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Date : 20040916

Dossier : T-213-03

Référence : 2004 CF 1265

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

PRAIRIE ACID RAIN COALITION,

THE PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT

et TOXICS WATCH SOCIETY OF ALBERTA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS DU CANADA et

TRUENORTH ENERGY CORPORATION

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

La demande

[1]                Le ministère des Pêches et des Océans du Canada (le « MPO » ) est l'autorité responsable, selon la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. C-37 (la « LCEE » ), en ce qui concerne un projet dont l'origine, aux fins de la LCEE, est une proposition de la défenderesse TrueNorth Energy Corporation ( « TrueNorth » ).

[2]                TrueNorth voudrait exploiter un gisement de sables bitumineux situé près de Fort McMurray, en Alberta. Les travaux d'extraction requièrent d'enlever une terre imprégnée de pétrole. Un ruisseau poissonneux, le Fort Creek, traverse la zone de la mine projetée. Les travaux de mise en valeur nécessitent la destruction du Fort Creek. Cela signifie qu'une autorisation de détruire le poisson et l'habitat du poisson est requise en application de l'article 35 de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 (la « Loi sur les pêches » ).

[3]                L'article 15 de la LCEE donne à l'autorité responsable le pouvoir de déterminer la portée du projet qui doit être évalué.

[4]                Aux fins de l'évaluation environnementale requise, le MPO a décidé que la portée du projet à l'égard duquel une évaluation environnementale devrait être effectuée serait définie comme la destruction du Fort Creek et les activités annexes. Cette décision (ci-après la « décision » ), qui a été communiquée par le MPO aux parties concernées, dans une lettre datée du 13 décembre 2002, est l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs.

LES FAITS

[5]                Le 30 août 2000, TrueNorth annonçait son intention d'exploiter un gisement de sables bitumineux. La compagnie se proposait de construire, à 90 kilomètres au nord de Fort McMurray, en Alberta, des installations à ciel ouvert pour l'extraction du bitume.


[6]                Compte tenu des renseignements recueillis par le MPO dans divers documents communiqués par TrueNorth, il devint évident au MPO que la proposition de TrueNorth supposait l'assèchement du Fort Creek (un affluent du fleuve Athabasca), ce qui allait vraisemblablement entraîner la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson. L'article 35 de la Loi sur les pêches interdit de telles conséquences à moins qu'elles ne soient expressément autorisées par le ministre des Pêches et des Océans (le « ministre » ). En application de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, aucune autorisation ne peut être donnée en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pêches avant qu'une évaluation environnementale ne soit effectuée aux termes de la LCEE.

[7]                Anticipant la réception d'une demande d'autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, le MPO s'est déclaré le 2 octobre 2000 l'autorité responsable aux fins de l'évaluation. En sa qualité de chef régional pour l'habitat, au sein du MPO, il revenait à Mme Dorothy Majewski de s'assurer que le MPO applique les mécanismes réglementaires prévus par la Loi sur les pêches et la LCEE, d'une manière conforme au droit.


[8]                Le 23 avril 2001, le MPO recevait de TrueNorth une demande officielle d'autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Ainsi que l'avait prévu le MPO, la demande de TrueNorth confirmait que le Fort Creek serait asséché et détourné. Après examen de la demande de TrueNorth, il devint évident au MPO que la destruction du lit du Fort Creek et le détournement du Fort Creek étaient les seuls ouvrages ou entreprises susceptibles d'entraîner la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.

[9]                En juillet 2001, le MPO obtenait l'étude d'impact environnemental (l'EIE) de TrueNorth, un document requis par la province de l'Alberta pour son examen de la proposition de TrueNorth. Selon l'EIE, l'altération du poisson constituait un problème qui ne pouvait pas être ignoré. L'altération du poisson s'entend d'une dégradation à long terme de la qualité du poisson, un processus causé soit par infiltration naturelle, soit par le rejet d'une substance nocive dans des eaux poissonneuses. Le rejet d'une substance nocive dans des eaux poissonneuses est interdit par le paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches. Un tel rejet ne pouvait être l'objet d'une autorisation aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Selon le rapport, il était possible qu'un rejet semblable résulte des activités d'extraction de TrueNorth.

[10]            La question de l'altération du poisson se révéla purement hypothétique. Le 10 mai 2002, TrueNorth remettait au MPO un rapport d'expert qui modifiait ses conclusions de juillet 2001 contenues dans l'EIE et qui ramenait les possibilités d'une altération du poisson à un niveau qualifié de négligeable. Le 31 juillet 2002, en réponse à une demande antérieure faite par le MPO à la suite du rapport d'expert, Environnement Canada faisait connaître son avis : sans nécessairement contester les conclusions de TrueNorth selon lesquelles les effets d'altération du poisson seraient négligeables, Environnement Canada recommandait que d'autres études soient effectuées.

[11]            En juillet 2002, le MPO participait à titre d'intervenant aux audiences de la province de l'Alberta conduites par l'entremise du Alberta Energy and Utilities Board (l' « AEUB » ) pour les travaux d'extraction proposés par TrueNorth. Contrairement à la Loi sur les pêches, en vertu de laquelle une autorisation de la proposition de TrueNorth n'est possible que pour les ouvrages ou entreprises susceptibles d'entraîner une détérioration, une destruction ou une perturbation de l'habitat du poisson, la province de l'Alberta réglemente la totalité des activités envisagées par TrueNorth. À cause de sa spécialisation dans les pêches, le MPO avait participé aux audiences provinciales pour aider la province de l'Alberta à résoudre les difficultés qui pourraient surgir au regard des pêches. Environnement Canada est un autre ministère fédéral spécialisé qui avait participé aux audiences provinciales. La participation du MPO avait porté sur l'examen des conclusions qui intéressent la conduite des processus réglementaires et processus d'évaluation environnementale au niveau fédéral.

[12]            Le MPO a distribué sa décision préliminaire sur la portée du projet dans une lettre datée du 15 août 2002, ainsi rédigée :

[traduction]

Aux fins de l'évaluation environnementale requise, le MPO a défini ainsi la portée du projet à l'égard duquel une évaluation environnementale doit être effectuée :

1.              La destruction du lit du Fort Creek

2.              La construction de dérivations temporaires ou permanentes du Fort Creek

3.              La construction d'ouvrages d'assèchement et de drainage

4.              La construction et l'exploitation d'ouvrages connexes propres à empêcher la sédimentation et l'érosion

5.              La construction de passages sur le Fort Creek, ainsi que des approches nécessaires


6.              La construction et l'exploitation d'ouvrages de préservation de l'habitat du poisson, selon les directives du MPO

7.              La construction des camps et des zones d'entreposage nécessités par les points (1) à (7)

8.              Les travaux de défrichage et d'enlèvement de la végétation des rives, entraînés par les points (1) à (8).

[13]            Le 6 septembre 2002, le gouvernement du Canada communiquait ses conclusions à l'AEUB et aux participants des audiences provinciales.

[14]            L'article 8 du Règlement sur la coordination par les autorités fédérales des procédures et des exigences en matière d'évaluation environnementale, DORS/97-181, oblige l'autorité responsable à consulter d'autres autorités fédérales avant de déterminer la portée du projet selon le paragraphe 15(1) de la LCEE.

[15]            Dans une lettre adressée au MPO et datée du 29 août 2002, l'Agence Parcs Canada indiquait qu'elle était en accord avec la portée du projet déterminée par le MPO dans sa lettre du 15 août 2002.

[16]            Ressources naturelles Canada, dans une lettre adressée au MPO en date du 25 novembre 2002, faisait savoir que, en tant qu'autorité responsable à l'égard du projet, le MPO était pleinement habilité par la LCEE à déterminer la portée du projet, et Ressources naturelles Canada n'avait aucune opinion sur sa décision en la matière.

[17]            Le 8 octobre 2002, Environnement Canada recommandait ce qui suit :


[traduction]

Que la portée du projet soit élargie au-delà de ce que propose le MPO dans sa lettre du 15 août 2002, pour englober le projet tout entier défini par TrueNorth Energy Ltd. dans sa demande combinée adressée au Alberta Energy Utilities Board et à Alberta Environment. Cela permettrait également une approche véritablement harmonisée en matière d'évaluation environnementale, et cela s'accorderait avec la portée du projet pour lequel la préparation du rapport d'étude d'impact environnemental était requise aux termes du Alberta Environmental Protection and Enhancement Act.

[18]            Le 9 octobre 2002, l'avocat des demandeurs déposait une lettre dans laquelle il faisait valoir que la définition proposée de la portée du projet était trop étroite et qu'une étude approfondie était nécessaire.

[19]            Le 13 décembre 2002, le MPO rendait sa décision finale sur la portée du projet, une décision inchangée par rapport à sa décision préliminaire du 15 août 2002.

[20]            Pour arriver à la décision finale, Mme Majewski s'était fondée sur les principes suivants : les décisions de cette nature doivent être raisonnables et elles reposent sur les circonstances propres à chaque cas. Mme Majewski a estimé que la portée du projet devait englober d'une part les entreprises et activités qui requièrent une autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et qui donnent lieu à l'application de la LCEE, et d'autre part les ouvrages et activités accessoires. Elle a donc défini la portée du projet comme la destruction du lit du Fort Creek parce que cette destruction comporte, selon la partie VII de l'annexe du Règlement sur la liste d'inclusion, des activités concrètes requises pour l'existence d'un « projet » aux fins de la LCEE. Les éléments restants de la décision de Mme Majewski sur la portée du projet concernent les ouvrages et activités accessoires, notamment un canal de dérivation du Fort Creek.


[21]            Si le déversement des eaux du Fort Creek dans un canal de dérivation avait dépassé les limites prévues par l'article 9 du Règlement sur la liste d'étude approfondie, une étude approfondie aurait été nécessaire. Puisque tel n'était pas le cas, Mme Majewski a conclu que l'évaluation environnementale requise par la LCEE devait se faire selon la formule de l'examen préalable.

[22]            Pour arriver à sa décision finale sur la portée du projet, Mme Majewski a pris en compte toutes les observations, notamment celles de l'avocat des demandeurs, ainsi que les conclusions de l'enquête provinciale.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[23]            Parce que son projet minier se répercutera sur le Fort Creek, un cours d'eau poissonneux, TrueNorth devait obtenir du MPO, en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, l'autorisation d'entreprendre les travaux susceptibles de nuire à l'habitat du poisson. En conséquence de la demande faite par TrueNorth selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, l'application de l'alinéa 5d) de la LCEE était déclenchée. Cela signifie que l'autorité responsable, en l'occurrence le MPO, devait déterminer, selon l'article 15 de la LCEE, la portée du projet soumis à évaluation environnementale selon la LCEE.

[24]            Le MPO, en tant qu'autorité responsable, devait déterminer la portée du projet soumis à évaluation environnementale selon la LCEE, mais le MPO demeurait engagé dans le processus établi par l'AEUB et par Alberta Environment. Environnement Canada continuait lui aussi d'être partie au processus établi par l'AEUB et par Alberta Environment.

[25]            S'agissant de la demande faite par TrueNorth en vertu du paragraphe 35(2), le MPO a indiqué à TrueNorth, par lettre en date du 15 août 2002, qu'il avait défini la portée du projet à l'égard duquel une évaluation environnementale devait être effectuée en vertu de la LCEE.

[26]            Avant de rendre finale sa décision sur la portée du projet, le MPO avait donné à d'autres autorités fédérales l'occasion de s'exprimer sur ce qui, selon lui, devait constituer la portée du projet. Des réponses à la lettre du MPO datée du 15 août 2002 furent reçues de Santé Canada, de Parcs Canada, de Ressources naturelles Canada et d'Environnement Canada. Toutes ces autorités fédérales, à l'exception d'Environnement Canada, souscrivaient à la décision du MPO sur la portée du projet.

[27]            La décision ici contestée relative à la portée du projet figure dans une lettre datée du 13 décembre 2002, dans laquelle le MPO décidait que, après examen des réponses reçues de Santé Canada, de Parcs Canada, de Ressources naturelles Canada et d'Environnement Canada, la portée du projet aux fins d'une évaluation environnementale selon la LCEE serait celle qui était indiquée dans sa lettre du 15 août 2002.


L'INTÉRÊT DES DEMANDEURS DANS LE PROJET

[28]            La Prairie Acid Rain Coalition (la « PARC » ) est un regroupement à but non lucratif d'organisations de défense de l'environnement qui oeuvrent dans les trois provinces des Prairies et qui sont concernées par les pluies acides et les dépôts acides. La mission de la PARC consiste à examiner les processus de réglementation des émissions atmosphériques, à encourager les énergies de substitution et l'emploi des meilleures technologies existantes, enfin à susciter une prise de conscience dans le public. La PARC a été constituée en 1982.

[29]            Le Pembina Institute for Appropriate Development (le « Pembina Institute » ) est une organisation à but non lucratif de recherche et d'éducation en politique environnementale, fondée en 1986 à Drayton Valley, en Alberta. Au cours des dix dernières années, le Pembina Institute s'est consacré à des recherches, des examens et des consultations et a témoigné au cours d'enquêtes officielles portant sur une longue liste de projets de mise en valeur des sables bitumineux.


[30]            La Toxics Watch Society of Alberta ( « Toxics Watch » ) est une société à but non lucratif constituée en 1988. La mission de la Toxics Watch consiste à promouvoir la santé environnementale en Alberta par une prise de conscience du public pour une meilleure maîtrise des produits chimiques toxiques, à mener des recherches et des études sur les produits chimiques toxiques et à encourager les stratégies propres à éliminer ou réduire les déchets chimiques. La Toxics Watch est fréquemment intervenue aussi dans des enquêtes officielles portant sur des projets de mise en valeur des sables bitumineux.

[31]            La Oil Sands Environmental Coalition ( « OSEC » ) est une coalition de groupes de défense de l'environnement qui représente depuis 1995 les intérêts des spécialistes de l'environnement, et cela par des études et des interventions portant sur les mécanismes d'approbation des plans de mise en oeuvre des sables bitumineux. La Toxics Watch et le Pembina Institute en sont des groupes membres, chacun s'occupant d'aspects particuliers découlant des études d'impact environnemental. L'OSEC et la PARC coordonnent leurs travaux sur les projets de mise en valeur des sables bitumineux, par l'entremise du processus de consultation de l'OSEC.

[32]            Chaque demandeur a justifié d'un engagement à long terme ainsi que d'une participation appréciable dans les processus qui président à la surveillance, à la réglementation et à l'élimination des divers impacts environnementaux de l'industrie des sables bitumineux.

[33]            Chaque demandeur a justifié d'une participation appréciable dans les processus d'examen et d'approbation entrepris au regard du projet de TrueNorth pour l'exploitation des sables bitumineux de Fort Hills. Le Pembina Institute et la Toxics Watch, par l'entremise de l'OSEC, ont tous deux effectué un examen de la demande de TrueNorth avant qu'elle ne soit présentée et ont produit des preuves orales et littérales au cours des audiences de l'AEUB. La PARC a apporté sa contribution et son aide à l'OSEC au cours des audiences.


[34]            La Toxics Watch, au nom de l'OSEC, a aussi rencontré des autorités fédérales pour discuter avec elles du processus fédéral d'évaluation, et elle a téléphoné deux fois au MPO pour savoir où en était la décision relative à la portée du projet. La PARC a conseillé l'OSEC concernant le processus fédéral d'évaluation.

[35]            Chaque demandeur s'oppose à la décision du MPO de limiter à la destruction du Fort Creek la portée du projet de TrueNorth concernant l'exploitation des sables bitumineux de Fort Hills. Leurs préoccupations communes sont les suivantes : le risque de voir les émissions résultant du projet contribuer aux pluies acides et aux émissions de gaz à effet de serre; les répercussions cumulatives du projet, une fois combinées aux répercussions d'autres projets de mise en valeur des sables bitumineux; une insuffisance de détails dans les mesures proposées d'atténuation; une absence d'intervention fédérale dans l'atténuation des effets du projet; enfin l'intégrité du processus d'évaluation prévu par la LCEE.

LOIS APPLICABLES

[36]            La décision contestée est la décision relative à la portée du projet, prise par le MPO en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37. Le paragraphe 15(1) est ainsi rédigé :



15. (1) L'autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l'examen par une commission, le ministre, après consultation de l'autorité responsable, détermine la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée.

15. (1) The scope of the project in relation to which an environmental assessment is to be conducted shall be determined by

(a) the responsible authority;


[37]            Le Règlement sur la coordination par les autorités fédérales des procédures et des exigences en matière d'évaluation environnementale, DORS/97-181 (le Règlement), oblige l'autorité responsable à consulter les autorités fédérales avant de déterminer la portée du projet selon ce que prévoit le paragraphe 15(1) de la LCEE. L'alinéa 8a) du Règlement est ainsi rédigé :


8. Si un projet fait l'objet d'un examen préalable ou d'une étude approfondie, les autorités responsables, autres que l'autorité fédérale visée à l'article 7, doivent, après avoir consulté les autorités fédérales qui ont fait parvenir une réponse en vertu de l'alinéa 6(1)c), déterminer ensemble :

8. Where a project is subject to a screening or a comprehensive study, the responsible authorities other than a federal authority referred to in section 7 shall, after consulting with all federal authorities that respond pursuant to paragraph 6(1)(c), together determine

a) la portée du projet en application du paragraphe 15(1) de la Loi;

(a) the scope of the project pursuant to subsection 15(1) of the Act;


[38]            L'article 2 de LCEE donne la définition suivante du mot « projet » :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« projet » Réalisation - y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture - d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d'une catégorie d'activités concrètes désignée par règlement aux termes de l'alinéa 59b).

2. (1) In this Act, "project" means

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

(b) any proposed physical activity not relating to a physical work that is prescribed or is within a class of physical activities that is prescribed pursuant to regulations made under paragraph 59(b);


[39]            Le MPO s'est déclaré autorité responsable en prévision de la réception d'une demande d'autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14. Voici le texte de l'article 35 :


35. (1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.

35. (1) No person shall carry on any work or undertaking that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l'habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.

(2) No person contravenes subsection (1) by causing the alteration, disruption or destruction of fish habitat by any means or under any conditions authorized by the Minister or under regulations made by the Governor in Council under this Act.


[40]            Selon l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, aucune autorisation prévue par des règlements pris en vertu de l'alinéa 59f) de la LCEE ne peut être donnée avant qu'une évaluation environnementale ne soit effectuée en vertu de la LCEE. L'alinéa 5(1)d) de la LCEE est ainsi formulé :


5. (1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes :

...

