Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040928

Dossier : IMM-6880-04

Référence : 2004 CF 1315

ENTRE :

                                                 MOHAMMAD ZEKI MAHJOUB

                                                                                                                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

Que la transcription certifiée ci-annexée de mes motifs d'ordonnance prononcés à l'audience à Toronto (Ontario) le 8 septembre 2004 soit déposée en conformité de l'article 51 de la Loi sur les Cours fédérales.

                                                                                                                         « Eleanor R. Dawson »           

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                     Juge                        

Toronto (Ontario)

le 28 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6880-04

INTITULÉ :                                                    MOHAMMAD ZEKI MAHJOUB

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                            défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 8 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

Barbara Jackman                                               pour le demandeur

John Norris

Donald MacIntosh                                             pour les défendeurs

Mielka Visnic

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Barbara Jackman                                               pour le demandeur

Avocate

Toronto (Ontario)

John Norris                                                       pour le demandeur

Ruby & Edwardh

Toronto (Ontario)


Morris Rosenberg                                              pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040928

                                            Dossier : IMM-6880-04

ENTRE :

MOHAMMAD ZEKI MAHJOUB

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                  défendeurs

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                


LA COUR: Je voudrais d'abord remercier les avocats d'avoir présenté leurs conclusions.

M. Mahjoub voudrait une ordonnance sursoyant à la mesure de renvoi qui a été prononcée contre lui et qui prévoit son renvoi imminent en Égypte, le pays dont il est ressortissant. Le sursis est demandé jusqu'à l'issue du contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre, pour qui M. Mahjoub, un réfugié au sens de la Convention, devrait être refoulé ou renvoyé en Égypte.

M. Mahjoub voudrait aussi une ordonnance déclarant confidentielle une partie du dossier déposé dans la présente affaire, à savoir un avis présenté à la Cour à titre d'avis d'expert sur ce qui risque d'arriver à M. Mahjoub s'il est renvoyé en Égypte.

Les faits à l'origine de cette requête sont décrits dans l'affidavit de Patricia Vettraino, déposé sous serment au soutien de la demande de sursis d'exécution, et dans l'exposé des faits annexé au mémoire des arguments du défendeur.

Pour l'essentiel, les faits pertinents ne sont pas contestés. Les parties divergent sur un seul aspect important. M. Mahjoub dit que, d'après la preuve, son renvoi en Égypte conduirait pour lui à la torture ou l'exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les ministres disent que, selon la preuve, et d'après la prépondérance des probabilités, M. Mahjoub pourrait être exposé à un risque appréciable d'abus de ses droits fondamentaux et à de mauvais traitements s'il était renvoyé en Égypte.


Pour ce qui est de la demande de déclaration de confidentialité d'une partie du dossier, les ministres ne s'opposent pas à ce que le rapport d'expert soit déclaré confidentiel, mais, à mon avis, comme je l'ai indiqué durant l'audience, une ordonnance de confidentialité irait trop loin. Les débats des tribunaux sont en principe des débats publics. Pour les motifs exprimés dans le rapport d'expert, je suis d'avis qu'il convient que l'identité du déposant expert soit protégée, mais il n'est pas nécessaire, selon moi, que le rapport tout entier soit déclaré confidentiel. Je crois comprendre que Mme Jackman partage cette manière de voir.

Par conséquent, la pièce « E » du dossier de demande demeurera confidentielle, mais une version publique de ce document devra être déposée avant la fermeture du greffe ce vendredi.

La version publique sera expurgée par suppression de la page 327 du dossier de demande, c'est-à-dire la première page de la pièce « E » . Elle sera également expurgée par suppression de la partie de la page 328 qui suit le premier mot « je » jusqu'à la fin du paragraphe 8, à la page 328. Seront également supprimés de la version publique les sept premiers mots du paragraphe 20, à la page 330. Sera aussi supprimé l'avant-dernier paragraphe de la page 332 et tout ce qui apparaît sous les mots « Respectueusement soumis par » .


S'agissant maintenant de la demande de sursis d'exécution, le critère juridique qu'il faut appliquer à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non un sursis d'exécution est le critère en trois volets exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, et explicité par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1988], 86 N.R. 302. Ce critère oblige celui qui demande un sursis d'exécution à prouver qu'il a soulevé une question grave dans la demande originale de contrôle judiciaire, qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et que l'équilibre des inconvénients milite en faveur de l'octroi du sursis demandé.

S'agissant de l'existence d'une question grave, M. Mahjoub fait valoir que la demande originale de contrôle judiciaire renferme plusieurs questions graves qui justifient le sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Parmi les questions graves, M. Mahjoub dit que la représentante du ministre a ignoré et mal interprété la preuve qu'elle avait devant elle et qu'elle a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que des circonstances exceptionnelles justifiaient le renvoi de M. Mahjoub en Égypte, bien qu'il soit un réfugié qui craint d'être persécuté en Égypte.

