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Date : 19991215


Dossier : T-2582-93


ENTRE :


     CIBA-GEIGY CANADA LTÉE,

     demanderesse,


     - et -


     NOVOPHARM LIMITED,


     défenderesse.




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED



[1]          Il s"agit d"une demande de la défenderesse par laquelle elle souhaite obtenir une ordonnance portant soit renvoi soit instruction d"une question soulevée, en vue de décider de la nature et du montant des dommages-intérêts qui devraient être versés par la demanderesse en raison de l"injonction provisoire, puis interlocutoire, prononcées contre la défenderesse.



[2]          Les injonctions interdisaient à la défenderesse de vendre des comprimés de diclofénac sodique(" diclofénac ") ayant la même couleur, la même forme et la même taille que ceux vendus par la demanderesse sous le nom commercial de Voltaren. Le 23 novembre 1993, le juge Gibson a prononcé une injonction provisoire, et une injonction interlocutoire remplaçant cette injonction provisoire qui a été accordée par le juge Rothstein le 21 juillet 1994.



[3]          En novembre 1993, la défenderesse entreprenait la commercialisation de comprimés dans une concentration de 100 mg, et envisageait de commercialiser un comprimé de 75 mg. L"ordonnance portant injonction provisoire prononcée par le juge Gibson ne faisait pas de distinction entre les comprimés de 100 mg et ceux de 75 mg. Bien qu"il ait refusé de mentionner les comprimés de 75 mg dans son ordonnance, le juge Rothstein a signalé que la demanderesse pourrait présenter une demande en vue d"obtenir que l"ordonnance vise les comprimés en question lorsque ceux-ci seraient offerts sur le marché. Le paragraphe 2 de l"ordonnance rendue le 2 septembre 1994 précise ce qui suit :

     La demande tendant à une injonction interlocutoire et au réexamen de la question des comprimés de 75 mg fabriqués par la défenderesse est rejetée sans préjuger du droit qu'a la demanderesse de solliciter à nouveau une injonction interlocutoire lorsque lesdits comprimés fabriqués par la défenderesse deviennent disponibles et, en cas de pareille demande, les parties pourront se prévaloir du dossier de la présente demande, du dossier de la Cour portant le numéro T-2582-93 et de toute autre preuve qu'elles entendront produire.


[4]          Après la délivrance de l"injonction interlocutoire, la défenderesse a entrepris de commercialiser des comprimés de 100 mg de diclofénac dont la couleur, la forme et la taille (comprimé blanc) étaient différentes de celles utilisées par la demanderesse (comprimé rose), et elle n"a pas cessé depuis. La défenderesse n"a jamais commercialisé de comprimés de 75 mg d"une couleur, forme et taille identiques à ceux de la demanderesse; sachant qu"elle serait sommée de cesser de se livrer à une telle activité, la défenderesse a dès le début commercialisé ses comprimés sous une forme distincte.



[5]          La défenderesse a interjeté appel de l"ordonnance relative à l"injonction interlocutoire. La demanderesse a déposé un appel à l"égard de l"ordonnance par laquelle la Cour refusait que l"injonction s"applique aux comprimés de 75 mg. On n"a donné suite à aucun de ces appels. En outre, la demanderesse n"a rien fait pour que l"action qu"elle avait intentée contre la défenderesse soit instruite sur le fond. Par conséquent, le 28 mai 1997, la défenderesse a présenté une demande en vue d"obtenir la levée de l"injonction prononcée contre elle. La demanderesse a vivement contesté cette demande.



