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     Date : 19980720

     Dossier : T-1596-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 JUILLET 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     BAYER INC. et BAYER AG,

     requérantes,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

     ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,

     intimés.

     ORDONNANCE

     VU la demande présentée par les requérantes en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS-93-133, en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l'intimée, Apotex Inc., pour le médicament appelé chlorhydrate de ciprofloxacine, y compris les comprimés de 100 mg, 250 mg, 500 mg et 750 mg de ce médicament, jusqu'à l'expiration du brevet canadien nE 1,322,334;

     LECTURE FAITE des documents versés au dossier;

    

     APRÈS avoir entendu les avocats des requérantes et de la société intimée à Ottawa (Ontario) les 21 et 31 octobre 1997 et le 23 janvier 1998;

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     La demande est rejetée.

     A. Lutfy

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


Date : 19980720


Dossier : T-1596-95

ENTRE :

     BAYER INC. et BAYER AG,

     requérantes,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Le 28 juillet 1995, les requérantes Bayer Inc. et Bayer AG ont déposé un avis de requête introductif d'instance pour solliciter une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l'intimée Apotex Inc. pour le médicament appelé chlorhydrate de ciprofloxacine, y compris les comprimés de 100 mg, 250 mg, 500 mg et 750 mg de ce médicament, jusqu'à l'expiration du brevet canadien nE 1,322,334. Cette requête est présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1.

[2]      Le présent avis de requête introductive d'instance est une réponse à l'avis d'allégation envoyé par Apotex le 12 juin 1995, lequel allègue l'invalidité du brevet 334 :

                 [TRADUCTION]                 
                 Objet : COMPRIMÉS DE 100 MG, 250 MG, 500 MG ET 750 MG DE CHLORHYDRATE DE CIPROFLOXACINE.                 
                 La présente constitue un avis d'allégation en vertu de l'alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).                 
                 Nous alléguons que le brevet nE 1,322,334 n'est pas valide. Voici un énoncé du droit et des faits sur lesquels nous fondons cette allégation.                 
                 Le brevet nE 1,322,334 ne révèle pas une invention différente de celle qui est revendiquée dans le brevet nE 1,218,067. Plus particulièrement, le mélange du chlorhydrate de ciprofloxacine avec un diluant ou un support acceptable en pharmacie en vue de fabriquer une composition ou l'utilisation de cette composition ne comportent pas de nouvelle activité inventive.                 

[3]      Le brevet canadien nE 1,218,067 mentionné dans l'avis d'allégation d'Apotex et le brevet 334 délivrés à Bayer visent tous deux le chlorhydrate de ciprofloxacine. Le brevet 067 renferme des revendications de procédé et des revendications de procédé liée à un produit visant le composé de chlorhydrate de ciprofloxacine. Le brevet 334 renferme des revendications relatives à une composition contenant ce composé comme " principe actif ".

[4]      L'avis d'allégation du 12 juin 1995 est le troisième de cinq avis semblables envoyés par Apotex au sujet du chlorhydrate de ciprofloxacine. Les quatre autres avis d'allégation d'Apotex et les demandes correspondantes d'ordonnances d'interdiction sont décrits dans l'avis de requête introductif d'instance modifié de Bayer :

                 [TRADUCTION]                 
                 9. Le premier avis d'allégation a donné lieu à une instance, dans le dossier nE T-1192-93, qui a abouti à l'ordonnance du 22 novembre 1995 par laquelle le juge MacKay a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le chlorhydrate de ciprofloxacine jusqu'à l'expiration du brevet canadien nE 1,218,067 (brevet 067).                 
                 10. Le deuxième avis d'allégation a donné lieu à une instance, dans le dossier nE T-468-95, qui a abouti à l'ordonnance du 22 novembre 1995 par laquelle le juge MacKay a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour des comprimés de chlorhydrate de ciprofloxacine (comprimés de ciprofloxacine) jusqu'à l'expiration du brevet 334.                 
                 11. Le quatrième avis d'allégation, daté du 24 novembre 1995, a donné lieu à une quatrième instance aux termes du Règlement, dans le dossier nE T-35-96, engagée par les requérantes le 8 janvier 1996 à l'égard des comprimés de ciprofloxacine et des brevets 067 et 334.                 
                 12. Le cinquième avis d'allégation, daté du 26 janvier 1996, a donné lieu à une cinquième instance aux termes du Règlement, dans le dossier nE T-591-96, engagée par les requérantes le 11 mars 1996 à l'égard des comprimés de ciprofloxacine et des brevets 067 et 334.                 

Dans une sixième instance2, Bayer a déposé une déclaration contre Apotex dans le dossier nE T-2645-95 pour solliciter la mesure de redressement déclaratoire suivante :

                 [TRADUCTION]                 
                 a)      une déclaration portant que Bayer AG avait le droit d'obtenir les brevets canadiens nos 1,218,067 et 1,322,334 et qu'elle n'a pas violé l'article 28 de la Loi sur les brevets, S.R.C. (1970), ch. P-4, en raison de la délivrance du brevet chilien nE 32,861 ou pour une autre raison;                 
                 b)      une déclaration portant que pendant que les ordonnances d'interdiction accordées par la présente Cour dans les instances T-1192-93 et T-468-95 sont en vigueur, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social ne peut délivrer un avis de conformité à Apotex pour le médicament appelé chlorhydrate de ciprofloxacine, malgré tout avis d'allégation subséquemment déposé par Apotex Inc.;                 
                 c)      une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le médicament appelé chlorhydrate de ciprofloxacine jusqu'à l'expiration des brevets nos 1,218,067 et 1,322,334; ...                 

[5]      Dans le premier avis d'allégation, Apotex allègue qu'à l'égard du brevet 067 aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant la fabrication, l'utilisation ou la vente par Apotex des comprimés de chlorhydrate de ciprofloxacine. Les motifs de l'ordonnance par laquelle le juge MacKay a accordé l'interdiction sollicitée par Bayer sont publiés3 et Apotex poursuit son appel de cette ordonnance dans le dossier nE A-787-95.