Plus précisément, parmi les points soulevés, M. Mahjoub fait valoir que la représentante du ministre a conclu à tort que des circonstances exceptionnelles justifient son renvoi vers un pays où il risque la torture. C'est là un aspect qui, d'affirmer M. Mahjoub, n'a pas encore été étudié par la Cour. Il est admis par les parties que la Cour a accordé son autorisation dans deux autres affaires où ce point avait été soulevé, à savoir le cas de M. Jaballah et celui de M. Almrei.

S'agissant de savoir ce qui constitue en droit une question grave, la jurisprudence requiert simplement que l'intéressé prouve que sa demande n'est pas frivole ou vexatoire. C'est là un seuil qui est peu rigoureux. La Cour suprême du Canada a confirmé, dans l'arrêt RJR-MacDonald, évoqué précédemment, que le juge saisi d'une demande de sursis d'exécution doit se limiter à faire une évaluation préliminaire du bien-fondé de la cause. Selon les mots de la Cour suprême, à la page 337 du recueil :


« Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire. »

Vu le seuil peu rigoureux qui s'applique au premier volet du critère, celui de la question grave, les ministres ont reconnu qu'il existe ici une question grave. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je suis d'avis que c'est là une admission équitable et exacte et que M. Mahjoub a établi aux fins de sa demande de sursis d'exécution l'existence d'une question grave.

Passant au deuxième volet du critère, celui du préjudice irréparable, un préjudice irréparable doit juridiquement être un préjudice qui se produira d'ici à ce qu'il soit statué sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Un préjudice irréparable est un préjudice auquel il ne peut être remédié, et celui qui demande le sursis d'exécution doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque fort de subir un préjudice. Le risque de préjudice irréparable dépend des circonstances. La preuve doit être crédible et le préjudice appréhendé ne doit pas reposer sur des conjectures. La norme qu'il faut appliquer pour évaluer le risque d'un préjudice irréparable n'est pas cependant la certitude absolue.


Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 206, le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, voyait selon l'une de deux manières l'évaluation du risque de préjudice irréparable. La première consistait à évaluer le risque d'un préjudice personnel si l'intéressé est expulsé, ou s'il est expulsé vers un pays donné. La deuxième consistait à évaluer l'effet du rejet de la demande de sursis d'exécution sur le droit de l'intéressé d'obtenir que soit jugée sa demande au fond et de recueillir les avantages découlant d'une décision favorable.

S'appuyant sur la preuve qu'il avait devant lui, le juge Robertson a conclu que, pour le cas où M. Suresh serait expulsé avant l'instruction de son appel, l'appel en cours deviendrait alors théorique ou dépourvu d'effet. Le juge Robertson s'est exprimé ainsi, au paragraphe 17 :


« Sous réserve du facteur de la prépondérance des inconvénients, il me semble que des appelants comme M. Suresh ont le droit d'être entendus avant d'être expulsés. Si des juges de la Section de première instance sont disposés à certifier des questions de portée générale en tant que condition préalable à l'audition d'un appel sans restriction sur le fond par la Cour d'appel, il n'est pas déraisonnable de reporter l'exécution d'une mesure d'expulsion ou de renvoi dans des circonstances dans lesquelles il peut finalement être conclu que des personnes comme M. Suresh n'ont pas été traitées de la manière prescrite par la loi. On peut appliquer un raisonnement similaire aux affaires dans lesquelles l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été accordée. Ces affaires soulèvent, dans l'optique de la Charte, des questions graves concernant un mécanisme complexe pour renvoyer des personnes du Canada et la possibilité qu'elles fassent l'objet d'un traitement inhumain à leur arrivée dans leur ancienne patrie. Jusqu'à ce que ces questions soient décidées, il n'est que juste que des appelants comme M. Suresh soient autorisés à demeurer au Canada. Il peut y avoir des cas où une personne peut revenir au Canada après avoir été expulsée et avoir obtenu gain de cause en appel, mais ce n'est pas le cas en l'espèce. »

J'accepte l'argument des ministres selon lequel juridiquement le critère du préjudice irréparable ne saurait dans tous les cas se résumer à la seule question de savoir si une procédure deviendra théorique ou dépourvue d'effet pour le cas où le demandeur d'un sursis d'exécution serait renvoyé du Canada avant que ne soit jugé son appel ou sa demande de contrôle judiciaire. Cependant, dans la présente affaire, au moins une question grave est soulevée, pour laquelle la Cour a déjà accordé son autorisation. Les ministres admettent que, si le demandeur est renvoyé en Égypte, il est improbable qu'il soit autorisé à revenir au Canada pour le cas où sa demande de contrôle judiciaire serait accueillie.


Les autorités égyptiennes ont donné des garanties sur le traitement qui serait réservé à M. Mahjoub en Égypte, mais les avocats des ministres ont admis honnêtement que les garanties en question ne sont pas convaincantes. Lorsqu'elle a formulé son avis, la représentante du ministre avait estimé qu'il y avait matière à mettre en doute la mesure dans laquelle les garanties allaient être honorées.

