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Date: 20020129

Dossier: T-1597-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 JANVIER 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE CONTRE LE NAVIRE

« KAPITONAS GUDIN » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

ENTRE :

                                              SAMUEL, SON & CO. LIMITED

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

LITHUANIAN SHIPPING COMPANY

LE N/M « KAPITONAS GUDIN » ET SES PROPRIÉTAIRES

ET AFFRÉTEURS

                                                                                                                                        défendeurs

                                                                 JUGEMENT

Pour les susdits motifs, l'action de la demanderesse est accueillie avec dépens. Elle est fondée à recevoir par jugement les sommes de 737 745,42 $ à titre de dommages et de 5 544,65 $ pour frais d'expertise. Les intérêts avant jugement sont fixés à 6,58 pour cent. La demanderesse a en outre droit à des intérêts après jugement.

                                                                                                                        « François Lemieux »      

                                                                                                                                                    Juge                    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                                       Date : 20020129

                                                                                 Dossier : T-1597-95

                                                       Référence neutre : 2002 CFPI 101

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE CONTRE LE NAVIRE

« KAPITONAS GUDIN » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

                      AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

ENTRE :

                          SAMUEL, SON & CO. LIMITED

                                                                                          demanderesse

                                                         et

                      LITHUANIAN SHIPPING COMPANY

LE N /M « KAPITONAS GUDIN » ET SES PROPRIÉTAIRES

                                       ET AFFRÉTEURS

                                                                                                 défendeurs

                                                         

                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX:

CONTEXTE


[1]                          Il s'agit d'une réclamation concernant 266 bobines d'acier galvanisé laminé à froid faisant partie d'une cargaison maritime de 279 bobines, régie par les Règles de La Haye-Visby qui font partie intégrante de la Loi sur le transport des marchandises par eau. La présente action a été instruite en même temps que l'action T-958-95 relative à des avaries causées à une expédition de bobines d'acier laminé à chaud. Les deux cargaisons sont parties des ports lettons de Ventspils et Riga à destination de Montréal en janvier/ février 1995 à bord du navire KAPITONAS GUDIN (le Capitaine Goudine). Les motifs des jugements prononcés dans les deux espèces sont publiés simultanément et doivent être lus conjointement.

[2]                          La loi qui s'applique en l'occurrence a été définie dans les motifs du jugement prononcé dans la cause portant le numéro de greffe T-958-95 (les motifs Nova Steel) et je n'entends pas revenir là-dessus.

[3]                          Samuel, Son & Co., une compagnie canadienne de distribution et de traitement de l'acier, a acheté ladite cargaison de la Unibros Steel Co. de Limassol, à Chypre, au prix de 546,96 $ la tonne métrique pour un montant total de 1 635 470,56 $ et un poids total de 2 990,110 tonnes métriques.

[4]                          La cargaison, de fabrication russe, a été transportée par rail jusqu'au port d'embarquement et chargée sur le navire Capitaine Goudine au port de Ventspils, en Lettonie, entre le 18 janvier et le 23 janvier 1995. Le navire a ensuite mis le cap sur Riga, en Lettonie, où la plupart des bobines d'acier laminé à chaud ont été embarquées. La cargaison a été déchargée à Montréal à partir du 20 février 1995 et entreposée dans un hangar couvert au port de Montréal.


[5]                 Le connaissement délivré à la demanderesse par le capitaine du navire portait la mention suivante: « Taches de rouille. Mouillé avant le chargement » . La demande de lettre de crédit exigeait la production d'un connaissement net de toute mention d'humidité ou d'oxydation. Toutefois, M. Kevin Woodfine, le représentant d'Unibros Canada, a présenté à l'audience un contrat conclu entre la société Unibros et Samuel, Son & Co. autorisant la production d'un connaissement assorti des réserves suivantes : « rouillé, mouillé » . La lettre de crédit de la demanderesse a été honorée et la société Unibros Steel, désintéressée.

[6]                 Comme en ont fait état les motifs du jugement Nova Steel, deux inspecteurs étaient présents à l'ouverture des cales en vue du déchargement de la cargaison à Montréal, à savoir : le capitaine William Morrison représentant Unibros et M. Anthony Steggerda pour l'affréteur du navire. Étaient également présents M. Kevin Woodfine d'Unibros Canada et M. Philip Hornak, alors directeur à l'emploi de la demanderesse, chargé des achats sur les marchés internationaux.