5. (1) An environmental assessment of a project is required before a federal authority exercises one of the following powers or performs one of the following duties or functions in respect of a project, namely, where a federal authority

...

d) une autorité fédérale, aux termes d'une disposition prévue par règlement pris en vertu de l'alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie.

(d) under a provision prescribed pursuant to paragraph 59(f), issues a permit or licence, grants an approval or takes any other action for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part.


[41]       Le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, en vertu duquel l'autorisation demandée par TrueNorth serait donnée, est une « disposition déterminée en application de l'alinéa 59f) » (Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636, annexe I, partie I, article 6e)).


POINTS LITIGIEUX

[42]            Le point soulevé par cette demande est celui de savoir si le MPO a commis une erreur sujette à révision dans la décision qu'il a rendue le 13 décembre 2002 et qui définissait la portée du projet. Selon les demandeurs, la décision, et les motifs qui l'appuient, révèlent trois erreurs, qu'ils décrivent ainsi :

a. une erreur dans l'interprétation du champ du pouvoir fédéral d'évaluation selon la LCEE, erreur qui appelle une révision selon la norme de la décision correcte;

b. une erreur dans l'interprétation de la définition de « projet » et du Règlement sur la liste d'inclusion pris en vertu de la LCEE, erreur qui appelle une révision selon la norme de la décision correcte; et

c. un exercice déraisonnable de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a déterminé la portée du projet devant être évaluée, une erreur qui appelle une révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

ARGUMENTS

Demandeurs

Généralités


[43]            Selon les demandeurs, l'application de la LCEE au projet va de soi. TrueNorth envisage d'entreprendre un projet d'exploitation de sables bitumineux qui nécessite la délivrance d'un permis fédéral, et un tel projet requiert donc une évaluation aux termes de la LCEE. La destruction du Fort Creek est une conséquence de ce projet, non un projet distinct en soi. Parce que le projet d'exploitation des sables bitumineux dépasse deux seuils distincts prévus dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, DORS/94-638, une étude approfondie du projet est requise.

[44]            La décision du MPO définit le projet comme autre chose que ce qu'il est manifestement, et le MPO se soustrait ainsi à son obligation de faire une évaluation en règle de toutes les répercussions du projet et de veiller à l'atténuation desdites répercussions. Cette décision est invalide parce qu'elle repose sur une mauvaise interprétation de la LCEE et parce qu'elle rend inapplicables ou absurdes des portions importantes de la LCEE.

[45]            L'argument des demandeurs intéresse les points suivants : le cadre de la LCEE; l'erreur d'interprétation du champ du pouvoir fédéral d'évaluation; l'erreur d'interprétation de la définition de « projet » et du Règlement sur la liste d'inclusion, DORS/94-637; l'exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire; enfin les conséquences de l'erreur du MPO.

Le cadre de la LCEE

[46]            La LCEE régit les responsabilités de tous les ministères et organismes fédéraux en matière d'évaluation environnementale. Aux fins qui nous concernent, ce texte législatif règle trois aspects pertinents : à quel moment l'obligation de procéder à une évaluation naît-elle? quel genre d'évaluation doit être effectuée? et quelles sont les étapes à franchir après que l'évaluation est achevée?


[47]            L'article 5, appelé « disposition de déclenchement » , énumère les circonstances dans lesquelles naît l'obligation d'effectuer une évaluation environnementale. Il doit exister une forme d'intervention fédérale dans le projet à évaluer. L'autorité fédérale pourrait être le promoteur du projet, ou elle pourrait apporter un soutien financier au promoteur du projet, ou lui accorder le droit d'accès ou d'utilisation de biens-fonds fédéraux pour faciliter l'exécution du projet.

[48]            En l'espèce, l'intervention fédérale consiste à délivrer ou à octroyer un permis, une licence ou une autorisation « en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie » (alinéa 5(1)d)). Le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, qui énumère les permis, licences et autorisations, mentionne dans sa partie 1, article 6e), les autorisations dont parle le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches.

[49]            L'article 5 fait aussi état d'un « projet » au sens de la LCEE. La définition de ce mot dans l'article 2 de la LCEE comprend deux parties :


« projet » Réalisation - y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture - d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d'une catégorie d'activités concrètes désignée par règlement aux termes de l'alinéa 59b).

"project" means

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

(b) any proposed physical activity not relating to a physical work that is prescribed or is within a class of physical activities that is prescribed pursuant to regulations made under paragraph 59(b);


[50]            Le Règlement sur la liste d'inclusion énumère les activités concrètes projetées dont parlent la deuxième partie de la définition de « projet » et l'alinéa 59b).

[51]            Une fois qu'est déclenchée l'obligation de procéder à une évaluation, la forme de l'évaluation doit être déterminée. La LCEE prévoit trois genres d'évaluation : les examens préalables, les études approfondies; enfin la médiation ou l'examen par une commission. Chaque niveau ascendant d'évaluation, depuis l'examen préalable jusqu'à la médiation ou à l'examen par une commission, suppose une étude plus détaillée et plus minutieuse du projet concerné.

[52]            En application du paragraphe 18(1) de la LCEE, l'autorité responsable doit effectuer un examen préalable du projet, à moins que le projet ne soit mentionné dans la liste d'étude approfondie. L'examen préalable est donc le niveau implicite d'évaluation. Lorsqu'un projet est mentionné dans la liste d'étude approfondie, alors l'article 21 de la LCEE oblige l'autorité responsable à « s'assurer qu'une étude approfondie est effectuée » ou à « soumettre le projet au ministre [de l'Environnement] pour renvoi à un médiateur ou à une commission » .

[53]            La liste d'étude approfondie se trouve dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie (avec ses modifications), lequel, en son article 3, énumère les projets « pour lesquels une étude approfondie est obligatoire » et mentionne expressément les projets suivants :


PARTIE IV PROJETS PÉTROLIERS ET GAZIERS

Projet de construction, de désaffectation ou de fermeture

a) d'une plate-forme, d'une île artificielle ou de tout autre ouvrage destiné à la production de pétrole et de gaz, lorsque la plate-forme, l'île ou l'ouvrage est situé au large, en eau salée ou en eau douce;

b) d'une installation de traitement d'huile lourde ou de sables bitumineux d'une capacité de production de pétrole de plus de 10 000 m3/j;

c) d'une mine de sables bitumineux dont la capacité de production de bitume est supérieure à 10 000 m3/j.

[54]            Le projet de TrueNorth comprend une installation de traitement dont la capacité est de 30 000 m3/j, et une mine dont la capacité est de 15 000 m3/j, et donc, de l'avis des demandeurs, ce projet requiert une évaluation prenant la forme d'une étude approfondie.

[55]            Le MPO, pour sa part, a choisi de définir le projet comme la destruction du Fort Creek. Il a exercé ce choix en vertu du pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 15(l) de la LCEE, lequel prévoit que « l'autorité responsable détermine la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée » . Cette manière de définir la portée du projet a deux effets. En premier lieu, elle réduit le nombre d'entreprises dont tiendra compte le MPO pour exclure l'infrastructure composant le projet de TrueNorth en vue de l'exploitation des sables bitumineux, et elle minimise les répercussions environnementales de ce projet. Deuxièmement, comme la destruction des ruisseaux n'est pas mentionnée dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, le MPO n'effectuera qu'un examen préalable, qui est le niveau le plus faible d'évaluation.

[56]            La LCEE établit une différence de fond entre le contenu d'un examen préalable et celui d'une étude approfondie. Le paragraphe 16(l) prévoit que les examens préalables tout comme les études approfondies doivent porter notamment sur les effets environnementaux du projet, sur les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à la réalisation d'autres projets, est susceptible de causer à l'environnement, ainsi que sur les mesures d'atténuation réalisables, techniquement et économiquement, des effets environnementaux négatifs importants du projet. Cependant, le paragraphe 16(2) prévoit aussi que les études approfondies (mais non les examens préalables) doivent tenir compte des raisons d'être du projet, des solutions de rechange réalisables et de leurs effets environnementaux, enfin de la nécessité d'un programme de suivi du projet, ainsi que de ses modalités.

[57]            Les dispositions pertinentes finales de la LCEE précisent ce qui arrive après l'achèvement d'une évaluation. Lorsqu'un rapport d'examen préalable est rédigé, alors le paragraphe 20(1) prévoit que l'autorité responsable peut :

a)              exercer une attribution se rapportant au projet (c'est-à-dire délivrer un permis, louer le bien-fonds, accorder le financement, etc.), si elle est d'avis que, compte tenu de l'application des mesures d'atténuation indiquées dans le rapport d'examen préalable, le projet n'entraînera pas d'effets environnementaux négatifs importants. L'autorité responsable doit cependant s'assurer que lesdites mesures d'atténuation sont appliquées;

b)              n'exercer aucune attribution à l'égard du projet si elle est d'avis que, même compte tenu de l'application de mesures d'atténuation, le projet aura des effets environnementaux négatifs importants qui ne peuvent être justifiés eu égard aux circonstances; ou


c)              s'il n'est pas clair que la réalisation du projet soit susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants, ou si la réalisation du projet, malgré l'application de mesures adéquates d'atténuation, est susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants, mais que l'autorité responsable n'est pas en mesure de dire que les effets en question ne sont pas justifiés eu égard aux circonstances, alors l'autorité responsable peut renvoyer le projet au ministre pour une médiation ou pour un examen par une commission.

[58]            En revanche, l'article 21 de la LCEE prévoit que, lorsque l'autorité responsable rédige un rapport d'étude approfondie, il doit remettre ce rapport au ministre de l'Environnement et à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. L'article 22 prévoit pour sa part que l'Agence doit mettre le rapport à la disposition du public et donner au public les moyens de présenter des observations. Les observations reçues du public sont alors soumises à l'examen du ministre, en même temps que le rapport d'étude approfondie. Le processus de l'examen préalable n'oblige pas l'autorité responsable à recevoir ni à prendre en compte les observations du public.

[59]            L'article 23 de la LCEE prévoit ensuite que, après avoir pris en compte le rapport, les observations du public et les mesures requises d'atténuation, le ministre peut renvoyer le projet à l'autorité responsable pour qu'elle prenne une décision en application de l'article 37. L'autorité responsable peut alors adopter les mêmes lignes de conduite que celles qu'elle peut adopter après rédaction d'un rapport d'examen préalable. Subsidiairement, le ministre peut renvoyer le projet pour étude complémentaire prenant la forme d'une médiation ou d'un examen par une commission, selon ce que prévoit l'article 29 de la LCEE, pour qu'il soit disposé notamment des incertitudes restantes ou des préoccupations du public. Un projet examiné selon la formule de l'étude approfondie bénéficie donc aussi d'une attention additionnelle du ministre, ce qui n'est pas le cas pour la formule de l'examen préalable.

[60]            Après que l'évaluation a pris fin et que le projet commence, la LCEE oblige l'autorité responsable à s'assurer que les mesures d'atténuation indiquées sont appliquées. Cela vaut à la fois pour les examens préalables (alinéa 20(1)a) et paragraphe 20(2)) et pour les études approfondies (paragraphes 37(1) et (2)).

Le MPO a commis une erreur en interprétant d'une manière restrictive le champ du pouvoir fédéral d'évaluation

[61]            Les demandeurs disent que l'approche erronée adoptée par le MPO pour définir la portée du projet qui nous concerne ici vient de qu'il a mal interprété l'esprit de la LCEE et le champ du pouvoir fédéral d'évaluation, et cette mauvaise interprétation peut être réformée par la Cour selon la norme de la décision correcte (Friends of the West Country c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1999), 31 C.E.L.R. (N.-É.) 239 (C.A.F.), à la page 243).

[62]            Au paragraphe 26 de son affidavit, Mme Majewski écrit ce qui suit :

[traduction] Lorsqu'une décision administrative telle que la décision de donner l'autorisation prévue par le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches déclenche une évaluation environnementale, il y a des limites à la portée du projet. Dans un tel cas, la portée du projet doit se limiter aux éléments sur lesquels le gouvernement fédéral peut validement exercer un pouvoir, directement ou indirectement. La portée du projet soumis à évaluation environnementale devrait s'accorder avec l'entreprise de droit fédéral dont il est question dans la demande.


[63]            Les demandeurs disent que, à l'origine de cette interprétation de la LCEE, réside l'idée fausse selon laquelle l'autorité fédérale ne peut considérer que ce qu'elle peut validement réglementer. Dans un arrêt de principe, Friends of the Oldman River c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada avait étudié l'argument selon lequel le gouvernement fédéral doit s'en tenir, sans plus, aux portions d'un projet qui déclenchent la responsabilité dont la loi l'investit. Rejetant expressément cet argument, le juge La Forest avait tiré les conclusions suivantes, aux pages 62-76 :

a) la portée de l'évaluation ne se limite pas au pouvoir particulier en vertu duquel l'autorité fédérale est habilitée à rendre une décision; et

b) une fois que le ministère d'origine est investi du pouvoir d'entreprendre l'évaluation, son examen doit tenir compte des effets environnementaux sur tous les domaines de compétence fédérale.

[64]            La conclusion du MPO dont il s'agit ici, conclusion selon laquelle la portée du projet doit se limiter aux éléments sur lesquels le MPO peut revendiquer un pouvoir de réglementation (c'est-à-dire les pêches dans le cours d'eau appelé Fort Creek), est donc erronée. Le pouvoir du MPO de délivrer une autorisation selon le paragraphe 35(2) est ce qui déclenche le pouvoir fédéral d'évaluation, mais, une fois que le pouvoir d'évaluation selon la LCEE est assumé, le MPO doit examiner les répercussions du projet sur tous les domaines de compétence fédérale, et pas seulement sur les pêches.


[65]            Les demandeurs font observer que ces répercussions ne sont pas purement hypothétiques. Environnement Canada et le MPO avaient fait état de préoccupations fédérales dans les conclusions qu'ils avaient présentées à l'AEUB, notamment altération du poisson en raison des effluents de l'installation de traitement, répercussions sur les oiseaux migrateurs, dépôts acides au niveau régional et émissions de gaz à effet de serre. Ces préoccupations sont partagées par la Première nation Athabasca Chipewyan, qui subit les contrecoups du projet. Mais si la décision du MPO touchant la portée du projet subsiste, tous ces aspects seront (ironiquement) exclus du champ de l'évaluation fédérale elle-même. C'est là exactement la vision appauvrie du pouvoir fédéral d'évaluation contre laquelle le juge La Forest avait fait sa mise en garde dans l'arrêt Oldman.

[66]            Les demandeurs disent que, depuis l'arrêt Oldman, le droit a évolué et qu'aujourd'hui le pouvoir fédéral d'évaluation va au-delà de l'examen des aspects d'un projet ayant des effets environnementaux sur des domaines de compétence fédérale. Le droit exige aujourd'hui un examen de tous les effets du projet tout entier. Le point essentiel est que, bien que l'examen puisse être étendu, l'exercice ultime du pouvoir doit se limiter aux domaines de compétence fédérale.

[67]            Les demandeurs font valoir que cette approche élargie est anticipée dans l'arrêt Oldman, où le juge La Forest s'appuie sur un arrêt de la Haute Cour d'Australie, Murphyores Incorporated Pty. Ltd. v. Commonwealth of Australia (1976), 136 C.L.R. 1. Dans cet arrêt, la Haute Cour d'Australie confirmait le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral australien de considérer les répercussions environnementales d'un projet minier d'après les lois d'un État fédéré, et cela en même temps que le gouvernement fédéral exerçait son pouvoir en matière de commerce par l'octroi d'un permis d'exportation du minerai extrait du sol.

[68]            Cette manière de voir est ensuite expressément confirmée en tant qu'état du droit au Canada dans un deuxième arrêt de principe en matière d'évaluation environnementale, Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159 (l' « affaire Hydro-Québec » ). Dans une décision confirmant le pouvoir de l'ONE d'examiner les effets environnementaux de centrales électriques destinées à produire, en partie, l'électricité qui faisait l'objet de la demande de certificat d'exportation d'électricité présentée à l'ONE, la Cour suprême a énoncé trois principes clés :

a)              les autorités fédérales sont fondées à tenir compte, dans leurs processus décisionnels, de l'ensemble des coûts environnementaux entraînés par l'octroi des permis ou licences sur lesquels elles exercent un droit de regard (aux pages 187-200);

b)              les entreprises rattachées au domaine de compétence fédérale peuvent validement être prises en compte au cours de l'évaluation environnementale fédérale, même si telles entreprises sont situées dans une province et relèvent principalement de la compétence provinciale (aux pages 192 et 193); et

c)              un chevauchement des processus fédéral et provincial d'évaluation n'est pas un produit inusité ni impossible du fédéralisme, et le gouvernement fédéral doit tenir compte de ses responsabilités propres qui complètent celles des provinces (aux pages 193-194).


[69]            Les demandeurs disent que ces principes ont été appliqués par la Cour d'appel fédérale dans son arrêt Friends of the West Country, où elle concluait que la Garde côtière avait commis une erreur en limitant son analyse des effets cumulatifs entreprise en vertu du paragraphe 16(1) de la LCEE aux seuls effets environnementaux produits par des sources relevant de la compétence fédérale. À partir du moment où la procédure de la LCEE est enclenchée, « l'autorité fédérale responsable doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière d'effets cumulatifs sans que son action ne soit limitée par la manière dont elle interprète la compétence constitutionnelle dont elle est investie » (aux paragraphes 34 et 38).

[70]            À la page 254, paragraphe 36, de l'arrêt Friends of the West Country, la Cour d'appel fédérale limite ses observations à l'analyse des effets cumulatifs qui a lieu après que la portée d'un projet a été déterminée. Cependant, eu égard aux arrêts susmentionnés de la Cour suprême, le même raisonnement s'applique à la définition de la portée d'un projet selon le paragraphe 15(1) : les éléments du projet qui débordent la compétence fédérale devraient être pris en compte, et cette prise en compte déterminera la décision fédérale finale sur les instruments de réglementation relevant du pouvoir fédéral. Ce n'est que de cette façon, d'affirmer les demandeurs, que l' « ensemble des coûts environnementaux » d'une décision fédérale seront comptabilisés.

[71]            Les demandeurs soutiennent que le législateur fédéral a adopté cette vue étendue du pouvoir fédéral d'évaluation lorsqu'il a rédigé la LCEE. L'expression « effets environnementaux » , définie dans l'article 2 de la LCEE, désigne « les changements que la réalisation d'un projet risque de causer à l'environnement, notamment les répercussions de ces changements en matière sanitaire et socio-économique » . Cette formulation générale ne signale aucune intention expresse ou implicite de limiter l'évaluation fédérale aux seuls effets environnementaux directement rattachés à des entreprises relevant du droit fédéral ou à des domaines de compétence fédérale.

