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Date : 20021018

Dossier : IMM-5814-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1093

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), LE 18 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                            NYOK SING WONG

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, rendue en date du 10 décembre 2001, par laquelle l'agent des visas du bureau de Buffalo, dans l'État de New York, a conclu que le demandeur n'avait pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pour justifier la tenue d'une entrevue suivant le sous-alinéa 11.1a)(i) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) et le paragraphe 9(4) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). L'agent des visas a par conséquent refusé la demande de résidence permanente reçue du demandeur le 9 avril 2001.


[2]                Le demandeur est un citoyen de Malaisie qui, le 9 avril 2001, a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des immigrants indépendants en tant que spécialiste des ventes techniques. Cette profession est classifiée sous la cote 6221 dans la Classification nationale des professions (CNP).

[3]                Dans sa demande, le demandeur a également inclus son épouse et son enfant. Depuis le mois de janvier 2000, ils vivent à Vancouver, en Colombie-Britannique, où le demandeur travaille depuis 1999 pour la société Affordable Auto Parts Ltd. (Affordable).

[4]                L'agent des visas a rendu sa décision par une lettre datée du 10 décembre 2001. Après avoir examiné les éléments de preuve dont il disposait, l'agent des visas a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions nécessaires pour être convoqué à une entrevue. Le demandeur n'avait obtenu que 47 points sur les 60 points requis aux termes du sous-alinéa 11.1a)(i) du Règlement.

[5]                L'agent des visas a conclu que le demandeur ne pouvait obtenir aucun point d'appréciation pour le facteur d'emploi réservé ou de profession désignée étant donné qu'il n'avait pas une validation d'offre emploi permanent délivrée par Développement des ressources humaines Canada, pas plus qu'il n'exerçait une profession désignée.

[6]                La principale question soulevée en l'espèce est celle de savoir si l'agent des visas aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement. Il est clair qu'il manque au demandeur plusieurs des 60 points d'appréciation requis (sous-alinéa 11.1a)(i) du Règlement) pour justifier la tenue d'une entrevue ou des 70 points requis pour obtenir un visa de résident permanent au Canada. Dans un tel cas, le paragraphe 11(3) du Règlement prévoit que « l'agent des visas [...] peut s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier » accorder ou refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui satisfait ou ne satisfait pas aux exigences de la Loi ou du Règlement.

[7]                Le juge Rothstein, dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316, a déclaré au paragraphe 5 :

Du fait qu'il n'a obtenu aucun point d'appréciation au titre du facteur professionnel, le demandeur ne s'est pas vu délivrer un visa d'immigrant sous le régime du paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié, mais il soutient que l'agente des visas a commis une erreur faute d'avoir exercé son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 11(3) du même règlement. Cette dernière disposition ne dit pas dans quelles conditions l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire qui y est prévu. Rien ne l'empêche de l'exercer de son propre chef s'il le juge indiqué. Mais si c'est le demandeur qui veut qu'il l'exerce, il semblerait qu'il faut qu'il en fasse la demande sous une forme ou sous une autre. Bien qu'il n'y ait pas une formule réglementaire à employer, il devrait à tout le moins présenter quelques bonnes raisons pour soutenir que la décision relative aux points d'appréciation ne reflète pas ses chances d'établissement au Canada. Il n'y a eu aucune demande de ce genre en l'espèce.

[Non souligné dans l'original.]


[8]                En outre, comme l'a mentionné L. Waldman, dans Immigration Law and Practice, feuilles mobiles (Butterworths, 1994), au paragraphe 13.223 :

[TRADUCTION]

Le demandeur peut demander que l'agent des visas le convoque à une entrevue, même s'il a obtenu moins de points que les 60 points requis. Cette possibilité s'appuie sur le fait que le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoit que l'agent des visas a un pouvoir discrétionnaire et peut décider de délivrer un visa d'immigrant à une personne qui n'obtient pas le nombre de points requis. Le demandeur devrait faire cette demande par écrit à l'agent des visas. Cependant, l'agent des visas n'a pas l'obligation d'accorder une entrevue dans de telles circonstances et sa décision est tout à fait discrétionnaire.

