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Date : 19990315


Dossier : T-103-97

OTTAWA (Ontario), le 15 mars 1999.

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

     SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT DU CAP-BRETON,

     demanderesse,

     - et -

     DAVID HYNES,

     défendeur,

     - et -

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     SUITE à la demande de contrôle judiciaire et de délivrance d'une ordonnance d'annulation de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, transmise à la demanderesse le 23 décembre 1996, de donner suite à la plainte du défendeur, David Hynes, en application de l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nonobstant le fait que sa plainte a été déposée à la Commission plus d'un an après que l'acte sur lequel elle est fondée s'est produit;


     SUITE aux plaidoiries des avocats de la demanderesse et de l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, présentées à Halifax le 7 juillet 1998, et après due considération des observations écrites présentées au nom du défendeur David Hynes en date du 18 juin 1997, ainsi que des considérations écrites reçues après l'audience au nom de la demanderesse et de l'intervenante;

     O R D O N N A N C E

     La demande est rejetée. Chaque partie absorbera le coût de ses dépens.

                                     (W. Andrew MacKay)

                                     ___________________

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19990315


Dossier : T-103-97

ENTRE :

     SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT DU CAP-BRETON,

     demanderesse,

     - et -

     DAVID HYNES,

     défendeur,

     - et -

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKay

[1]      En l'instance, la Société de développement du Cap-Breton demande le contrôle judiciaire d'une décision de l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, en date du 19 décembre 1996, par laquelle cette dernière déclarait son intention d'examiner la plainte du défendeur, David Hynes, en vertu du paragraphe 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, tel que modifié1 (la Loi), nonobstant le fait que la plainte avait été déposée plus d'un an après les faits lui donnant naissance.

[2]      La plainte du défendeur portait que son renvoi par la demanderesse le 21 juin 1991 constituait de la discrimination fondée sur une déficience. Le renvoi avait été prononcé par la demanderesse en vertu de son code de discipline, suite au quatrième incident où le défendeur avait quitté son travail avant l'heure prévue sans autorisation. Suite aux trois incidents précédents, M. Hynes avait été prévenu qu'il pourrait être renvoyé si la situation se reproduisait.

[3]      La demanderesse admet que la Commission avait en vertu de la Loi le pouvoir discrétionnaire de prendre la décision visée. Elle plaide toutefois que la décision devrait être annulée au motif que le retard du défendeur à déposer sa plainte, soit près de cinq ans après son renvoi, et celui de la Commission en décidant si elle devait ou non examiner l'affaire, contrevient au principe de l'équité procédurale et constitue un manque de diligence de nature à causer un préjudice à la demanderesse. Elle plaide de plus que la décision non motivée de la Commission de proroger le délai, alors qu'il n'y avait pas de motif raisonnable de le faire, constitue une erreur de droit.

[4]      En plus des arguments au dossier, la demanderesse a soulevé à l'audience la question de l'équité du processus suivi par la Commission, notamment son défaut d'informer chaque partie des arguments de l'autre partie avant d'arriver à une décision. Suite à l'audience, la demanderesse et la Commission canadienne des droits de la personne ont présenté des observations écrites sur cette question.

[5]      Je note pour mémoire que le défendeur n'était pas présent ou représenté à l'audience, mais les observations écrites présentées à la Cour en son nom ont été dûment notées, ainsi que les plaidoiries de la demanderesse et de l'intervenante et leurs observations écrites présentées par la suite.

[6]      Après un bref rappel des faits, j'en viens aux questions en litige et aux motifs de l'Ordonnance par laquelle je rejette la demande d'annuler la décision de la Commission.

Le contexte

[7]      Lorsqu'il a été congédié le 21 juin 1991, le défendeur était employé par la demanderesse depuis 1979, soit quelque douze ans. Il a été congédié en vertu de la politique de l'appelante en matière disciplinaire, au motif qu'il quittait souvent son travail avant l'heure sans autorisation. Ce n'est qu'en novembre 1991, soit quelque cinq mois après le congédiement, que la demanderesse a été informée du fait que le défendeur plaidait avoir une déficience liée à l'alcoolisme qui aurait été la cause de ses problèmes au travail et de son congédiement.