[72]            Les alinéas 5(1)a) à d) de la LCEE parlent d'autorités fédérales exerçant des pouvoirs qui permettent la mise en oeuvre d'un projet « en tout ou en partie » . C'est là reconnaître, de dire les demandeurs, qu'une autorité fédérale peut avoir un lien avec une partie seulement d'un projet ou peut exercer un droit de regard sur une partie seulement d'un projet. Néanmoins, le paragraphe 5(1) requiert une évaluation environnementale du projet dans son intégralité, et pas seulement de la portion qui relève du pouvoir fédéral.

[73]            Le paragraphe 15(3) de la LCEE prévoit que, lorsque l'opération est proposée par le promoteur, l'évaluation environnementale porte sur toute opération -- construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre -- constituant un projet lié à un ouvrage. Selon les demandeurs, cela montre qu'un lien entre des entreprises apparentées peut les faire relever toutes les deux du champ de l'évaluation fédérale, de la même manière que le lien entre les centrales électriques et l'exportation d'électricité avait fait relever les centrales du champ de l'examen de l'ONE, dans l'affaire Hydro-Québec.


[74]            De plus, les demandeurs font remarquer que le préambule de la LCEE fait état des objectifs suivants : « viser au développement durable par des actions de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement ainsi que de promotion d'une croissance économique de nature à contribuer à la réalisation de ces fins » ; et utiliser l'évaluation environnementale comme moyen permettant « la prise en compte des facteurs environnementaux dans les processus de planification et de décision, de façon à promouvoir un développement durable » . Ni l'un ni l'autre de ces objectifs ne pourront être atteints, d'affirmer les demandeurs, si les autorités fédérales ferment délibérément les yeux sur les répercussions véritables de grands développements industriels en minimisant la portée de tels développements comme s'il s'agissait d'activités comparativement inoffensives.

[75]            S'agissant du Règlement, les demandeurs font observer que le gouverneur en conseil sait à coup sûr que des travaux d'exploitation de sables bitumineux sont effectués sur des terres provinciales et qu'ils sont soumis à la réglementation provinciale. Partant, ils ne sont pas intégralement soumis à la réglementation fédérale. Pour autant, les travaux de cette nature ont été inclus dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, ce qui montre une volonté d'imposer une évaluation fédérale des projets dans leur intégralité lorsqu'est exercé un pouvoir réglementaire direct sur une portion seulement du projet.

[76]            La position des demandeurs est que la LCEE emploie toujours des mots révélant une interprétation étendue du pouvoir fédéral d'évaluation, un pouvoir qui englobe tous les ouvrages apparentés et leurs répercussions environnementales.

[77]            Ainsi que l'affirmait la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Friends of the West Country, l'obligation du MPO est d'effectuer l'évaluation requise « sans que son action ne soit limitée par la manière dont [il] interprète la compétence constitutionnelle dont [il] est investi » . Il ne devrait pas être entravé par une interprétation erronément étroite dépourvue d'un quelconque appui dans le texte instituant le mécanisme.


Le MPO a commis une erreur dans sa manière d'interpréter la définition du mot « projet » et le Règlement sur la liste d'inclusion

[78]            Les demandeurs sont d'avis que la décision du MPO repose également sur une interprétation erronée de la définition du mot « projet » et du Règlement sur la liste d'inclusion, erreur qui elle aussi appelle une révision selon la norme de la décision correcte.

[79]            Le MPO se fonde sur l'énumération d'activités qui endommagent ou détruisent l'habitat du poisson, dans la partie VII du Règlement sur la liste d'inclusion, au soutien de sa décision selon laquelle la destruction du Fort Creek est par elle-même un projet susceptible d'une évaluation distincte selon la LCEE.

[80]            Le vice fondamental de cet argument, d'affirmer les demandeurs, est que le Règlement sur la liste d'inclusion, modifié par DORS/99-436, ne s'applique qu'à des activités concrètes non liées à des ouvrages. Comme la destruction du Fort Creek est intégralement liée à l'ouvrage consistant à construire les installations d'extraction et de traitement des sables bitumineux, elle doit être considérée comme partie de l'évaluation du projet tout entier d'exploitation des sables bitumineux, et non comme une activité concrète distincte.

[81]            La deuxième partie de la définition de « projet » , à l'article 2 de la LCEE, concerne la « proposition d'exercice d'une activité concrète non liée à un ouvrage » qui est désignée par règlement. L'article 3 du Règlement sur la liste d'inclusion, modifié par DORS/99-436, reprend cette distinction en des termes plus catégoriques :


3. Pour l'application de la définition de « projet » , au paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, sont des activités concrètes et des catégories d'activités concrètes les activités et les catégories d'activités énumérées à l'annexe, dans la mesure où elles ne sont pas liées à un ouvrage.

3. The physical activities and classes of physical activities set out in the schedule are prescribed for the purpose of paragraph (b) of the definition "project" in subsection 2(1) of the Canadian Environmental Assessment Act except in so far as they relate to a physical work.


[82]            Ainsi, d'affirmer les demandeurs, toute activité concrète qui est liée à un ouvrage est expressément exclue de la liste d'inclusion. Cela ne signifie pas que ces activités concrètes échappent à l'évaluation. Cela signifie plutôt que les activités concrètes liées à des ouvrages doivent être évaluées en même temps que l'ouvrage lui-même, comme partie de l'entreprise globale.

[83]            La destruction du Fort Creek est manifestement « liée » à la construction et à l'exploitation de la mine de sables bitumineux. L'activité de destruction du ruisseau est une conséquence de la construction de la mine et n'a aucun objet indépendant. Ce point découle directement de la demande d'autorisation présentée par TrueNorth en vertu du paragraphe 35(2), demande où l'on peut lire ce qui suit :

[traduction]

... les activités se rapportant à la mine entraîneraient une détérioration de l'habitat du poisson dans le bassin hydrographique du Fort Creek. (lettre d'accompagnement)


TrueNorth Energy Corp. envisage de mettre en valeur, en tant que mine à ciel ouvert, le gisement de sables bitumineux de Fort Hills. Au cours de l'exploitation de cette mine, l'habitat du poisson qui fréquente le Fort Creek serait détérioré. (page 2 de la demande)

[84]            Les installations d'extraction et de traitement sont des « ouvrages » au sens de la LCEE. Ainsi que l'affirmaient Hobby, Ricard et autre dans l'ouvrage intitulé Loi canadienne sur l'évaluation environnementale : Guide annoté, pages II-20 - II-21, [traduction] « la Loi ne définit pas le mot "ouvrage", mais la conséquence pour la définition de "projet" est claire : des activités humaines concrètes et des résultats concrets sont essentiels » . De l'avis des demandeurs, les installations d'extraction et de traitement présentent les deux attributs.

[85]            La mention des mines de sables bitumineux et des installations de traitement dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie atteste une décision sans équivoque de les classer en tant qu'ouvrages. La définition du mot « projet » , à l'article 2, n'établit que deux types de projets : les ouvrages ou les activités concrètes énumérés dans le Règlement sur la liste d'inclusion. Si un projet est décrit dans le régime de la LCEE, ce doit être l'une de ces deux choses.

[86]            En raison de leur inclusion dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, les mines de sables bitumineux et les installations de traitement sont réputées des projets au sens de la LCEE. Leur absence du Règlement sur la liste d'inclusion signifie qu'il doit s'agir d'ouvrages. Les demandeurs disent que c'est là une décision déjà prise par les rédacteurs de la LCEE et des règlements.


[87]            Pour ces motifs, les demandeurs disent que le MPO a commis une erreur lorsqu'il a dit que la définition de « projet » et le Règlement sur la liste d'inclusion justifiaient sa décision relative à la portée du projet. La destruction du Fort Creek est une activité liée à l'ouvrage consistant à construire la mine et les installations de traitement, et elle ne saurait donc être évaluée en tant qu'activité figurant dans le Règlement sur la liste d'inclusion. Elle doit plutôt être évaluée en tant que partie de l'étude approfondie du projet lui-même d'exploitation des sables bitumineux.

La décision relative à la portée du projet est déraisonnable

[88]            Outre les erreurs susmentionnées d'interprétation, les demandeurs disent que la décision du MPO constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 15(1) de la LCEE, un exercice qui ne saurait résister à un « examen assez poussé » . (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, paragraphes 48 à 56).


[89]            Les demandeurs admettent que l'exercice par le MPO de son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 15(1) commande une certaine retenue de la part de la Cour et qu'il devrait être étudié selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cependant, le MPO doit exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec l'objet et l'économie de la LCEE, et la Cour est fondée à intervenir pour autant que les demandeurs puissent prouver que la décision du MPO s'écarte des objets du texte législatif, ou de la perspective devant présider à l'application de ce texte (Bow Valley Naturalists c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (2001), 37 C.E.L.R. (N.-É.) 1, au paragraphe 55; Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no 39, au paragraphe 53).

La décision relative à la portée du projet est absurde et compromet la bonne application de la LCEE

[90]            Les demandeurs font observer que la LCEE décrit et classe les projets selon leur objet fonctionnel. Si l'on s'en rapporte au Règlement sur la liste d'étude approfondie, on observe que ce règlement énumère une série d'entreprises -- centrales électriques, projets d'exploitation de sables bitumineux, barrages, usines de pâte à papier, etc. -- qui toutes ont des objets évidents et des justifications fondamentales.

[91]            Il en va de même pour les activités énumérées comme projets dans le Règlement sur la liste d'inclusion. Les demandeurs font remarquer que l'objet de maintes activités énumérées ressort clairement de leur description -- la mise à l'essai d'armes, par exemple, est à l'évidence une fonction de l'armée du Canada (partie IV, article 25). Les objets des activités touchant l'habitat du poisson qui sont énumérées dans la partie VII n'apparaissent pas dans la description, mais ils sont tout aussi évidents. Le poisson peut être détruit, par exemple, si une espèce envahissante s'attaque à nos espèces indigènes (article 42), ou l'habitat du poisson peut être endommagé par le dragage pratiqué pour dégager un chenal de navigation (article 43). L'habitat du poisson peut également être détruit par le drainage d'un plan d'eau en vue de réduire les risques d'inondation (article 44).


[92]            La destruction du Fort Creek, en revanche, ne présente aucun objet indépendant de la construction du projet d'exploitation des sables bitumineux. En lui-même, c'est un projet sans justification, sans objet et sans fonction. C'est un projet dont la conception est absurde et ne présente aucun lien logique avec les projets dont fait état la LCEE.

[93]            Définir un projet d'une manière qui le sépare de tout objet fonctionnel met aussi en péril le travail de mise en équilibre que pourra devoir exercer l'autorité responsable après l'achèvement d'une évaluation. Selon les alinéas 20(1)b) et 37(1)a)(ii) de la LCEE, l'autorité responsable doit décider si un projet entraînant des effets environnementaux négatifs importants doit néanmoins être approuvé parce que ses effets sont justifiés « eu égard aux circonstances » , c'est-à-dire à la lumière des avantages non environnementaux, notamment sociaux et économiques, du projet considéré.

[94]            Cette mise en équilibre des intérêts en cause n'a pas lieu d'être ici à moins que le projet ne soit considéré en tant que mine de sables bitumineux et installation de traitement. Des facteurs tels que les niveaux d'emploi et le versement de redevances au gouvernement pourraient justifier en partie le projet d'exploitation des sables bitumineux de Fort Hills, mais ils n'ont rien à voir avec la destruction inconsidérée d'un ruisseau.


La méthode employée par le MPO pour définir la portée du projet compromet le Règlement sur la liste d'étude approfondie

[95]            Les demandeurs disent aussi que la méthode employée par le MPO pour définir la portée du projet d'exploitation des sables bitumineux de Fort Hills menace d'enlever toute substance aux importants projets énumérés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie.

[96]            L'intervention fédérale dans la plupart des grands projets -- qu'il s'agisse de mines de sables bitumineux, d'usines de pâte à papier ou de raffineries de pétrole -- prendra le plus souvent la forme d'une mise à disposition de terres fédérales, d'un financement fédéral ou de permis fédéraux portant sur une partie du projet. Si la manière dont le MPO a défini la portée du projet est adoptée, l'intervention fédérale dans l'un des éléments d'un projet ne permettra jamais une évaluation du projet tout entier, privant ainsi de tout effet la plupart, sinon la totalité, des listes apparaissant dans le Règlement.

La méthode employée par le MPO entraîne un manque d'uniformité dans l'application de la LCEE


[97]            Les demandeurs font remarquer que, dans la LCEE, plusieurs autorités fédérales peuvent, pour divers types de projets, agir comme autorités responsables. L'application d'une approche commune dans la définition de la portée d'un projet et dans l'évaluation d'un projet assure donc l'uniformité et la prévisibilité dans l'application de la LCEE, et une approche commune devrait donc être préférée à une approche qui est source de conflit et d'incohérence.

[98]            Pour favoriser l'uniformité des décisions se rapportant à la portée des projets, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale a rendu public un énoncé de politique, intitulé Établir la portée de l'évaluation environnementale, qui énumère les aspects qu'une autorité responsable doit prendre en compte lorsqu'elle fixe la portée d'un projet. Selon les demandeurs, la décision du MPO s'écarte de l'énoncé de politique sous deux aspects importants. D'abord, alors que la première recommandation de l'énoncé est d'examiner la description et la justification du projet du promoteur, la décision du MPO semble ignorer le fait que TrueNorth décrit son projet comme un « projet d'exploitation des sables bitumineux » et le fait que TrueNorth justifie la destruction du Fort Creek comme une chose nécessaire pour la construction d'une mine. Deuxièmement, alors que l'énoncé de politique met aussi l'accent sur « les autres ouvrages qui sont inévitables ou qui sont physiquement liés au projet proposé » , la décision du MPO néglige d'intégrer dans la portée du projet la totalité des ouvrages ou entreprises apparentés.


[99]            Les demandeurs font aussi valoir que la décision du MPO contredit directement la manière dont le MPO lui-même a déjà considéré d'importants projets d'exploitation minière qui sont énumérés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie. Par exemple, le projet de Suncor pour l'exploitation des sables bitumineux du Millénaire avait déclenché une étude approfondie par suite d'une demande d'autorisation selon le paragraphe 35(2); le projet de mine de cuivre Huckleberry, le projet minier d'or et de cuivre Kemess South et le projet minier Musselwhite avaient tous donné lieu à des études approfondies par suite de demandes d'autorisation selon le paragraphe 35(2); et le projet d'exploitation de la mine de charbon Cheviot avait déclenché un examen par une commission mixte, à la suite d'une demande d'autorisation selon le paragraphe 35(2) (Bande indienne des Tsawwassen c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1998] A.C.F. no 371 (1re inst.), paragraphe 52).

[100]        Le MPO s'en est remis, pour établir le champ de l'évaluation fédérale, à l'évaluation environnementale provinciale, et cela contribue encore à rendre aléatoire l'administration de la LCEE. Mme Majewski affirme que « le fait que la province a examiné, à la satisfaction du MPO, [les questions environnementales relevant de la compétence fédérale] est un aspect dont j'ai tenu compte » dans la définition de la portée du projet.

[101]        Ce que signifie l'affirmation de Mme Majewski, c'est que, s'il n'y avait eu aucune évaluation provinciale, elle aurait sans doute défini le projet comme un projet d'exploitation des sables bitumineux, et non comme un projet de destruction d'un ruisseau. Cependant, la présence ou l'absence d'autres processus d'évaluation ne change pas la nature et l'objet de l'entreprise proposée et ne devrait pas, à l'étape de la définition du projet au cours de l'évaluation selon la LCEE, constituer un facteur pertinent.

[102]        Les demandeurs font observer que des processus parallèles d'évaluation pourront validement être pris en compte après que la portée d'un projet a été définie et que l'évaluation est en cours. Mais, ce qui est primordial, c'est que la LCEE prend en considération les processus parallèles au moyen de dispositions prévoyant une coopération en ce qui a trait aux études environnementales, aux rapports et aux commissions (articles 12(4) et 40), et de dispositions prévoyant l'utilisation d'évaluations environnementales antérieures (article 24). En prévoyant expressément ces genres de coopération intergouvernementale, la LCEE montre comment l'existence d'une évaluation provinciale peut validement être intégrée dans le processus fédéral. La réduction du champ de l'évaluation fédérale n'est pas l'une des options envisagées.

La décision du MPO exclut du champ de l'évaluation d'importants aspects de compétence fédérale

[103]        Le projet de TrueNorth pour l'exploitation de sables bitumineux a des conséquences pour de nombreux aspects de compétence fédérale. Pour cette raison, les demandeurs affirment qu'il est déraisonnable que le MPO, pleinement conscient de ces conséquences, les laisse malgré cela délibérément hors du champ de l'évaluation fédérale. Cela menace l'objet fondamental de la LCEE, qui est de faire en sorte que les autorités fédérales examinent minutieusement les effets environnementaux de projets avant qu'elles ne décident d'autoriser les promoteurs de tels projets à aller de l'avant.

[104]        La décision du MPO a même pour effet d'exclure du champ de l'évaluation du projet la question de l'altération du poisson entraînée par les effluents des installations minières (un aspect dont le MPO reconnaît l'importance et sur lequel il admet avoir compétence). De l'avis des demandeurs, l'affirmation de Mme Majewski, au paragraphe 17, selon laquelle le MPO peut exiger comme condition de son autorisation que soient effectuées des études sur l'altération du poisson n'a aucun sens. Le MPO ne peut imposer de conditions sur les effluents miniers alors qu'il a expressément exclu la mine elle-même de l'évaluation fédérale.

La portée du projet conduit à une évaluation qui est sans commune mesure avec l'entreprise

[105]        Les demandeurs font aussi remarquer qu'un autre indice du caractère déraisonnable de la décision du MPO est le fait que cette décision inverse la pyramide de l'examen environnemental établie par la LCEE. La LCEE vise à faire en sorte que la rigueur d'une évaluation augmente à mesure qu'augmentent les effets environnementaux possibles d'un projet. Cet objectif est atteint à la faveur de mécanismes tels que le Règlement sur la liste d'étude approfondie, et à la faveur de renvois à la médiation ou à l'examen par une commission, en application des articles 20, 23 et 25 de la LCEE.


[106]        En l'espèce, un projet d'exploitation des sables bitumineux couvrant 41 milles carrés (sans doute le développement industriel terrestre le plus considérable que le Canada connaisse actuellement) est soumis à la forme la moins rigoureuse d'évaluation. Encore une fois, ce résultat n'a pu être obtenu que parce que le projet a été défini comme autre chose que ce qu'il est vraiment.