[9]                Lors de l'interrogatoire préalable, l'agent des visas a déclaré, à propos de son affidavit, qu'il ne pensait pas que le demandeur lui avait demandé d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement (interrogatoire de Hal Watson, à la page 12, question 40). Cependant, l'avocat du demandeur a vigoureusement soutenu qu'il y avait effectivement une demande implicite dans la lettre du 1er avril 2001, lettre qui avait été envoyée au consulat par le conseiller du demandeur.

[10]            La lettre se lit comme suit :

[TRADUCTION]


Nous sommes les conseillers de M. Wong qui compte plus de dix ans d'expérience dans le domaine de l'automobile. Il travaille pour la société Affordable Auto Parts Ltd. à Burnaby, en Colombie-Britannique, au Canada depuis 1999. En tant qu'acheteur et vérificateur de pièces, M. Wong a été chargé de l'achat des pièces en provenance du Canada et il était désigné depuis 1996 pour faire les voyages entre la Malaisie et le Canada alors qu'il travaillait en Malaisie pour la société A.G. Parts Trading Ltd qui transigeait avec Affordable depuis plusieurs années. Ses employeurs estiment que le demandeur effectue ses vérifications de façon extrêmement soigneuse. Veuillez prendre connaissance de la lettre de recommandation ci-jointe pour des renseignements additionnels.

En plus de sa réussite dans son travail, M. Wong a contribué chaque année à l'augmentation du volume des ventes d'Affordable qui, en avril 1998 (au moment où la société A.G. Parts Trading qui l'employait l'a envoyé au Canada), était de 1 470 188 $, ce qui représentait une réduction d'environ 300 000 $ par rapport à l'année précédente et augmentait chaque année.

Il travaille au Canada depuis plus d'un an. Il a une expérience de travail avec le Canada de plus de deux ans qui peut être attestée par son permis de travail canadien. Il vit au Canada avec son épouse et son enfant depuis plus d'un an. Il s'habitue à vivre en tant que Canadien. Par conséquent, il peut facilement trouver un emploi au Canada. De plus, Affordable aimerait l'employer s'il obtient le droit de s'établir au Canada.

Nous nous sommes permis d'évaluer sa demande dans la catégorie de spécialiste de l'information en ventes techniques (CNP 6411) de la Classification nationale des professions.

Nous évaluons les points du demandeur comme suit :

Âge

10

Études

5

Études et formation - FEF (6221.0)

15

Facteur professionnel

10

Emploi réservé

10

Expérience de travail

6

Connaissance de l'anglais

3

Facteur démographique

8

TOTAL

67

Nous avons inclus la demande dûment complétée et tous les documents nécessaires à votre examen et nous attendons votre réponse sous peu.

[Reproduit avec les erreurs et omissions.]


[11]            Après avoir lu attentivement la lettre mentionnée au paragraphe précédent, je ne peux y déceler aucune demande expresse ou implicite selon laquelle l'agent des visas devrait exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement. Au contraire, le conseiller fournit sa propre évaluation du nombre de points que le demandeur devrait obtenir, nombre qui selon lui devrait totaliser 67 points. Cette évaluation montre que le conseiller avait bon espoir que le demandeur obtienne les points d'appréciation requis aux termes du sous-alinéa 11.1a)(i) du Règlement pour justifier la tenue d'une entrevue (soit 60 points). Malheureusement, le conseiller se trompait et, en l'absence de toute preuve montrant de la mauvaise foi de la part de l'agent des visas, l'évaluation du conseiller ne peut constituer un motif approprié pour annuler la décision de l'agent des visas.