[6]          Le 19 décembre 1997, le juge MacKay a annulé l"injonction. Après avoir examiné la jurisprudence, il est arrivé à la conclusion que la demanderesse n"avait pas rempli l"obligation qui lui incombait, à titre de partie en faveur de laquelle une injonction interlocutoire avait été prononcée, de procéder à l"instruction dans des délais raisonnables :

     [26] En résumé, me fondant sur [les] précédents, je suis d'avis que, lorsqu'une mesure de redressement temporaire et discrétionnaire, une injonction interlocutoire, est accordée à un demandeur, une mesure qui porte atteinte à la liberté d'action d'un défendeur sur le fondement d'un préjudice futur inféré, il est implicitement entendu que le demandeur poursuivra sa plainte, dont le bien-fondé sera examiné par le tribunal, dans des délais raisonnables. Lorsque le demandeur ne s'acquitte pas de son obligation sous-jacente de poursuivre l'affaire devant les tribunaux avec diligence raisonnable, si bien que l'injonction constitue une entrave permanente à la liberté d'action du défendeur, le tribunal peut, à la demande du défendeur, lever l'injonction.
         . . .
     [28] En l'espèce, je suis d'avis que le retard est excessif et inexcusable. On ne peut plus, en raison de celui-ci, parler d'injonction " provisoire ". Comme elle le reconnaît elle-même, la demanderesse n'a rien fait pour que l'affaire soit instruite sur le fond. Son explication est, pour l'essentiel, que les défenderesses n'ont rien fait pour faire avancer l'action. Je souligne encore une fois que cette responsabilité incombe à la demanderesse. Celle-ci a eu l'impression que toutes les parties considéraient que l'injonction interlocutoire avait définitivement tranché l'affaire. Si l'on avait évoqué une telle impression à l'audience devant lui, le juge Rothstein aurait pu traiter plus sérieusement dans ses motifs de cette possibilité qui n'a pas été sérieusement débattue par les parties. À tout le moins, compte tenu de l'exception énoncée dans Woods , lorsque les parties ont l'impression qu'une injonction interlocutoire tranchera effectivement et définitivement leurs droits, l'injonction ne sera pas accordée sans un examen approfondi de l'affaire au fond.
     [29] À mon avis, la demanderesse ne s'est pas acquittée de son obligation d'agir avec diligence, ce qui, compte tenu des circonstances des présentes espèces, suffit, selon moi, à justifier la levée des injonctions. [...] [Note de bas de page omise.]



[7]          En avril 1998, les nouvelles Règles de la Cour fédérale ont été promulguées. Elles obligent notamment les demandeurs à donner suite à leur revendication en temps opportun. Le 13 août 1998, un avis d"examen de l"état de l"instance a été envoyé à la demanderesse en application des nouvelles Règles et, le 28 août 1998, la demanderesse a déposé un avis de désistement relativement à son action.



[8]          Le 13 juillet 1999, Novopharm a déposé la présente requête par laquelle elle sollicite le renvoi ou l"instruction d"une question soulevée, en vue de l"établissement de la nature et du montant des dommages-intérêts auxquels elle a droit en raison du préjudice causé par l"application des injonctions provisoire et interlocutoire. Les deux injonctions ont été accordées à la condition que la demanderesse prenne des engagements. Celui visé par l"ordonnance délivrant l"injonction provisoire est ainsi rédigé :

     [TRADUCTION] L"injonction provisoire est accordée compte tenu de l"engagement, par la demanderesse, de payer les dommages-intérêts qu"elle pourrait être condamnée à verser à la défenderesse dans l"éventualité où, en bout de ligne, elle n"obtiendrait pas gain de cause lorsque la présente affaire sera tranchée au fond.


[9]          Voici le texte de l"engagement pris relativement à l"ordonnance faisant droit à l"injonction interlocutoire :

     [TRADUCTION] La demanderesse s"engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts que la Cour pourrait rendre si, en définitive, elle conclut que la délivrance de l"injonction interlocutoire a causé à la défenderesse des dommages pour lesquels la demanderesse devrait, selon la Cour, indemniser la défenderesse.


