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Date : 19990511

Dossier : IMM-3728-98

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 MAI 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE:

                                                                                    S.S.,

                                                                                    J.S.,

demanderesses,

-et‑

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

La demande de controle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour être réexaminée conformément aux présents motifs.

" Danièle Tremblay-Lamer "

JUGE


 

Date : 19990511

Dossier : IMM-3728-98 ENTRE:

                           S.S.,

                      J.S.,

demanderesses,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION,

defendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]             Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la SSR a statué que S.S. (la demanderesse principale) et sa fille (la demanderesse mineure) n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.

[2]             La demanderesse principale et la demanderesse mineure sont des citoyennes tamoules âgées respectivement de 36 ans et de 8 ans. Elles prétendent avoir une crainte bien fondée d'être persécutées en raison de leur appartenance à un certain groupe social, soit celui des jeunes femmes tamoules.

[3]             La SSR a rejeté leurs revendications en s'appuyant sur sa conclusion que la preuve et le temoignage de la demanderesse principale n'etaient ni crédibles ni dignes de foi.

ANALYSE

[4]             Dans sa décision, la SSR a mentionné que la demanderesse principale avait seulement une photocopie de sa carte d'identité nationale (CIN) et qu'elle ne pouvait pas fournir l'original de cette pièce d'identité importante. En fait, cette conclusion est erronée. La Commission a confondu la CIN avec le permis militaire temporaire de la demanderesse qui avait, depuis le début, l'original de sa CIN en sa possession.

[5]             Sa CIN identifie la demanderesse principale comme une jeune femme tamoule originaire du nord. Elie constitue donc une preuve documentaire sur un élément essentiel de sa demande. C'est pourquoi la confusion de la Commission à ce sujet a joué un rôle important dans l'évaluation de sa demande.

[6]             Dans l’évaluation de la demande de la demanderesse principale, la Commission aurait dû tenir compte de sa CIN en plus des autres éléments de la preuve documentaire qui permettaient de ]'identifier comme une jeune femme tamoule originaire du nord du Sri Lanka.

[7]             Dans l'affaire Sheikh', la Cour d'appel fédérale a insisté sur la distinction entre le concept de la crédibilité du demandeur et celui de la crédibilité des éléments de preuve. S'exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a déclaré que la décision d'un tribunal que le demandeur n’est pas un témoin crédible peut équivaloir à la conclusion qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible, lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur a sa demande est celle que ce dernier fournit lui-­même.

 

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur

sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-­même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage2.

 

[8]             Il est clair que lorsque la seule preuve qui relie le demandeur à 1a persécution émane de son témoignage, le fait de rejeter ce témoignage signifie que le lien avec la persécution n'existe plus. Il devient donc impossible d'établir un lien entre la revendication de la personne et la preuve documentaire.

[9]             La situation est évidemment différente en l'espèce, car il existait une preuve, dont la CIN de la demanderesse principale, émanant d'autres sources que son témoignage et permettant de relier sa demande à la persécution infligée aux jeunes femmes tamoules au Sri Lanka.

[10]         Dans 1'affaire Mahanandan, la Cour d'appel fédérale a déclaré que lorsqu'une preuve susceptible d'influer sur 1'appréciation de la revendication est présentée à 1'audience, la Commission doit mentionner l'impact que cette preuve a eu sur la revendication. Le juge en chef Isaac a écrit ce qui suit :

Lorsqu'au cours d'une audience, la Commission admet une preuve documentaire du genre de celle qui est en cause en 1'espèce, soit une preuve susceptible d'influer considérablement sur son appréciation de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention dun appelant, it nous semble que la Commission doive dépasser la simple constatation de son admission de la preuve documentaire et qu'elle soit tenue aussi de préciser dans ses motifs l'impact, s'il en est, que cette preuve a eu sur la revendication du requérant. Comme je 1'ai déjà dit, la Commission a omis de ce faire en 1'espèce, et cette omission, à note avis, porte un coup fatal à sa décision, qui ne peut être maintenue3.

[11]         À mon avis, la Commission a omis d'examiner toute la preuve soumise. Elie a simplement rejeté la demande de la demanderesse principale parce qu'elle a jugé qu'elle n'était pas crédible. Dans les circonstances de 1'espèce, il existait d'autres éléments de preuve susceptibles d'influer sur 1'appréciation de la demande. Ces autres éléments de preuve auraient donc dû être appréciés expressément.

[12]         Dans l'affaire Katalayi, le juge Wetston a déclaré que lorsque la Commission juge que le revendicateur n'est pas crédible, elle est quand même tenue d'apprécier les faits de façon objective pour déterminer si le revendicateur a une crainte bien fondée d'être persécuté.

Ainsi donc, en conclusion, bien que je convienne que le témoignage du requérant n'est peut-être pas digne de foi, et qu'il ne semble pas déraisonnable que la Commission conclue que le requérant n'allait pas faire face à une crainte de persécution dans 1'éventualité de son renvoi au Zaïre, ainsi que je 1'ai indiqué précédemment, la Commission a commis trop d'erreurs pour que la Cour n'en tienne pas compte en concluant qu'elles n'étaient pas importantes pour les points litigieux en 1'espèce. J'estime qu'il incombe à la Commission d'apprécier les faits de façon objective pour déterminer si le requérant ferait face à une crainte fondée de persécution dans 1'eventualité de son retour au Zaïre4.