[7]                 Ils étaient sur place en raison du fait que le 20 février 1995, l'entreprise de manutention, Terminus maritimes fédéraux, a adressé, au nom d'Unibros, une lettre au capitaine du navire Capitaine Goudine, l'informant que toutes les bobines étaient mouillées et que les plafonds de ballast étaient recouverts d'une certaine quantité d'eau d'origine jusqu'alors inconnue, sans qu'on ait pu déterminer s'il s'agissait d'une infiltration d'eau de mer. La société Terminus maritimes fédéraux a fait savoir que les inspecteurs désignés étaient au courant de la situation.

[8]                 Dans sa réponse du 21 février 1995, le capitaine Pozela, commandant du navire Capitaine Goudine, a pris position en disant que l'eau trouvée dans les cales n'était pas de l'eau de mer, mais provenait du chargement de bobines mouillées et de la condensation survenue durant le voyage en raison des grands écarts de température.

[9]                 Les bobines d'acier galvanisé et laminé à froid ne sont pas transportées sans emballage protecteur. Chaque bobine est munie d'une doublure de protection interne et externe; la doublure interne est faite de papier étanche recouvert d'une matière plastique, alors que la doublure externe est en tôle galvanisée enveloppant chaque bobine qui est ainsi « mise en conserve » (canned), pour emprunter une expression en usage chez les inspecteurs.

L'ARGUMENTATION DE SAMUEL, SON & CO.

(1)        La question de responsabilité


[10]            Dans son témoignage, M. Kevin Woodfine, de Unibros Canada, a déclaré qu'il se trouvait à bord du Capitaine Goudine lorsqu'on a ouvert les panneaux en vue du déchargement et après que les débardeurs l'eurent informé que la cargaison était mouillée. Le capitaine Morrison avait également demandé d'être là et il a effectué, pour Unibros, des essais au nitrate d'argent sur les bobines et sur l'eau recouvrant les plafonds de ballast, ce qui donnait à croire, à première vue, que la cargaison avait été contaminée par l'eau de mer. Cependant, les tests n'expliquent pas comment cette contamination s'est produite.

[11]            Au cours de son entretien avec le capitaine Morrison, M. Woodfine lui a signalé que les panneaux d'écoutille donnaient des signes d'infiltration du fait que les parois latérales des hiloires étaient tachées de rouille.

[12]            Il a témoigné plus tard qu'il en a avisé toutes les personnes concernées.

[13]            Il a déclaré que la demanderesse a rejeté la cargaison en raison des avaries dues à la pollution saline. Il a confirmé, à l'audience, comme autre élément de preuve, avoir mis à l'essai les bobines à l'usine de la demanderesse, à Laval, pour déterminer l'étendue des dommages. Il a relevé des altérations de couleur causées, selon lui, par l'eau de mer.

[14]            Il a déclaré qu'il avait pris part à la vente de récupération, effectuée à son initiative, de quelques bobines galvanisées à la société Argo Steel de Montréal à laquelle il avait expédié, pour évaluation, 21 bobines en août 1995.


[15]            M. Philip Hornak a témoigné en disant que la cargaison, jugée potentiellement litigieuse, devait être inspectée par un vérificateur parce qu'on la disait avariée par l'eau de mer. C'est pour cette raison qu'il a assisté à son déchargement. Il a ajouté que, d'après les premières données de vérification du capitaine Morrison, l'eau de mer avait endommagé la marchandise.

[16]            Les bobines ont été transportées à l'établissement de la demanderesse à Laval, déballées (uncanned) et déroulées, fendues et mises en pièces pour en connaître l'état. Le transport des bobines hors des quais a été quelque peu retardé à cause d'un arrêt de travail.

[17]            Il a déclaré que le revêtement de zinc galvanisé portait des taches blanches (rouille blanche), indices d'infiltration et d'avarie saline.

[18]            Il a ajouté que la demanderesse a procédé à d'autres essais auprès de quelques autres usines canadiennes lesquelles ont confirmé l'origine saline de l'avarie.

[19]            Il s'est reporté à un tableau qu'il a commenté (pièce P-93), montrant le cheminement de chaque bobine depuis la liste d'emballage du fabricant jusqu'à la vente de récupération et le sort réservé à chacune d'elles suite à une inspection effectuée par déroulement et mise à l'essai. Ce même tableau a servi aussi à évaluer les dommages causés aux bobines.