[8]      En juillet 1992, le défendeur a présenté un grief qui a été rejeté par l'employeur. Le syndicat n'a pas donné suite au dossier, compte tenu de l'avis juridique qu'il aurait reçu, aux dires de la demanderesse. Plus tard ce même mois, le défendeur et le syndicat ont soumis la question à un processus de médiation pour recommandation. Le médiateur a recommandé la réintégration du défendeur, assortie selon la demanderesse de certaines conditions et ententes, dont celle que le défendeur s'inscrive à un programme de réadaptation de douze mois. Cet engagement n'a pas été tenu et la demanderesse a décidé, en septembre 1992, de ne pas réintégrer le défendeur dans ses fonctions.

[9]      En février 1993, le défendeur a déposé une plainte à l'encontre de son syndicat, au motif que celui-ci n'avait pas défendu ses intérêts de façon appropriée. Le Conseil canadien des relations du travail, saisi de la plainte, l'a examinée et rejetée en janvier 1994. Un réexamen par un nouveau comité du Conseil est arrivé à la même conclusion en avril 1994.

[10]      En mars 1995, le défendeur aurait rencontré les responsables nouvellement élus du syndicat afin d'obtenir leur appui pour faire rouvrir le dossier, appui qu'il n'a pas obtenu.

[11]      C'est en octobre 1995 que le défendeur s'est adressé pour la première fois à l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, lui faisant part de ses difficultés. Le 18 mai 1996, il a déposé une plainte formelle auprès de la Commission, au motif que la demanderesse avait fait preuve de discrimination contre lui par suite d'une déficience liée à l'alcoolisme. Le 9 octobre suivant, la Commission a informé la demanderesse de la plainte et lui a transmis une analyse préparée par les membres de son personnel. Dans ce document, le Directeur des plaintes et enquêtes recommandait que la Commission examine la plainte du défendeur, en conformité du paragraphe 41e) de la Loi. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

                      41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :                 
                 ...                 
                      e) la plainte a été posée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.                 

[12]      La demanderesse et le défendeur en l'instance reçurent copie de l'analyse portant sur les articles 40 et 41, pour commentaires, avant que la question soit placée devant la Commission. Il semble que les deux parties aient fait des observations. La défenderesse a présenté ses arguments en deux fois, les 23 et 28 octobre 1996, demandant le rejet de la plainte pour divers motifs, y compris le fait qu'elle avait congédié le défendeur pour cause alors qu'elle ne savait rien de la prétention de l'employé qu'il avait une déficience liée à l'alcoolisme. La demanderesse demandait instamment qu'on ne donne pas suite à la plainte, s'appuyant sur le délai entre les faits allégués et le dépôt de la plainte, ainsi que sur le délai additionnel avant que la Commission ne l'informe; elle plaidait que ces délais étaient de nature à lui causer un préjudice si la question était examinée plus avant.

[13]      La Commission a été saisie des observations de la demanderesse et du défendeur, ainsi que des recommandations des membres de son personnel. Elle a décidé que la plainte devait faire l'objet d'un examen. Chaque partie a été avisée de cette décision par lettre. Les lettres étaient différentes en ce qu'elles faisaient état de l'examen par la Commission des observations du récipiendaire de la lettre, sans faire allusion à un examen des observations de l'autre partie. La décision de la Commission n'était pas motivée, et elle a été communiquée aux parties dans les mêmes termes, savoir :

         [TRADUCTION]
         La Commission a décidé d'exercer son pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de dépôt de la plainte. Elle a donc décidé de statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nonobstant le fait que la plainte a été déposée plus d'un an après les faits lui donnant naissance.                 