[13]              Je suis d'avis qu'il faut appliquer le même principe en 1'espèce. La Commission a commis une erreur en ce qui concerne la C. Elie n'a pas tenu compte de la preuve qui émanait d'autres sources que le témoignage de la demanderesse principale et qui confirmait le risque que courent les jeunes femmes tamoules au Sri Lanka. Étant donné ces faits, la conclusion de la Commission suivant laquelle "aucune preuve crédible ou digne de foi" ne lui a été soumise ne peut être maintenue.

La demande de la demanderesse mineure

[14]              La Commission a également rejeté la demande de 1'enfant en se fondant sur 1'échec de la demande de la demanderesse principale. Elle n'a founi aucun motif supplémentaire.

[15]              Dans l'affaire Chehar, le juge Wetston a statué que, bier que la Commission n'ait pas eu tort de rejeter la demande de la demanderesse principale, elle a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de dire expressément pourquoi elle a rejeté la demande de la demanderesse mineure.

Bien que la Commission n'ait pas eu tort en tirant des conclusions concernant la requérante, elle a néanmoins omis de dire expressément pourquoi elle a rejeté la revendication de la requérante mineure. Cela étant, la Commission a eu tort soft de n'avoir pas pris en considération la revendication individuelle de la requérante mineure, soft de n'avoir pas donné des motifs particuliers justifiant pourquoi elle a décidé que la revendication de celle‑ci devait être rejetées.

[16]              De la même façon, dans 1'affaire Iruthayathas, le juge Reed a statué que la Commission doit évaluer le risque que l'enfant soit persécuté et non pas simplement se concentrer sur la situation de la demanderesse principale. Même si cette cause portait sur 1'existence d'une PRI, à mon sens, il faut adopter la même approche en 1'espèce.

 

La Commission, en décidant qu'il existait une possibilité raisonnable de refuge dans une autre partie du même pays, en 1'occurrence à Colombo, n'a pas examiné s’il était raisonnable que la famille, c'est-à-dire la requérante et ses deux enfants, y résident. La requérante a témoigné que son fils et sa fille avaient été accusés d'être membres des Tigres libérateurs, lorsque que tous les trois avaient au début été détenus par la police à Colombo. Tous les trois avaient été détenus lorsque la requérante avait tenté de les déclarer sans avoir de carte d'identité. On accusait les enfants d'avoir été formés par le LTTE et tous les trois avaient été accusé d'être à Colombo pour obtenir des renseignements pour le LTTE. Son fils avait été agressé. Trois jours plus tard, après leur libération, le fils avait de nouveau été arrêté dans une rafle générale de jeunes Tamouls. Il avait encore été agressé. La Commission, en décidant qu'il était peu probable que la requérante soit persécutée a Colombo, s'est concentrée presque exclusivement sur la situation de la requérante. Elle a déclaré que la requérante ne correspondait pas au profil d'une jeune tamoule membre du LTTE, mais elle n'a pas expliqué ce qu'était ce profil. La Commission a concentré son attention sur la position de la requérante, particulièrement sur son âge, et elle n'a pas examiné la possibilité que les enfants soient sujets à persécution. J'estime qu'il s'agissait là d'une erreur qui fait que la décision de la Commission doit être annulée6.

[17]              En 1'espèce, l'avocat des demanderesses a soulevé expressément la question du risque que

1'enfant soit persécutée7. De plus, la Commission disposait d'une preuve documentaire suivant laquelle les jeunes Tamoules sont violées et le LTTE recrute des garçons et des filles âgés d'à peine dix ans et les

utilise comme bouclier humain8.

[18]              À mon avis, la Commission avait 1'obligation d'apprécier le risque que 1'enfant soit persécutée. En omettant de ce faire et en se concentrant exclusivement sur la situation de la demanderesse principale, la Commission a commis une erreur dormant ouverture à contrôle judiciaire. Par conséquent, sa décision doit être annulée.

CONCLUSION

[19]              La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour être réexaminée conformément aux présents motifs.

[20]              Aucun des avocats n'a proposé une question à certifier.

" Daniele Tremblay-Lamer " JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 mai 1999.


 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÉRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      IMM-3728-98

INTITULÉ :                                   S.S., J.S. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :            30 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCES PAR Madame le juge Tremblay-Lamer EN DATE DU :                                       11 mai 1999

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia                         POUR LES DEMANDERESSES

Marcel Larouche                         POUR LE DÉFENDEUR AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Raoul Boulakia                    POUR LES DEMANDERESSES

M. Morris Rosenberg                POUR LE DÉFENDEUR Sous-procureur general du Canada

Sheikh c. M. El, [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.).

2        Id ., a la page 244.

3       Mahanandan et al. c. Canada (M E.L) (24 aout 1994) A-608-91, par. 8 (C.A.F.).

4 Katalayi c. Canada (Ministre de la Citoyennete et de Plmmigration) (31 aout 1997), IMM-179-97, par. 6 et 7 (C.F. 1re inst.).

5     Chehar c. Canada (M. C.I.) (27 novembre 1997), IMM-4540-96, par. 5 (C.F. 1 re inst.).

6     Iruthayathas c. Canada (M. C.I.) (1994), 82 F.T.R. 154, par. 10 (C.F. 1re inst.).

7       Dossier du tribunal, p. 649 a 651.

_8       Voir p. ex. le rapport du CDCISR (9 juin 1997), dossier de la demanderesse, p. 281, 286, 289, 358, 363 et 364.

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