[6]      Pour ce qui est du deuxième avis d'allégation, il s'agissait de savoir si une revendication visant une composition pharmaceutique constitue une " revendication pour le médicament en soi " au sens de l'article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) . Dans Nu-Pharm Inc. c. Hoffmann-La Roche Ltd.4, la Cour d'appel a donné une réponse affirmative à cette question et Apotex s'est depuis désistée de son appel dans le dossier nE A-788-95 à l'égard de la deuxième ordonnance du juge MacKay, en date du 22 novembre 19955, qui interdisait la délivrance d'un avis de conformité à Apotex jusqu'à l'expiration du brevet 334. Pour ce qui est de cette ordonnance d'interdiction du juge MacKay et du troisième avis d'allégation d'Apotex qui fait l'objet de la présente instance, Bayer n'invoque plus l'argument de la chose jugée. Il est en effet maintenant établi " [qu']il est possible de soumettre des allégations successives et que chacune doit être traitée indépendamment, à condition qu'elle soit distincte des autres... "6, même si l'allégation a été faite après la délivrance d'une ordonnance d'interdiction.

[7]      Les quatrième et cinquième avis d'allégation d'Apotex allèguent l'invalidité des brevets 067 et 334 pour des motifs qui semblent mettre en jeu les articles 27, 28 et 29 de la Loi sur les brevets7.

[8]      Pour ce qui est du troisième avis d'allégation d'Apotex et de la demande d'ordonnance d'interdiction dans la présente instance, la position de Bayer sur le fond est que l'allégation d'Apotex au sujet de l'invalidité du brevet 334 n'est pas justifiée. Bayer soulève toutefois une question préliminaire, soit l'abus de procédure que constituerait ce troisième avis d'allégation.

L'abus de procédure

[9]      La présentation de plus d'un avis d'allégation devant la Cour, à condition que ceux-ci soient distincts les uns des autres, ne peut être considérée comme un abus de procédure8.

[10]      Bayer dit que le troisième avis d'allégation constitue un abus de procédure, et ce, pour au moins deux raisons principales. Premièrement, dans le contexte des cinq avis d'allégation, de la déclaration, de l'ordonnance d'interdiction visant le brevet 334 qui est maintenant une décision finale et de l'absence de progrès importants dans le cadre de l'appel de l'ordonnance d'interdiction visant le brevet 067, le présent avis d'allégation constitue un abus9. Deuxièmement, la décision éventuelle relative aux demandes d'ordonnance d'interdiction visant les quatrième et cinquième avis d'allégation ainsi que la déclaration rendent la présente instance théorique, ce qui constitue un gaspillage d'énergie pour toutes les parties en cause10.

[11]      Le premier avis d'allégation vise le brevet 067. L'avis d'allégation à l'origine de la présente instance est le troisième avis d'allégation, même s'il ne s'agit que du deuxième avis concernant le brevet 334. Ce troisième avis d'allégation a été envoyé quelques mois avant la deuxième ordonnance d'interdiction du juge MacKay. Rien ne donne à penser que cet avis d'allégation n'est pas " distinct " du premier avis visant le brevet 334. Toutefois, Bayer prétend que les allégations des deuxième et troisième avis auraient dû être regroupées en un seul avis d'allégation et que le défaut d'Apotex à cet égard constitue un abus de procédure. Un argument similaire a été rejeté dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)11 même si la question était formulée en termes de " principe de la chose jugée, dans son application large ". Je ne connais aucune source qui exige que des allégations distinctes soient présentées dans le même avis, même si cette façon de faire pourrait permettre d'économiser du temps, particulièrement pour la " seconde personne ". Je suis tout à fait convaincu, en me fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc.12, qu'on ne pouvait sérieusement invoquer l'abus de procédure au moment de l'envoi de cet avis d'allégation.

[12]      Bayer dit qu'une instance subséquente peut fonder la contestation d'une instance antérieure pour abus de procédure13. Même si Bayer a raison - et j'entretiens de sérieux doutes à cet égard - aucun élément de preuve n'a été présenté dans la présente instance au sujet des questions de fond soulevées dans les demandes visant les quatrième et cinquième avis d'allégation ainsi que la déclaration. Un examen rapide de ces avis et de la déclaration de Bayer, sans autre élément de preuve, ne permet pas d'affirmer sérieusement que la présente instance est théorique. De même, le simple fait que Bayer affirme dans sa plaidoirie que la présente instance est théorique dans le contexte des autres instances n'est pas une preuve d'abus de procédure. Le caractère théorique est une chose, l'abus de procédure en est une autre.

[13]      Si les instances concernant les troisième, quatrième et cinquième avis d'allégation étaient liées au point de rendre la présente instance théorique, l'une ou l'autre des parties aurait pu, par souci d'efficacité ou pour d'autres raisons, donner suite à la suggestion formulée par le juge Strayer dans Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)14, une décision interlocutoire rendue dans la première de ces instances connexes :

                 Il serait peut-être plus pratique, et cela ménagerait mieux l'emploi du temps de la Cour ainsi que le temps et l'argent des clients, si tous les avis d'allégation déposés par une " deuxième personne " donnée, à l'égard d'un même médicament, pouvaient être examinés dans le cadre d'une même demande de prohibition, ou du moins en même temps. Grâce à la bonne volonté et au bons sens des parties, le juge de première instance pourrait, le cas échéant, ordonner dans ce genre d'affaire que la preuve et les arguments invoqués de part et d'autre soient examinés ainsi.                 

[14]      À mon avis, ni au moment de son envoi ni au moment de l'audience le troisième avis d'allégation ne constituait un abus de procédure.