Les questions en litige

[14]      Les parties décrivent les questions soulevées dans cette demande de façon un peu différente. Je traiterai des deux premières questions en utilisant les termes de l'appelante; quant à la troisième, je l'exprime comme elle m'est apparue à l'audience. Les questions sont les suivantes :                         
     1)      Les retards imputables au défendeur et à la Commission constituent-ils un manque de diligence et un manquement aux règles d'équité procédurale, et ont-ils causé un préjudice tel à la demanderesse que la Commission devrait se voir interdire de statuer sur la plainte?
     2)      La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit en n'appliquant pas le délai prévu au paragraphe 41e) de la Loi et en accordant une extension alors qu'il n'y avait aucun motif raisonnable de le faire?         
     3)      La Commission a-t-elle enfreint le principe d'équité procédurale en prenant sa décision, notamment en ne communiquant pas, avant décision, les arguments du défendeur aux autres parties, et en n'indiquant pas pourquoi à son avis l'extension était justifiée?         


Analyse

[15]      Il est établi, et les parties en conviennent, que les décisions prises par la Commission en vertu du paragraphe 41e) sont un exercice discrétionnaire de compétence administrative2. On n'écarte pas facilement de telles décisions, et la Cour n'interviendra pas si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale, et si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la Loi. Ceci est vrai même alors que la Cour aurait exercé différemment ledit pouvoir discrétionnaire3.

[16]      Il faut souligner également que la décision en cause est de nature préliminaire. La Commission doit accepter de statuer sur toute plainte présentée, en vertu de l'article 41, sauf dans les circonstances exceptionnelles énoncées aux alinéas a) à e) dudit article. Lorsqu'une plainte est déposée plus d'un an après les faits qui lui donnent naissance, la Commission est tenue, en vertu du paragraphe e), de décider si elle y donnera suite ou non. Même si elle décide de donner suite, il s'agit d'une décision préliminaire à la nomination d'un enquêteur chargé d'examiner la plainte. Il ne s'agit pas ici d'une décision sur le bien-fondé de la plainte4.

Retards imputables au défendeur et à la Commission

[17]      La demanderesse plaide que le retard pris par le défendeur dans la présentation de sa plainte, et celui de la Commission à l'en aviser, sont des retards indus. Elle a été informée de la plainte plus de cinq ans après le fait lui donnant naissance, soit le congédiement du défendeur. Elle affirme que ces retards portent atteinte à sa capacité d'offrir une défense pleine et entière en réponse à la plainte du défendeur. De ce fait, il y a atteinte à l'intérêt public, ce dernier exigeant un traitement équitable et rapide des plaintes. Le défendeur a déjà utilisé d'autres moyens de redressement et la demanderesse a dû défendre sa décision lors du grief et de la médiation, ainsi que lors des procédures devant le Conseil canadien des relations du travail lorsque le défendeur a porté plainte contre son syndicat.

[18]      La demanderesse fait valoir que la décision de la Commission lui causera un préjudice si la plainte est examinée. Ce préjudice tiendrait au fait qu'au moins quatre cadres de l'entreprise qui ont participé directement aux décisions disciplinaires visant le défendeur, y compris son congédiement, ont maintenant quitté leurs fonctions. Un d'entre eux est décédé et au moins un autre a déménagé dans l'Ouest. L'argument présenté est que le passage du temps a émoussé les mémoires et possiblement fait disparaître une partie de la preuve documentaire.

[19]      Je partage l'avis de la Commission que sa décision en cause ici ne porte que sur le retard qui se situe entre l'expiration de l'année après le congédiement et le dépôt de la plainte en mai 1996. C'est ce retard que la Commission peut décider d'ignorer dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, afin de procéder à l'enquête sur la plainte conformément au paragraphe 41e). Ce retard est un facteur à considérer quant à savoir si la plainte sera examinée ou non. En soi, il ne peut fonder la conclusion que la Commission serait coupable d'un manquement au principe d'équité procédurale.

[20]      Quant au délai de cinq mois entre le dépôt de la plainte du défendeur, en mai 1996, et l'avis formel de la Commission à la demanderesse, en octobre 1996, je ne suis pas convaincu qu'il était déraisonnable dans les circonstances, ou qu'il justifierait à lui seul une intervention de la Cour.

