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                                                                                                                                 Date : 20020709

                                                                                                                    Dossier : IMM-3758-01

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                 AHMAD FANI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire présentée en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C (1985), ch. F-7, de la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section d'appel) le 4 juillet 2001 par laquelle l'appel interjeté par le demandeur a été rejeté;

ET VU les documents déposés et les représentations faites par les deux parties;


                                                                                                                                                Page : 2

ET pour les motifs de l'ordonnance émise aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES QUE :

La demande soit acceptée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour une audience sur la question suivante : « Le demandeur appartient-t-il à la catégorie visée à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration? » . Aucune question n'est certifiée.

      « Michael A. Kelen »                                                                                                           _________________________

      JUGE

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 20020709

                                                                                                                    Dossier : IMM-3758-01

                                                                                                   Référence neutre : 2002 CFPI 754

ENTRE :

                                                                 AHMAD FANI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN:

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section d'appel) (la SAI) le 4 juillet 2001 par laquelle la SAI a rejeté sans audience l'appel interjeté par Ahmad Fani quant à sa crédibilité et à la fiabilité de son témoignage visant à démontrer qu'il n'était pas un terroriste.


CONTEXTE

Les faits

[2]         Le demandeur est né le 6 août 1964 et est citoyen iranien. Après avoir vécu au Koweït pendant un certain temps, il a eu affaire avec Majahedin-e-Khalq (MEK), un groupe terroriste iranien notoire appuyé par l'Iraq. En 1987, MEK l'a envoyé vivre pendant cinq ans dans un camp du MEK situé en Iraq, censément pour y travailler comme chauffeur et comme interprète. Il a participé, censément comme chauffeur, à au moins une opération militaire, en 1990, une campagne militaire ratée contre l'Iran. En 1993, il a décidé de [traduction] « quitter les moudjahidines » et le MEK l'a envoyé en Turquie, et de là, il est venu au Canada en1994, puis il a revendiqué le statut de réfugié en raison de son appui au MEK.

La conclusion selon laquelle le demandeur est un terroriste

[3]         Le 18 juin 1996, la SSR a décidé que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Le 17 mai 1999, le demandeur a été interrogé par l'agent d'immigration Benson, au sujet de son implication dans le MEK. Le 21 février 2000, le ministre de l'Immigration a émis une opinion conformément à l'alinéa 19(1)f) de la Loi selon laquelle l'admission du demandeur au Canada serait préjudiciable à l'intérêt national. Ultérieurement, l'arbitre Gratton a conclu que le demandeur appartenait à la catégorie visée par la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi (c.-à-d., les terroristes) et il a émis une mesure d'expulsion contre le demandeur le 21 juin 2000.


[4]         Le même jour, le demandeur a interjeté appel à la SAI de la décision de l'arbitre et de la mesure d'expulsion.

La procédure d'appel à la SAI

[5]         Le demandeur a déposé auprès de la SAI un avis d'une question constitutionnelle selon lequel la mesure d'expulsion émise par l'arbitre contrevenait aux droits que lui garantissent l'article 7 et l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[6]         Le 15 janvier 2001, la SAI a dédoublé le processus d'audience parce que le demandeur avait déposé un « avis d'une question constitutionnelle » qui serait d'abord considéré comme étant le fondement des arguments sur un point de droit, ce qui pourrait se faire de façon efficace par des observations écrites.

[7]         La SAI a établi comme suit le calendrier de l'audition de l'appel :

i.          la contestation constitutionnelle sera traitée par observations écrites;

ii.          après que la SAI se sera prononcée sur toutes les questions constitutionnelles, et selon la nature de la décision, la section d'appel fixera une date pour la tenue d'une audience [traduction] « après avis aux parties de traiter de la partie equity de l'appel » .


[8]         Le demandeur a soutenu devant la SAI que le fait d'être considéré par l'arbitre comme appartenant à la catégorie visée à la division 19(1)f)(iii)(B) contrevenait au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que lui garantit l'article 7 de la Charte et que la décision contrevenait en outre à la liberté d'association que lui garantit l'alinéa 2d).

[9]         La SAI a décidé que la division 19(1)f)(iii)(B) ne contrevient pas à la Charte et a confirmé la décision de l'arbitre selon laquelle le demandeur était visé par cette disposition.

LE DROIT

[10]       Les articles pertinents de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sont ainsi libellés :



Cas des réfugiés

   4. (2.1) Sous réserve des autres lois fédérales, la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu en vertu de la présente loi ou dans le cadre des règlements et qui se trouve légalement au Canada a le droit d'y demeurer, sauf si elle tombe sous le coup des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou a été déclarée coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

a) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée;

b) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

[...]