[20]            M. Hornak a déclaré, dans son témoignage, qu'il avait contribué, avec Unibros et les assureurs, à la mise au point d'un contrat de vente à Argo Steel de quelques unes des bobines avariées. Il a conclu sa déposition en disant que les bobines galvanisées ne présentaient aucun défaut de fabrication contrairement à la cargaison d'acier laminé à froid mais non galvanisé, acheminée en même temps sur le Capitaine Goudine, laquelle n'a pas fait l'objet d'une action en justice, mais a été essentiellement traitée en tant que produit défectueux en raison de problèmes d'ordre métallurgique.

[21]            Le 20 février 1995, le capitaine Morrison a inspecté chaque cale du Capitaine Goudine au moment de son ouverture, à l'exception de la cale n ° 1, et constaté une infiltration d'eau à l'avant et à l'arrière sous les hiloires de deux cales. Il a également vu de l'eau sur les plafonds de ballast. Il a effectué des essais au nitrate d'argent qui se sont révélés positifs pour toutes les cales vérifiées (sauf la cale n ° 1 qui était vide et la cale n ° 5 où toutes les bobines qui s'y trouvaient portaient, à des degrés divers, des marques d'oxydation typiquement dues à une forte condensation). Il a relevé des traînées de rouille sur les parois latérales de certains hiloires, ce qui l'a porté à conclure que les écoutilles n'étaient pas étanches.


[22]            Le rapport d'inspection du capitaine Morrison indique que les bobines laminées à froid, une fois déchargées, ont été directement entreposées dans des hangars portuaires couverts. Une inspection effectuée sur ces bobines à l'aide de nitrate d'argent a donné des résultats positifs pour un certain nombre de bobines, mais négatifs pour d'autres. D'après le capitaine Morrison, l'étendue de tout dommage ne pouvait être déterminée avant que les bobines ne soient livrées aux consignataires ultimes, déballées et dûment inspectées.

[23]            En juin 1995, le capitaine Morrison a été chargé de dresser un nouveau rapport par les soins des assureurs de la cargaison afin de déterminer la cause de l'avarie et prendre part aux travaux de récupération.

[24]            Il s'est rendu à l'entrepôt de la demanderesse, à Laval, les 27 et 28 juin 1995, a inspecté la cargaison à divers autres moments et produit un rapport daté du 11 juin 1996.

[25]            Au moment d'examiner la cargaison sur le point d'être déchargée, le capitaine Morrison s'est référé à son rapport d'inspection antérieur. Il dit:

  • [TRADUCTION]. . . Au cours de notre première inspection, nous avons établi, par des tests au nitrate d'argent, que l'eau trouvée sur chaque plafond de ballast et sur le revêtement extérieur de nombreuses bobines était de l'eau salée. Nous avons également été d'avis que cette eau s'était infiltrée dans les écoutilles par le haut et ce, en raison de la réaction de l'eau salée recouvrant les têtes des bobines et les plafonds de ballast. De grosses taches de rouille recouvraient les parois internes des hiloires de cale.
  • La présente inspection a été effectuée conjointement avec M. A. Steggerda, inspecteur agissant au titre de la protection et de l'indemnisation des propriétaires. Après de longs échanges avec M. Steggerda durant l'inspection, celui-ci s'est rangé à nos opinions.

[26]            Chez Samuel, Son & Co., il a inspecté les feuilles d'acier déjà coupées ainsi que les bobines dégagées de leur enveloppe extérieure (uncanned) et a constaté que les unes et les autres étaient considérablement oxydées. Il les a soumises à des tests au nitrate d'argent et conclu qu'elles étaient entrées en contact avec l'eau de mer. Il a signalé qu'une partie de la cargaison avait été envoyée par Samuel, Son & Co. à Argo Steel.

[27]            Il s'est rendu à plusieurs reprises à l'entrepôt de Argo Steel pour inspecter les bobines en cours de déroulement. Il cherchait, par ces visites, à évaluer le pourcentage des dégâts subis par les bobines d'acier galvanisé laminé à froid. Il a déclaré avoir inspecté en tout 26 bobines aux établissements de Samuel, Son & Co. et d'Argo Steel et a estimé les dégâts à 33,6 pour cent ce qui ne voulait pas dire, a-t-il remarqué, que les 66,4 pour cent des bobines étaient en bon état et pouvaient être vendues à leur plein prix.

[28]            Il a également signalé dans son rapport que la demanderesse faisait face, en outre, au problème de l'oxydation inégale des bobines.