L'allégation d'invalidité du brevet 334

[15]      Le brevet 334 résulte d'une demande complémentaire à une demande principale visant le chlorhydrate de ciprofloxacine tel que décrit dans le brevet 067. La question de fond à trancher consiste à savoir si Bayer s'est déchargé de son fardeau de prouver que l'allégation d'Apotex au sujet de l'invalidité du brevet 334 n'est pas justifiée. Une présomption légale, par exemple, peut aider Bayer et " avoir pour effet de faire passer la charge de la preuve [à l'autre partie] "15.

i)      La preuve des parties

[16]      Bayer se fonde sur la présomption légale de validité prévue à l'article 43 de la Loi sur les brevets16. Les déclarants pour le compte de Bayer ont produit le brevet 334, la liste de brevets relative au chlorhydrate de ciprofloxacine, l'avis d'allégation d'Apotex du 12 juin 1995 (le troisième avis d'allégation) et l'abandon au domaine public déposé auprès du commissaire aux brevets, qui prétend limiter la durée du brevet 334 à celle du brevet 067 délivré environ 80 mois plus tôt17.

[17]      Le paragraphe introductif du précis du brevet 334 mentionne ce qui suit :

                 [TRADUCTION] Une composition pharmaceutique comprenant comme principe actif une quantité efficace en pharmacie d'acide 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-4-oxo-7-pipérazino-quinoline-3-carboxylique de formule I ...                 

Plus loin, on peut lire ceci :

                 [TRADUCTION] La présente demande est complémentaire à la troisième des trois demandes complémentaires, lesquelles sont toutes complémentaires à la demande principale dont le nE de série est 409,435 et qui a été déposée le 13 août 1982. La troisième demande complémentaire a été déposée le 5 mai 1986 avec la demande nE 508,336.                 
                 [...]                 
                 L'invention visée par la demande principale concerne des procédés de préparation de certains nouveaux acides 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-4-oxo-7-pipérazino-quinoline-3-carboxylique, qui sont les composés de formule I.                 
                 L'invention visée par la présente demande concerne des compositions de certains des composés de formule I définis ci-dessus et ci-dessous et dans lesquels R représente l'hydrogène ou l'éthyle, et l'utilisation de ces compositions dans des additifs alimentaires et en tant qu'agents antibactériens.                 

La demande complémentaire a été déposée le 26 octobre 1990 et le brevet 334 a été délivré le 21 septembre 1993.

[18]      Il est utile aussi d'énoncer les conditions de l'abandon au domaine public signé pour le compte de Bayer AG le 9 octobre 1995 et déposé au Bureau des brevets le 17 octobre 1995 :

                 [TRADUCTION]                 
                      ABANDON AU DOMAINE PUBLIC                 
                 Attendu que Bayer Aktiengesellschaft (Bayer), de Leverkusen en République fédérale d'Allemagne, est le propriétaire du brevet canadien nE 1,322,334 octroyé et délivré le 21 septembre 1993, pour une invention intitulée COMPOSITIONS QUI CONTIENNENT DE L'ACIDE 1-CYCLOPROPYL-6-FLUORO-1,4-DIHYDRO-4-OXO-7-PIPÉRAZINE-QUINOLINE-3-CARBOXYLIQUE, ET LEUR UTILISATION.                 
                 Attendu que le brevet canadien nE 1,322,334 a été octroyé et délivré à la suite d'une demande qui était complémentaire à la troisième de trois demandes complémentaires, lesquelles sont toutes complémentaires à la demande principale de brevet portant le nE de série 409,435, déposée le 13 août 1982, lequel brevet a été octroyé et délivré le 17 février 1987, comme brevet canadien nE 1,218,067, intitulé ACIDES 1-CYCLOPROPYL-6-FLUORO-1,4-DIHYDRO-4-OXO-7-PIPÉRAZINE-QUINOLINE-3-CARBOXYLIQUES; PRÉPARATION ET AGENTS ANTIBACTÉRIENS RENFERMANT CES ACIDES.                 
                 Attendu que Bayer n'entend pas avoir la propriété ni le privilège exclusif des réalisations de l'invention décrites et revendiquées dans le brevet canadien nE 1,322,334 au-delà de la durée légale limitée à la durée du brevet canadien nE 1,218,067.                 
                 En conséquence, Bayer abandonne irrévocablement au public le brevet canadien nE 1,322,334, lequel abandon prend effet à la date d'expiration de la durée légale limitée à la durée du brevet canadien nE 1,218,067 (la date d'expiration). Qu'il soit par conséquent connu qu'après la date d'expiration, le brevet canadien nE 1,322,334, et tous les droits découlant du brevet canadien nE 1,322,334, seront par la présente complètement, entièrement et irrévocablement abandonnés, et tous ces droits seront par les présentes abandonnés au public pour son usage au Canada dans la pleine mesure de ces droits, et le commissaire aux brevets est par les présentes autorisé à rendre cet abandon public, s'il l'estime opportun.                 

Aucun élément de preuve n'explique le dépôt de ce document plusieurs semaines après le début de la présente instance. Dans son mémoire des points de droit, Bayer dit, toutefois, que l'abandon au public est une réponse complète à toute allégation de préjudice de la part d'Apotex relativement au brevet 334 vu son expiration le même jour que le brevet 067. Dans sa plaidoirie, Bayer a laissé entendre que l'abandon au public pouvait avoir été déposé auprès du Bureau des brevets pour d'autres motifs que la présente instance18.

[19]      La preuve présentée par Apotex émane de son président. Il est l'auteur de l'avis d'allégation d'Apotex et le signataire de l'affidavit déposé par cette dernière. Pour en faciliter la consultation, il est utile de reproduire l'énoncé des faits et du droit sur lequel Apotex fonde son allégation d'invalidité du brevet 334 :

                 [TRADUCTION] Le brevet nE 1,322,334 ne révèle pas une invention différente de celle qui est revendiquée dans le brevet nE 1,218,067. Plus particulièrement, le mélange du chlorhydrate de ciprofloxacine avec un diluant ou un support acceptable en pharmacie en vue de fabriquer une composition ou l'utilisation de cette composition ne comportent pas de nouvelle activité inventive.                 