[10]          L "avocat de la demanderesse soutient, pour les raisons suivantes, qu"il n"est approprié d"ordonner ni le renvoi ni l"instruction d"une question soulevée : (1) les dommages qu"aurait subis la défenderesse sont négligeables et en grande partie causés par ses propres actes plutôt que par l"application des injonctions; (2) la défenderesse a omis de limiter ses dommages; (3) des instances connexes et prolongées se sont déroulées devant le Bureau des marques de commerce et leur issue étaye le bien-fondé de la revendication de la demanderesse; (4) la défenderesse a reconnu le bien-fondé de l"ordonnance délivrant l"injonction puisqu"elle n"a pas interjeté appel de celle-ci; (5) la défenderesse a trop tardé à introduire la présente requête; (6) l"action a pris fin par désistement et aucune décision n"a été rendue sur le fond contre la demanderesse; (7) le désistement se fondait sur un motif valable "il ne restait plus aucune question en litige.



[11]          Il est admis que l"exécution d"engagements relatifs aux dommages-intérêts fait partie intégrante de la délivrance d"injonctions interlocutoires par la Cour. On reconnaît également que la Cour jouit du pouvoir discrétionnaire, " dans des circonstances particulières ", de dispenser de l"observation de ce genre d"engagements : Vieweger Construction Co. Ltd. v. Rush & Tompkins Construction Ltd., [1965] S.C.R. 195, aux pages 207 et 208; Nelson Burns & Co. v. Gratham Industries Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 71 (C.A. Ont.).



[12]          En ce qui concerne l"argument selon lequel les dommages seraient négligeables et découleraient du défaut de la défenderesse de limiter son préjudice (p. ex., elle n"aurait pas pris les dispositions nécessaires pour commercialiser à une date antérieure un comprimé d"apparence différente), je ne suis pas convaincue que ces assertions ont été prouvées dans la mesure requise pour justifier qu"on prive la défenderesse de l"occasion de faire établir la nature et l"étendue des dommages qu"elle a subis.



[13]          La défenderesse a présenté des éléments de preuve montrant qu"elle avait reçu des commandes pour les comprimés d"apparence identique de diclofénac et qu"elle exécutait ces commandes en novembre 1993 lorsque l"injonction provisoire a été prononcée. Elle affirme avoir immédiatement perdu des ventes à cause de l"injonction lui interdisant de vendre ces comprimés, et qu"elle a ensuite subi des dommages, au fil du temps, parce qu"elle vendait son diclofénac sous forme de comprimés ayant une apparence distincte. C"est-à-dire, d"une part, que la défenderesse a produit des éléments de preuve concrets établissant qu"elle a subi certains dommages et, de l"autre, qu"elle a formulé un argument raisonnable expliquant pourquoi des dommages additionnels ont été causés. La défenderesse devrait avoir l"occasion de présenter sa preuve relative aux dommages et de la soumettre à l"appréciation de la Cour.



[14]          La demanderesse allègue que la défenderesse a omis de limiter ses dommages parce qu"elle n"a pas pris les dispositions nécessaires pour commercialiser son diclofenac sous forme de comprimés ayant une apparence distincte aussitôt que possible après la délivrance de l"injonction provisoire le 23 novembre 1993, ou du moins avant la fin du mois de janvier 1994, lorsqu"il ne faisait plus aucun doute que la demande d"injonction interlocutoire introduite le 26 janvier 1994 n"allait pas aboutir rapidement.



[15]          L "avocat de la demanderesse fait valoir que la décision de ne pas commercialiser promptement des comprimés ayant une apparence distincte devrait être assimilée à un défaut de limiter le préjudice et que les dommages découlant de l"absence de vente entre le 23 novembre 1993 et le 25 août 1994 ne devraient pas être pris en considération, à l"instar de n"importe quels dommages-intérêts réclamés en raison du fait qu"Apotex se soit attaquée au marché des produits ayant une apparence distincte avant Novopharm.