[29]            Il a prélevé des échantillons de rouille qu'il a fait analyser par Technitrol.Echo Inc. L'analyse chimique a été effectuée par le Dr. Steve Bodsay qui, le 10 novembre 1995, a informé le capitaine Morrison que les résultats de l'analyse de masse concordaient avec la thèse de la contamination saline. Il existe de forts indices, écrit-il, que les dégâts ont été causés par l'eau de mer.


[30]            Dans son rapport du 11 juin 1996, le capitaine Morrison relate les tentatives qu'il a faites pour que les dégâts soient inspectés en même temps par les représentants des propriétaires du Capitaine Goudine. M. Peter Rosen, de la Shipowners' Assurance Management l'a alors informé que le capitaine Raj Khanna avait été mandaté pour agir au titre de la protection et de l'indemnisation, qu'il avait apparemment inspecté la cargaison dans le hangar après son déchargement et qu'une nouvelle visite était superflue.

[31]            Le capitaine Morrison a déclaré, dans son rapport, qu'il avait signalé à M. Rosen l'impossibilité d'établir l'étendue des dégâts en inspectant la cargaison au hangar puisqu'il fallait, pour cela, déballer et dévider les bobines. Il a rapporté que M. Rosen n'a pris aucune autre mesure.

[32]            Dans ses arguments relatifs à la responsabilité, la demanderesse s'appuie sur le témoignage 1) de Violeta Davoliute qui a traduit le registre de bord du Capitaine Goudine relatif aux périodes visées, et 2) du capitaine Melvin Fernandez. Ces témoignages sont cités dans les motifs de la cause Nova Steel.


(2)        La question de dommages

[33]            La réclamation de la demanderesse au regard des dommages a été amorcée par les témoignages du capitaine Morrison et de M. Philip Hornak.

[34]            Le capitaine Morrison s'est chargé d'obtenir des offres d'achat pour une partie de la cargaison endommagée. Il a signalé avoir reçu trois offres, la plus intéressante étant celle de Argo Steel qui s'élevait à 23 $C le quintal (comparativement au prix d'achat de 35 $C le quintal).

[35]            Le capitaine Morrison a estimé à 526 441,07 $ US la perte subie par la demanderesse suite à l'avarie de 266 bobines et feuilles d'acier, compte tenu du produit de la récupération et des frais de transport.

[36]            Comme on l'a vu, M. Philip Hornak a présenté, en preuve, la pièce P-93 qui est un tableau indiquant la disposition finale de la cargaison bobine par bobine ainsi que la perte subie par la demanderesse à cet égard.

[37]            La plupart des bobines ont été vendues en tant que marchandise récupérée à Argo Steel au prix de 23 $ le quintal.


[38]            Il a dit qu'une fois déroulées, un petit nombre de bobines valaient plus cher que le prix offert par Argo. Chacune de ces bobines en meilleur état a été évaluée à 27 $ le quintal. La demanderesse a vendu ce lot pour un montant de 88 718,33 $.

[39]            M. Hornak a également expliqué que les bobines débitées en feuilles valaient moins que les bobines elle-mêmes. Ces feuilles, estimées 15 $ le quintal, ont rapporté en tout à la demanderesse la somme de 44 459,72 $.

[40]            Il a affirmé que treize bobines non endommagées ne faisaient l'objet d'aucune réclamation.

[41]            Voici à quoi se monte en résumé la réclamation de Samuel, Son & Co. :

1)         737 645,42 $ pour la perte subie calculée au prix à quai FAB de 35,36 $ le quintal;

2)         5 544,65 $ pour frais d'expertise;

3)         6,58 pour cent d'intérêt avant jugement;

4)         les dépens;

5)         les intérêts après jugement.


L'ARGUMENTATION DES DÉFENDEURS

(1)        La question de responsabilité

[42]            Les 20 et 21 février 1995, M. Steggerda a inspecté l'ensemble de la cargaison à bord du Capitaine Goudine à son arrivée à Montréal. Le résumé de son témoignage, qui figure dans les motifs du jugement Nova Steel, vaut également en l'espèce. Il en va de même du témoignage de M. Amr Rouchdy qui a effectué en 2001 des tests sur l'eau et les éponges recueillies par l'équipage du Capitaine Goudine en présence de M. Steggerda et que celui-ci a conservées dans le garage de son domicile où on les a récupérées tout dernièrement (en mars 2001).