[12]            Les prétentions du demandeur selon lesquelles l'agent des visas [TRADUCTION] « ignorait délibérément » des facteurs, ou que sa décision était autrement manifestement déraisonnable, ne sont en outre aucunement appuyées sur la preuve et les faits de l'espèce. Une fois de plus, les commentaires suivants, au paragraphe 4 de la décision Lam, précitée, sont pertinents :

Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s'il le juge nécessaire. Il est évident qu'il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l'instruction d'une demande, et il doit l'instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l'agent des visas, et le demandeur n'a aucun droit à l'entrevue pour cause de demande ambiguë ou d'insuffisance des pièces à l'appui.

[Non souligné dans l'original.]


[13]            Très respectueusement, je ne peux pas partager l'opinion de l'avocat du demandeur qui prétend que l'apport économique fait par le demandeur au Canada constitue un fait inhabituel qui aurait justifié que l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement.

[14]            Je partage l'opinion exprimée par le juge Evans dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 166 F.T.R. 78, aux paragraphes 23 et 24 :

[...] Sans m'ingérer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 11(3) accorde aux agents des visas, je crois que le pouvoir en question est de nature résiduelle et qu'il ne peut être exercé pour emporter une décision que lorsque les faits d'une affaire sont très particuliers ou lorsque le demandeur a presque atteint les 70 points d'appréciation.

L'outil principal permettant de décider de la délivrance de visas aux immigrants indépendants est l'évaluation des facteurs prévus à l'Annexe I, facteurs dont les agents des visas doivent tenir compte en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement lorsqu'ils décident si un demandeur peut vraisemblablement réussir son installation au Canada. Un des objectifs de la législation mise en place pour l'évaluation des demandes de visas est de promouvoir la cohérence du processus décisionnel et d'éviter autant que possible l'exercice par les agents des visas d'un pouvoir discrétionnaire peu structuré et potentiellement arbitraire, situation qui se produirait vraisemblablement si ces derniers pouvaient évaluer les chances qu'un demandeur réussisse son installation sans faire référence à un cadre juridique précis.

[15]            En l'espèce, l'agent des visas a conclu que le demandeur ne pourrait obtenir aucun point d'appréciation pour le facteur d'emploi réservé ou de profession désignée étant donné qu'il n'avait pas une validation d'emploi permanent délivrée par Développement des ressources humaines Canada, pas plus qu'il n'exerçait une profession désignée. Selon l'agent des visas, la validation d'emploi temporaire ne remplit pas les conditions énoncées au titre du facteur 5 de l'annexe I. Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis qu'il était raisonnable pour l'agent des visas, en se fondant sur la preuve dont il disposait, de conclure comme il l'a fait. Par conséquent, le demandeur ne pouvait pas obtenir le nombre de points qui pouvaient être attribués dans cette catégorie et l'évaluation de l'agent des visas n'était pas déraisonnable.

[16]            Avant de conclure, je suis en outre conscient des commentaires suivants faits par le juge Reed dans la décision Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 F.T.R. 251, au paragraphe 23 :

Il se pourrait bien que le demandeur en l'espèce serait un immigrant acceptable, mais, comme il a déjà été souligné, il est loin d'obtenir le nombre de points requis. L'élimination d'individus qui pourraient être des immigrants acceptables est le prix qu'une société paye pour avoir adopté des règles juridiques destinées à encadrer l'exercice du pouvoir discrétionnaire par des fonctionnaires et à établir un cadre dans lequel l'ensemble des individus en cause sont traités de la façon la plus égalitaire possible. Cet établissement de distinctions susceptibles de mener, à l'occasion, à des résultats inconvenants est une caractéristique non seulement de la législation en matière d'immigration, mais de toute règle de droit.

[17]            En conclusion, je suis d'avis que l'agent des visas n'a pas entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, n'a pas agi de mauvaise foi ou autrement commis une erreur de droit qui justifierait l'intervention de la Cour en l'espèce.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-5814-01

INTITULÉ :               Nyok Sing Wong c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 16 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                   Le 18 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Kenneth Specht                                                 POUR LE DEMANDEUR

Keith Reimer                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kenneth Specht

Avocat                                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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