour acquis que les demanderesses sont Tziganes, le fait qu'elles soient aussi facilement identifiables en tant que Tziganes à l'intérieur de la Hongrie qu'elles le prétendent est peu important. Ce qui est important, c'est que la Commission a conclu que leur crainte d'être humiliées, de faire l'objet de harcèlement, de discrimination et d'être marginalisées dans certains aspects de leurs vies est bien fondée, mais qu'elle ne constitue pas une crainte de préjudice qui équivaut à de la persécution. De plus, la Commission a conclu que même si cela pouvait être considéré de la persécution, les demanderesses n'avaient pas su démontrer que l'État était incapable de protéger ses citoyens. J'estime que ces deux conclusions nécessitent un examen sérieux.

[27]            La Commission a conclu que les demanderesses n'étaient pas victimes de persécution en s'exprimant ainsi, à la page 12 de la décision :


[TRADUCTION] [...] Je conclus, tout compte fait, que les revendicatrices n'ont pas su démontrer qu'il existait une forte probabilité qu'elles seraient persécutées en Hongrie pour un motif visé par la Convention. Il n'y a pas de preuve qui indique que le gouvernement de la Hongrie reconnaît qu'il est incapable ou refuse de protéger les Tziganes. Il incombe alors aux revendicatrices de fournir une confirmation claire et convaincante selon laquelle l'État est incapable ou refuse de les protéger contre le préjudice dont elles seraient l'objet. Les revendicatrices ne l'ont pas fait [...]

[28]            La Commission n'a pas souscrit à la crainte subjective de la demanderesse principalement en raison des conclusions défavorables quant à la crédibilité. De plus, elle n'a pas cru que Krisztina Orgona a souffert de problèmes médicaux causés par le stress. En bout de ligne, la Commission a conclu que sa maladie n'était pas due au stress, mais qu'elle était causée par des allergies. En l'absence de preuve médicale, il était manifestement déraisonnable que la Commission tire cette conclusion d'ordre médical.


[29]            La Commission est d'avis qu'il existe de la discrimination en matière d'emploi à l'endroit des Tziganes en Hongrie mais, selon la Commission, cette discrimination est tempérée en raison du fait que les Tziganes ont la possibilité de prendre part à des marchés illégaux et de toucher de l'aide sociale. Il semble étrange de conclure que les Tziganes ne peuvent obtenir un emploi en Hongrie à cause de leur ethnie et que malgré tout, cette discrimination ne constitue pas de la persécution et qu'elle est acceptable étant donné qu'il existe des moyens illégaux pour arrondir un revenu. L'argument circulaire de la Commission est d'autant plus curieux que son analyse relative aux Tziganes ne s'applique pas aux Orgonas parce qu'ils sont plus instruits que d'autres Tziganes, et qu'ils sont plus susceptibles de se trouver un emploi, en ignorant à cette fin que la Commission a convenu que les demanderesses, en raison de leur origine ethnique tzigane, feront l'objet de discrimination en matière d'emploi. Cette conclusion est manifestement déraisonnable.

[30]            La Commission disposait d'une preuve documentaire importante, à laquelle elle n'a pas fait référence, qui faisait état des mauvais traitements généralement réservés aux Tziganes en Hongrie. Le document du Département d'État américain intitulé : Hungary Report on Human Rights Practices for 1997, qui avait été déposé devant la Commission, évalue les difficultés auxquelles les Tziganes sont confrontés en Hongrie en ce qui a trait aux études, au logement, aux perspectives d'emploi, et montre des exemples de cas de discrimination à l'endroit des Tziganes par les pouvoirs publics, y compris les gouvernements locaux et la police. Les relations tendues entre les autorités policières et les Tziganes sont également abordées en détail dans un document de fond intitulé : Roma in Hungary: View of Several Experts, dont la Commission disposait.


[31]            En examinant si les mauvais traitements réservés aux Tziganes, et aux demanderesses, pouvaient être considérés comme étant de la persécution, la Commission a conclu que la plupart des éléments de preuve des demanderesses étaient peu crédibles compte tenu de certains éléments de preuve documentaire. Mais elle n'a fait aucunement référence à l'importante preuve documentaire qui étayait les revendications des demanderesses. Ce faisant, elle paraît ne pas avoir tenu compte d'éléments de preuve pertinents. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de faire référence à toute la preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu'elle ne fait pas mention de certains éléments de preuve corroborant la thèse des demanderesses, et lorsque qu'elle se fie de façon sélective à d'autres éléments de la preuve documentaire, la Commission commet, à mon avis, une erreur de droit en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents.

[32]            La Commission voit d'un bon oeil les tentatives du gouvernement hongrois d'aborder la question de la persécution à l'endroit des Tziganes. Cette discussion commence de façon suivante, à la page 15 de la décision :

[TRADUCTION] Les efforts consentis par l'État : fondements objectifs

La plupart des sources constatent que les Tziganes sont marginalisés et font l'objet de discrimination en Hongrie. Ils constituent historiquement ainsi qu'actuellement un groupe vulnérable à certains égards.

[...]

La voie du changement est manifestement lente : j'estime qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à progresser beaucoup plus rapidement étant donné que la tâche à laquelle l'État est confronté est gigantesque. Il est difficile de modifier des sentiments profondément enracinés. ­Mais à mon avis, l'État démontre de diverses façons qu'il est résolu à tenter d'aborder les préoccupations de la population tzigane. J'ai à l'esprit les décisions antérieures de la présente Section dans lesquelles il a été décidé que malgré les efforts du gouvernement Hongrois, la Hongrie n'a pas été en mesure d'assurer convenablement le respect des droits de la personne en ce qui a trait à sa minoritétzigane.