[43]            Le capitaine Khanna n'a pas inspecté les bobines d'acier galvanisé laminé à froid achetées en l'espèce par la demanderesse et n'a formulé aucune opinion sur l'origine du dommage.

[44]            Le témoignage du commandant du Capitaine Goudine a été également résumé dans les motifs du jugement Nova Steel, de même que l'opinion des deux professeurs de l'Université Klapedia ainsi que les tests effectués par le Laboratoire des enquêtes sanitaires du ministère du Bien-être de la République de Lettonie relatifs à l'eau des fleuves Venta et Daugava, en Lettonie.


[45]            Les défendeurs se sont appuyés sur le témoignage de l'expert Frans Copper qui a formulé une opinion dans les deux litiges.

[46]            Il serait bon de se reporter au témoignage de M. Copper dont le résumé figure aux motifs de la décision Nova Steel disant que la substance de couleur blanche observée sur l'acier en bobines laminé à chaud n'était pas du sel marin, mais plutôt du potassium ou du calcium. Il était en outre fermement convaincu qu'aucune eau de mer n'avait pénétré dans les cales du Capitaine Goudine durant la traversée à destination de Montréal.

[47]            Il a abordé, dans son témoignage, des questions particulières aux bobines galvanisées qu'il a qualifiées de produit fini ne nécessitant aucun autre traitement (sinon la coupe à dimensions) avant qu'on s'en serve pour fabriquer, par exemple, des réfrigérateurs, par opposition à l'acier laminé à chaud qui est un produit semi-fini dont on doit éliminer la calamine avant d'en faire usage.

[48]            Il a jugé acceptable que des bobines de ce genre soient mouillées contrairement aux bobines d'acier galvanisé laminé à froid qui doivent toujours être gardées au sec, ce qui explique pourquoi celles-ci ont été emballées de la sorte. D'après lui, les bobines galvanisées exposées à de l'eau fraîche qui s'est infiltrée dans leur emballage porteront des marques d'oxydation blanche et feront l'objet de réclamation.


[49]            Il a dit sa surprise de voir que la cargaison mouillée a été chargée à bord du Capitaine Goudine alors que le navire était à quai à Ventspils. Il n'avait jamais assisté auparavant à un chargement de bobines galvanisées mouillées; celles-ci, a-t-il dit, n'auraient jamais dû être expédiées à Montréal.

[50]            En outre, le fait que cette cargaison ait été débarquée à Montréal sous la pluie n'a fait, selon lui, qu'aggraver les choses.

[51]            Après examen des photos prises par le capitaine Morrison (pièce P-43), il a déclaré que l'oxydation de couleur blanche qu'on y notait provenait typiquement d'une condensation de buée de cale et non d'une eau saline.

[52]            Après étude des documents connexes au litige consistant en comptes rendus d'inspection, tests chimiques, photographies et données recueillies, M. Coppers est arrivé à la conclusion suivante qui figure dans son rapport d'expertise initial en l'espèce daté du 28 août 2001 :

  • [TRADUCTION] À l'embarquement, les bobines de feuilles d'acier galvanisé étaient humides. Une partie de ces bobines étaient arrimées dans le même compartiment du navire que les bobines d'acier galvanisé laminé à chaud mouillées. Les bobines ont été débarquées sous la pluie et la neige avant d'être entreposées à Montréal. L'acier galvanisé s'oxyde au contact de l'eau ou de l'humidité, qu'il s'agisse d'eau douce ou salée, et peut alors faire l'objet d'une réclamation ou d'un rejet. Il appert de ce qui précède que le mouillage à l'origine de l'oxydation avait précédé l'embarquement, continué durant la traversée en mer et reçu « un coup de pouce supplémentaire » durant le déchargement qui a précédé immédiatement l'entreposage à Montréal. C'est pourquoi, je suis fermement d'avis qu'aucune dépréciation ne devrait être consentie aux destinataires de ces bobines en raison du mouillage survenu alors qu'elles étaient sous la garde du navire.

(2)        La question des dommages

[53]            Le fondement probatoire sur lequel les défendeurs se sont appuyés en matière de dommages est essentiellement le même que celui de Nova Steel consistant en contre-interrogatoire et observations de la part de l'avocat.