Les précédents invoqués ne sont pas applicables

[107]        Les demandeurs évoquent trois précédents, qu'ils estiment inapplicables : Friends of the West Country; Bow Valley Naturalists et Bande indienne des Tsawwassen.

[108]        Le ratio decidendi de la Cour en ce qui a trait à l'article 15, dans l'arrêt Friends of the West Country, c'est que le paragraphe 15(3) n'oblige pas l'autorité responsable à redéfinir la portée d'un projet pour y inclure des ouvrages et entreprises connexes après qu'elle a rendu sa décision, selon le paragraphe 15(1), sur la portée du projet.

[109]        L'argument des demandeurs cependant ne repose pas sur le paragraphe 15(3). Il repose plutôt sur le fait que le projet de TrueNorth consiste en ouvrages énumérés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie. Il repose aussi sur les erreurs d'interprétation du MPO en ce qui a trait au champ du pouvoir fédéral d'évaluation et au Règlement sur la liste d'inclusion.


[110]        L'arrêt Bow Valley confirme essentiellement l'arrêt Friends of the West Country pour ce qui concerne l'article 15. Le projet en cause dans ce précédent n'était pas énuméré dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, et la Cour n'avait aucune raison de considérer l'application de ce texte réglementaire à la définition de la portée du projet.

[111]        Les propos de la Cour, dans l'arrêt Bow Valley, sur la manière dont le projet devrait être défini appuient l'argument des demandeurs selon lequel le MPO devrait évaluer le projet principal proposé par le promoteur. Se référant au Guide des autorités responsables, le juge Linden relève au paragraphe 25 que « selon le test du projet principal/accessoire, le projet principal, savoir l'entreprise liée à un ouvrage ou à l'activité concrète, doit toujours être compris dans la détermination de la portée du projet » . La mine de sables bitumineux de TrueNorth est une entreprise liée à un ouvrage et donc fait partie du projet principal.

[112]        Le jugement Tsawwassen concerne une situation plus comparable. La Première nation demanderesse contestait la décision d'Environnement Canada, prise en application du paragraphe 15(1), de considérer le déversement de matières recueillies par dragage durant la construction d'un terminal maritime comme une activité de déversement maritime plutôt que comme un projet de construction d'un terminal maritime. Les terminaux maritimes dont il s'agissait dans cette affaire sont mentionnés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie.


[113]        Les circonstances de cette affaire et le fondement sur lequel elle a été décidée la distinguent cependant de la présente affaire. Le terminal maritime avait déjà été pleinement évalué en application d'un Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, et il était construit et en opération lorsque la Première nation demanderesse avait saisi les tribunaux. De même, le déversement maritime avait déjà eu lieu lorsque la demanderesse avait contesté la décision définissant la portée du projet. C'était là manifestement des facteurs clés qui avaient conduit le juge du procès à rejeter l'idée selon laquelle le déversement maritime devrait donner lieu à une deuxième évaluation en règle du terminal maritime.

[114]        S'agissant des conclusions précises tirées par le juge du procès dans l'affaire Tsawwassen, au paragraphe 52, pour confirmer la décision sur la portée du projet, les demandeurs offrent les comparaisons suivantes avec l'affaire qui nous occupe :

[traduction]

a)              Toutes les demandes antérieures de permis d'immersion en mer... qui remontent à 1993... ont été soumises à des évaluations environnementales... en tant que projets de déversement maritime.

C'est tout à fait le contraire ici, puisque tous les grands projets miniers ont donné lieu à une étude approfondie ou un examen par une commission à la suite de demandes d'autorisations selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches.

[traduction]

b)              L'activité concrète d'immersion en mer est elle-même définie comme projet aux fins de la LCEE, en application de la deuxième partie de la définition de « projet » , au paragraphe 2(1) de la LCEE, et en application du règlement adopté en vertu de l'article 59, à savoir le Règlement sur la liste d'inclusion, partie VI, paragraphe 40.

Comme il est expliqué ci-dessus, le MPO ne peut ici invoquer le Règlement sur la liste d'inclusion.

[traduction]

c)              L'emploi de matières de dragage comme remblai à Deltaport n'était qu'une solution parmi d'autres et n'était pas nécessaire pour l'exécution du projet Deltaport. Par conséquent, la modification du permis no 4543-2-02137 n'était pas requise pour permettre au projet Deltaport d'aller de l'avant, mais uniquement pour permettre l'immersion en mer, selon ce que prévoit l'alinéa 5(1)d) de la LCEE.


Il n'est pas établi ici que les activités minières peuvent aller de l'avant sans la destruction du Fort Creek.

[traduction]

d)              Le projet Deltaport avait été approuvé et sa construction était en cours en septembre 1993, c'est-à-dire 15 mois avant l'entrée en vigueur de la LCEE, et deux ans avant la modification du permis no 4543-2-03137, demandée le 28 septembre 1995.

La mine n'est pas encore construite et la LCEE était en vigueur à toutes les époques pertinentes.

[115]        Les défauts de compétence et erreurs d'interprétation soulevés par les demandeurs dans le cas présent n'ont pas non plus été étudiés par le juge du procès dans l'affaire Tsawwassen. Finalement, l'arrêt de la Cour d'appel ne fait qu'accentuer les particularités de l'affaire Tsawwassen, parce que cet arrêt repose sur le fait que toutes les activités pertinentes s'étaient déroulées avant l'introduction de la procédure et parce qu'il ne considère même pas la question de la portée du projet. Tout bien considéré, les demandeurs affirment que la décision Tsawwassen est un cas d'espèce qui n'est pas applicable à la présente affaire.

Les conséquences de l'erreur du MPO


[116]        Les demandeurs sont d'avis que les conséquences de la portée restrictive accordée par le MPO au projet TrueNorth se feront sentir à la fois dans le processus d'évaluation et dans l'atténuation ultime des effets du projet. S'agissant du processus, le projet TrueNorth ne bénéficiera pas d'une étude approfondie fédérale véritablement focalisée et minutieuse qui permette une évaluation précise de ses répercussions environnementales, en particulier de celles qui concernent des secteurs de compétence fédérale, et les membres du public seront privés d'une occasion de faire connaître leurs vues sur les conclusions d'une telle étude approfondie.

[117]        Aspect sans doute plus important, d'affirmer les demandeurs, la décision du MPO sur la portée du projet a pour effet d'abandonner tout contrôle fédéral sur l'atténuation de répercussions peut-être significatives du projet qui intéressent des secteurs de compétence fédérale. Les paragraphes 20(2) et 37(2) de la LCEE prévoient que, lorsqu'un examen préalable ou une étude approfondie est effectué et que l'autorité responsable a décidé d'accorder le prêt, la terre ou le permis afin que le projet puisse aller de l'avant, elle doit s'assurer que les mesures d'atténuation indiquées sont mises en oeuvre :

L'autorité responsable qui prend la décision visée à l'alinéa (1)a) [c'est-à-dire qui exerce son pouvoir d'autoriser l'exécution d'un projet] veille, malgré toute autre loi fédérale, lors de l'exercice des attributions qui lui sont conférées sous le régime de cette loi ou de ses règlements ou selon les autres modalités qu'elle estime indiquées, à l'application des mesures d'atténuation visées à cet alinéa.


[118]        Les paragraphes 20(2) et 37(2) de la LCEE donnent à l'autorité fédérale un pouvoir administratif élargi d'insérer dans toute autorisation administrative qu'elle accorde des conditions se rapportant aux mesures d'atténuation. Ce résultat est obtenu en raison de l'expression « malgré toute autre loi fédérale » . En l'espèce, l' « autre loi » est la Loi sur les pêches, c'est-à-dire le texte en vertu duquel le MPO exerce ses attributions. Nonobstant le contenu propre de la Loi sur les pêches, les paragraphes 20(2) et 37(2) de la LCEE complètent les pouvoirs conférés au MPO par ce texte législatif et l'habilitent à imposer, dans l'autorisation qu'il donne en vertu de la Loi sur les pêches, des conditions se rapportant à la protection de l'habitat du poisson et à l'application de mesures d'atténuation intéressant les secteurs de compétence fédérale.

[119]        Les autorisations données en vertu du paragraphe 35(2) pour la mine de charbon de Cheviot, à la fin de l'examen effectué par une commission mixte fédérale-provinciale, offrent un exemple de l'effet expansif des paragraphes 20(2) et 37(2). Chaque autorisation renferme des conditions qui protègent les oiseaux migrateurs et leur habitat, un sujet d'intérêt fédéral qui a été reconnu durant le processus conjoint d'évaluation. Sans le processus d'évaluation prévu par la LCEE, et sans le paragraphe 37(2), lesdites conditions ne figureraient pas dans une autorisation donnée en vertu de la Loi sur les pêches.

[120]        Les demandeurs croient que les mesures d'atténuation indiquées dans un bref rapport d'examen préalable portant sur la destruction d'un ruisseau seront à l'évidence plus limitées et moins nombreuses que les mesures qui seraient indiquées dans une étude approfondie plus détaillée portant sur un projet d'exploitation de sables bitumineux et sur une installation de traitement. Le MPO limite donc son obligation ultime de garantir l'atténuation des effets environnementaux du projet TrueNorth, en restreignant indûment son attention à la seule perte d'un ruisseau, et cela au tout début du processus d'évaluation.


[121]        L'Alberta peut également considérer certains des mêmes effets environnementaux, mais un processus provincial parallèle ne libère pas le MPO de son obligation de se conformer à la LCEE. Comme la Cour suprême l'avait fait remarquer dans l'arrêt Hydro-Québec, à la page 194, le gouvernement fédéral assume à l'égard de ce projet, des responsabilités particulières et importantes qui bénéficieront d'un examen fédéral focalisé.

[122]        Répondant expressément à la preuve de TrueNorth concernant des accords d'harmonisation, les demandeurs disent qu'il n'est pas établi que les gouvernements fédéral et provincial se sont entendus pour faire une évaluation environnementale harmonisée du projet TrueNorth. Même avec une évaluation harmonisée, le MPO serait encore tenu de répondre aux exigences que prévoit la LCEE, car des accords d'harmonisation ne permettent pas à une autorité responsable de se soustraire aux exigences de la LCEE (Association canadienne de droit de l'environnement, à la page 77).

La défenderesse TrueNorth

Généralités

[123]        TrueNorth dit que les demandeurs ont mal interprété l'application de la LCEE et les règlements pris en vertu de ce texte. Le point de savoir ce qui constitue un projet aux fins d'une évaluation environnementale selon la LCEE doit tenir compte au départ de ce qui a déclenché l'application de la LCEE.


[124]        Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la décision du MPO ne rend pas la LCEE impraticable ou absurde. Elle prend en compte le projet et les entreprises connexes qui donnent lieu à l'intervention du MPO et à l'application de la LCEE. Elle s'accorde avec les objectifs de l'Accord d'harmonisation et de l'Entente auxiliaire conclue par le CCME et, qui plus est, elle s'accorde avec le cadre juridique établi dans la LCEE.

Le cadre de la LCEE

[125]        Le paragraphe 5(1) de la LCEE est communément appelé « disposition de déclenchement » . Il établit les circonstances dans lesquelles naît l'obligation d'effectuer une évaluation environnementale. Il prévoit que cette obligation existe si une autorité fédérale fait l'une des choses suivantes :

a)              elle propose un projet;

b)              elle accorde un financement ou offre une garantie d'emprunt ou autre forme d'aide financière au promoteur d'un projet;

c)              elle cède des terres fédérales afin de faciliter la mise en oeuvre d'un projet; ou

d)              elle délivre un permis, une licence ou une autorisation, selon ce que prévoit le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, afin de permettre la mise en oeuvre d'un projet.

[126]        Pour savoir si l'application de la LCEE est déclenchée par l'effet de l'alinéa 5(1)d), il est nécessaire d'examiner le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées.

[127]        En l'espèce, l'application de la LCEE a été déclenchée par le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches :



35. (1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.

35. (1) No person shall carry on any work or undertaking that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l'habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.

(2) No person contravenes subsection (1) by causing the alteration, disruption or destruction of fish habitat by any means or under any conditions authorized by the Minister or under regulations made by the Governor in Council under this Act.


[128]        TrueNorth a demandé au MPO l'autorisation d'exécuter un ouvrage ou une entreprise « entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson » . L'ouvrage ou l'entreprise qui entraîne la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson est la destruction du Fort Creek, ce n'est pas la mine de sables bitumineux ni les installations de traitement. Autrement dit, c'est la destruction du Fort Creek et non la construction et l'exploitation d'une mine qui a déclenché l'application de la LCEE.

[129]        La destruction du Fort Creek est un « ouvrage » parce qu'elle nécessite la construction de détournements temporaires ou permanents. La destruction du Fort Creek peut aussi être considérée comme une « activité concrète » parce que la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson, qui requiert une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, est une activité dont fait état le Règlement sur la liste d'inclusion. Que la destruction du Fort Creek soit un ouvrage ou une activité concrète, elle constitue un « projet » selon la définition de ce mot à l'article 2 de la LCEE.


[130]        L'application de la LCEE requiert la désignation d'une autorité responsable pour un projet donné. L'autorité responsable est l'autorité fédérale appelée à exercer une attribution énumérée dans l'article 5 de la LCEE. L'autorité responsable doit s'abstenir d'exercer l'attribution jusqu'à ce qu'elle se soit assurée qu'une évaluation environnementale selon la LCEE a été effectuée.

[131]        Par conséquent, dans la présente affaire, puisque le MPO doit exercer son pouvoir au regard de la demande d'autorisation présentée par TrueNorth en vertu du paragraphe 35(2), pour la destruction du Fort Creek, c'est le MPO qui est l'autorité responsable.

[132]        La première décision que doit prendre une autorité responsable consiste à déterminer, en application du paragraphe 15(1) de la LCEE, la portée du projet à l'égard duquel une évaluation environnementale doit être effectuée.

[133]        L'autorité responsable doit, après avoir déterminé la portée du projet, définir la forme de l'évaluation qui sera entreprise. La LCEE prévoit que, si un projet n'est pas mentionné dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie ou dans le Règlement sur la liste d'exclusion, alors l'autorité responsable doit s'assurer qu'un examen préalable du projet est effectué et qu'un rapport d'examen préalable est rédigé. La LCEE prévoit aussi que, si un projet est mentionné dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, l'autorité responsable doit s'assurer qu'une étude approfondie est effectuée, ou elle doit soumettre le projet au ministre de l'Environnement pour renvoi à un médiateur ou à une commission.

[134]        En l'espèce, puisque la destruction du Fort Creek n'est mentionnée ni dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie ni dans le Règlement sur la liste d'exclusion, alors le MPO doit s'assurer qu'un examen préalable du projet est effectué et qu'un rapport d'examen préalable est rédigé. Pour déterminer les facteurs qui doivent être pris en compte dans le rapport d'examen préalable, l'autorité responsable doit s'en rapporter au paragraphe 16(1) de la LCEE. L'autorité responsable doit aussi, en application du paragraphe 16(3) de la LCEE, déterminer le champ de l'évaluation qui sera entreprise. En l'espèce, le MPO n'a pris en application du paragraphe 16(3) aucune décision qui soit l'objet de la présente procédure.

[135]        Si la forme de l'évaluation entreprise est un examen préalable (comme c'est le cas dans l'affaire qui nous occupe), l'autorité responsable peut, compte tenu de l'application de mesures d'atténuation, exercer l'attribution qui permettra la mise en oeuvre du projet, lorsque le projet n'est pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Autrement, l'autorité responsable peut refuser d'exercer l'attribution qui permettrait la mise en oeuvre du projet, ou elle peut soumettre le projet au ministre de l'Environnement pour renvoi à un médiateur ou à une commission d'examen.


[136]        Par conséquent, les demandeurs font erreur lorsqu'ils disent que, parce que la destruction de ruisseaux n'apparaît pas dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, le MPO se limitera à rédiger un rapport d'examen préalable, ce qui constitue le niveau le plus faible d'évaluation. En réalité, en fonction des conclusions du rapport d'examen préalable, le MPO pourra soumettre le projet au ministre de l'Environnement pour évaluation complémentaire.

Le MPO n'a pas commis d'erreur dans la manière dont il a interprété le champ du pouvoir fédéral d'évaluation selon la LCEE

[137]        TrueNorth dit qu'il est fautif pour les demandeurs de s'en rapporter aux portions de l'affidavit de Mme Majewski qui renferment des arguments juridiques ou tirent des conclusions de droit, et cela parce qu'elles ne sont pas les motifs à l'origine de la décision du MPO et que la Cour ne saurait leur attacher de la valeur.

[138]        Néanmoins, TrueNorth dit que les demandeurs ont mal interprété l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Oldman. La Cour suprême s'exprimait ainsi dans ce précédent, à la page 67 :

On doit rappeler que l'exercice d'une compétence législative, dans la mesure où elle se rapporte à l'environnement, doit, comme toute autre préoccupation, se rattacher au domaine de compétence approprié; puisque la nature des divers domaines de compétence en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 diffère, l'importance qui pourra être accordée aux préoccupations environnementales dans l'exercice d'une compétence donnée pourra varier d'un domaine à l'autre. Par exemple, le Parlement peut jouer, en matière d'environnement, dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries, un rôle quelque peu différent de celui qu'il a en vertu de sa compétence sur les chemins de fer ou la navigation puisque dans le premier cas il gère une ressource, alors que dans les deux autres, il gère des activités.

[139]        Cela signifie que, dans la présente affaire, quand le rôle du Parlement résulte de sa compétence sur les pêcheries, il doit se focaliser sur les effets environnementaux intéressant le point de savoir s'il convient ou non d'autoriser la destruction de l'habitat du poisson.

[140]        C'est la compétence du Parlement sur les pêcheries qui est en cause, et non sa compétence sur l'exploitation et le traitement des sables bitumineux. Encore une fois, la Cour suprême du Canada s'exprimait ainsi, à la page 69, dans l'arrêt Oldman :

Lorsqu'il légifère sur une matière, l'organe législatif doit s'en tenir à cette matière. L'objet pratique à la base de la loi et les répercussions dont l'organe doit tenir compte dans sa prise de décision sont une toute autre chose. En l'absence d'un objet déguisé ou d'un manque de bonne foi, ces considérations ne porteront pas atteinte à la nature fondamentale de la loi. On peut exiger qu'une voie ferrée soit construite à un endroit où la fumée ou le bruit ne constituera pas une nuisance pour la municipalité, mais il s'agit néanmoins d'un règlement sur les chemins de fer.