[21]      Il va sans dire que le temps écoulé depuis le congédiement du défendeur aura contribué à émousser les mémoires des personnes impliquées dans ce dossier à l'époque. Il se peut aussi qu'il y ait quelque difficulté à reconstituer la preuve documentaire, mais rien ne permet d'étayer cette prétention à cette étape-ci du processus. Il n'existe pas non plus de preuve de préjudice, puisqu'il n'est pas démontré, sauf quant à la personne décédée, que les autres cadres impliqués dans cette affaire au nom de l'entreprise ne seraient pas disponibles pour témoigner, au besoin5. En bref, la prétention qu'un préjudice pourrait être causé à la demanderesse si la plainte fait l'objet d'une enquête, étape suivante du processus suivi par la Commission, est prématurée. Toute preuve à l'appui de cette prétention peut fort bien être importante dans le cadre de l'enquête, et dans la décision sur le fondement de la plainte du défendeur.

[22]      Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que la décision de la Commission constitue un manquement aux principes d'équité procédurale simplement parce qu'il y a eu retard dans le dépôt de la plainte ou dans sa communication à la demanderesse. La preuve qu'on m'a présentée jusqu'ici, qui est pour l'essentiel la preuve que la demanderesse a présentée à la Commission lorsque cette dernière a pris sa décision, ne me convainc pas que ladite décision causera un préjudice déraisonnable à la demanderesse, non plus qu'elle mettra en cause sa capacité de répondre à la plainte du défendeur.

L'exercice du pouvoir discrétionnaire est-il fondé sur un motif raisonnable?

[23]      S'appuyant sur les motifs de mon collègue, le juge Muldoon, dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) et autres,6 la demanderesse soutient que la limite de temps prévue au paragraphe 41e) de la Loi est à l'avantage de la partie contre qui une plainte est présentée à la Commission, l'employeur en l'instance, et que la Commission est tenue d'expliquer pourquoi elle a jugé opportun de l'en priver. Elle s'appuie aussi sur Tsai c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)7, où la Cour d'appel a validé l'évaluation faite par la Commission qu'une plainte était sans fondement, lors de sa décision de ne pas accorder d'extension de délai. On soutient que la Commission doit faire une telle évaluation en l'instance. À mon avis, Tsai n'est pas applicable ici, car la Cour d'appel a alors simplement décidé que, lorsque la Commission est convaincue que la plainte est sans fondement, ce facteur peut faire partie de son raisonnement lorsqu'il faut décider d'accorder une extension ou non. En l'instance la question n'est pas si claire, puisque le bien-fondé de la plainte est en litige. De plus, je suis d'avis que les commentaires du juge Muldoon dans l'affaire précitée s'appliquent au fardeau de déterminer l'issue dans une demande de contrôle judiciaire d'une décision administrative discrétionnaire. En fin de compte, il n'est pas de la compétence de la Commission de juger sa propre décision raisonnable. Le fardeau incombe plutôt à la demanderesse, en ce qu'elle doit convaincre la Cour saisie de la demande de contrôle judiciaire que la décision est déraisonnable, au sens où elle est contraire au droit, contrevient aux principes d'équité, ou n'est pas fondée sur la preuve devant la Commission.

[24]      S'appuyant sur une décision d'un tribunal des droits de la personne dans Vermette c. Société Radio-Canada8, la demanderesse a soutenu qu'on peut rejeter une plainte déposée hors délai s'il n'y a pas de motif raisonnable de priver l'employeur de l'avantage prévu au paragraphe 41e). La demanderesse énonce les facteurs de la présente affaire qui, selon le tribunal dans Vermette, doivent être pris en compte lorsqu'on veut établir un motif raisonnable. Ces facteurs comprennent le retard du plaignant, celui de la Commission, les motifs du retard, les motifs pour lesquels la Commission accepte d'être saisie de la plainte, le préjudice porté à la demanderesse et à l'intérêt public, et finalement le bien-fondé de l'affaire. J'ai déjà donné mon point de vue quant aux retards imputables au défendeur et à la Commission en l'instance, ainsi que sur la question du préjudice causé à ses intérêts et à l'intérêt public selon la demanderesse.