[54]            Celui des défendeurs a, toutefois, fait une distinction importante et lourde de conséquences en raison du fait que les bobines galvanisées ont été expédiées sous connaissement assorti de réserves, ce qui confirme qu'elles étaient mouillées et portaient des taches de rouille avant leur embarquement. Il a soutenu que ces bobines galvanisées étaient endommagées dès avant leur chargement à bord du Capitaine Goudine et que leur détérioration n'était nullement imputable au transporteur.

[55]            Cependant, l'avocat des défendeurs a contesté l'évaluation des dommages de plus près qu'il ne l'a fait dans la cause Nova Steel, limitant son intervention à cet égard aux indemnités consenties par les assureurs à la demanderesse, ces dédommagements ne constituant pas, à son avis, la preuve que la demanderesse a subi une perte.


ANALYSE

(1)        Le fardeau incombant initialement à la demanderesse

[56]            Il ressort des motifs du jugement Nova Steel, qu'il incombait en premier lieu à la partie demanderesse, en vertu des précédents jurisprudentiels, (voir Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co., [1988] 1 C.F. 262 et Francosteel Corp. c. Fednav Ltd. (1990), 37 F.T.R. 184), de prouver qu'elle a remis les marchandises en bon état. Un connaissement net vaut généralement présomption de preuve à cet égard. Le connaissement était, en l'espèce, assorti de la réserve suivante : « Taches de rouille. Mouillé avant chargement » .

[57]            Dans la décision Francosteel, précitée, le juge Rouleau a déclaré que la cour peut prendre en compte tous les éléments de preuve fournis au sujet de l'état des marchandises avant leur expédition, ajoutant qu'un connaissement net a été, dans certaines circonstances, jugé insuffisant pour établir, à première vue, le bien-fondé d'une allégation, lorsque la marchandise est expédiée sous forme de colis qui ne se prêtent pas à une vérification avant le chargement.


[58]            Dans le cas de Francosteel, précitée, la cargaison comprenait des bobines d'acier laminé à froid ainsi que des bobines d'acier zincrométal. Le fait que les connaissements signalaient que les emballages étaient partiellement tachés soit de rouille, soit d'oxydation blanche, a lourdement pesé sur la décision du juge Rouleau et ce fut l'un des éléments dont il a tenu compte pour juger, dans ce cas-là, que le propriétaire de la cargaison n'avait pas établi, à première vue, que la marchandise a été remise en bon état, du fait que l'humidité avait pu atteindre les bobines avant leur chargement, qu'elle se serait par la suite condensée et aurait été la cause première de l'avarie par oxydation finalement constatée.

[59]            Je fais mien, en l'espèce, le raisonnement du juge Rouleau dans la cause Francosteel, précitée. La demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau initial consistant à établir, à première vue, que la marchandise, confiée au navire Capitaine Goudine, était en bon état.

[60]            En outre, et contrairement au cas Francosteel, rien n'indique comment la marchandise était entreposée chez le fabricant et de quelle façon elle a effectué le long voyage la séparant du port d'embarquement de Ventspils, bien que je sois disposé à conclure qu'elle a été placée à son arrivée là-bas dans un entrepôt couvert. Je ne fonde pas cette conclusion sur une inspection de la SGS Latvia Ltd. préalable au chargement de la marchandise, mais sur le témoignage de M. Kevin Woodfine disant qu'il savait d'expérience que les bobines d'acier galvanisé laminé à froid étaient expédiées à Ventspils plutôt qu'à Riga à cause des entrepôts couverts qui s'y trouvaient.


[61]            Dans ces circonstances, je n'ai nul besoin de trancher la question de savoir s'il est admissible que la demanderesse tente de déposer en preuve le rapport de pré-chargement de la SGS en tant que pièce commerciale, en vertu de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Elle a excipé à cette fin de la décision du juge MacFarland dans la cause Nuvo Electronics Inc. c. London Assurance et al., [2000] O.J. no 2241.

[62]            L'action de la demanderesse ne prend pas fin du seul fait qu'elle n'a pu établir, de prime abord, le bon état de la marchandise au moment de la livraison au transporteur, car elle peut réussir à prouver que la négligence ou l'état d'innavigabilité du Capitaine Goudine avait directement endommagé la cargaison.

[63]            Il s'agit d'avaries dues à la rouille. Au cas où Samuel, Son & Co. prouverait que de l'eau de mer ou du sel marin se trouvait dans les cales du Capitaine Goudine durant la traversée, la responsabilité serait établie, car il devient alors évident que l'eau de mer est à l'origine des dégâts.