[141]        En l'espèce, TrueNorth dit que c'est la destruction de l'habitat du poisson qui est la cause d'une évaluation environnementale prévue par la LCEE. Cela signifie que le gouvernement fédéral doit examiner les aspects directement rattachés à l'exercice de sa compétence sur les pêches, à savoir la destruction du Fort Creek. Dans l'arrêt Oldman, aux pages 71-72, la Cour suprême faisait une mise en garde contre une interprétation du pouvoir fédéral qui empiéterait sur des chefs de compétence provinciale :

Je ne suis pas indifférent aux propos du substitut du procureur général de la Saskatchewan qui a cherché à qualifier le Décret sur les lignes directrices de cheval de Troie constitutionnel permettant au gouvernement fédéral, sous prétexte de l'existence de quelque champ restreint de compétence fédérale, de procéder à un examen approfondi de questions qui relèvent exclusivement de la compétence des provinces. Toutefois, suivant mon interprétation du Décret sur les lignes directrices, le « ministère responsable » qui procède à l'évaluation initiale et, au besoin, la commission d'évaluation environnementale n'ont que le mandat d'examiner les questions se rapportant directement aux domaines de compétence fédérale concernés.


[142]        La Cour suprême écrivait ensuite, à la page 72, que « l'évaluation des incidences environnementales doit véritablement viser une institution ou une activité qui relève de la compétence législative fédérale » . En l'espèce, l'activité qui relève de la compétence législative fédérale est la destruction du Fort Creek et non la construction ou l'exploitation d'une mine en tant que telle.

[143]        TrueNorth fait valoir que les demandeurs ont confondu « portée du projet » et « champ de l'évaluation » . TrueNorth reconnaît que le MPO, dans la rédaction d'un rapport d'examen préalable sur la destruction du Fort Creek, peut tenir compte des effets environnementaux de ce projet sur tous les domaines de compétence fédérale. Mais la décision du MPO dont il s'agit ici concerne la portée du projet et non le champ de l'évaluation qui doit être effectuée.

[144]        TrueNorth dit que les demandeurs ont également mal interprété l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hydro-Québec. Dans cet arrêt, à la page 191, la Cour suprême faisait l'observation suivante, avant de confirmer le pouvoir de l'ONE d'examiner les effets environnementaux de centrales électriques conçues pour produire l'électricité qui était l'objet de la demande de certificat d'exportation d'électricité :

Comme la Cour d'appel l'a reconnu, l'électricité à fournir dans le cadre du contrat d'exportation doit être produite par les installations actuelles ou nécessitera la construction de nouvelles installations.

[145]        Ici, l'activité qui relève de la compétence fédérale, à savoir la destruction du Fort Creek, peut se dérouler sans la construction de la mine ou des installations de traitement des sables bitumineux, tandis que, dans l'affaire Hydro-Québec, l'activité relevant de la compétence fédérale, à savoir l'exportation d'électricité, ne pouvait se dérouler sans la production de l'électricité qui allait être exportée. La Cour suprême du Canada, à la page 191, a reconnu cette distinction capitale lorsqu'elle a établi le critère suivant sur lequel elle a fait reposer son arrêt :

Il vaut mieux se demander simplement si la construction de nouvelles installations est nécessaire, entre autres, pour répondre à la demande créée par un contrat d'exportation. Dans l'affirmative, les effets sur l'environnement de la construction de ces installations ont un lien avec l'exportation.

[146]        Dans la présente affaire, TrueNorth dit que le critère est celui de savoir « si la construction des installations d'exploitation et de traitement des sables bitumineux est nécessaire pour répondre, entre autres besoins, aux impératifs de [la destruction du Fort Creek] » . TrueNorth dit que cette question appelle une réponse négative. La construction des installations d'exploitation et de traitement des sables bitumineux n'est pas nécessaire pour la destruction du Fort Creek. Autrement dit, la destruction du Fort Creek peut se faire sans une mise en valeur ultérieure du gisement de sables bitumineux et sans une exploitation des installations connexes de traitement.


[147]        Le critère de la Cour suprême du Canada sur ce point a été exposé quelque peu différemment, mais tout aussi efficacement, par le juge Nadon, de la Cour fédérale, dans la décision Manitoba's Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1999] A.C.F. no 903 (1re inst.) ( « l'affaire Tolko » ). Le juge Nadon s'exprimait ainsi, au paragraphe 81, à propos du critère à employer pour déterminer la portée du projet dont il s'agissait :

À mon avis, on ne saurait dire que la construction des ponts de la rivière Ram et de Prairie Creek rendait « inévitable » la construction de la Mainline Road. Il n'était peut-être pas sensé de construire les ponts sans qu'ils soient reliés à une route, mais en fait, la construction des ponts n'exigeait pas la construction de routes. Il ne s'agit pas de savoir si la décision de construire les ponts sans les routes était sensée au point de vue financier ou administratif ou encore au point de vue de la gestion. Il s'agit plutôt de savoir si la construction d'un ouvrage rend la construction d'un autre ouvrage « inévitable » sur le plan physique.

[148]        Les demandeurs font valoir que le raisonnement suivi dans l'arrêt Friends of the West Country, à propos du champ de l'évaluation, devrait également s'appliquer à la définition de la portée d'un projet. Mais TrueNorth dit qu'un tel argument n'a aucun fondement juridique ou logique. Le danger de l'argument des demandeurs est évident lorsqu'on lit le passage suivant du mémoire des faits et du droit de la défenderesse Tolko, un passage auquel a souscrit le juge Nadon au paragraphe 86 :

Cette cour devrait également se demander quels seraient les effets pratiques si elle retenait les arguments avancés par les demandeurs. Qu'arrive-t-il si une ville au Canada, ou encore une province, décide de construire un pont? Lorsqu'elle demande une approbation en vertu de l'article 5 de la [Loi sur la protection des eaux navigables], tout ce que cette ville ou cette province fait devient-il un seul gros « projet » qui doit faire l'objet d'une évaluation environnementale en vertu de la LCEE? Certainement pas, mais tel pourrait bien être le résultat si les arguments des demandeurs étaient retenus. À moins que l'évaluation environnementale ne soit liée à l'autorité réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE, il n'existe tout simplement pas de limite raisonnable dont l'autorité responsable devrait dans un cas donné tenir compte.


[149]        Les demandeurs invoquent aussi l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friends of the West Country. Là encore, TrueNorth dit que les demandeurs ont mal interprété ce précédent. Les demandeurs se réfèrent à cet arrêt dans le contexte de l'obligation de l'autorité responsable de déterminer, conformément à l'article 16 de la LCEE, le champ d'une évaluation environnementale. Dans la présente affaire, la question concerne la « portée d'un projet » , déterminée par le MPO conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE, et non le champ d'une évaluation environnementale. Une fois que la portée du projet est déterminée, l'autorité responsable peut alors examiner tous les domaines de compétence fédérale en marge de l'évaluation qui est effectuée.

[150]        Dans l'arrêt Friends of the West Country, la Cour d'appel fédérale a estimé que l'autorité responsable avait eu raison de dire que, en application du paragraphe 15(l) de la LCEE, la portée du projet devrait se limiter à deux ponts, sans inclure la voie d'accès et la scierie du promoteur. Les ponts étaient reliés à la route dont avait besoin le promoteur pour transporter le bois jusqu'à la scierie.

[151]        S'exprimant sur le paragraphe 15(3) de la LCEE et sur la définition du mot « projet » , à l'article 2 de la LCEE, la Cour d'appel fédérale écrivait ce qui suit, au paragraphe 20 de l'arrêt Friends of the West Country:

Dans le contexte de cette affaire, le mot « lié » ne vise aucune autre construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant le moindre lien avec le projet défini. Le mot s'entend plutôt de la construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant trait à la durée de l'ouvrage en question, ou accessoire à cet ouvrage qui est au coeur même du projet défini.


[152]        TrueNorth dit que les demandeurs, au lieu de renvoyer la Cour aux portions applicables de l'arrêt Friends of the West Country qui intéressent la « portée du projet » et l'article 15 de la LCEE, ont fait fond sur les portions de l'arrêt qui concernent le « champ de l'évaluation » et l'article 16 de la LCEE. Cependant, l'article 16 de la LCEE n'est pas en cause ici, et ce n'est qu'après que le MPO aura rédigé un rapport d'examen préalable que les demandeurs, ou d'ailleurs n'importe qui, seront en mesure de dire si l'article 16 de la LCEE a été ou non observé.

[153]        Selon les demandeurs, l'emploi répété de l'expression « en tout ou en partie » , au paragraphe 5(1) de la LCEE, requiert « une évaluation environnementale du "projet" dans son intégralité, et pas seulement de la partie du projet qui relève de la compétence fédérale » . TrueNorth dit que cet argument est irrecevable. L'expression reconnaît simplement que, pour un projet tel que la destruction du Fort Creek, le promoteur n'a pas besoin de permis ou d'agréments fédéraux pour commencer la construction des campements et zones d'entreposage que nécessitera l'accomplissement du projet, alors même que la construction des campements et zones d'entreposage fait partie de la portée du projet.


[154]        Les demandeurs soutiennent aussi que, parce que le Règlement sur la liste d'étude approfondie mentionne les mines de sables bitumineux, le législateur voulait dans tous les cas soumettre les projets de ce genre à des évaluations fédérales. TrueNorth reconnaît qu'un projet tout entier d'exploitation de sables bitumineux pourrait dans certains cas être l'objet d'une évaluation environnementale selon la LCEE. Ce serait le cas par exemple si une autorité fédérale proposait la construction et l'exploitation d'un projet de ce genre, ou consentait une garantie d'emprunt pour aider le promoteur d'un tel projet à le mettre en oeuvre, déclenchant ainsi l'application de la LCEE en vertu des alinéas 5a) ou 5b) respectivement. Cependant, dans la présente affaire, ce n'est qu'en raison de la compétence fédérale sur les pêches que l'application de la LCEE a été déclenchée et, conformément à la jurisprudence applicable, c'est un aspect dont il faut tenir compte pour déterminer la portée du projet.

Le MPO n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a interprété la définition du mot « projet »

[155]        Selon TrueNorth, la décision du MPO et les motifs qui l'appuient figurent intégralement dans la lettre du MPO du 13 décembre 2002. L'affidavit de Mme Majewski ne devrait pas être considéré comme représentant les motifs à l'origine de la décision.

[156]        Par conséquent, l'argument des demandeurs fondé sur l'affidavit de Mme Majewski ne saurait convaincre la Cour d'annuler la décision du MPO à moins qu'il ne soit prouvé que la destruction du Fort Creek ne peut être considérée comme un « projet » au sens de l'article 2 de la LCEE.


[157]        TrueNorth dit que, pour que les demandeurs puissent opposer l'argument selon lequel la décision du MPO devrait être annulée au motif que le MPO aurait mal interprété le mot « projet » , défini dans l'article 2 de la LCEE, ils doivent montrer que seule une mine de sables bitumineux et ses installations de traitement répondent à la définition et que la destruction du Fort Creek ne peut répondre à cette définition. L'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895, confirme que la question qu'il faut se poser dans la présente espèce est celle de savoir si la destruction du Fort Creek peut être un « projet » et non celle de savoir comment Mme Majewski est arrivée à cette conclusion.

[158]        TrueNorth est d'avis que la destruction du Fort Creek peut être considérée comme un « ouvrage » parce qu'elle fait intervenir la construction de détournements temporaires ou permanents. La destruction du Fort Creek requiert aussi la construction d'ouvrages de drainage et d'assèchement ainsi que la construction et l'exploitation d'ouvrages de restauration de l'habitat du poisson. Même si la destruction du Fort Creek ne nécessitait pas la construction de détournements temporaires ou permanents, la construction d'ouvrages d'assèchement et de drainage et la construction et l'exploitation d'ouvrages de remise en état de l'habitat du poisson, cette destruction constituerait néanmoins un « ouvrage » en raison du premier volet de la définition de « projet » , à l'article 2 de la LCEE:

[traduction] La [LCEE] ne définit pas le mot « ouvrage » . Cependant, la conséquence pour la définition de « projet » est claire : des activités humaines concrètes et des résultats concrets sont fondamentaux. Le Concise Oxford Dictionary of Current English, 9e édition (Oxford: Clarendon Press, 1995), aux pages 1029 et 1613, définit ainsi l'adjectif « concret » : palpable, matériel, et il définit ainsi le substantif « ouvrage » : objet produit par le travail; résultat d'une action; réalisation; chose accomplie. L'expression « ouvrage » ne comprendrait donc pas les objets résultant d'une croissance naturelle, par exemple les arbres, dont l'existence est attribuable à un processus naturel, plutôt qu'au travail humain de fabrication ou de création. [C'est moi qui souligne]

Hobby, Ricard et autre, aux pages ii-20 et ii-21


[159]        TrueNorth affirme que la destruction du Fort Creek peut aussi être considérée comme une « activité concrète » parce que la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson, une activité qui requiert une autorisation en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, est une activité mentionnée dans le Règlement sur la liste d'inclusion.

[160]        Selon les demandeurs, la destruction du Fort Creek ne peut être considérée comme une « activité concrète » parce que cette destruction est liée à un « ouvrage » , à savoir la mine de sables bitumineux et les installations de traitement. TrueNorth dit que cela est inexact. L'expression « non liée à un ouvrage » , dans la définition de « projet » , à l'article 2 de la LCEE, et l'expression « dans la mesure où elles ne sont pas liées à un ouvrage » , à l'article 3 du Règlement sur la liste d'inclusion, visent à empêcher qu'une multitude d'évaluations environnementales soient effectuées inutilement. Sans ces deux expressions, une autorité responsable pourrait être tenue, dans certains cas, d'effectuer plusieurs évaluations environnementales pour le même projet.

[161]        Par exemple, l'article 32 du Règlement sur la liste d'inclusion dit que « la construction [...] d'une plate-forme d'armes militaires » est une activité concrète, et l'article 34 dit que « la construction de voies de drainage [...] à l'intérieur de l'emprise d'une ligne de chemin de fer » est une activité concrète. La construction d'une plate-forme d'armes militaires et la construction de voies de drainage sont susceptibles toutes deux de produire un ouvrage. Sans les deux expressions évoquées plus haut, sur lesquelles s'appuient les demandeurs, alors l'activité concrète de construction et l'ouvrage qui en résultera seraient soumis chacun à une évaluation environnementale distincte aux termes de la LCEE.

[162]        TrueNorth affirme donc que l'expression « non liée à un ouvrage » , employée dans la définition de « projet » , à l'article 2 de la LCEE, et l'expression « dans la mesure où elles ne sont pas liées à un ouvrage » , employée dans l'article 3 du Règlement sur la liste d'inclusion, visent à faire en sorte que des évaluations environnementales distinctes ne soient pas entreprises pour des activités concrètes qui sont liées à un ouvrage, puisque telles activités seront par nécessité déjà incluses dans la portée de l' « ouvrage » par l'effet du paragraphe 15(3) de la LCEE.

[163]        Les demandeurs soutiennent que, puisque les mines de sables bitumineux et les installations de traitement sont mentionnées dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, elles doivent être considérées comme des projets au sens de la LCEE, et elles sont donc soumises à la réglementation fédérale. Mais TrueNorth fait remarquer qu'aucune disposition de la LCEE, ni aucun principe de droit, ne donnent à penser qu'il faille s'en rapporter au Règlement sur la liste d'étude approfondie lorsqu'on interprète le mot « projet » , à l'article 2 de la LCEE, ou lorsqu'on détermine la portée d'un projet en application du paragraphe 15(1) de la LCEE.


[164]        L'argument des demandeurs selon lequel la construction et l'exploitation de mines de sables bitumineux et d'installations de traitement devraient être considérées comme un « projet » , au sens de l'article 2 de la LCEE, n'aurait de bien-fondé que si la construction et l'exploitation de mines de sables bitumineux étaient des activités énumérées dans le Règlement sur la liste d'inclusion. Cependant, le législateur n'a pas mentionné la construction et l'exploitation de mines de sables bitumineux dans le Règlement sur la liste d'inclusion. Si la Cour devait accepter l'argument des demandeurs selon lequel, parce que les mines de sables bitumineux et les installations de traitement sont mentionnées dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, elles doivent être considérées comme des projets au sens de la LCEE, et par conséquent soumises à la réglementation fédérale, alors la LCEE deviendrait le « cheval de Troie constitutionnel » contre lequel le procureur général de la Saskatchewan avait fait une mise en garde dans l'arrêt Friends of the Oldman River.

La décision est non seulement raisonnable, mais correcte

[165]        Selon TrueNorth, la décision du MPO commande la retenue de la Cour, et la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter. La Cour suprême du Canada a dit que cette norme de contrôle a les conséquences suivantes :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion.

Il y a une autre raison pour laquelle les cours cherchant à déterminer si la décision est déraisonnable doivent éviter de se demander si elle est correcte. À la différence d'un examen selon la norme de la décision correcte, il y a souvent plus d'une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. Par exemple, lorsqu'une décision doit être prise en fonction d'un ensemble d'objectifs divergents, il se peut qu'aucun compromis ne soit supérieur à tous les autres. Même dans l'hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n'est pas de tenter de la découvrir lorsqu'elle doit décider si la décision est déraisonnable.

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait.

Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003, CSC 20, aux paragraphes 48, 51 et 55.

[166]        TrueNorth dit que la décision du MPO est non seulement raisonnable, mais aussi correcte. Outre la jurisprudence déjà mentionnée selon laquelle une évaluation environnementale effectuée en vertu de la LCEE doit être rattachée au pouvoir de réglementation qui déclenche l'application de la LCEE, la juge Dawson, de la Cour fédérale, écrivait, dans un jugement qui a été confirmé par la Cour d'appel fédérale, que « l'évaluation environnementale doit être liée au pouvoir de réglementation qui peut déclencher l'application de la LCEE » . (Hamilton-Wentworth (Municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2001] A.C.F. no 627 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 176).

[167]        Contrairement aux prétentions des demandeurs, TrueNorth dit que la décision du MPO n'est ni déraisonnable ni absurde. Elle prend plutôt en compte moult précédents de la Cour fédérale et de la Cour suprême du Canada pour qui une évaluation environnementale effectuée en vertu de la LCEE doit être rattachée au pouvoir de réglementation qui a déclenché l'application de la LCEE.

[168]        Les demandeurs soutiennent aussi qu'il devrait y avoir « uniformité et prévisibilité » dans l'application de la LCEE. Mais TrueNorth dit qu'il n'y aura uniformité et prévisibilité que si l'autorité responsable prend en compte le pouvoir de réglementation qui a déclenché l'application de la LCEE selon l'alinéa 5(1)d). Ce point a été reconnu dans le jugement Tolko.