Voici des extraits de l'affidavit d'Apotex qui complètent son avis d'allégation :

                 [TRADUCTION]                 
                 17. Le brevet 334 est intitulé compositions qui contiennent de l'acide 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-4-oxo-7-pipérazino-quinoline-3-carboxylique, et leur utilisation.                 
                 18. Le brevet 334 résulte d'une demande complémentaire à une demande principale visant des composés incluant le chlorhydrate de ciprofloxacine. Le brevet 334 en cause en l'instance revendique des compositions pharmaceutiques contenant notamment une quantité efficace de chlorhydrate de ciprofloxacine, de même que des supports acceptables en pharmacie de différentes sortes pour former différents types de compositions pharmaceutiques destinées à un usage déterminé.                 
                 19. Le chlorhydrate de ciprofloxacine ne peut servir que de médicament, c'est-à-dire qu'il ne peut qu'être mélangé à une formulation pharmaceutique en vue de traiter des maladies humaines ou animales. Dans ce contexte, il s'agit de l'utilité du chlorhydrate de ciprofloxacine visé par la demande principale. Par conséquent, l'inclusion de revendications visant des compositions de chlorhydrate de ciprofloxacine et leur utilisation dans le brevet 334 ne constitue pas une invention différente de celle qui est révélée dans la demande principale. Le brevet 334 représente plutôt une tentative d'obtenir deux brevets à l'égard de l'invention visée par la demande principale.                 
                 20. Habituellement, l'exercice normal de l'art en matière de formulations pharmaceutiques mènera à une combinaison appropriée d'ingrédients inactifs mélangés avec un ou plusieurs principes actifs pour créer une composition pharmaceutique efficace. Les combinaisons et les choix particuliers sont bien connus des fabricants pharmaceutiques.                 
                 21. Sauf dans le cas de très rares principes actifs difficiles à formuler, dont le chlorhydrate de ciprofloxacine ne fait pas partie, le fabricant n'a habituellement à faire preuve d'aucune activité inventive pour prendre un principe actif et l'inclure dans une forme posologique acceptable en pharmacie.                 
                 22. Le brevet 334 revendique des compositions de chlorhydrate de ciprofloxacine. Toutefois, l'invention révélée dans le brevet 334 ne décrit ni ne règle des problèmes de formulation du chlorhydrate de ciprofloxacine. D'après mon expérience, le chlorhydrate de ciprofloxacine est facilement préparé sous forme posologique sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à une invention distincte. En conséquence, le brevet 334 ne révèle aucune invention.                 

[20]      Bayer ne conteste pas les prétentions du paragraphe 19 de l'affidavit d'Apotex selon lesquelles le chlorhydrate de ciprofloxacine ne peut servir que de médicament, lorsqu'il est mélangé à une formulation pharmaceutique, pour le traitement des maladies humaines ou animales et qu'il s'agit de l'utilité [TRADUCTION] " visée par la demande principale ". De cette affirmation non contestée, je conclus que le déclarant d'Apotex était au courant de la demande principale.

[21]      Le déclarant d'Apotex a aussi dit que [TRADUCTION] " l'inclusion de revendications visant des compositions du chlorhydrate de ciprofloxacine et leur utilisation dans le brevet 334 ne constitue pas une invention différente de celle qui est révélée dans la demande principale ". Là encore, en l'absence de tout contre-interrogatoire concernant cette prétention et de toute autre preuve, il est possible de conclure que le déclarant d'Apotex était en mesure de faire cette affirmation parce qu'il était au courant de la demande principale. Même si l'avocat de Bayer n'a pas souscrit sans équivoque à cette prétention, Bayer ne conteste pas l'absence d'activité inventive distincte du brevet 334 par rapport à l'invention du brevet 06719. Bayer prétend que, en tant que demande complémentaire, [TRADUCTION] " ...le brevet 334 peut se fonder sur la même invention, la même idée créatrice ou le même génie créateur... "20 que le brevet principal 067.

[22]      Aucune des deux parties n'a déposé le brevet 067. Bayer a fait valoir avec insistance qu'en l'espèce aucun élément de preuve n'a été présenté quant à la teneur du brevet 067. Toutefois, à mon avis, les extraits pertinents du brevet 334, l'avis d'allégation, l'abandon au public et l'affidavit d'Apotex établissent - si doute il y avait - que les deux brevets concernent le même composé de chlorhydrate de ciprofloxacine. Bayer reconnaît aussi que la demande principale est assujettie au paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets21. Compte tenu de ce qui précède, on ne peut que conclure que les revendications du brevet 067 concernent un composé dépendant d'un procédé. La première revendication du brevet 334 vise une composition comprenant comme principe actif une quantité efficace pharmaceutiquement de chlorhydrate de ciprofloxacine avec un diluant ou un support acceptable en pharmacie. Je n'ai pas compris quels renseignements contenus dans le brevet 067, qui n'auraient pas été par ailleurs divulgués dans la preuve des parties, sont nécessaires du point de vue d'Apotex pour étayer son allégation d'invalidité. Cela est particulièrement vrai, vu que Bayer a reconnu l'absence d'activité inventive ressortant du brevet 334, à l'exception du composé lui-même22. C'est la validité des revendications du brevet 334 relatives à la composition qui est en cause en l'espèce, et non les revendications relatives au composé dépendant d'un procédé du brevet 067.

ii)      Analyse de la position des parties

[23]      Les avocats ont cité six affaires23 concernant la validité de revendications relatives à des compositions qui ne résultent pas d'activités inventives, dont trois concernaient des produits médicinaux. Seules les inventions concernant des substances destinées à l'alimentation et à la médication étaient assujetties à l'article 41 de la Loi sur les brevets en vigueur à l'époque. Cette distinction entre les affaires est reliée directement aux différentes interprétations que les avocats ont données du fondement de ces six affaires.