[64]            La preuve que la cargaison a été avariée par oxydation est convaincante. M. Kevin Woodfine a dit avoir observé cette avarie dans les installations de la demanderesse à Laval, ce qu'a confirmé à son tour M. Philip Hornak. Le rapport de l'inspection effectuée par le capitaine Morrison à l'entrepôt de la demanderesse à Laval les 27 et 28 juin 1995, avec photographies à l'appui, aboutit à la même conclusion. L'analyse de la rouille par les soins du Dr. Bodsay a porté celui-ci à conclure qu'il s'agissait d'oxydation par l'eau de mer.

[65]            Dans les motifs de la décision Nova Steel, j'ai conclu que le propriétaire de la cargaison avait démontré la présence d'eau de mer ou de sel marin dans les cales du Capitaine Goudine, durant le voyage. Une bonne partie des éléments de preuve a trait, en l'occurrence, à la cargaison de bobines d'acier galvanisé laminé à froid. Il en va de même pour les constatations faites par le capitaine Morrison lors de son inspection à bord du Capitaine Goudine au moment de l'ouverture des écoutilles pour décharger la cargaison. Cette conclusion a été également confortée par M. Amr Rouchdy dans son analyse de l'eau recueillie au moyen d'une éponge sur les plafonds de ballast, comme elle l'a été dans le témoignage du capitaine Pozela au sujet du nettoyage des cales à l'eau de mer sans rinçage à l'eau douce.

[66]            La seule preuve invoquée par les défendeurs au sujet de l'inspection de la marchandise tenait dans le rapport de M. Anthony Steggerda dont le résumé figure aux motifs de la décision Nova Steel. Comme on l'a vu, M. Steggerda, en contre-interrogatoire

1)         a reconnu n'avoir peut-être pas vu les traînées de rouille sur les hiloires d'écoutille (une preuve d'infiltration) parce qu'ils étaient mouillés et il ignorait si l'eau s'infiltrait par ces écoutilles;


2)         s'appuyant sur l'analyse effectuée par M. Rouchdy de l'eau recueillie sur les plafonds de ballast, il a convenu que cette eau était un mélange d'eau douce et salée, ce qui corrobore aussi la traduction qu'a faite Mme Davoliute de l'annotation portée sur le registre de bord du Capitaine Goudine indiquant que l'eau de mer pénétrait dans la cale n ° 3;

3)         il n'a que sommairement inspecté les mécanismes des écoutilles qui en assuraient l'étanchéité;

4)         il a déclaré que la pratique consistant à laver à l'eau salée les cales du Capitaine Goudine sans les rincer à l'eau douce pouvait, par l'action du séchage et de la condensation, gravement endommager la cargaison.

[67]            A l'instar de ce que j'ai énoncé dans les motifs de Nova Steel, je ne puis partager le point de vue de M. Frans Copper selon qui il n'existe aucune preuve d'infiltration d'eau salée dans les cales. Il lui fallait voir des photographies montrant des traînées de rouille sur les hiloires d'écoutille. Comme il n'en a vu aucune, ce fait, d'après lui, n'était pas démontré. Il m'est impossible d'évaluer la preuve dans une perspective aussi étroite, car il m'incombe de le faire en tenant compte de l'ensemble des éléments de preuve afin de tirer une conclusion fondée sur la prépondérance des probabilités.


[68]            La contamination au chlorure attribuable, selon lui, à l'action d'embruns salés au port de chargement a été contredite par l'analyse des eaux fluviales effectuée aux deux ports par les soins du Dr. Bodsay et n'est pas corroborée par le témoignage de M. Kevin Woodfine affirmant que le port de Ventspils est doté de hangars couverts, ce qui explique qu'on ait choisi d'embarquer la cargaison à partir de là.

[69]            La prépondérance des probabilités appuie la conclusion voulant que l'eau de mer ait pénétré dans les écoutilles durant la grosse tempête. Le capitaine Khanna a reconnu que, poussées par cette tempête, les vagues frappant les écoutilles, pouvaient provoquer des infiltrations. Le capitaine Morrison a dit que, s'agissant d'un vieux navire, l'eau aurait pu entrer par les ventilateurs.

[70]            L'ensemble de ces preuves nous porte à conclure à la négligence et à l'état d'innavigabilité du Capitaine Goudine. C'est certainement une négligence de laver les cales du navire à l'eau de mer sans les rincer ensuite à l'eau douce. Quant à l'état d'innavigabilité, l'infiltration d'eau salée dans les cales en donne la preuve.