[169]        Les demandeurs soulèvent aussi la question de l'altération du poisson, une question qui ne se pose pas dans le cadre de la destruction du Fort Creek. Si cette question se posait au regard de la destruction du Fort Creek, le MPO pourrait l'examiner dans son rapport d'examen préalable et, au besoin, pourrait refuser la demande déposée par TrueNorth en vertu du paragraphe 35(2).

[170]        Il se trouve que la question de l'altération du poisson ne se pose pas. Cependant, TrueNorth dit que, même si elle se posait, cela ne signifie pas que la décision du MPO au regard de la destruction du Fort Creek était déraisonnable. Si TrueNorth, au cours de la construction ou de l'exploitation de la mine et de l'installation de traitement, devait déposer une substance entraînant une altération du poisson, il s'agirait d'une infraction à la Loi sur les pêches et TrueNorth s'exposerait à des poursuites.

[171]        Qui plus est, si le MPO craint qu'une altération du poisson ne résulte de la construction ou de l'exploitation de la mine, il peut, invoquant le paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, exiger que l'exploitation de la mine soit modifiée ou que la mine soit fermée. L'exercice de ce pouvoir, en application de l'alinéa 6f) du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées et de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, déclencherait l'application de la LCEE. Dans un tel cas, eu égard au pouvoir de réglementation exercé, la portée du projet devrait alors comprendre les ouvrages et les activités concrètes soupçonnés d'entraîner une altération du poisson.

[172]        Quoi qu'il en soit, TrueNorth dit que les demandeurs se trompent lorsqu'ils affirment qu'une conséquence nécessaire de la décision du MPO est que la question de l'altération du poisson ne sera pas examinée ou ne pourra pas l'être.


[173]        Rien ne permet de dire que la décision du MPO est déraisonnable. Le MPO a pris en compte le pouvoir fédéral de réglementation qui a déclenché l'application de la LCEE, et il a correctement déterminé la portée du projet.

Le défendeur, le ministre des Pêches et des Océans

La norme de contrôle

[174]        Le ministre dit que la norme de contrôle qu'il faut appliquer à une décision discrétionnaire prise dans le contexte de la LCEE est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir l'arrêt Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2001] 37 C.E.L.R. (N.-É.) 1 (C.A.F.); Inverhuron & District Ratepayers' Association c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2001] A.C.F. no 1008 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la CSC refusée [2001] C.S.C.R. no 463).

[175]        Le ministre est également d'avis que la norme de contrôle qui doit s'appliquer à l'interprétation d'un texte législatif sera généralement, pour ce qui est de la LCEE, la norme de la décision correcte.


Définition de la portée de projets selon la LCEE

[176]        De l'avis du ministre, l'argument des demandeurs selon lequel l'article 15 de la LCEE exige en droit que le projet englobe tous les aspects de la mine de sables bitumineux n'est pas appuyé par la jurisprudence se rapportant à l'article 15. Au lieu de cela, il est bien établi maintenant par la Cour qu'une autorité responsable tel que le MPO a le pouvoir d'établir la portée d'un projet qui fait l'objet d'une évaluation environnementale. Aucune des circonstances de la présente affaire ne donne à penser que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé d'une manière déraisonnable (Manitoba's Future Forest Alliance et autre c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1999), 170 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.) (l' « affaire Tolko » ); Citizens' Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) et autres (1999), 163 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.); Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) et autres (1999), 248 N.R. 25 (C.A.F.)).

[177]        Après qu'une autorité responsable a conclu qu'elle est tenue d'effectuer une évaluation environnementale, elle doit déterminer ce que devrait être la portée du projet (c'est-à-dire quelles entreprises ou activités proposées devraient faire l'objet de l'évaluation). Après cela, l'autorité responsable devra déterminer le champ de l'évaluation environnementale (c'est-à-dire quels sont les facteurs à prendre en compte et quelle devrait être l'étendue de leur examen). Ces décisions sont discrétionnaires aux termes de l'article 15 (portée du projet) et de l'article 16 (champ de l'évaluation) de la LCEE.


[178]        Seule la décision relative à la portée du projet, une décision prise en vertu de l'article 15 de la LCEE, fait l'objet de cette demande de contrôle judiciaire.

[179]        Ainsi que l'avait fait observer la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bow Valley Naturalists Society, la LCEE ne précise pas le mode de définition de la portée d'un projet, et elle ne donne pas non plus de directives à l'autorité responsable sur la manière de déterminer quels ouvrages ou quelles activités concrètes doivent être compris dans la portée d'un projet.

[180]        Dans son énoncé de politique opérationnelle intitulé « Établir la portée de l'évaluation environnementale, énoncé auquel se réfèrent les demandeurs, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale a énuméré les questions qui peuvent être prises en compte pour déterminer la portée d'un projet et le champ de l'évaluation environnementale dans un cas donné. Comme la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale l'ont indiqué dans d'autres affaires, les documents d'orientation de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, bien que non contraignants, permettent de comprendre la manière dont la LCEE devrait être appliquée (L'énoncé de politique opérationnelle - Établir la portée de l'évaluation environnementale, le 25 septembre 1998 (EPO-OPS/1-1998); Tolko, paragraphes 76-77; Bow Valley Naturalists, paragraphe 20).

[181]        Dans le document intitulé Loi canadienne sur l'évaluation environnementale - Guide annoté, les auteurs évoquent, à la page II-54, la difficulté que présente pour une autorité responsable la définition de la portée d'un projet :

[traduction] La difficulté que soulève la définition de la portée d'un projet est de trouver l'équilibre entre le fait de séparer artificiellement des entreprises ou activités connexes aux fins d'une évaluation environnementale (ce que l'on a décrit comme l'action de scinder un projet) et le fait de lancer le filet trop loin de manière à englober des entreprises ou activités qui sont rattachées de loin au projet visé par l'évaluation et qui sont en général des matières relevant de la compétence de la province où est situé le projet.

[182]        Puis les auteurs examinent, à la page II-57, la relation entre la définition de la portée d'un projet et l'aspect constitutionnel :

[traduction] La définition de la portée d'un projet est un aspect où les limites constitutionnelles ont des conséquences pratiques. Les circonstances propres à chaque cas doivent être minutieusement examinées lorsqu'on se demande s'il convient de définir la portée d'un projet, et d'y englober les ouvrages ou les activités concrètes s'y rapportant. Lorsque, par exemple, c'est une scierie qui est le projet donnant lieu à l'évaluation environnementale, alors la définition du projet aux fins de l'évaluation de telle sorte qu'elle englobe la scierie en tant que projet « principal » et un pont d'accès en tant qu'ouvrage ou activité associée ou « auxiliaire » entreprise uniquement aux fins de soutenir la scierie n'entraînera probablement pas un risque important de dépassement de la compétence fédérale par le ministre ou par l'autorité responsable. En revanche, si le projet qui déclenche l'évaluation est par exemple un pont d'accès fonctionnellement « rattaché » à une scierie qui est de par sa complexité et sa valeur l'entreprise « principale » , alors la définition de la portée du projet aux fins de l'évaluation pour qu'elle englobe le pont d'accès et la scierie posera peut-être un problème sur le plan constitutionnel. Dans l'un et l'autre cas, si la portée du projet était définie de manière à englober l'enlèvement d'arbres, une activité qui relève manifestement de la compétence provinciale, mais nécessaire pour la construction du pont d'accès et de la scierie, alors le ministre ou l'autorité responsable empiétera probablement sur un domaine de compétence provinciale.

Hobby, Ricard et autre, Loi canadienne sur l'évaluation environnementale - Guide annoté, Canada Law Book Inc., pages II-54, II-57


[183]        Les contestations constitutionnelles inhérentes à la définition de la portée d'un projet ont été décrites par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Oldman River, aux pages 71 et 72. La Cour suprême y évoquait la nécessité de s'abstenir d'utiliser le processus fédéral d'évaluation environnementale comme « cheval de Troie constitutionnel [qui permettrait] au gouvernement fédéral, sous prétexte de l'existence de quelque champ restreint de compétence fédérale, de procéder à un examen approfondi de questions qui relèvent exclusivement de la compétence des provinces » .

[184]        Le ministre dit que, si l'on veut trouver le juste « équilibre entre le fait de séparer artificiellement des entreprises ou activités connexes » et « le fait de lancer le filet trop loin » , les facteurs qui permettraient de déterminer la portée d'un projet pourraient validement comprendre les suivants :

1- La nature des éléments déclencheurs de l'application de la LCEE

Les éléments délencheurs énumérés dans les alinéas 5(1)a), b) et c) de la LCEE se rapportent à l'exercice du pouvoir du gouvernement d'agir comme personne physique (le promoteur) - a), de dépenser des fonds publics - b), ou de s'occuper de ses propres biens - c). Dans ces conditions, le gouvernement prend des décisions purement discrétionnaires concernant son propre rôle dans un projet. Partant, il a toute latitude de définir la portée du projet comme il l'entend avant de prendre de telles décisions concernant des biens publics.

En revanche, dans le contexte où seul l'élément déclencheur prévu par l'alinéa 5(1)d) entre en jeu (comme c'est le cas ici), une approche plus prudente peut s'imposer, puisque l'évaluation environnementale est associée à l'exercice d'un pouvoir législatif ou réglementaire sur des promoteurs non gouvernementaux, et puisqu'elle est justifiée par l'exercice d'un tel pouvoir. On peut également faire une distinction, à l'intérieur de l'alinéa 5(1)d), entre les cas où le pouvoir législatif ou réglementaire concerné du gouvernement fédéral suppose la gestion d'une ressource, et les cas où il suppose la gestion d'une activité. Le gouvernement a en général plus de marge de manoeuvre dans ces dernières situations que dans les premières. La Cour suprême du Canada a fait ressortir clairement ce point dans l'arrêt Friends of the Oldman River, aux pages 67 et 68, où les juges de la majorité s'exprimaient ainsi :


... Le Parlement peut jouer, en matière d'environnement, dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries, un rôle quelque peu différent de celui qu'il a en vertu de sa compétence sur les chemins de fer ou la navigation puisque dans le premier cas il gère une ressource, alors que dans les deux autres, il gère des activités. Ces observations peuvent être illustrées par deux arrêts sur les pêches. Dans l'arrêt Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, la Cour a statué que le paragraphe 33(3) de la Loi sur les pêches excédait les pouvoirs du Parlement parce que l'interdiction générale de déposer « des déchets de bois, souches ou autres débris » dans une eau fréquentée par le poisson n'était pas suffisamment liée aux dommages, réels ou probables, que les pêches pourraient subir. Toutefois, dans l'arrêt Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292, la Cour a statué que le paragraphe 33(2), qui interdit à qui que ce soit de déposer une substance nocive en quelque lieu dans des conditions où cette substance nocive pourrait pénétrer dans des eaux poissonneuses, était de la compétence du Parlement du Canada en vertu du paragraphe 91(12).

2- La nature des obligations réglementaires de l'autorité responsable

L'autorité responsable doit être consciente de ses obligations réglementaires et éviter d'être aveuglée par l'importance fonctionnelle relative et l'interdépendance relative des divers aspects d'une proposition à l'égard de laquelle elle prend une décision définissant la portée du projet.

Loi canadienne sur l'évaluation environnementale - Guide annoté, précité, aux pages II-54 à II-57

Énoncé de politique opérationnelle - Établir la portée de l'évaluation environnementale, précité

Manitoba's Future Forest Alliance et autre c. Le Ministre de l'Environnement et Tolko Manitoba Inc. et autres, précité

3- Évaluation provinciale

Une proposition dont les effets environnementaux font ou ont fait l'objet d'une évaluation de la part d'une autre autorité, ainsi que les résultats d'une telle évaluation, pourront informer l'autorité responsable sur les questions susceptibles d'intéresser les objets de sa décision.

Énoncé de politique opérationnelle - Établir la portée de l'évaluation environnementale, précité

La décision du MPO


[185]        Au paragraphe 26 de son affidavit, Mme Majewski écrit que, lorsqu'une autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches déclenche une évaluation environnementale, [traduction] « la portée du projet devrait se limiter aux éléments sur lesquels le gouvernement fédéral peut validement revendiquer un pouvoir, directement ou indirectement » . Les demandeurs invoquent ce passage de l'affidavit pour soutenir que, selon le MPO, la portée du projet « doit se limiter aux éléments sur lesquels le MPO peut revendiquer un pouvoir de réglementation » . Le ministre dit que cela est inexact. Le mot « devrait » (au lieu de « doit » ) montre que Mme Majewski savait que la décision relative à la portée du projet est par nature discrétionnaire et non impérative. Elle a simplement relevé que, dans le contexte particulier d'une autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, une approche plus circonspecte que dans d'autres contextes devrait en général (mais pas nécessairement à chaque fois) être adoptée.

[186]        Le ministre souligne que les demandeurs confondent « portée du projet » (quel est le projet à évaluer?) et « champ de l'évaluation » (qu'est-ce qui doit être examiné durant l'évaluation du projet?).

[187]        Les références des demandeurs à l'arrêt Oldman River intéressent en réalité ce dont le gouvernement fédéral peut tenir compte durant une évaluation. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada ne règle pas le point de savoir comment la portée d'un projet doit être définie. Ce que le MPO examinera finalement au cours de son évaluation environnementale dans la présente affaire est hypothétique. Les demandeurs ont contesté la décision du MPO sur la définition de la portée du projet sans attendre de voir quels aspects le MPO examinera durant son évaluation. Le dossier ne dit nulle part que le MPO entend limiter le champ de l'évaluation aux seuls effets du projet (tel qu'il est défini) pouvant se répercuter sur les pêches.


[188]        Le ministre est aussi d'avis que les demandeurs, lorsqu'ils se réfèrent à l'arrêt Friends of the West Country, confondent également la « portée du projet » avec le « champ de l'évaluation » . Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale disait que « l'autorité fédérale responsable doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière d'effets cumulatifs, sans que son action ne soit limitée par la manière dont elle interprète la compétence constitutionnelle dont elle est investie » . Elle tenait ces propos dans le contexte très restreint d'une discussion portant sur les projets ou activités, autres que celui ou celle qui est l'objet de l'évaluation selon la LCEE, qui devraient être pris en compte dans l'évaluation des effets environnementaux cumulatifs possibles. L'impact d'autres projets et activités qui s'ajoute à celui du projet réglementé ne peut être pris en compte que dans une mesure limitée. Dans l'arrêt Friends of the West Country, la Cour d'appel fédérale ne dit pas que le gouvernement fédéral pourrait s'arroger une compétence sur d'autres projets et activités.


[189]        Le ministre considère l'arrêt Hydro-Québec comme un bon exemple de ce que la Cour suprême du Canada avait à l'esprit dans l'arrêt Oldman River lorsqu'elle disait, aux pages 67 et 68, que « le Parlement peut jouer, en matière d'environnement, dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries, un rôle quelque peu différent de celui qu'il a en vertu de sa compétence sur les chemins de fer ou la navigation puisque dans le premier cas il gère une ressource, alors que dans les deux autres, il gère des activités » . Dans l'arrêt Hydro-Québec, l'ONE était saisi d'une demande de licence pour la construction et l'utilisation d'une ligne internationale de transport de force. L'ONE exerçait donc un pouvoir réglementaire fédéral sur une activité (l'exportation d'électricité). Ici, le MPO exerce un pouvoir réglementaire fédéral d'autoriser la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson. La décision du MPO, telle que la décrit l'affidavit de Mme Majewski, est donc une décision d'adopter une approche prudente, de telle sorte que « la portée du projet en vue de l'évaluation environnementale corresponde à l'entreprise de droit fédéral dont il est question dans la demande » .

[190]        Les demandeurs affirment que l'expression « en tout ou en partie » , au paragraphe 5(1) de la LCEE, « requiert une évaluation environnementale du projet dans son intégralité, pas seulement de la portion du projet qui relève de la compétence fédérale » . Les demandeurs voudraient soutenir que, juridiquement, le « projet » , au sens de l'article 5, que permettra en tout ou en partie l'autorisation du MPO, doit être le projet tout entier d'exploitation des sables bitumineux. Mais les termes de l'article 5 en général, et les mots « en tout ou en partie » en particulier, n'appuient pas la position des demandeurs. Le MPO détermine ce en quoi consiste le projet en conformité avec l'article 15 de la LCEE. Dans la présente affaire, le MPO a estimé que le projet qu'il envisagerait d'autoriser, en tout ou en partie, était simplement la destruction d'un ruisseau (et les activités auxiliaires). Cette conclusion du MPO n'entre nullement en conflit avec le texte du paragraphe 5(1) de la LCEE.


[191]        Le ministre dit que le simple fait que les projets d'exploitation de sables bitumineux soient mentionnés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie n'oblige pas du même coup l'autorité responsable à définir la portée du projet de cette manière. Les décisions en la matière sont prises au cas par cas. Dans certains cas, le MPO pourra dire, et c'est ce qu'il a déjà fait, que le projet à examiner devrait être le projet minier tout entier. Dans d'autres, où l'agrément du MPO n'est requis que pour la construction d'un pont conduisant à une mine, le MPO pourrait validement adopter une approche plus étroite, comme il l'a fait dans le contexte d'opérations forestières (voir par exemple les espèces Friends of the West Country et Tolko). Dans la présente affaire, le MPO a estimé que son intervention dans le projet était limitée et qu'elle était assimilable à son intervention dans les dossiers concernant les opérations forestières; cela explique sa décision d'adopter l'approche « étroite » . D'aucuns pourront ne pas souscrire à cette approche, comme c'est à l'évidence le cas pour les demandeurs, et une approche « plus large » aurait pu également se justifier, mais il est impossible de dire que l'approche adoptée est contraire à la LCEE ou qu'elle constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire du MPO.

La définition de « projet »

[192]        Les demandeurs sont d'avis que, eu égard aux circonstances de cette affaire, le projet doit être défini, sur le plan de l'interprétation législative, comme les activités projetées de construction et d'exploitation de la mine tout entière de sables bitumineux. Mais le ministre croit que cette position repose sur une mauvaise interprétation de la LCEE et de la jurisprudence applicable. Dans l'arrêt Bow Valley Naturalists, la Cour d'appel fédérale a vu dans le Guide des autorités responsables, confectionné par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, un instrument qui permettait de déterminer quels ouvrages ou quelles activités concrètes devraient être englobés dans la portée d'un projet. La Cour s'était exprimée ainsi sur la définition de la portée d'un projet, au paragraphe 25 :


La Loi ne définit pas la procédure à suivre pour déterminer la portée d'un projet. Elle ne définit pas non plus le terme « portée » . Elle n'indique pas non plus à l'autorité responsable comment elle doit procéder pour déterminer quels ouvrages doivent être compris dans la portée du projet. Le Guide des autorités responsables suggère toutefois que le test du projet principal/accessoire soit utilisé afin d'uniformiser la détermination de la portée des projets. Selon le test du projet principal/accessoire, le projet principal, savoir l'entreprise liée à un ouvrage ou l'activité concrète, doit toujours être compris dans la détermination de la portée du projet. La portée doit aussi couvrir les ouvrages ou activités concrètes accessoires au projet principal.