[25]      La Commission n'a pas motivé sa décision en l'instance, et je reviendrai sur cette question ci-après en abordant les critères d'équité procédurale. L'analyse des articles 40 et 41 présentée à la Commission, et envoyée aux parties avant la décision, rappelle les démarches du défendeur pour régler l'affaire par d'autres voies, et prend acte de la déclaration de ce dernier qu'il ne s'est écoulé que cinq mois depuis sa dernière tentative dans ce sens. La demanderesse conteste ce fait, et soutient que de toute façon il n'est pas pertinent au vu du délai considérable depuis le congédiement du défendeur. Je ne suis pas d'avis que la recherche d'une solution par d'autres voies n'est pas pertinente, compte tenu du paragraphe 41a) qui prévoit que la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime que le plaignant n'a pas encore épuisé les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement de griefs qui lui sont normalement ouverts.

[26]      Je ne suis pas convaincu que la question du bien-fondé de l'affaire soit pertinente, sauf lorsqu'il est évident que la plainte n'a aucune chance de réussir (comme dans Tsai, précité). Dans un tel cas, il pourrait bien y avoir décision de ne pas proroger le délai de dépôt d'une plainte. Lorsque les plaidoiries des parties font ressortir qu'il y a litige quant au fond de l'affaire, et qu'on n'a pas fait enquête et examiné les questions en cause, ce n'est pas par la voie d'une demande de contrôle judiciaire qu'on peut le faire. C'est la situation qui se présente à nous en l'instance. Dans les observations qu'elle a présentées à la Commission et que cette dernière a examinées, la demanderesse soutient que la plainte n'est pas fondée, et notamment que le défendeur a été soumis à des règles disciplinaires d'application générale alors que l'employeur n'était pas au fait de son problème d'alcoolisme. Par contre, les observations faites à la Commission par le défendeur contiennent des allégations qui contredisent certains des arguments de la demanderesse. Ces divergences doivent être examinées, ce qui sera fait compte tenu de la décision de la Commission. Dans le contexte, je ne suis pas convaincu que la décision de la Commission soit déraisonnable. Elle a une obligation de statuer sur les plaintes présentées, même hors délai, lorsque, selon elle, une plainte mérite examen.

[27]      Dans le contexte de la présente affaire, je ne suis pas convaincu qu'on puisse dire que la décision de la Commission est déraisonnable, ou qu'elle a été prise sans tenir compte de la preuve qu'on lui a présentée.

La décision de la Commission et l'équité procédurale

[28]      Au cours de ses plaidoiries, la demanderesse a fait valoir que la Commission avait enfreint le principe d'équité en n'indiquant pas au cours du processus, ou dans sa décision, sur quels motifs raisonnables elle s'appuyait. Je ne suis pas convaincu que la Commission soit tenue de motiver sa décision préliminaire d'examiner une plainte portée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. Cette décision administrative est de nature discrétionnaire. Les parties ont été informées de la recommandation qui serait présentée pour décision, et elles ont eu l'occasion de présenter leurs observations. Elles avaient reçu l'assurance que ces observations seraient soumises à la Commission, ce qui a été fait. Ce processus répond aux critères de l'équité procédurale, sans qu'il soit nécessaire que la décision soit motivée en cours d'examen ou lors de son dépôt9.

[29]      Dans sa plaidoirie, l'avocat de la Commission a fait valoir que l'analphabétisme du défendeur, du moins jusqu'en 1993, pourrait fort bien être un des facteurs dont la Commission avait tenu compte. La demanderesse a soutenu que même si c'était le cas, ce n'est pas l'analphabétisme dont fait état la déclaration du demandeur qui pouvait expliquer le retard considérable à déposer une plainte. Elle a aussi souligné, en insistant sur l'importance de ce fait, qu'il n'avait jamais été question d'inclure ce facteur dans l'examen de la Commission et que l'équité aurait exigé qu'elle en soit avisée le cas échéant. Je ne suis pas convaincu qu'on trouve des éléments indiquant que l'analphabétisme relatif du défendeur a été un facteur dont la Commission a tenu compte, bien qu'il en ait été question dans les observations du défendeur à la Commission. La demanderesse avait une certaine connaissance de ce fait.