[24]      Dans l'analyse et l'examen approfondis de ces six affaires qu'il a faits dans Merck & Co. c. Apotex Inc.24, mon collègue le juge MacKay a dressé l'historique du paragraphe 41(1) :

                 Aux termes du par. 39(1) de la Loi (auparavant le par. 41(1) cité dans la jurisprudence invoquée par Apotex), les substances préparées par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication ne pouvaient pas être revendiquées comme une invention sauf lorsque les substances étaient préparées ou produites par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués. En résumé, le régime prévoyait que, lorsqu'il s'agissait de médicaments produits par des procédés chimiques, aucune invention ne pouvait être revendiquée à l'égard de produits, sauf s'ils résultaient d'un procédé revendiqué. Les modifications apportées en 1987 ont mis fin à ce régime en disposant que ce type exceptionnel de revendication de brevet ne serait applicable que durant une période de quatre ans à compter de la date des modifications et seulement à l'égard d'inventions portant sur des substances que l'on retrouve dans la nature, préparées ou produites, selon des procédés microbiologiques et destinées à l'alimentation ou à la médication (L.R.C. (1985), ch. 33 (3e suppl.) (ou L.C. 1987, ch. 41), art. 14). Par conséquent, après 1987, une revendication pour un médicament produit par un procédé chimique peut être valide, comme pour tout produit chimique, sans que soit aussi revendiqué le procédé chimique selon lequel il est produit25.                 

[25]      La demande visant le brevet 334 a été déposée après l'abrogation du paragraphe 41(1). Pour Bayer, ce fait est important parce qu'elle considère que la jurisprudence qu'invoque Apotex est fondée sur le paragraphe 41(1) et ne s'applique donc pas directement à la présente instance. Pour Apotex, la jurisprudence concernant la validité des revendications relatives à une composition pharmaceutique à l'époque où le paragraphe 41(1) était en vigueur est restée la même qu'après son abrogation. Selon Apotex, le paragraphe 41(1) ou son abrogation ne devrait donc avoir aucune incidence sur l'issue de la présente demande.

[26]      Dans Commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning26, la Cour suprême du Canada a déclaré non brevetables les revendications d'une demande complémentaire visant des compositions antidiabétiques contenant de la sulphonylurée. Une demande principale et neuf autres demandes complémentaires avaient donné lieu à la délivrance d'un brevet en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets, concernant différents procédés de fabrication de la sulphonylurée. Dans la présente demande, qui est la plus récente, un autre brevet est demandé pour le même médicament sous une forme diluée, mélangée à une certaine substance inerte ([TRADUCTION] " un support en pharmacie administrable par voie orale ") pour permettre de fabriquer le médicament sous une forme commercialisable. Les avocats de Bayer et d'Apotex ont convenu que les faits dans l'arrêt Farbwerke Hoechst correspondaient en tous points aux circonstances de l'espèce :

                 [TRADUCTION] En l'espèce, l'addition d'un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d'augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l'administration, n'est rien d'autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. S'il existe un brevet pour la nouvelle substance médicinale, un brevet distinct ne peut pas exister pour la substance qui n'est que diluée.                 
                 [...]                 
                 Mélanger une substance chimique brevetée à un support n'est pas nouveau et ce n'est pas le résultat d'une activité inventive. C'est bien sûr, comme le conclut le Président, une substance mais c'est encore une substance identique sous tous rapports, sauf la dilution, à une substance produite par un procédé chimique pour lequel un brevet a été accordé en vertu du par. 41(1) de la Loi sur les brevets.                 
                 La décision portée en appel a une très grande importance pratique. Elle vise la forme plutôt que la substance. La revendication d'une composition pharmaceutique semblable à celle du présent appel, est exempte des restrictions imposées par le par. 41(1), et la personne ayant obtenu un brevet de cette façon pourrait faire valoir ces revendications contre quiconque utilise l'ingrédient pharmaceutique actif constituant la substance de l'invention, indépendamment de son procédé de production.                 
                 [...]                 
                 Dans le cas présent, il n'est pas question d'une deuxième invention qui comporterait la découverte d'un support nouveau et spécial, lequel donnerait des propriétés inattendues, nouvelles et spéciales aux compositions. Permettre la revendication d'un médicament mélangé à un support dans sa forme pure plutôt que dans sa forme liée au procédé voudrait dire qu'on pourrait breveter tous les nouveaux médicaments indépendamment des restrictions de l'article 41 dans la seule forme pratique où ils peuvent servir. Cela aurait évidemment pour effet de contourner l'objet de l'article lui-même27.                 

Des six affaires examinées par les avocats, Farbwerke Hoechst est la seule qui concerne une demande complémentaire visant une composition médicinale et, par conséquent, à laquelle s'applique l'article 41. Les deux autres affaires28 concernant des médicaments n'étaient pas des demandes complémentaires.

[27]      Pour Bayer, le seul fondement de l'arrêt Farbwerke Hoechst est qu'une composition médicinale ne peut contourner la restriction prévue au paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets selon laquelle la revendication doit être relative à une forme dépendante d'un procédé. À mon avis, cette décision énonce deux propositions distinctes, dont seule la seconde est liée directement au paragraphe 41(1). Premièrement, la dilution d'un composé original sans intervention de l'ingéniosité inventive ne peut fonder un deuxième brevet. Deuxièmement, fonder ainsi un brevet contredirait le principe sous-tendant le paragraphe 41(1). Dans Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets29, la Cour suprême du Canada a cité les extraits susmentionnés de Farbwerke Hoechst et résumé son interprétation de cet arrêt comme suit :

                 ... la demanderesse demandait un brevet pour un médicament à l'égard duquel elle détenait déjà un brevet; mais [...] la seule différence était qu'elle demandait de le breveter dans une forme diluée. Elle a conclu que l'addition d'un support inerte au composé original n'était rien d'autre que de la dilution et qu'il n'en résultait pas une invention différente du composé lui-même30.                 

Cette interprétation de l'arrêt Farbwerke Hoechst par la Cour suprême est importante parce que le paragraphe 41(1) n'était pas en cause dans l'arrêt Shell Oil Co., lequel ne traitait pas de substances destinées à l'alimentation ou à la médication.