[193]        Dans la présente affaire, il était légitime pour le MPO, appelé à déterminer la portée du projet, de prendre en compte le fait que l'application de la LCEE était déclenchée dans le contexte particulier de l'autorisation projetée d'activités consistant à détériorer, à détruire ou à perturber l'habitat du poisson, un sujet qui, de l'avis du ministre, intéresse la gestion des pêches.

[194]        S'agissant du « projet principal » , le Guide des autorités responsables mentionne qu'il s'agit toujours soit de l'entreprise se rapportant à un ouvrage, soit de l'activité concrète pour laquelle est exercée une attribution (déclenchant par conséquent la nécessité d'une évaluation environnementale selon la Loi).

[195]        Dans un tel cas, et en accord avec l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Oldman River, le ministre dit qu'il est juste qu'un projet soit défini de telle sorte que, en dernière analyse, l'évaluation environnementale qui est effectuée conserve suffisamment de liens avec le pouvoir réglementaire qui déclenche l'application de LCEE.

[196]        Une approche semblable a été adoptée par la Cour fédérale dans le contexte particulier de la LCEE et de la « disposition de déclenchement qu'est le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches » . Dans le jugement Tolko, le juge Nadon écrivait, au paragraphe 86 :


À moins que l'évaluation environnementale ne soit liée à l'autorité réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE, il n'existerait tout simplement pas de limite raisonnable dont l'autorité responsable devrait dans un cas donné tenir compte.

[197]        Même si les demandeurs avaient raison d'affirmer que la mine de sables bitumineux constitue globalement un ouvrage (ou comprend des ouvrages) et que l'assèchement du Fort Creek est juridiquement une activité concrète liée à un ouvrage, au sens de la définition de « projet » donnée par la LCEE, cet « ouvrage » n'est pas nécessairement, en droit, la mine de sables bitumineux tout entière (avec les installations de traitement).

[198]        D'ailleurs, même si Mme Majewski, dans son affidavit, parlait du projet comme d'une activité énumérée dans le Règlement sur la liste d'inclusion, sa décision relative à la portée du projet englobait des choses telles que « la construction de détournements temporaires ou permanents du Fort Creek et la construction d'installations d'assèchement et de drainage » , lesquelles sont des « ouvrages » .


[199]        Eu égard aux circonstances de la présente affaire, et puisque l'évaluation environnementale devrait rester « liée à l'autorité réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE » (jugement Tolko), il était loisible au MPO de dire que le canal de détournement du Fort Creek et l'emplacement des installations d'assèchement et de drainage, par opposition à la mine tout entière de sables bitumineux, constituaient l' « ouvrage » auquel se rapporte l'assèchement du Fort Creek. Le ministre reconnaît que, en se référant au Règlement sur la liste d'inclusion, Mme Majewski a désigné d'une manière inexacte le texte déclencheur de l'application de la LCEE. Cependant, cela est sans conséquence pour la décision globale du MPO. Comme le faisait observer la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895, aux paragraphes 19 et 20, il n'est pas nécessaire pour un organe administratif d'indiquer consciemment la source du pouvoir sur lequel il se fonde pour que l'exercice de ce pouvoir soit valide :

J'estime qu'il faut rejeter la position de la Cour d'appel quant à la nécessité, de la part des délégués administratifs, de préciser la source de leur pouvoir légal. Aucun précédent ne permet de conclure qu'un organisme administratif doit indiquer sciemment la source de pouvoir sur laquelle il s'appuie, pour que l'exercice de ce pouvoir soit valide. Traditionnellement, la principale question qui se pose lors du contrôle de la validité d'un texte de législation déléguée est de savoir si le délégué a, en vertu de la loi habilitante, le pouvoir d'adopter le texte contesté. Tout règlement, toute décision ou toute ordonnance doivent être compatibles avec les objectifs de la loi habilitante et ne sauraient être destinés à réaliser une fin secondaire qui serait étrangère aux objectifs de la loi en cause. Pourvu que la législation déléguée reste dans les limites ou la « sphère » du pouvoir conféré par la loi, elle sera valide et ne sera pas susceptible d'examen au fond.

Cette analyse traditionnelle laisse peu de place à l'examen de la mentalité du délégué lui-même, et je ne vois aucune raison de modifier la méthode établie. Les tribunaux se préoccupent principalement de savoir s'il existe un pouvoir conféré par la loi, et non de savoir si le délégué savait comment le trouver.

[200]        Les indications de la Cour suprême du Canada à l'esprit, il est difficile de voir autre chose qu'un détail technique dans la qualification erronée donnée par Mme Majewski à l'élément déclencheur de l'application de la LCEE. Cette erreur n'a aucune incidence sur la décision finale touchant la portée du projet. Par ailleurs, l'article 57 de la LCEE prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire selon la LCEE sera rejetée si elle est fondée uniquement sur un vice de forme ou sur une irrégularité technique.


[201]        Le ministre est d'avis que, eu égard aux espèces Oldman River et Tolko, il était loisible au MPO de dire que la portée du projet en cause ici devrait être définie, aux fins de la LCEE, en fonction des entreprises et activités à l'égard desquelles était demandée une autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, à savoir l'assèchement du Fort Creek et la construction d'un canal de détournement.

[202]        Les demandeurs affirment que l'assèchement du ruisseau est lié à l'ensemble constitué par la mine de sables bitumineux et par les installations de traitement et qu'il représente donc juridiquement une « entreprise liée à un ouvrage » , au sens du premier volet de la définition de « projet » à l'article 2 de la LCEE, et non une « activité concrète non liée à un ouvrage » , au sens du deuxième volet de la définition. Pour cette raison, les demandeurs sont d'avis que, juridiquement, l' « ouvrage » auquel se rapporte l'assèchement du ruisseau (c'est-à-dire la mine et les installations de traitement) doit nécessairement être inclus dans la portée du projet.


[203]        Selon le ministre, la Cour doit se garder d'interpréter les mots « liée à » d'une manière abstraite, comme le voudraient les demandeurs. Ces mots doivent être interprétés de telle sorte qu'ils soient compatibles avec les principes exposés dans les espèces Oldman River et Tolko, afin que, dans un cas donné, l'évaluation environnementale d'un projet demeure rattachée au pouvoir réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE. La Cour devrait donc par conséquent reconnaître qu'une autorité responsable doit disposer du pouvoir de dire, dans un cas donné, si l'entreprise ou l'activité qu'elle réglemente est « liée à » un ouvrage et, dans l'affirmative, de déterminer à quel ouvrage elle est liée. Accepter les arguments des demandeurs sur ce point reviendrait à ignorer la quasi-totalité des précédents se rapportant au problème de la définition de la portée d'un projet et priverait l'autorité responsable du pouvoir de déterminer ce que devrait être la portée d'un projet.

[204]        Quant au volet « accessoire » du critère « projet principal/accessoire » de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, le Guide des autorités responsables établi par l'Agence mentionne que, pour déterminer ce qui est accessoire à un projet principal, les deux critères suivants peuvent être appliqués :

interdépendance : Si le projet principal ne peut aller de l'avant sans qu'un autre projet soit entrepris, il faut les considérer comme un seul projet;

lien : Si la décision d'entreprendre l'exécution du projet principal rend inévitable l'exécution d'un autre projet, il faut les considérer comme un seul projet.

[205]        Dans l'affaire Tolko, le juge Nadon relevait que, pour qu'un autre ouvrage ou une autre activité concrète présente une interdépendance avec le projet principal ou soit lié au projet principal, l'exécution du projet principal doit rendre inévitable, au sens physique, plutôt qu'au sens opérationnel, la réalisation de l'autre ouvrage ou de l'autre activité concrète. Au paragraphe 81, il écrivait :

J'interprète le mot « inévitable » qui est utilisé à l'égard du critère du « lien » comme voulant dire que la construction du projet principal rend « inévitable » la construction d'un autre ouvrage. À mon avis, on ne saurait dire que la construction des ponts de la rivière Ram et de Prairie Creek rendait « inévitable » la construction de la Mainline Road. Il n'était peut-être pas sensé de construire les ponts sans qu'ils soient reliés à une route, mais en fait, la construction des ponts n'exigeait pas la construction de routes. Il ne s'agit pas de savoir si la décision de construire les ponts sans les routes était sensée au point de vue financier ou administratif ou encore au point de vue de la gestion. Il s'agit plutôt de savoir si la construction d'un ouvrage rend la construction d'un autre ouvrage « inévitable » sur le plan physique.

[206]        S'agissant de la présente affaire, pour que la mine de sables bitumineux soit considérée comme un accessoire du projet de « destruction du ruisseau » , il faudrait qu'il soit établi que le projet de destruction du ruisseau ne peut pas, au sens physique, aller de l'avant sans que la mine ne soit construite et exploitée. Pour reprendre les propos du juge Nadon dans l'affaire Tolko, il n'est peut-être pas sensé d'assécher le ruisseau sans qu'une mine soit exploitée, mais il se trouve que l'assèchement du ruisseau n'exige pas, ni ne rend inévitables, la construction et l'exploitation de la mine.

Critère de la décision raisonnable simpliciter

[207]        La Cour d'appel fédérale a confirmé dans l'arrêt Friends of West Country que les décisions définissant la portée d'un projet sont par nature discrétionnaires. La Cour écrivait, au paragraphe 12 :

Le paragraphe 15(1) est clair et précis. Il confère à l'autorité responsable [en l'occurrence la Garde côtière canadienne] le pouvoir de déterminer la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée.

[208]        Le ministre fait observer que les critères appliqués par la Cour fédérale aux décisions discrétionnaires sont exposés dans le jugement Environmental Resource Centre c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2001] A.C.F. no 1937 (1re inst.), où la Cour écrivait, au paragraphe 136 :

Les demandes soumises à l'examen de la Cour contestent la validité de décisions ministérielles. Le cadre applicable au contrôle judiciaire des décisions ministérielles est décrit par le juge Strayer dans l'arrêt Vancouver Island Peace Society et al c. Canada (Ministre de la Défense nationale) et al., [1992] 3 C.F. 42, page 48 :


En déterminant si un fonctionnaire ou un organisme a agi conformément à la loi en prenant la décision en question, la Cour peut se demander si celui-ci a bien interprété la loi et s'il a pris sa décision en se fondant sur des faits et des raisons liés au but dans lequel le pouvoir de décision a été conféré. Cependant, dans cette limite permise, le décideur initial a le droit de prendre une décision que la Cour ne peut pas annuler même si, par hasard, elle ne souscrit pas à son avis.

[209]        Dans l'arrêt Bow Valley, la Cour d'appel fédérale (dont les propos ont été approuvés dans l'arrêt Inverhuron & District Ratepayers' Assn. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2001] A.C.F. no 1008 (C.A.), autorisation de pourvoi rejetée [2001] C.S.C.R. n ° 463, au paragraphe 36) avait jugé que la décision d'une autorité responsable prise en application du paragraphe 15(1) de la LCEE commandait une certaine retenue de la part des tribunaux. Le juge Linden, rédigeant l'arrêt unanime de la Cour, écrivait, au paragraphe 78 :

La Cour doit s'assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, mais elle doit, quant au fond, s'en remettre aux autorités responsables lorsqu'elles définissent la portée du projet, l'importance de l'examen préalable et l'évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d'atténuation proposés. Ce n'est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés, mais bien aux autorités responsables, dans la mesure où elles suivent le processus prévu par la loi.

[210]        Dans l'arrêt Inverhuron, la Cour avait souligné, au paragraphe 38, que la retenue judiciaire est néanmoins assortie d'une certaine limite :

Cela ne veut pas dire cependant que le contrôle exercé par la Cour sur la décision de la ministre doit être marqué par la retenue au point d'exclure toute enquête sur la valeur réelle de l'évaluation environnementale. Adopter une telle approche risquerait de priver de toute substance le droit au contrôle judiciaire de la décision de la ministre.

[211]        Le ministre sait que la Cour est tenue d'effectuer un examen assez poussé des faits pour savoir si la décision du MPO repose sur un fondement rationnel, ou pour savoir si elle a été prise sur la base de faits et de motifs intéressant l'objet pour lequel a été conféré le pouvoir de prendre une telle décision.


[212]        Parce qu'il énonce un critère du lien matériel plutôt qu'un critère du lien opérationnel, le paragraphe 81 de l'avis du juge Nadon dans l'affaire Tolko va manifestement à l'encontre de la position des demandeurs, pour qui la portée du projet doit nécessairement être définie de telle sorte que le projet présente un objet fonctionnel autonome. Cette manière de voir a été rejetée par le juge Nadon, qui a conclu dans le jugement Tolko que la décision du MPO sur la portée du projet était raisonnable, quand bien même la construction d'un pont en pleine brousse eût pu, sur le plan opérationnel et fonctionnel, paraître insensée.

[213]        La jurisprudence montre que l'attribution d'une portée étroite à un projet est à première vue raisonnable dans le contexte de dispositions déclenchant l'application de la LCEE, par exemple le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Si la Cour statuait autrement ici, d'affirmer le ministre, alors l'effet négligeable de l'assèchement d'un ruisseau sur l'habitat du poisson commanderait juridiquement l'évaluation environnementale d'un important développement industriel pour lequel le gouvernement fédéral ne dispose d'aucun autre pouvoir décisionnel. Et même si l'attribution d'une portée plus large au projet aurait pu se justifier, cela ne veut pas dire que l'attribution d'une portée plus étroite est nécessairement déraisonnable.

[214]        Les propos du juge Nadon dans l'affaire Tolko méritent ici encore d'être cités :


[84] À mon avis, le paragraphe 15(1) montre clairement que l'évaluation environnementale qui doit être effectuée par l'autorité responsable est une évaluation du projet tel qu'il est déterminé par cette autorité responsable en vertu du paragraphe 15(1). En d'autres termes, la portée de l'évaluation ne peut pas servir de prétexte pour modifier le projet tel qu'il est déterminé en vertu du paragraphe 15(1). C'est le projet tel qu'il est déterminé par l'autorité responsable et ses effets environnementaux qui doivent être examinés par l'autorité responsable. Le paragraphe d'introduction du paragraphe 15(1) le montre clairement. Il prévoit ce qui suit :

L'autorité responsable... détermine la portée du projet à l'égard duquel l'évaluation environnementale doit être effectuée. [Je souligne.]

[85] La seule mise en garde en ce qui concerne les remarques qui précèdent est qu'en vertu du paragraphe 15(3), l'autorité responsable doit effectuer une évaluation environnementale non seulement du projet, mais aussi des autres opérations « susceptible[s] d'être réalisée[s] en liaison avec l'ouvrage » . Les opérations « susceptible[s] d'être réalisée[s] en liaison avec l'ouvrage » se rapportent nécessairement aux opérations qui font partie de la catégorie d'opérations expressément mentionnées dans la définition du mot « projet » figurant à l'article 2 de la LCEE.

[86] Au paragraphe 67 de son mémoire des faits et du droit, la défenderesse Tolko invoque l'argument suivant auquel je souscris entièrement :

[traduction] Cette cour devrait également se demander quels seraient les effets pratiques si elle retenait les arguments avancés par les demandeurs. Qu'arrive-t-il si une ville au Canada, ou encore une province, décide de construire un pont? Lorsqu'elle demande une approbation en vertu de l'article 5 de la LPEN, tout ce que cette ville ou cette province fait devient-il un seul gros « projet » qui doit faire l'objet d'une évaluation environnementale en vertu de la LCEE ? Certainement pas, mais tel pourrait bien être le résultat si les arguments des demandeurs étaient retenus. À moins que l'évaluation environnementale ne soit liée à l'autorité réglementaire qui déclenche l'application de la LCEE, il n'existe tout simplement pas de limite raisonnable dont l'autorité responsable devrait dans un cas donné tenir compte.

[87] Pour conclure, j'aimerais dire qu'étant donné que le PGF de 13 ans et le plan annuel de 1997, sauf en ce qui concerne le passage de Sewap Creek, n'exigeaient pas l'exercice d'une attribution par une autorité fédérale à l'égard d'un projet tel qu'il en est fait mention au paragraphe 5(1) de la LCEE, aucune évaluation environnementale n'a été déclenchée. Si ces « projets » étaient des projets qui avaient pour effet de déclencher une évaluation environnementale en vertu du paragraphe 5(1) de la LCEE, l'autorité responsable aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 15(2) et déterminer que les projets étaient « liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet » .

[215]        Le paragraphe 20 de l'arrêt Friends of the West Country appuie aussi la position du ministre sur ce point :


[20] Ce sont les mots « liée à » qui sont utilisés dans la définition de « projet » figurant au paragraphe 2(1) ainsi qu'au paragraphe 15(3), et non le mot « de » . Cependant, si c'était le mot « de » qui avait été employé, l'évaluation environnementale se limiterait à la construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture du seul ouvrage prévu. Lorsqu'un ouvrage est en construction, il peut y avoir des constructions accessoires par exemple, quelque chose d'aussi important qu'un batardeau afin de retenir les eaux lorsque la construction d'un pont exige des travaux sur le lit d'une rivière, ou bien quelque chose de moindre ampleur, telle que la construction de logements provisoires pour les employés du chantier. Dans le contexte de cette affaire, le mot « lié » ne vise aucune autre construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant le moindre lien avec le projet défini. Le mot s'entend, plutôt, de la construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant trait à la durée de l'ouvrage en question, ou accessoire à cet ouvrage qui est au coeur même du projet défini.

[216]        Le ministre fait observer que, dans la présente affaire, le MPO n'a défini la portée du projet qu'après s'être assuré, sur la base des renseignements disponibles, que l'éventualité d'une altération du poisson par suite de l'exploitation minière des sables bitumineux ne dépassait pas le niveau d'une simple conjecture. Plus généralement, le MPO avait pris soin de s'assurer, avant de définir la portée du projet, que les préoccupations environnementales se rapportant aux domaines de compétence fédérale qui avaient été définis au cours de l'examen provincial avaient été prises en compte comme il le souhaitait. Le MPO s'était aussi assuré qu'aucun autre texte fédéral déclencheur de l'application de la LCEE ne devait être pris en compte. Plus précisément, l'information selon laquelle l'éventualité d'une altération du poisson par suite des activités d'exploitation des sables bitumineux n'était rien de plus qu'une simple conjecture avait apaisé les préoccupations du MPO à cet égard (Hamilton-Wenworth (Municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2001] A.C.F. no 627 (1re inst.) (jugement confirmé [2001] A.C.F. no 1700 (C.A.F.), paragraphe 174).