Personnes non admissibles

   

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[...]           f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

[...]

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:

[...]

(B) soit à des actes de terrorisme,

[...]

Attestation

       40.1 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, s'ils sont d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu'une personne qui n'est ni citoyen canadien ni résident permanent appartiendrait à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii), signer et remettre une attestation à cet effet à un agent d'immigration, un agent principal ou un arbitre.

[...]

Renvoi de réfugiés au sens de la Convention

     53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :

[...]

b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;            

Right of Convention refugees

     4. (2.1) Subject to any other Act of Parliament, a person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee has, while lawfully in Canada, a right to remain in Canada except where it is established that the person is a person described in paragraph 19(1)(c.1), (c.2), (d), (e), (f), (g), (j), (k) or (l) or a person who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of

(a) more than six months has been imposed; or

(b) five years or more may be imposed.

[...]

Inadmissible Classes

Inadmissible persons

        19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

[...]

(f) persons who there are reasonable grounds to believe:

[...]

(iii) are or were members of an organization                 that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

[...]

(B) terrorism,

[...]

Certificate

     40.1 (1) Notwithstanding anything in this Act, where the Minister and the Solicitor General of Canada are of the opinion, based on security or criminal intelligence reports received and considered by them, that a person, other than a Canadian citizen or permanent resident, is a person described in subparagraph 19(1)(c.1)(ii), paragraph 19(1)(c.2), (d), (e), (f), (g), (j), (k) or (l) or subparagraph 19(2)(a.1)(ii), they may sign and file a certificate to that effect with an immigration officer, a senior immigration officer or an adjudicator.

[...]

Prohibited removal

    53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless

[...]

(b) the person is a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(e), (f), (g), (j), (k) or (l) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger;


ANALYSE

La décision rendue par la SAI

[11]       À l'audience, le demandeur n'a pas contesté la décision rendue par la SAI quant aux questions constitutionnelles. La SAI a décidé que l'arbitre est parvenu à une décision raisonnable lorsqu'il a conclu que le demandeur appartient à la catégorie visée à la division 19(1)f)(iii)(B). La SAI a déclaré ce qui suit :

L'appelant a implicitement reconnu dans ses arguments écrits qu'il est visé à la division 19(1) f)(iii)(B). Son appel contre la décision de l'arbitre Gratton était fondé sur la constitutionnalité de cette division. L'appelant a également reconnu lors de l'enquête que les déclarations qu'il a faites à Mme Benson, un agent d'immigration, étaient vraies. À la lumière de l'exposé des faits dans son FRP ainsi que des déclarations faites lors de son entrevue avec Mme Benson, il existe des motifs raisonnables de croire que l'appelant était un membre des MEK. Sa déclaration selon laquelle il n'était pas vraiment un membre parce qu'il ne se conformait pas entièrement aux ordres et instructions n'est ni crédible, ni pertinente, étant donné que le sous-alinéa 19(1)f)(iii) met l'accent sur l'appartenance à une organisation comme celle décrite dans la présente affaire, contrairement à l'appartenance active. Les parties ne contestent pas qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les MEK constituent, ou ont constitué, une organisation qui se livre, ou s'est livrée, à des actes de terrorisme. L'appelant est, par conséquent, visé à la division 19(1)f)(iii)(B) et la mesure de renvoi est valide en droit.

Aucune audience sur une question mixte de droit et de fait, notamment sur la question de savoir si le demandeur était un terroriste.

[12]       La SAI a statué dans sa décision sur la question mixte de droit et de fait, à savoir si le demandeur appartient à la catégorie visée à la division 19(1)f)(iii)(B), sans accorder d'audience sur la question au demandeur. À la page 7 de sa décision, la SAI a conclu ce qui suit :


Sa déclaration selon laquelle il n'était pas vraiment un membre (de l'organisation terroriste appelée MEK) parce qu'il n'obéissait pas entièrement aux ordres et instructions n'est ni crédible, ni pertinente, étant donné que le sous-alinéa 19(1)f)(iii) met l'accent sur l'appartenance à une organisation comme celle décrite dans la présente affaire, contrairement à l'appartenance active.

[13]       Après que les parties eurent déposé leurs observations écrites sur les questions constitutionnelles, la SAI a rendu sa décision non seulement sur les questions constitutionnelles, mais aussi sur la question mixte de droit et de fait à savoir si le demandeur était « membre » d'une organisation terroriste.