[28]      Dans Shell Oil Co., la Cour suprême du Canada a réitéré le principe qu'en l'absence d'activité inventive autre que celle qui ressort du brevet original, une composition ne constitue pas une invention :

                 ... mélanger un composé à un support ne constitue pas une activité inventive. En conséquence, si le composé est breveté, il n'y a pas d'invention dans la composition. À mon avis, cette proposition est tout à fait logique, que l'art. 41 s'applique ou non à la substance...31.                 

Cet énoncé du juge Wilson renforce mon opinion au sujet de l'interprétation du courant jurisprudentiel illustré par l'arrêt Farbwerke Hoechst. Indépendamment de la question de savoir si le composé est un médicament, autrement dit, indépendamment de l'application ou non de l'article 41, pour qu'un brevet distinct soit délivré à l'égard de la composition, il doit y avoir une activité inventive autre que celle qui se rattache au composé lui-même. Dans Shell Oil, des revendications visant une composition fondée sur une utilisation nouvelle de l'ancien composé ou sur de nouveaux composés ont été autorisées.

[29]      Dans Merck & Co. c. Apotex Inc.32, la Cour d'appel a examiné la validité des revendications relatives à une composition ne résultant pas d'une activité inventive, figurant dans le même brevet que les revendications visant le composé. Après avoir rappelé les deux motifs pour lesquels la Cour suprême a rejeté les revendications relatives à la composition dans la demande complémentaire en cause dans l'arrêt Farbwerke Hoechst, le juge MacGuigan a résumé cette décision comme suit :

                 Il s'agissait d'une autre décision établissant que, une fois qu'un brevet a été délivré pour une invention, un autre brevet ne sera pas délivré pour ce qui est inhérent à la même invention33.                 

J'en conclus que depuis sa décision dans Merck & Co., la Cour d'appel a interprété l'arrêt Farbwerke Hoechst comme s'appliquant indépendamment de l'article 41. Après un examen de la jurisprudence qui a suivi Farbwerke Hoechst, le juge MacGuigan a dit :

                 Du moins, depuis l'arrêt Shell Oil, il doit être clair que les décisions antérieures ne signifient pas qu'une revendication pour la composition ne peut pas subsister avec une revendication pour le composé pour le motif qu'elle n'est pas le fruit d'une activité inventive. Tant et aussi longtemps que les compositions ne comportent pas d'inventions distinctes, il n'existe aucune règle suivant laquelle les revendications relatives aux composés et les revendications relatives aux compositions comprenant ceux-ci ne peuvent être combinées dans un seul brevet.                 
                 En fait, c'est plutôt le contraire. Il est possible de revendiquer divers aspects d'une invention dans un seul brevet. La pratique suivie depuis longtemps est donc de permettre diverses sortes de revendications dans un même brevet34.                 

[30]      En résumé, je suis convaincu que les faits et la conclusion de l'arrêt Farbwerke Hoechst s'appliquent directement en l'espèce. Dans cet arrêt, le commissaire des brevets a rejeté les revendications relatives à la composition parce que leur aspect essentiellement inventif [TRADUCTION] " réside dans le composé chimique médicalement actif, et non dans le fait qu'il soit lié à un support "35. Les faits de la présente espèce ne sont pas différents. Le commissaire a conclu que dans les demandes complémentaires, les revendications relatives à la composition ne révèlent rien [TRADUCTION] " qui n'était pas enseigné ni clairement implicite " dans les revendications relatives au composé36. En conséquence, il a rejeté les revendications relatives à la composition et sa décision a plus tard été confirmée par la Cour suprême du Canada. Les jugements subséquents de ce courant jurisprudentiel sont conformes à la conclusion tirée dans Farbwerke Hoechst. Je ne vois aucune raison de distinguer cette conclusion de celle qui s'impose en l'espèce.

[31]      Bayer estime que cette interprétation de l'arrêt Farbwerke Hoechst ne contredit pas nécessairement sa position. Elle se fonde sur la pratique du Bureau des brevets quant à l'application des articles 58 à 60 des Règles sur les brevets en vigueur à l'époque37 :

     Division

58. An application that claims a product and a process for making the product shall not, for that reason only, be deemed to claim more than one invention.

59. An application that describes and claims a process and an apparatus specially adapted to carry out the process shall not, for that reason only, be deemed to be directed to more than one invention.

60. Subject to sections 58 and 59, an application that does not contain a claim broader in its scope than any other claim in the application shall be deemed to be directed to more than one invention.

     Division

58. Une demande qui revendique un produit et un procédé de fabrication de tel produit n'est pas censée, pour ce motif seulement, revendiquer plus d'une invention.

59. Une demande qui décrit et revendique un procédé et un appareil adapté spécialement à la mise en oeuvre de ce procédé, n'est pas censée, pour ce motif seulement, viser plus d'une invention.

60. Sous réserve des articles 58 et 59, une demande qui ne renferme pas une revendication de plus grande portée que toutes ses autres revendications, est censée viser plus d'une invention.

[32]      L'argument de Bayer au sujet des articles 58 à 60 des Règles sur les brevets est énoncé dans son mémoire :

