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Date : 20011010

Dossier : IMM-3342-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1108

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

HANNAH ESSIAW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]    À la fin de l'audition de la présente requête visant à surseoir l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour, j'ai énoncé les motifs pour lesquels la requête était rejetée. Voici le fondement des motifs en question, lesquels sont repris dans une forme plus structurée que celle adoptée lors de la divulgation orale des commentaires originaux.


[2]    La demanderesse est une femme du Ghana âgée de 66 ans qui est venue au Canada au mois de décembre 1998 pour visiter son fils et sa belle-fille. Le fils et la belle-fille travaillent tous deux à l'extérieur de sorte que la demanderesse s'occupe des deux enfants du couple pendant la journée. Le visa de visiteur de la demanderesse a été prorogé deux fois et, au cours de la deuxième période, la demanderesse a présenté une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) en vue d'être dispensée de l'exigence voulant que les demandes de résidence permanente soient présentées à l'étranger. La demande a été refusée; une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été présentée le 3 juillet 2001. Lorsque le visa de visiteur de la demanderesse a expiré à la fin de la deuxième période, une mesure d'interdiction de séjour a été prise conformément au paragraphe 27(4) et à l'alinéa 26(1)c) de la Loi, obligeant la demanderesse à quitter le Canada pour le motif qu'elle était entrée au Canada en qualité de visiteur et qu'elle avait séjourné au Canada au-delà de la période autorisée.


[3]                 Il existe une distinction importante entre une mesure d'interdiction de séjour et une mesure d'expulsion. La personne qui fait l'objet d'une mesure d'interdiction de séjour et qui quitte volontairement le Canada obtient sur demande une attestation confirmant son départ. Par suite de l'attestation, le départ est reconnu comme volontaire et n'a pas de répercussions sur le droit du demandeur de rentrer au Canada dans l'avenir. Si une personne ne quitte pas le Canada, ou si une personne quitte le Canada sans obtenir d'attestation, la mesure d'interdiction de séjour devient une mesure d'expulsion. Par conséquent, la personne en cause peut alors être renvoyée de force si elle est restée au Canada. Qu'elle soit renvoyée ou qu'elle quitte volontairement le Canada sans obtenir d'attestation, le résultat est le même : la personne ne peut pas revenir au Canada sans l'autorisation du ministre (article 55 de la Loi).

[4]                 En l'espèce, la demanderesse est frappée d'une mesure d'interdiction de séjour qui deviendra une mesure d'expulsion le 29 juillet 2001 à moins qu'avant cette date, elle ne quitte le Canada et n'obtienne une attestation confirmant son départ. La demanderesse a présenté une demande de sursis à l'exécution de la mesure d'interdiction de séjour en alléguant qu'elle ne devrait pas être placée dans la situation où la mesure d'interdiction de séjour dont elle fait l'objet deviendrait une mesure d'expulsion pendant qu'elle attend le résultat de la demande de contrôle judiciaire. À l'encontre de la requête, il a été soutenu que la réparation demandée excède la compétence de la Cour ou que la demande est prématurée.

[5]                 À l'appui de la première proposition, le défendeur se fonde sur une série de décisions, à commencer par Rajan c. Canada, [1994] A.C.F. no 1618, (1994), 86 F.T.R. 70, où Monsieur le juge Rothstein (tel était alors son titre) était saisi d'une demande visant l'obtention de la réparation ci-après énoncée :

[TRADUCTION] a) le sursis de la transformation, le 27 octobre 1994, de la mesure d'interdiction de séjour, prise in abstentia contre la requérante le 16 septembre 1994 au CIC de Scarborough, en une mesure d'expulsion;


b) une ordonnance interdisant à l'intimé de contraindre la requérante à quitter le Canada pendant un délai raisonnable après (i) qu'une décision définitive aura été rendue relativement aux demandes en instance devant cette Cour et (ii) que l'intimé aura respecté toute ordonnance en découlant.