[30]      On a plaidé à l'audience qu'un autre aspect du processus suivi par la Commission contrevenait au principe d'équité. La demanderesse soutient que les différences dans les lettres avisant la demanderesse et le défendeur de la décision de la Commission font que ces lettres constituent deux décisions. Comme les arguments du défendeur n'avaient pas été soumis à la demanderesse avant que la décision soit prise, cette dernière soutient qu'on n'a pas respecté son droit à l'équité procédurale.

[31]      Je ne suis pas convaincu qu'il y a eu deux décisions. La lettre à chaque partie ne faisait état que de leurs observations, pour indiquer que la Commission en avait pris connaissance, mais la décision était communiquée dans les mêmes termes dans les deux lettres, comme en fait foi la citation ci-dessus. Il n'y a eu qu'une décision.

[32]      Lorsque les parties ont été informées de l'analyse des articles 40 et 41, ainsi que de la recommandation qui serait faite à la Commission, elles ont été invitées à présenter des observations par écrit pour transmission à la Commission. Dans le cadre de la décision préliminaire en cause ici, ce processus qui comprend la présentation des observations des parties à la Commission satisfait aux critères de l'équité procédurale sans qu'il soit nécessaire que les observations de chaque partie soient communiquées à l'autre avant qu'une décision ne soit prise.

[33]      En bref, le processus suivi par la Commission ne constitue pas un manquement aux principes d'équité procédurale qui justifierait une intervention de la Cour.

Conclusion

[34]      En l'instance, la décision de la Commission d'examiner la plainte de discrimination du défendeur en vertu du paragraphe 41e), nonobstant le fait qu'elle a été portée plus d'un an après les faits sur lesquels elle est fondée, est un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Le processus décisionnel de la Commission n'a pas enfreint le principe de justice naturelle. La décision est fondée sur la preuve présentée à la Commission et cette dernière n'a pas outrepassé sa compétence.

[35]      Une ordonnance est délivrée rejetant la présente demande de contrôle judiciaire. Chaque partie paiera ses dépens.

                                     (W. Andrew MacKay)

                                 ______________________

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

le 15 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-103-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Société de développement du Cap-Breton (demanderesse)

                     c. David Hynes (défendeur)

                     et Commission canadienne des droits de la personne (intervenante)

LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :      7 juillet 1998

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     DU JUGE MacKAY

     EN DATE DU 15 MARS 1999

ONT COMPARU :

Brian G. Johnston, c.r.                  pour la demanderesse

Non représenté                      le défendeur

M. Patricia Lawrence                  pour l'intervenante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes, Cooper & Robertson

Halifax (Nouvelle-Écosse)                  pour la demanderesse

Khattar & Khattar

Sidney (Nouvelle-Écosse)                  pour le défendeur

Services juridiques de la Commission

des droits de la personne

Ottawa (Ontario)                      pour l'intervenante

__________________

1      L"article 41 de la Loi est devenu le par. 41(1) dans L.C. 1995, ch. 44, art. 49, entré en vigueur le 24 oct. 1996, TR 96-93, 13 nov. 1996.

2      Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne et Boone (1993), 60 F.T.R. 142, aux pp. 153 à 156; Canada (Procureur général) c. Merrick, [1996] 1 C.F. 704, aux pp. 712 à 713; 105 F.T.R. 1, aux pp. 5 à 6 (C.F. 1re inst.).

3      Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pp. 7 à 8; Soc. canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et autres, (1997) 130 F.T.R. 241, à la p. 244.

4      Canada (Procureur général) c. Burnell et autres, (1997) 131 F.T.R. 146, à la p. 153.

5      Voir Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne et Boone , précité, note 2, aux pp. 158 et 159.

6      (1991), 43 F.T.R. 47, à la p. 64.

7      (1988), 91 N.R. 374, à la p. 377 (C.A.F.).

8      (1994), 94 C.L.L.C., à 17 034, confirmée par contrôle judiciaire (1996), 120 F.T.R. 81.

9      Voir Burnell , précité, note 4, et voir aussi Boone, précité, note 2.     

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