[16]          Le dossier déposé dans le cadre de la présente requête n"est pas suffisant pour permettre à la Cour de se prononcer sur l"allégation de la demanderesse voulant qu"il y ait défaut de limiter les dommages. La défenderesse ne s"attendait pas à débattre cette question dans le cadre de la présente requête. La déposante assignée par la défenderesse pour les besoins de la présente requête, Diane Yee, n"a pas une connaissance approfondie des circonstances pertinentes. Il n"est pas évident de savoir si la prolongation de la demande d"injonction interlocutoire du 26 janvier 1994 au 21 juillet 1994 découlait des actes de la défenderesse ou s"il s"agissait plutôt d"une question de commodité pour la Cour. De même, on ne m"a pas précisé quand les diverses formules provinciales ont été publiées ni la mesure dans laquelle cette situation aurait pu influer sur la décision de commercialiser ou non le produit visé. Je ne suis pas convaincue que la preuve dont la Cour est saisie suffit à justifier la conclusion voulant que la défenderesse ait omis de limiter ses dommages.



[17]          L "avocat de la demanderesse a fait mention d"une instance prolongée devant le Bureau des marques de commerce concernant la demande d"enregistrement, par la demanderesse, d"une marque de commerce touchant la couleur, la taille et la forme des comprimés en question " l"opposition soulevée par la défenderesse à l"égard de l"enregistrement a été rejetée. La question de l"enregistrement n"a toujours pas été tranchée de façon définitive puisque la décision rejetant l"opposition de la défenderesse fait l"objet d"un appel et qu"on ne peut donc procéder à l"enregistrement pour le moment. Il n"est pas rare que les instances en matière d"enregistrement soient longues. Mais, ce qui est plus important, la revendication formulée par la demanderesse en l"espèce concerne une imitation frauduleuse. Il s"agit d"une revendication distincte de celle portant sur l"enregistrement. On n"a pas réussi à me convaincre du fait qu"il est possible d"invoquer des actes accomplis dans le cadre de l"instance relative à l"enregistrement à titre de circonstances particulières pour exonérer la demanderesse de ses engagements à payer les dommages-intérêts découlant de la présente instance.



[18]          Le défaut de poursuivre l"appel formé à l"égard de l"injonction interlocutoire n"est pas pertinent pour décider si la défenderesse doit ou non être autorisée à obtenir une décision quant à la nature et au montant de ses dommages-intérêts. Les ordonnances portant injonction interlocutoire sont de nature discrétionnaire. Les cours d"appel font traditionnellement preuve d"une retenue considérable envers ce genre d"ordonnances. Je ne suis pas disposée à conclure que la défenderesse a consenti à la délivrance de l"injonction simplement parce qu"elle n"a pas activement donné suite à un appel.



[19]          L "avocat de la demanderesse a invoqué les décisions Smith v. Day (1883), 21 Ch. D. 412 et Sherk et al. v. Horwitz (1973), 12 C.P.R. (2d) 190, à l"appui de sa prétention selon laquelle les demandes de renvoi relatives aux dommages-intérêts doivent être présentées dans un délai raisonnable. Dans l"affaire Smith, le tribunal a jugé qu"un délai d"environ huit mois était trop long pour demander, en application d"un engagement, une indemnité au titre d"un préjudice. Dans la décision Sherk, le tribunal a rejeté l"appel pour des motifs touchant la procédure, non les délais. Or, ces décisions ne sont pas récentes et, facteur ayant plus de poids, chaque affaire doit être tranchée à la lumière des faits qui lui sont propres. Le délai de dix mois et demi qui s"est écoulé avant que la requête dont je suis saisie ne soit présentée n"est pas extraordinaire compte tenu de l"allure à laquelle progresse l"instance en général. La demanderesse ne subira pas de préjudice du fait que la requête n"a pas été déposée plus tôt. À mon avis, le délai écoulé en l"espèce ne constitue pas un facteur important.



[20]          Je me penche maintenant sur le fait que l"action de la demanderesse a pris fin à la suite d"un désistement et qu"aucune décision portant que la réclamation de la demanderesse est mal fondée n"a été rendue. L"avocat de la demanderesse soutient que, compte tenu de cette situation, la présomption habituelle voulant qu"un engagement relatif aux dommages-intérêts doive être observé est d"application moins rigoureuse ou, subsidiairement, qu"il existe en l"espèce des circonstances particulières menant à la conclusion que la demanderesse devrait être soustraite à l"obligation de respecter ses engagements.