Le juge Rothstein a statué que l'ordonnance visant la transformation de la mesure excédait tout simplement la compétence de la Cour parce que si la Cour l'accordait, cela équivaudrait à rédiger de nouveau la loi telle qu'elle a été édictée par le législateur. Plus précisément, la Loi sur l'immigration prévoit qu'une mesure d'interdiction de séjour devient après un certain temps une mesure d'expulsion. La Cour n'a pas compétence pour modifier ce délai en accordant un sursis à l'exécution de la mesure d'interdiction de séjour. Le juge Rothstein a refusé de suivre la décision Llewellyn c. Canada, [1994] A.C.F. 384, (1994), 74 F.T.R. 221, dans laquelle une ordonnance similaire à celle qui lui était demandée avait été rendue par Monsieur le juge en chef adjoint Jerome.

[6]                 En ce qui concerne le sursis à l'exécution de la mesure d'interdiction de séjour, le juge Rothstein a statué que la requête était prématurée puisque, dans ce cas-là, aucune disposition n'avait été prise aux fins du renvoi de la demanderesse. En effet, les responsables du ministère convoquent habituellement la personne qui est frappée d'une mesure d'expulsion et lui donnent une directive de se présenter, c'est-à-dire un document indiquant la date et la façon dont elle sera renvoyée du Canada. Or, aucune directive de ce genre n'avait été donnée dans l'affaire Rajan, et aucune n'a été donnée dans ce cas-ci.


[7]                 La décision Rajan a été suivie dans les décisions Verich c. Canada, [1996] A.C.F. no 400 (juge Noël) et Weir c. Canada, [1998] A.C.F. no 494 (juge McKeown). La décision Verich était fondée sur le motif énoncé par le juge Rothstein, à savoir que la demande était prématurée, alors que dans la décision Weir, la Cour s'est fondée sur le caractère prématuré et sur l'absence de compétence.

[8]                 La décision Rajan n'a pas été suivie dans la décision Calderon c. Canada, [1995] A.C.F. no 393, (1995), 92 F.T.R. 107, dans laquelle Madame le juge Simpson a statué que l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, permettait au juge de la Section de première instance de surseoir à l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour. Cette disposition est ainsi libellée :


18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.


18.2 On an application for judicial review, the Trial Division may make such interim orders as it considers appropriate pending the final disposition of the application.


Le juge Simpson a dit que des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier l'octroi d'un sursis conformément à la compétence attribuée à la Cour à l'article 18.2 de la Loi.

[9]                 Le défendeur se fonde sur la décision Rajan et sur les décisions dans lesquelles cette décision a été suivie, alors que la demanderesse se fonde sur la décision Calderon.


[10]            La question, telle qu'elle est définie selon les résultats différents obtenus dans les décisions Rajan et Calderon, est de savoir si la Cour a compétence pour surseoir à une mesure d'interdiction de séjour. Dans son analyse, le juge Simpson s'est fondée sur l'alinéa 27(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978 pour conclure qu'il peut être sursis à la mesure d'interdiction de séjour :


27. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l'attestation de départ prévue à l'article 32.02 de la Loi, qui constate le départ d'une personne visée par une mesure d'interdiction de séjour, doit être délivrée, selon le cas :

a) s'il y a sursis d'exécution de la mesure d'interdiction de séjour, dans les 30 jours qui suivent la date de cessation d'effet du sursis d'exécution;


27. (1) Subject to subsection (2), a certificate of departure referred to in section 32.02 of the Act that verifies that a person in respect of whom a departure order has been issued has left Canada may be issued not later than 30 days

(a) where the departure order is stayed, after the day on which the stay is no longer in effect;


Le sursis mentionné dans cette disposition pourrait être celui qui est prévu au paragraphe 49(1) de la Loi par opposition à un sursis ordonné par un tribunal.

[11]            Néanmoins, si l'alinéa 27(1)a) du Règlement est considéré tel quel, il semble répondre à l'argument selon lequel toute intervention, en ce qui concerne une mesure d'interdiction de séjour, constitue essentiellement une modification de la Loi. La disposition a cet effet : la période pendant laquelle il est sursis à une mesure ne compte pas aux fins de la date à laquelle la mesure d'interdiction de séjour devient une mesure d'expulsion. Le résultat obtenu dans la décision Rajan est encore correct, mais peut-être pas pour le motif invoqué. La partie de la demande de réparation visant le sursis de « la transformation [...] de la mesure d'interdiction de séjour [...] en une mesure d'expulsion [...] » aurait dû être rejetée, non parce qu'elle excédait la compétence de la Cour, mais parce que la réparation demandée était prévue par la loi, si la demanderesse avait par ailleurs droit à un sursis.