[14]       Le paragraphe 69.4(3) de la Loi sur l'immigration habilite la SAI à obtenir tous les éléments de preuve nécessaires pour trancher une l'affaire dont elle est saisie et pour interroger sous serment. La SAI n'a pas tenu l'audience qu'elle s'était expressément engagée de tenir après avoir tranché les questions constitutionnelles. De plus, la SAI a conclu que le demandeur n'était pas crédible sans lui donner l'occasion de témoigner de vive voix ou de présenter des observations sur la question.

L'arrêt Mobil Oil


[15]       Le défendeur prétend qu'il est inévitable de conclure que le demandeur est un membre du MEK, de telle sorte que, selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada -Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers [1994] 1 R.C.S. 202, une violation de la justice naturelle ne donnerait pas droit au demandeur de recevoir les réparations demandées, au motif qu'il serait absurde de contraindre la SAI à réexaminer la question mixte de droit et de fait lorsque le résultat est inévitable. Compte tenu des aveux du demandeur qui apparaissent au dossier, le défendeur prétend qu'il y a [traduction] « des motifs raisonnables de croire que celui-ci est membre d'une organisation terroriste » .

[16]       À mon avis, le résultat sur la question mixte de droit et de fait, cruciale dans la présente affaire, n'est pas inévitable. Il se peut que la SAI estime qu'il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur n'était pas un « membre » du MEK. Il y a des faits qui militent en faveur des deux thèses. Le demandeur a droit à une audience devant la SAI sur cette question mixte de droit et de fait très importante. De plus, la SAI ne peut pas tirer une conclusion quant à la crédibilité du demandeur sans lui donner l'occasion d'être entendu.

[17]       Je suis d'avis d'adopter le raisonnement du juge Nadon (plus tard juge à la Cour fédérale du Canada, Section d'appel) dans l'arrêtKabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 A.C.F. no 1731 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 31 :

Même si j'ai des doutes sérieux quant au fond de la requête en révision présentée par le demandeur, je ne peux conclure qu'il n'a aucun espoir de réussite. Par conséquent, j'accueille la présente demande de contrôle judiciaire. [...]


De même, en l'espèce, je ne peux conclure que le demandeur « n'a aucune chance de réussite » . Pour cette raison, il faut faire une distinction d'avec l'arrêt Mobil Oil, car dans cet arrêt le résultat était inévitable de telle sorte qu'il aurait été absurde de tenir une nouvelle audience afin de corriger la violation de la justice naturelle. De plus, il n'y avait aucune question de crédibilité dans l'arrêt Mobil Oil.

Question certifiée

[18]       Les deux avocats on demandé comme suit que la Cour certifie une question en vue d'un appel :

[traduction] Si le résultat est inévitable, l'arrêt Mobil Oil s'applique-t-il lorsque l'on omet d'accorder quelque audience sur une question mixte de droit et de fait très importante?

[19]       L'avocat du défendeur a formulé la question d'une autre manière, à savoir :

[traduction] Le fait que l'on ait omis de tenir une audience justifie-t-il d'annuler la décision lorsque la conclusion de la SAI s'appuyant sur une allégation d'inadmissibilité est telle que la SAI arriverait inévitablement à la même conclusion ?

[20]       Compte tenu de ma conclusion que le résultat d'une audience sur la question mixte de droit et de fait n'est pas inévitable, c'est-à-dire que la situation du demandeur n'est pas sans espoir relativement à une telle audience, ni l'une ni l'autre des formulations de la question ne permettrait de trancher l'appel et aucune question n'est certifiée.


CONCLUSION

[21]       Pour ces motifs, j'accueille l'appel et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué de la SAI pour qu'il examine en appel la question « le demandeur appartient-il à la catégorie visé à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration ? » .

      « Michael A. Kelen »                                                                                                           _________________________

          JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DOSSIER :                                         IMM-3758-01

INTITULÉ :                                        AHMAD FANI

            demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

            défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE MARDI 25 JUIN 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE MARDI 9 JUILLET 2002                          

COMPARUTIONS:             Barbara Jackman                       POUR LE DEMANDEUR

Diane Dagenais              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:     

Jackman, Waldman & Associates

Avocats

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M5H 1L3                                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                        POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20020709

            Dossier : IMM-3758-01

ENTRE :

AHMAD FANI       

            demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

            défendeur

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                 

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