[21]          Cet argument ne me convainc pas, ni en ce qui concerne son application générale ni eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire. Le demandeur qui intente une action et s"en désiste par la suite est tenu, sauf s"il y a consentement à l"effet contraire, de rembourser au défendeur les dépens engagés à cause de la réclamation, maintenant retirée, du demandeur. La demande présentée par un défendeur en vue d"obtenir des dommages-intérêts découlant de la délivrance d"une injonction provisoire puis interlocutoire, lorsqu"un demandeur n"a pas prouvé son droit à ces injonctions, est d"une nature analogue. Les injonctions interlocutoires sont accordées à titre provisoire, dans l"attente que le demandeur établisse lors de l"instruction son droit d"obtenir ces injonctions. Si ce droit n"est pas mis en preuve, que ce soit parce que le demandeur est débouté de son action à la suite d"un débat approfondi lors de l"instruction, ou parce qu"il choisit de se désister de sa demande, le demandeur a bénéficié de l"application des injonctions sans établir le droit qu"il invoquait pour étayer leur délivrance. Il arrive souvent que le défendeur consente à renoncer à toute revendication relative à des dommages-intérêts si le demandeur accepte de se désister de son action. Toutefois, en l"absence d"un tel consentement, je ne peux conclure que l"obligation d"indemniser conformément aux engagements soit d"une façon ou d"une autre différente dans le cas d"un désistement que celle applicable lorsque le demandeur est débouté de son action au fond.



[22]          Quant aux circonstances particulières en l"espèce, il n"existait, avant la promulgation des nouvelles Règles en avril 1998, aucune exigence voulant que le demandeur agisse de manière que l"instruction ait lieu rapidement. Les demandeurs qui réussissaient à obtenir une injonction interlocutoire étaient souvent portés à retarder aussi longtemps que possible l"instruction de leur action. Lorsqu"il a levé l"injonction, le juge MacKay a examiné l"argument selon lequel l"inaction de la défenderesse devait être considérée comme faisant partie des raisons qui expliquent le retard prolongé à faire avancer la présente action. Il a conclu que la responsabilité liée au retard n"incombait pas à la défenderesse :

     [30] Dans les présentes espèces, les défenderesses n'ont jusqu'à maintenant rien fait pour mettre fin au retard de la demanderesse; on ne peut néanmoins pas leur reprocher d'avoir fait de l'obstruction ou de ne pas avoir collaboré, et on ne peut pas non plus considérer qu'elles sont à l'origine du retard. Pour les motifs énoncés ci-dessus, lorsque la Cour a imposé une restriction à la liberté d'action des défenderesses, implicitement pour le motif que la demanderesse poursuivra ses actions avec diligence raisonnable, et que la demanderesse ne le fait pas, l'omission pour les défenderesses de prendre des mesures pour faire avancer leurs propres actions ne les empêche pas de chercher à retrouver leur liberté d'action en présentant une requête afin d'obtenir la levée des injonctions interlocutoires.
     Conclusion
     [31] Pendant plus de trois ans, la demanderesse n'a pris aucune mesure pour que la Cour procède à l'instruction des actions qu'elle a intentées. Elle n'a pris aucune mesure dans les quatre mois qui ont suivi le dépôt des requêtes d'Apotex et de Novopharm visant à obtenir la levée de l'injonction. La demanderesse reconnaît presque qu'elle a considéré que les injonctions interlocutoires constituaient un règlement permanent du différend l'opposant aux autres parties. À mon avis, la demanderesse devait, en particulier lorsqu'une injonction a été accordée quia timet, poursuivre l'affaire avec diligence raisonnable et dans les meilleurs délais possibles.


[23]          J "arrive à la même conclusion. Aucun des éléments de preuve déposés au dossier ne me convainc du fait que la défenderesse est à l"origine du retard prolongé.