[...]

[...] il existe de nouveaux renseignements qui indiquent, bien qu'ils confirment clairement qu'il existe toujours de la discrimination dans plusieurs aspects de la vie tzigane, selon moi, (1) les efforts soutenus du gouvernement et du secteur privé ­pour aborder les questions qui touchent les Tziganes et également (2) les types de profils tziganes qui sont les plus désavantagés - qui sont plus susceptibles de continuer à s'exposer à un préjudice grave et le moins susceptible de pouvoir profiter de la protection disponible.

Les revendicatrices en l'espèce n'ont pas établi, à mon avis, qu'elles sont visées par le profil mentionné précédemment.

[...]


[33]            La Commission affirme également, à la page 14 de la décision :

[TRADUCTION] Compte tenu de tout ce qui précède, les revendicatrices n'ont pas réussi à démontrer que la police était incapable ou qu'elle avait refusé de leur fournir de la protection et de l'aide. Bien qu'il soit difficile pour cette revendicatrice de 45 ans de gagner sa vie, je conclus qu'elle n'est pas incapable de travailler et de gagner sa vie en Hongrie. Et, d'ailleurs, si elle en état incapable - ce que je ne crois pas être le cas - elle pourrait alors recourir à des organismes tel l'ombudsman et NEKI. Àmon avis, toute recherche raisonnable en Hongrie, relativement à des pratiques discriminatoires à leur endroit, aurait fort probablement révélé des renseignements sur ces organismes importants (précités).

[34]            Plusieurs documents, y compris le Hungary Report on Human Rights Practices for 1997, rapporte que le gouvernement de la Hongrie ne respecte pas toujours les droits de la personne et les libertés civiles des Tziganes. D'autres documents qui ont été déposés devant la Commission, y compris un document de fond intitulé The Roma in Hungary ainsi qu'un document de la direction de la recherche portant le numéro HUN30156.EX, font état d'un grand nombre de problèmes qui existent relativement à la création d'un gouvernement minoritaire en Hongrie. Un gouvernement minoritaire est un moyen de fournir l'autonomie gouvernementale aux Tziganes. La Commission s'est servie de la mise en place d'un gouvernement minoritaire en Hongrie pour justifier son point de vue selon lequel les Tziganes ne devraient plus craindre dorénavant d'être persécutés en Hongrie. Finalement, selon la pièce R-3, une demande de renseignements de la direction de la recherche de la CISR portant le numéro HUN3008.1EX, les préjugés anti-tziganes sont toujours répandus en Hongrie.


[35]            La preuve documentaire déposée devant la Commission démontre qu'à cette époque, les Tziganes en Hongrie continuaient de faire l'objet de discrimination de la part du gouvernement ainsi que de la société. Il se peut bien que des changements soient en train de se produire, comme le constate la Commission, cependant, son optimisme n'est pas le reflet de la majeure partie de la preuve documentaire dont elle disposait. À mon avis, ses conclusions quant aux demanderesses et à d'éventuels traitements discriminatoires en Hongrie relevaient de la conjecture, et par conséquent, elles constituaient une erreur de droit.

4. Conclusion

[36]            Pour les motifs mentionnés précédemment, la décision de la SSR faisant l'objet de la contestation est annulée et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par les demanderesses est renvoyée afin d'être réexaminée par un tribunal de la SSR différemment constitué.

[37]            L'avocat des demanderesses a soumis pour qu'elle soit certifiée, conformément au paragraphe 83(1), la question de savoir si de nombreux incidents comportant des agressions violentes peuvent constituer une preuve uniquement en matière de discrimination sans tenir compte de leur signification à titre de preuve de persécution. L'avocat du défendeur n'a pas appuyé la certification au motif que la question avait trait aux faits de l'espèce et n'était pas de portée générale.


[38]            Je conclus qu'aucune question ne sera certifiée afin d'être soumise à un examen par la Cour d'appel. La Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

                                                                                                          (signé) W. Andrew MacKay

                                                                                                                                   J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 18 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


Date : 20010418

Dossier : IMM-4517-99

OTTAWA (Ontario), le 18 avril 2001.

EN PRÉSENCE DE :    Monsieur le juge MacKay

ENTRE :

EVA ORGONA (alias KAROLYNE ORGONA)

et KRISZTINA ORGONA

demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

VU la demande présentée par les demanderesses en vue d'obtenir un contrôle judiciaire et une ordonnance annulant la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 18 août 1999, qui déterminait que les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention;


VU l'audition des avocats des parties à Toronto le 22 août 2000, date à laquelle la décision a été prise en délibéré, et vu l'examen des prétentions qui ont alors été présentées;

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE QUE :

39.               La demande soit accueillie.

40.               La décision de la Commission datée du 18 août 1999 soit annulée.

41.               Les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention des                  demanderesses soit renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut                    de réfugié afin d'être réexaminées par un tribunal différemment constitué.

(signé) W. Andrew MacKay

_______________________________

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-4517-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                ORGONA ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 22 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :         le juge MacKay

EN DATE DU :                                     18 avril 2001

ONT COMPARU :

Rocco Galati                                                                 POUR LES DEMANDERESSES

Godwin Friday                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati

Galati, Rodrigues and Associates                                   POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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