Parmi les preuves présentées à la Cour, il y a l'affidavit de la coordinatrice pour les réfugiés d'Amnesty International Canada (la branche anglophone). Elle écrit, au paragraphe 6 :

[traduction] « Au soutien de ce travail, Amnesty a présenté un rapport sur la situation des droits de l'homme en Égypte. Comme le concluait notre rapport de 2003, des milliers de partisans présumés de groupes islamistes interdits, y compris de possibles prisonniers politiques, ont été emprisonnés sans être accusés ni jugés. Certains sont demeurés en détention pendant des années. D'autres purgeaient des peines qui leur avaient été imposées à l'issue de procès grotesques tenus devant des cours martiales. La torture et les mauvais traitements infligés aux détenus demeurent systématiques. Au moins 48 personnes ont été condamnées à mort et au moins 17 d'entre elles ont été exécutées. »

La preuve renferme aussi l'opinion d'un expert, qui jure ce qui suit, aux paragraphes 13 à 15 :


[traduction] « La crainte de M. Mahjoub d'être torturé, voire exécuté, s'il est renvoyé en Égypte, me semble fondée, surtout lorsque l'on sait ce qui est arrivé à d'autres personnes rapatriées de force. Je sais qu'Amnesty International a fait état de cas où des personnes rapatriées de force en Égypte en 2001, depuis des pays comme la Suède et la Bosnie-Herzégovine, ont été torturées ou ont subi de mauvais traitements pendant qu'elles étaient gardées au secret. Des personnes rapatriées de force en 2002 ont été gardées au secret durant plusieurs semaines après leur renvoi.

   Les responsables égyptiens de la sécurité conservent aussi une liste noire de personnes qui, après avoir été arrêtées et détenues une fois, avec ou sans accusation ou procès, restent à jamais membres de ce que l'on pourrait appeler une catégorie suspecte de personnes, qui sont exposées à des rafles, à des emprisonnements arbitraires et à la torture dès que surviennent des troubles politiques.


   M. Mahjoub ayant déjà été détenu et torturé, il pourrait parfaitement figurer sur cette liste de suspects aux yeux des autorités égyptiennes et il serait exposé, même s'il n'est pas déjà condamné par contumace, à une forme ou une autre de sanction une fois renvoyé en Égypte. »

La représentante elle-même du ministre a conclu ainsi -- et je cite ici ses propos à la page 10 de sa décision :

[traduction] « Après examen de l'ensemble de la preuve, je crois que M. Mahjoub sera détenu à son retour en Égypte, pour être jugé dans des procès où il sera accusé d'actes ayant menacé la sécurité égyptienne. »

Puis elle affirme plus loin sur la même page :

[traduction] « Comme M. Mahjoub est membre du A-J et qu'il est accusé d'actes de terrorisme en Égypte, et compte tenu des violations avérées des droits de l'homme dans ce pays, je crois que, selon la prépondérance des probabilités, M. Mahjoub pourrait subir de mauvais traitements et des violations de ses droits fondamentaux peu après sa mise en détention. »

Compte tenu de cette preuve, je suis d'avis qu'un rejet de la demande de sursis d'exécution rendrait illusoire la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Mahjoub, en ce sens qu'il serait privé des avantages découlant d'une décision favorable, et il a donc à mon avis apporté la preuve de préjudice irréparable qui est requise à ce stade de la procédure, où ce qui est en cause est l'octroi d'un sursis d'exécution.


Le dernier volet du triple critère concerne l'équilibre des inconvénients. Eu égard à mes conclusions sur le volet de la question grave et celui du préjudice irréparable, je suis d'avis que, tant que M. Mahjoub demeure en détention, le troisième volet du critère exposé dans l'arrêt RJR-MacDonald et dans l'arrêt Toth milite en faveur de M. Mahjoub. Selon moi, M. Mahjoub subira, en cas de refus du sursis d'exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, un préjudice plus considérable que l'inconvénient que subiront les ministres si le sursis d'exécution est accordé et si M. Mahjoub reste en détention quelques mois supplémentaires.

Par conséquent, la demande de sursis d'exécution sera accordée, et la mesure de renvoi sera suspendue jusqu'à décision finale sur la demande originale d'autorisation et de contrôle judiciaire, sous réserve d'une condition. Cette condition est que, s'il devait se trouver que M. Mahjoub ne peut pas rester en détention, l'affaire pourra être soumise de nouveau à la Cour, pour être jugée en référé.

Je signerai une ordonnance en ce sens au cours de l'après-midi.

Je crois que cela met fin aux affaires qui devaient être jugées durant cette séance de la Cour. Les avocats s'accordent, je pense, sur les délais de production des arguments écrits. J'attendrai de savoir s'ils s'entendent sur le reste.

Y a-t-il autre chose?

M. MacINTOSH: Non. Merci, madame la juge.

Mme JACKMAN: Merci.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.