[24]          J "examinerai donc l"argument selon lequel il ne devrait pas y avoir d"enquête concernant les dommages-intérêts au motif que, lors du désistement, il ne restait plus aucune question en litige. Une fois l"injonction interlocutoire prononcée, la défenderesse a pris des dispositions pour commercialiser son diclofénac sous une apparence distincte, et elle n"a pas cessé depuis. L"avocat de la demanderesse renvoie à certains passages des conclusions de la défenderesse qui ont été déposées en réponse à la demande d"injonction interlocutoire de la demanderesse. La défenderesse avait alors prétendu que la délivrance d"une injonction interlocutoire aurait, dans les faits, pour conséquence de mettre un terme au litige. La demanderesse affirmait le contraire. Le juge Rothstein a accepté l"argument de la demanderesse. Si l"argument de la défenderesse avait été accepté, la demanderesse aurait été tenue de satisfaire à une norme beaucoup plus rigoureuse pour obtenir l"injonction interlocutoire (une preuve prima facie convaincante, plutôt qu"une simple question sérieuse à instruire). Il y a incompatibilité entre la thèse avancée par la demanderesse au moment où l"injonction a été accordée et celle qu"elle invoque maintenant. Il apparaîtrait fondamentalement inéquitable de délivrer en faveur d"un demandeur une injonction interlocutoire sur la foi de son argument voulant qu"une telle injonction ne mette pas fin au litige, puis de l"autoriser à ne pas respecter ses engagements à payer les dommages-intérêts au motif que l"injonction, combinée à l"écoulement du temps, a justement entraîné ce résultat, soit de mettre un terme au litige.



[25]          Même s"il ne restait plus aucune question à débattre à la date du désistement (la défenderesse n"ayant pas pris de mesures en vue de commercialiser son diclofénac sous une apparence semblable malgré la levée de l"injonction), cette situation ne peut justifier la Cour d"exonérer la demanderesse de son obligation d"indemniser la défenderesse pour les dommages découlant de l"imposition des injonctions provisoire et interlocutoire à un stade antérieur de l"instance.



[26]          La demanderesse n"a pas réussi à montrer qu"il existait des circonstances particulières justifiant qu"on la libère de ses obligations d"indemniser la défenderesse pour les dommages occasionnés par l"application des injonctions.

Portée du renvoi


[27]          L "avocat de la demanderesse fait valoir que, si une ordonnance de renvoi est prononcée, la Cour doit définir la portée de celui-ci. Il signale que la règle 153 prévoit le renvoi de toute question de fait à un arbitre ou à un juge.



[28]          Cet aspect des conclusions soumises par l"avocat de la demanderesse m"a quelque peu préoccupée. Suivant la règle 153, " [l]a Cour peut renvoyer toute question de faitpour enquête et rapport devant un juge ou toute autre personne [...] ". La portée de cette disposition semble passablement plus étroite que la précédente règle 500 qui autorisait de renvoyer "[...] toute matièredevant un juge [...] ou toute autre personne [...] "pour " [...] faire des enquêtes, ou pour statuer sur un point ou une questionde fait en litige [...] ". De plus, selon l"ancienne règle 480, l"expression " question de fait "visait notamment " un point relatif aux dommages qui découlent "d"une atteinte à un droit et " un point relatif à la mesure dans laquelle il a été porté atteinte "à un droit, définitions qui ne s"appliquent pas à la règle 153.



[29]          Que la règle 153 soit ou non plus restrictive que la règle 500, j"estime que la décision VISX, Inc. c. Nidek Co. (1998), 81 C.P.R. (3d) 572 (C.F. 1re inst.), rendue par le juge Hugessen a une pertinence directe à cet égard. Dans cette affaire, une requête en vue d"obtenir un renvoi a été présentée en vertu de l"ancienne règle 480 pour que la Cour statue sur les questions touchant les dommages-intérêts et les profits. Bien qu"elle ait été déposée avant la date d"entrée en vigueur des nouvelles règles, la requête a été entendue après cette date. Le juge Hugessen a ordonné que la question soit instruite en application de la nouvelle règle 107, et non de la règle 153. Il précise que la règle 107 :

[...]ne prévoit pas comme tel la tenue d'un renvoi, mais permet tout simplement l'instruction séparée d'une question en litige distincte, notamment par un procès.
L'expérience démontre [...] que les dommages-intérêts et les profits sont rarement exclusivement des questions de fait. Or, les renvois[en application de la règle 153] ne visent qu'à trancher des questions de fait.