         [TRADUCTION]                 
         64. En tant que demande complémentaire, la demande nE 913 (qui a donné lieu à la délivrance du brevet 334), ne pouvait se voir accorder le statut de demande complémentaire que si l'invention définie dans les revendications du brevet 334 résultant se retrouvait dans la demande nE 435 (qui a donné lieu à la délivrance du brevet 067). À la date du dépôt de la demande nE 435, le 13 août 1982, l'article 60 des Règles sur les brevets établissait une présomption selon laquelle une demande visait plus d'une invention lorsqu'elle ne renfermait pas une revendication de plus grande portée que toute autre revendication dans la demande. Cette présomption reflète l'idée [TRADUCTION] d'" unité d'invention " exigée par le Bureau des brevets à l'époque et s'appliquait à l'égard de l'exigence voulant qu'un requérant dépose des demandes complémentaires.                 
         65. En application des articles 58 à 60, une demande qui renferme des renvendications relatives à a) un procédé de préparation d'un composé nouveau; b) un composé nouveau sous une forme dépendante d'un procédé; c) une composition contenant le composé nouveau avec un support; et d) l'utilisation de la composition, aurait été censée viser plus d'une invention, rendant par conséquent nécessaire le dépôt de demandes complémentaires. Le Bureau des brevets appliquait couramment ces règles pour exiger des requérants qu'ils déposent des demandes complémentaires à l'égard de différentes réalisations en l'absence d'unité d'invention.                 
         Règles, articles 58, 59 et 60                 
         66. L'objet révélé dans une demande principale ne constitue pas une réalisation antérieure pour les fins de l'examen du caractère inventif de l'objet revendiqué dans une demande complémentaire à une demande principale.                 
         Loi sur les brevets, par. 38(3).                 
         67. Bayer, la requérante qui a présenté la demande nE 435, était tenue par le Bureau des brevets de déposer un certain nombre de demandes complémentaires ainsi qu'il ressort de la divulgation du brevet 334. Il ressort aussi clairement que les revendications du même type que celles que renferme ce brevet étaient légalement brevetables à cette époque.                 

[33]      Si j'ai bien saisi la position de Bayer, le brevet 334 qui a été délivré à la suite de la demande complémentaire nE 615,913 était le résultat logique de la pratique du Bureau des brevets à l'époque où l'article 60 des Règles était en vigueur. Si Bayer a raison, cette pratique aurait eu pour effet de prolonger la période d'octroi prévue par la loi à l'égard des revendications relatives à la composition du brevet 334 qui ne sont pas le fruit d'une autre activité inventive que celle qui a donné lieu aux revendications relatives au composé du brevet 067. Un tel résultat serait incompatible avec le but et l'objet de la Loi sur les brevets et, à mon avis, avec les enseignements de l'arrêt Farbwerke Hoechst. L'article 60 et le principe d'unité d'invention, qui est pertinent à la question de la contrefaçon d'une revendication large par une ou plusieurs revendications dépendantes, ne peuvent servir à prolonger les droits de monopole conférés à un breveté. Cela créerait une grave anomalie dans la loi. Il est impossible qu'il appartienne au breveté, et seulement à son gré, de corriger cette anomalie simplement par le dépôt volontaire d'un abandon au domaine public.

[34]      Dans l'arrêt Farbwerke Hoechst, même si le commissaire examinait une demande complémentaire visant des revendications relatives à une composition dont la seule caractéristique inventive était le composé médicinal faisant l'objet de la demande principale, il a rejeté toutes les revendications relatives à la composition sans mentionner les articles 58 à 60 ni leur application par le Bureau des brevets38. Ces règles étaient en vigueur depuis 1948. La décision du commissaire dans Farbwerke Hoechst date de 1960. On aurait pu penser que la pratique qu'invoque Bayer à l'appui de sa position en l'espèce aurait été également applicable dans l'arrêt Farbwerke Hoechst. Aucun élément de preuve n'indique que la pratique du Bureau des brevets invoquée par Bayer a été introduite après l'arrêt Farbwerke Hoechst. Aucun élément de preuve n'indique que le paragraphe 41(1) ou les modifications qui y ont été apportées en 1987 ont eu une incidence directe sur cette pratique administrative. En dernière analyse, la Loi sur les brevets, telle qu'interprétée par la jurisprudence, doit l'emporter sur une pratique administrative.

[35]      La preuve ne justifie pas qu'on accorde autant de poids que Bayer à la pratique administrative du Bureau des brevets. Les parties ont choisi de ne pas déposer le brevet 067. Aucun élément de preuve ne démontre que le commissaire a exigé la présentation de la demande complémentaire 334 ou l'a ordonnée. Aucun élément de preuve n'explique pourquoi la demande relative au brevet 334 n'a été déposée qu'en 1990. Aucun renseignement ne permet de conclure que la pratique administrative du Bureau des brevets ou d'autres circonstances factuelles justifient une conclusion incompatible avec le courant jurisprudentiel suivi depuis l'arrêt Farbwerke Hoechst.

[36]      En conclusion, la présomption légale de validité d'un brevet s'applique " sauf preuve contraire "39. En l'espèce, la preuve peu étoffée des parties et l'aveu de Bayer établissent que les revendications de composition ne révèlent aucune activité inventive autre que celle qui a donné lieu aux revendications de composé. Cette preuve, évaluée à la lumière de l'arrêt Farbwerke Hoechst, suffit à réfuter la présomption de validité de l'article 43 de la Loi sur les brevets, du moins pour les fins de la présente instance sommaire40.

[37]      Sur la foi du dossier constitué dans le cadre de la présente instance sommaire, je conclus que Bayer n'a pas prouvé que l'allégation d'Apotex relative à l'invalidité du brevet 334 est injustifiée. En conséquence, la présente demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction est rejetée. L'audience ayant pris fin avant l'entrée en vigueur des récentes modifications aux Règlements sur les médicaments brevetés (avis de conformité), j'ai décidé qu'il n'y aurait pas d'adjudication des dépens.

     A. Lutfy

    

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

20 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-1596-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BAYER INC. et BAYER AG

                     - et -

                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa et Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Les 21 et 31 octobre 1997 et le 23 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :              20 juillet 1998

ONT COMPARU :

James D. Kokonis, c.r.          pour les requérantes

Gunars A. Gaikis         

H.B. Radomski              pour l'intimée - Apotex Inc.     

Richard Naiberg

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar              pour les requérantes

Ottawa (Ontario)

Toronto (Ontario)

Goodman Phillips & Vineberg      pour l'intimée - Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

__________________

     1      DORS/93-133.

     2      L'avis de requête introductif d'instance modifié a été déposé le 31 octobre 1996, soit quelques mois après la présentation de la demande de Bayer dans la présente instance. Aucun des quatre autres avis d'allégation, non plus que la déclaration n'ont été déposés dans la présente instance, mais les avocats des deux parties ont été informés que la Cour avait examiné des copies de ces documents dans les dossiers du greffe qui, à la demande de l'une des parties, étaient disponibles au cours des deux premiers jours de la présente audience. Aucune des parties ne s'est opposée à ce que j'examine les documents en cause que les avocats ont cités au cours de la partie de la plaidoirie sur l'abus de procédure.