[71]            Les défendeurs n'ont nullement prouvé qu'ils ont exercé une diligence raisonnable de nature à infirmer la conclusion relative à l'état d'innavigabilité.


[72]            L'avocat des défendeurs a soutenu la thèse voulant que la cargaison fût déjà avariée lors de son chargement à bord à Ventspils. En admettant même que je conclue au manquement par les défendeurs au devoir de prudence, aucune compensation ne se justifierait du fait qu'aucune nouvelle détérioration ou moins-value ne se produirait. L'avocat a convenu que s'il m'appert que l'eau de mer a été l'une des causes ou la seule cause d'avarie de la cargaison, sa thèse serait invalidée.

[73]            En supposant que les défendeurs aient réussi à prouver l'état avarié de la cargaison à Ventspils, il était approprié que leur avocat convienne, comme il l'a fait.

[74]            William Tetley, dans l'ouvrage intitulé Marine Cargo Claims, écrit, à la page 328, ce qui suit:

[TRADUCTION] Lorsqu'un dommage résulte en partie d'un acte ou d'une faute attribuable au transporteur, celui-ci doit être en mesure, preuve suffisante à l'appui, de faire le départ entre la partie du dommage dont il est l'auteur et celle qui incombe à autrui, à défaut de quoi, il sera tenu responsable au regard de toute la réclamation.    

[75]            Et le professeur Tetley de citer le passage suivant de la décision du juge Hobhouse dans The Torenia, [1983] 2 Lloyd's Rep. 210, p. 218 :

[TRADUCTION] Lorsque les faits indiquent que la perte est due aux effets simultanés d'une exonération et d'une non-exonération de responsabilité, le transporteur demeure responsable. Il n'échappe à cette responsabilité que dans la mesure où il peut prouver que la perte ou le dommage est uniquement attribuable à l'exonération.

[76]            Le Capitaine Goudine est entièrement responsable, à mon avis, du fait que les défendeurs n'ont pas fourni de preuve visant à répartir les dommages.


[77]            J'aborde brièvement les autres éléments de défense ou de protection mis de l'avant par les défendeurs.

[78]            Contrairement à la cause Nova Steel, les défendeurs n'ont fourni aucune preuve de malfaçon.

[79]            Leur avocat a fait valoir l'état défectueux de l'emballage sans présenter une preuve quelconque à l'appui; c'est pourquoi l'argument n'est pas retenu.

[80]            Enfin, je ne vois aucun champ d'application possible, en l'espèce, touchant le principe établi par le juge Nadon dans Union Carbide Corp. c. Fednav et al. (1997), 131 F.T.R. 241.

[81]            Le juge Nadon a jugé, en l'occurrence, qu'un règlement intervenu entre le propriétaire d'une cargaison et ses assureurs ne prouvait pas que la demanderesse ait subi une perte.


[82]            La preuve, dans ce cas-ci, est différente. Les bobines ou les feuilles étaient endommagées. Les bobines, cotées à 27 $ le quintal, étaient en meilleur état que celles vendues en tant que marchandise récupérée. Le prix offert pour les feuilles était inférieur du fait qu'on les avait taillées ce qui en a réduit la valeur. Elles ont été vendues par la demanderesse, ce qui confirme sa perte.

JUGEMENT

[83]            Pour tous ces motifs, l'action de la demanderesse est accueillie avec dépens. Elle est fondée à recevoir par jugement les sommes de 737 745,42 $ à titre de dommages, et de 5 544,65 $ pour frais d'expertise. Les intérêts avant jugement sont fixés à 6,58 pour cent. La demanderesse a en outre droit à des intérêts après jugement.

  

                                                                                                                        « François Lemieux »      

                                                                                                                                                    Juge                    

OTTAWA (ONTARIO)

29 JANVIER 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1597-95       

  

INTITULÉ :                           SAMUEL, SON & CO. LIMITED c. LITHUANIAN SHIPPING CO. et al.

  

DATE DE L'AUDIENCE :    29 janvier 2002

  

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

  

MOTIFS DU JUGEMENT : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

  

DATE DES MOTIFS :           29 janvier 2002

  

COMPARUTIONS :

Rui Fernandes                                       POUR LA DEMANDERESSE

Ramon Andal

Sean J. Harrington                                                POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fernandes Hearn LLP

Toronto (Ontario)                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais

Montréal (Québec)                                                            POUR LES DÉFENDEURS

  
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