[30]          Je suis persuadée qu"une ordonnance rendue aux termes de la règle 107 en vue de l"instruction d"une question est plus appropriée en l"espèce que le processus de renvoi prévu à la règle 153. Une ordonnance sera rendue en conséquence.



Dépens


[31]          La défenderesse demande des dépens sur la base procureur-client tant en ce qui touche la présente requête que l"ensemble de l"instance. La demanderesse convient qu"en raison du désistement elle devrait payer les dépens engagés par la défenderesse dans le cadre de l"action, mais uniquement sur la base des dépens entre parties.



[32]          Les ordonnances prononcées par mes collègues prévoient des dispositions quant aux dépens. L"ordonnance du juge Gibson en date du 23 novembre 1993 précise que les frais liés à la demande visée [TRADUCTION]" suivent l"issue de la cause ". En l"absence d"une mention laissant entendre que le juge Gibson envisageait que les dépens soient plus élevés que ceux normalement adjugés, je considère qu"il s"agit de dépens entre parties. Dans son ordonnance du 2 septembre 1994, le juge Rothstein a statué que les dépens de l"instance dont il était saisi s"élevaient à 17 000 $ en faveur de la demanderesse. Le juge MacKay a quant à lui ordonné que les frais de l"instance tenue devant lui soient adjugés à la défenderesse sur la base des dépens entre parties. On ne m"a pas convaincue du fait que j"ai le pouvoir d"examiner ou de modifier ces adjudications de dépens. Enfin, il n"a pas été établi, à mon sens, qu"il était justifié d"adjuger des dépens sur la base procureur-client, que ce soit pour la présente requête ou l"ensemble de l"instance.


                        

                                 Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 décembre 1999







Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.





Date : 19991215


Dossier : T-2582-93


OTTAWA (Ontario), le mercredi 15 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :


     CIBA-GEIGY CANADA LTÉE,

     demanderesse,


     - et -


     NOVOPHARM LIMITED,


     défenderesse.




     ORDONNANCE

     VU l"avis de requête daté du 13 juillet 1999 déposé pour le compte de la défenderesse en vue d"obtenir les mesures suivantes :



  1. .      Une ordonnance portant renvoi ou instruction de la question de la nature et du montant des dommages-intérêts auxquels la défenderesse a droit en raison du prononcé de l"ordonnance du juge Gibson datée du 30 novembre 1993 et de l"ordonnance du juge Rothstein datée du 5 août 1994, renvoi devant être soumis à un juge ou à toute autre personne désignés par le juge en chef;
  2. .      Une ordonnance adjugeant les dépens de la présente instance à la défenderesse sur la base procureur-client;
  3. .      Les dépens de la présente requête;
  4. .      Les autres réparations que la Cour estime équitables.

     ET VU la requête entendue à Toronto, le mardi 16 novembre 1999;

     ET pour les motifs de l"ordonnance prononcés aujourd"hui.

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     1. Que la question de la nature et du montant des dommages-intérêts auxquels la défenderesse a droit en raison des injonctions provisoire et interlocutoire délivrées dans la présente instance soit renvoyée pour instruction en application de la règle 107;

     2. Que la défenderesse ait droit aux dépens conformément aux motifs donnés en l"espèce.



                         B. Reed

                                 Juge



Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




DOSSIER :                  T-2582-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CIBA-GEIGY CANADA LTÉE c. NOVOPHARM LIMITED

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 16 novembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE B. REED LE 15 décembre 1999.



ONT COMPARU :


MeGunars A. Gaikis                      POUR LA DEMANDERESSE

MeMark G. Biernacki

MeWarren Sprigings                      POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Smart & Biggar                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)


Hitchman & Sprigings                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)


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