     3      (1996), 65 C.P.R. (3d) 203 (C.F. 1re inst.).

     4      (1995), 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.F.), confirmant (1995), 62 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.).

     5      (1996), 65 C.P.R. (3d) 200 (C.F. 1re inst.).

     6      Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), à la p. 10. Autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 8 janvier 1998, nE du greffe 26259.

     7      S.R.C. (1970), ch. P-4.

     8      Supra, note 6, à la p. 10.

     9      Transcription du 21 octobre 1997, à la p. 137.

     10      Transcription du 23 janvier 1998, à la p. 41.

     11      (1997), 71 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.), à la p. 145.

     12      Supra, note 6.

     13      Selon moi, les déclarations du juge Muldoon dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 74 C.P.R. (3d) 131 (C.F. 1re inst.), à la p. 149, sur lesquelles Bayer se fonde et qui portent que l'évaluation des allégations de non-contrefaçon doit se faire en fonction de l'état des allégations " au moment de l'audience " ne s'appliquent pas nécessairement à l'appréciation de l'abus de procédure.

     14      (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la p. 134.

     15      Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la p. 319.

     16      L.R.C. (1985), ch. P-4. Aux termes de l'article 43, chaque brevet est valide pendant sa durée " ...sauf preuve contraire ". (" In the absence of any evidence to the contraray, be valid... ").

     17      Bayer a aussi produit la transcription de son très bref contre-interrogatoire du déclarant d'Apotex. Rien dans la présente instance ne concerne les 21 questions posées dans le cadre de ce contre-interrogatoire qui portent sur les compétences du déclarant en matière de formulation pharmaceutique et sur le fait qu'il a personnellement préparé du chlorhydrate de cyprofloxacine.

     18      Transcription du 23 janvier 1998, à la p. 137.

     19      Transcription du 23 janvier 1998, p. 74.

     20      Transcription du 21 octobre 1997, p. 98.

     21      Supra, note 7. Le paragraphe 41(1), qui est devenu plus tard le paragraphe 39(1), disposait :

In the case of inventions relating to substances prepared or produced by chemical processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the substance itself, except when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents. Lorsqu'il s'agit d'inventions portant sur des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne peut comprendre les revendications pour la substance même, sauf lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.

Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, aux p. 46 et 47, écrit :
     [TRADUCTION] Cet article vise à empêcher que le breveté s'approprie certaines substances de telle sorte qu'il empêche d'autres chercheurs dans le même domaine de concevoir des améliorations de la préparation ou de la qualité des substances en cause.
     Lorsqu'une substance est revendiquée, elle doit l'être par renvoi à une revendication du procédé au moyen duquel elle est produite, et cette revendication de procédé doit être valide. [Renvois omis.]

     22      Voir la transcription du 23 janvier 1998 aux p. 70 à 74, pour la réponse de Bayer relative à la pertinence de la connaissance des revendications du brevet nE 067 et à la décision relative à la présente demande.

     23      Rohm & Haas Co. v. Commissioner of Patents (1959), 30 C.P.R. 113 (C. de l'É.); Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Commissaire des brevets, [1964] R.C.S. 49, 41 C.P.R. 9, infirmant (1962), 39 C.P.R. 105 (C. de l'É.); Sandoz Patents Ltd. c. Gilcross Ltd., [1974] R.C.S. 1336, 8 C.P.R. (2d) 210; Agripat S.A. c. Commissaire des brevets (1977), 52 C.P.R. (2d) 229 (C.A.F.); Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, 67 C.P.R. (2d) 1; et Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., [1995] 2 C.F. 723 (C.A.F.), 60 C.P.R. (3d) 356.

     24      (1994), 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.), aux p. 166 et suiv., infirmé pour d'autres motifs, (1995), 60 C.P.R. (3d) 356 (C.A.F.).

     25      Ibid., aux p. 166 et 167. Voir aussi supra, note 21.

     26      Supra, note 23.

     27      Ibid, p. 53 à 55 (R.C.S.); p. 13 à 16 (C.P.R.).

     28      Sandoz Patents Ltd., supra, note 23, et Apotex Inc., supra, note 23.

     29      Supra, note 23.

     30      Ibid., à la p. 540 (R.C.S.), p. 4 (C.P.R.). Citant Farbwerke Hoechst et Sandoz, la Cour a ajouté que " ...l'activité inventive se trouve dans les composés seulement et où leur seule dilution dans un support inerte ne constitue pas une autre invention " (à la p. 544 (R.C.S.), p. 7, (C.P.R.)).

     31      Supra, note 23, à la p. 552 (R.C.S.), p. 13 (C.P.R.).

     32      Supra, note 23.

     33      Ibid., à la p. 751 (C.F.), p. 379 (C.P.R.).

     34      Ibid., à la p. 756 (C.F.), p. 382 (C.P.R.).

     35      La décision du commissaire est citée dans les motifs du jugement de la Cour suprême du Canada dans Farbwerke Hoechst , supra, aux p. 54 et 55 (R.C.S.) et aux p. 14 à 16 (C.P.R.).

     36      Ibid.

     37      Règles sur les brevets, C.R.C., 1978, ch. 1250. Il n'y a que des changements mineurs entre la version de 1978 des articles 58 à 60 et le texte original qui est entré en vigueur le 1er juin 1948 (C.P. 1948-2637). Les articles 58 et 59 ont été abrogés le 21 septembre 1989 (C.P. 1989-1782, DORS/89-452, art. 7). L'article 60 a été abrogé le 25 mai 1984 (C.P. 1984-1749, DORS/84-398, art. 1).

     38      Supra, note 35.

     39      Supra, note 16.

     40      Voir Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la p. 359.

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