[12]            Selon l'argument contraire, cette analyse a pour effet de punir inutilement les personnes qui décident d'exercer leurs droits. À moins qu'une personne ne quitte le pays avant l'expiration de la période réglementaire ou qu'elle ne réussisse à obtenir un sursis avant l'expiration de la période réglementaire, le départ est réputé être une expulsion. La personne en cause devra donc obtenir une autorisation du ministre pour revenir au Canada. Une personne ne devrait pas être pénalisée parce qu'elle exerce son droit de contester une décision administrative qui lui est défavorable. Tel est l'argument.


[13]            Pour replacer cet argument dans son contexte, il faut se rappeler que, selon la Loi, lorsqu'il est conclu qu'une personne autre qu'un résident permanent appartient à une catégorie non admissible, l'arbitre doit prendre une mesure d'expulsion à son endroit. Voir le paragraphe 32(6) de la Loi. Toutefois, l'arbitre peut prendre une mesure d'interdiction de séjour s'il croit que l'intéressé devrait pouvoir revenir au Canada sans l'autorisation du ministre et « qu'il quittera le Canada avant l'expiration de la période applicable » . Voir le paragraphe 32(7) de la Loi. La prise d'une mesure d'interdiction de séjour représente donc l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur, fondé sur la conviction selon laquelle ce dernier quittera le pays avant l'expiration de la période prévue par la Loi et par ses règlements. Le demandeur qui décide de ne pas se prévaloir de ce pouvoir discrétionnaire favorable en quittant le pays, comme il est tenu de le faire, sera traité comme il l'aurait été s'il avait été conclu qu'il était peu probable qu'il quitte le Canada. Cela équivaut simplement à une décision selon laquelle une personne ne peut pas bénéficier d'une mesure d'interdiction de séjour en acceptant de quitter le Canada et en cherchant ensuite à tirer parti de cette mesure lorsqu'elle refuse de quitter le Canada. Cela ne constitue pas une injustice.

[14]            Il reste à examiner l'argument fondé sur le caractère prématuré, que le juge Rothstein a libellé comme suit :

Quant à la demande visant à obtenir une ordonnance interdisant à l'intimé de contraindre la requérante à quitter le Canada, j'estime qu'elle est prématurée. Si la requérante ne quitte pas le pays de son propre gré, comme je l'ai indiqué précédemment, elle pourra présenter une demande de sursis lorsqu'elle sera avisée par l'intimé de la date à laquelle elle doit partir. Ce volet de la demande de sursis doit donc lui aussi être rejeté.

Le juge Rothstein examinait une mesure d'interdiction de séjour plutôt qu'une mesure d'expulsion. Étant donné que la mesure ne prévoyait pas que le ministre prendrait des mesures contre la demanderesse avant l'expiration de la période prescrite, il n'y avait rien qui puisse faire l'objet d'un sursis à l'exécution[1]. En d'autres termes, on ne saurait logiquement demander au ministre de s'abstenir de prendre une mesure qu'il ne se propose pas de prendre.

[15]            Au moment où la requête a été présentée, la mesure d'interdiction de séjour n'était pas devenue une mesure d'expulsion. Comme dans la décision Rajan, la demande de sursis était donc prématurée.


[16]            Pour ces motifs, la demande de sursis est rejetée.

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-3342-01

INTITULÉ :                                                        Hannah Essiaw

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 13 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                                     le 10 octobre 2001

COMPARUTIONS :

M. Yiadom A. Atuobi-Danso                                                     POUR LA DEMANDERESSE

M. Jamie Todd                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Yiadom A. Atuobi-Danso                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]           Sous réserve de l'exception prévue au sous-alinéa 55(3)a), qui prévoit que le ministre peut renvoyer une personne avant l'expiration de la période réglementaire en lui remettant une attestation de départ. Ce type de mesure pourrait faire l'objet d'une requête visant l'obtention d'un sursis.

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