[217]        Le ministre fait aussi remarquer que, comme le dépôt d'une substance nocive, source d'altération du poisson, est interdit par le paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches, un tel dépôt ne saurait être autorisé en vertu du paragraphe 35(2). Seuls des règlements pris en vertu du paragraphe 36(5) de la Loi sur les pêches pourraient conduire à l'autorisation d'un tel dépôt. Des règlements du genre pourraient déclencher l'application de la LCEE.


ANALYSE

[218]        Les demandeurs disent que la décision du MPO doit être revue parce qu'elle repose sur une erreur de droit et parce qu'elle est déraisonnable.

Erreur de droit

[219]        Les demandeurs soulèvent trois erreurs de droit, dont chacune, selon eux, suffit à vicier la décision contestée.

Limite de la portée du projet à l'autorité fédérale

[220]        Sur ce point, les demandeurs signalent la correspondance préliminaire relative à la question de la portée du projet, ainsi que l'affidavit de Mme Majewski, pour montrer que le MPO a adopté la position selon laquelle un projet soumis à une évaluation environnementale fédérale en application de la LCEE doit correspondre à l'entreprise de droit fédéral dont il est question dans la demande. Cela a conduit le MPO à limiter la portée du projet à évaluer à la destruction du Fort Creek alors que ce qu'il aurait dû inclure dans la portée du projet, ce sont les opérations minières indiquées dans la demande de TrueNorth.

[221]        Les demandeurs s'appuient en particulier sur les paragraphes 25 et 26 de l'affidavit de Mme Majewski, ainsi formulés :

[traduction] Pour les projets énumérés dans les dispositions du paragraphe 5(1) de la LCEE, la portée du projet doit se limiter aux éléments sur lesquels le gouvernement fédéral peut validement s'arroger un pouvoir, directement ou indirectement. Le projet examiné dans une évaluation environnementale fédérale devrait correspondre à l'entreprise de droit fédéral dont il est question dans la demande.

Lorsqu'une décision administrative telle que la décision de délivrer une autorisation selon le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches déclenche une évaluation environnementale, il y a des limites à la portée du projet. Dans ces cas, la portée du projet devrait se limiter aux éléments sur lesquels le gouvernement fédéral peut validement s'arroger un pouvoir, directement ou indirectement. La portée du projet pour évaluation environnementale devrait correspondre à l'entreprise de droit fédéral dont il est question dans la demande.

[222]        Le MPO est d'avis que ces mots ne prétendaient pas faire état de contraintes juridiques, mais représentaient la justification partielle d'une décision discrétionnaire qui, compte tenu du contexte global dans lequel elle a été prise, était raisonnable. Mme Majewski aurait pu décider d'inclure dans l'évaluation le projet minier tout entier mais, pour les diverses raisons exprimées, sa décision de limiter le champ de l'évaluation à la destruction du Fort Creek n'avait rien de déraisonnable.


[223]        TrueNorth est d'avis que, dans la mesure où l'affidavit de Mme Majewski exprimait un avis juridique, il n'aurait pas dû être présenté à la Cour, mais que, en tout état de cause, il est exact juridiquement qu'un projet étudié dans une évaluation environnementale fédérale devrait correspondre à l'entreprise de droit fédéral dont fait état la demande. En l'espèce, l'intervention fédérale a été déclenchée par le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, et il était tout à fait raisonnable de rattacher le champ de l'évaluation selon la LCEE au domaine de compétence fédérale qui a déclenché l'application de la LCEE, c'est-à-dire la compétence du MPO sur l'habitat du poisson dans le Fort Creek.

[224]        En premier lieu, pour ce qui est du point soulevé par TrueNorth concernant la recevabilité des portions de l'affidavit de Mme Majewski qui exposent des considérations juridiques, je suis d'avis que les portions en cause ont été validement soumises à la Cour et qu'elles font partie de la décision contestée. L'affidavit de Mme Majewski n'a pas été produit pour faire valoir des points de droit; il explique simplement les motifs de sa décision concernant la portée du projet. Si Mme Majewski s'est sentie juridiquement contrainte de résoudre d'une certaine manière la question de la portée du projet, il s'agirait là d'un aspect révisable de sa décision. L'affidavit de Mme Majewski apporte la preuve non pas de l'état du droit au regard de la définition de la portée d'un projet selon la LCEE, mais des raisons pour lesquelles elle a pris la décision contestée. Voir sur ce point le jugement Lun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1694 (1re inst.) et le jugement Ogunfowara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 456 (1re inst.).

[225]        Je suis d'avis que, considéré globalement, l'affidavit de Mme Majewski fait ressortir clairement que, dans le contexte de la demande de TrueNorth, il était à la fois raisonnable et juridiquement correct de limiter le champ de toute évaluation à la destruction du Fort Creek.

[226]        Aux paragraphes 23 et 24 de son affidavit, elle nous dit qu'une autorité responsable est investie d'un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la définition de la portée d'un projet et que ce pouvoir « doit être exercé raisonnablement dans un cas donné » . Elle nous dit aussi que « la portée d'un projet doit être définie au cas par cas » .

[227]        Cependant, elle affirme ensuite (au paragraphe 25) que « pour les projets soumis à évaluation environnementale par l'effet du paragraphe 5(1), la portée du projet doit se limiter aux éléments sur lesquels le gouvernement fédéral peut validement s'arroger un pouvoir, directement ou indirectement » .

[228]        À mon avis, lorsqu'elle a défini la portée du projet, Mme Majewski s'est sentie juridiquement contrainte de limiter la portée d'une évaluation aux éléments du projet sur lesquels le gouvernement fédéral pouvait validement s'arroger un pouvoir. Le premier point principal que la Cour doit décider est donc celui de savoir si elle a eu tort d'admettre de telles contraintes juridiques et, dans l'affirmative, si cela entache la décision qu'elle a prise.


[229]        Les demandeurs disent que, sur ce point, Mme Majewski a commis une erreur sujette à révision qui justifie l'annulation de la décision tout entière. Ils disent que l'approche restrictive adoptée pour la définition de la portée du projet, une approche qui apparaît clairement dans la décision, repose sur une mauvaise interprétation de la LCEE et de l'étendue du pouvoir fédéral d'évaluation. Les demandeurs s'en rapportent abondamment sur ce point à des arrêts qui font date : les arrêts Oldman River et Hydro-Québec de la Cour suprême du Canada, et l'arrêt Friends of the West Country de la Cour d'appel fédérale.

[230]        S'agissant de l'arrêt Oldman River, les demandeurs font ressortir naturellement les aspects de l'avis du juge La Forest qui appuient en matière d'évaluation une approche plus libérale :

Toutefois, je dois préciser que l'étendue de l'évaluation n'est pas limitée au domaine particulier de compétence à l'égard duquel le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions au sens du terme « proposition » . Cette participation, comme je l'ai déjà mentionné, est une condition nécessaire à l'application du processus; toutefois, lorsque le ministère responsable a reçu le pouvoir de procéder à l'évaluation, cet examen doit tenir compte des répercussions environnementales dans tous les domaines de compétence fédérale. (pages 72-73)

[231]        Nonobstant l'argumentation habile et pleine d'entrain de l'avocat des demandeurs sur ce point, je ne crois pas que l'avis du juge La Forest dans l'arrêt Oldman River apporte véritablement une aide aux demandeurs dans le contexte de la décision qui est contestée ici devant la Cour. Dans l'arrêt Oldman River, la Cour suprême du Canada examinait une question constitutionnelle, celle de savoir si un Décret fédéral sur les lignes directrices avait une étendue telle qu'il contrevenait à l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour suprême du Canada a bien expliqué dans cet arrêt que « l'étendue de l'évaluation n'est pas limitée au domaine particulier de compétence à l'égard duquel le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions au sens du terme "proposition" » . Ce serait une chose très différente, à mon avis, que de conclure que, lorsqu'un décideur définit la portée d'un projet aux fins de son évaluation, il ne devrait pas tenir compte du domaine particulier de compétence qui l'a conduit à intervenir.

[232]        D'autres aspects de l'avis du juge La Forest, dans l'arrêt Oldman, donnent à penser qu'il doit y avoir un lien entre l'exercice d'un pouvoir législatif et un chef particulier de compétence :

On doit rappeler que l'exercice d'une compétence législative, dans la mesure où elle se rapporte à l'environnement, doit, comme toute autre préoccupation, se rattacher au domaine de compétence approprié; puisque la nature des divers domaines de compétence en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 diffère, l'importance qui pourra être accordée aux préoccupations environnementales dans l'exercice d'une compétence donnée pourra varier d'un domaine à l'autre. (page 67)

[233]        De plus, examinant le Décret fédéral particulier sur les lignes directrices dont était saisie la Cour dans l'arrêt Oldman River, le juge La Forest a exprimé l'avis que ce décret ne conférait qu'un « mandat d'examiner les questions se rapportant directement aux domaines de compétence fédérale concernés » et qu'il ne pouvait être utilisé par le ministère responsable « comme moyen déguisé d'envahir des champs de compétence provinciale qui ne se rapportent pas aux domaines de compétence fédérale concernés » . (page 72)

[234]        À mon avis par conséquent, même si l'arrêt Oldman River prescrit que l'évaluation, une fois validement entreprise, peut considérer l'incidence d'un projet sur tous les domaines de compétence fédérale, il ne dit pas que le champ d'une évaluation n'a pas à être rattaché au chef de compétence fédérale qui est mis en cause par une demande. En réalité, il m'apparaît que l'avis rendu par le juge La Forest dans l'arrêt Oldman River renferme le postulat selon lequel l'exercice d'un pouvoir législatif ne peut conférer qu'un mandat d'examiner des questions qui se rapportent aux domaines de compétence fédérale concernés.

[235]        Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que le pouvoir du MPO de définir la portée d'un projet se trouve dans la LCEE elle-même et ne peut résulter d'une décision judiciaire telle que l'arrêt Oldman River, qui traitait expressément de la constitutionnalité d'un certain Décret sur les lignes directrices.

[236]        Mais les demandeurs croient aussi que leurs arguments sur la définition de la portée d'un projet sont appuyés par l'arrêt Hydro-Québec de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada se demandait si l'ONE était fondé à considérer, parmi les facteurs intéressant sa décision d'accorder ou non des licences, les répercussions environnementales de la construction, par Hydro-Québec, de futures installations de transport de l'électricité.

[237]        Dans l'arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême du Canada a jugé que « la Cour d'appel a commis une erreur en limitant l'examen de l'Office sur les incidences environnementales aux effets, sur l'environnement, du transport d'électricité par une ligne de fil métallique au-delà de la frontière » :

Limiter l'examen aux effets résultant du transport physique même constitue une interprétation indûment restrictive de l'activité envisagée. Le processus de réglementation détaillé qui a été constitué fait bien ressortir le caractère restrictif de cette interprétation. Je serais fort étonné qu'un processus si détaillé soit créé aux fins d'un examen si restrictif. Comme la Cour d'appel l'a reconnu, l'électricité à fournir dans le cadre du contrat d'exportation doit être produite par les installations actuelles ou nécessitera la construction de nouvelles installations. En fin de compte, il convient que l'Office tienne compte, dans son processus décisionnel, de l'ensemble des coûts environnementaux de la délivrance d'une licence. (page 191)


[238]        Dans l'arrêt Hydro-Québec, même si aucune question constitutionnelle n'avait été soulevée dans le pourvoi, les intimés ont fait valoir que le fait d'autoriser l'Office à examiner les répercussions des nouvelles installations risquait d'avoir pour effet de faire relever de l'enquête des domaines qui étaient de compétence provinciale.

[239]        Même si aucune question constitutionnelle n'était soulevée, la Cour suprême a jugé utile de dire que « dans la détermination des limites de la compétence de l'Office, il importe néanmoins de tenir compte des craintes exprimées » :

En définissant les limites de la compétence de l'Office, notre Cour doit s'assurer que l'exercice des pouvoirs de l'Office se limite vraiment aux questions d'intérêt fédéral. Cependant, il ne faut pas circonscrire l'étendue de l'examen à effectuer à un tel point que la fonction de l'Office devienne dénuée de sens ou privée d'efficacité. (page 192)

[240]        La Cour suprême du Canada a résolu ce conflit de la manière suivante :

Comme je l'ai déjà fait remarquer, la validité de la Loi sur l'Office national de l'énergie n'est pas contestée dans le présent pourvoi. En appliquant la Loi, l'Office peut tenir compte des effets sur l'environnement à l'intérieur d'une province s'il les considère pertinents aux fins de sa décision de délivrer une licence d'exportation, matière de compétence fédérale. La province peut, quant à elle, examiner les effets sur l'environnement des aspects d'un projet donné qui relèvent de la réglementation provinciale. Cette coexistence de responsabilité n'est ni inhabituelle ni impossible. Il y a, bien entendu, lieu de minimiser le double emploi de directives et les contradictions entre ces dernières, et c'est précisément le problème que le Décret sur le PEEE, tout particulièrement ses articles 5 et 6, cherche à éviter, et que l'Office a tenté de réduire en imposant les conditions 10 et 11 de la licence. (page 193)

[241]        Dans l'arrêt Hydro-Québec, les effets environnementaux à l'intérieur de la province devaient être « pertinents » pour la décision de l'Office d'accorder une licence d'exportation, avant que l'Office ne puisse tenir compte de tels effets. L'arrêt ne dit pas qu'une autorité fédérale peut tenir compte de tous les effets environnementaux après qu'elle a décidé d'exercer son pouvoir. Les effets en question doivent être pertinents pour la décision que l'autorité fédérale doit prendre.

[242]        En l'espèce, l'autorité fédérale, à savoir le MPO, a été appelée à intervenir parce que TrueNorth a demandé une autorisation en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. À mon avis, l'octroi d'une telle autorisation n'oblige pas le MPO à considérer tous les effets environnementaux résultant du projet minier, et je ne puis trouver dans l'arrêt Hydro-Québec aucun passage qui requière, entérine ni même impose un tel point de vue.

[243]        Je reconnais avec les demandeurs que, une fois qu'est déclenchée l'application de la LCEE, l'article 15 ni aucune disposition liée au champ d'une évaluation ne limitent en rien une décision concernant la portée d'un projet au domaine de compétence fédérale qui est occupée par l'autorité responsable. Mais, à mon avis, aucune limite semblable n'est nécessaire parce qu'il est impossible que le législateur ait voulu permettre à une autorité responsable de procéder à l'évaluation environnementale des aspects d'un projet qui ne sont pas rattachés au chef de compétence fédérale mis en cause par le projet en question.


[244]        Je ne crois pas non plus que les demandeurs puissent, sur la question de la portée du projet, trouver du réconfort dans l'arrêt Friends of the West Country rendu par la Cour d'appel fédérale. Ce précédent traitait expressément de l'interprétation à donner des paragraphes 16(1)a) et 16(3) de la LCEE. Le juge Rothstein a clairement indiqué, à la page 253, que, selon l'alinéa 16(1)a), l'autorité responsable n'a pas à se borner à un examen des effets environnementaux découlant strictement d'un projet dont la portée a été déterminée en application du paragraphe 15(1) de la LCEE, et qu'elle n'est pas non plus obligée de s'en tenir aux seuls effets environnementaux pouvant découler de sources relevant de la compétence fédérale. Mais l'alinéa 16(1)a) parle d' « effets cumulatifs » de telle sorte que, comme le faisait remarquer le juge Rothstein, « l'évaluation des effets cumulatifs doit implicitement s'étendre à la fois au projet dont la portée a été déterminée et aux sources situées en dehors des limites du projet défini » .

[245]        Une évaluation des effets cumulatifs n'est pas le sujet soumis à la Cour dans cette demande, laquelle concerne uniquement la décision d'une autorité responsable de définir la portée d'un projet d'une certaine manière, en application du paragraphe 15(1) de la LCEE. L'avis rendu par le juge Rothstein dans l'arrêt Friends of the West Country est assorti, à la page 254, d'une mise en garde bien sentie :

Naturellement, en affirmant que l'autorité responsable peut effectivement se pencher sur des facteurs échappant à la compétence fédérale, je ne me prononce qu'en ce qui concerne l'alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3) où, à partir du moment où l'autorité responsable détermine la portée d'un projet relevant de la compétence fédérale, il y a obligation de se pencher sur les effets environnementaux cumulatifs.

[246]        Considérés globalement, les motifs avancés par Mme Majewski dans son affidavit pour sa décision touchant la portée du projet équivalent pour elle à dire qu'elle savait que la portée du projet devait s'accorder avec les responsabilités fédérales et se rattacher à des aspects où des conditions pouvaient être imposés au promoteur. Eu égard aux précédents, il m'est impossible de dire qu'elle a eu tort d'énoncer ce postulat, et la décision du MPO ne devrait pas être annulée sur ce chef.


Délégation irrégulière

[247]        Les demandeurs affirment aussi que Mme Majewski a délégué abusivement à la province de l'Alberta ses attributions concernant la définition de la portée du projet. Au soutien de cet argument, ils s'appuient sur les mots suivants du paragraphe 28 de son affidavit :

[traduction] Les préoccupations environnementales liées aux sujets relevant de la compétence fédérale, en ce qui a trait à l'intégralité du projet de TrueNorth pour l'exploitation des sables bitumineux, ont été définies. Le fait que la province a étudié lesdites préoccupations à la satisfaction du MPO est un facteur dont j'ai tenu compte pour déterminer la portée du projet.

[248]        Les demandeurs disent que ces mots reconnaissent implicitement que le projet tout entier d'exploitation des sables bitumineux aurait pu être compris dans la portée du projet et sont la preuve que Mme Majewski a renoncé en faveur de la province à ses responsabilités selon la LCEE.

[249]        Les mots eux-mêmes peuvent être interprétés de diverses manières, et la Cour ne se livrera pas à une exégèse hasardeuse. Dans le contexte de la décision tout entière (y compris l'affidavit de Mme Majewski), ils n'apportent pas une preuve suffisante en faveur de l'une ou l'autre des interprétations préconisées par les demandeurs, et je refuse de dire, sur la base de ce moyen, qu'une erreur sujette à révision a été commise.


Interprétation erronée du mot « projet » et du Règlement sur la liste d'inclusion

[250]        La troisième erreur de droit qu'allèguent les demandeurs pour contester la décision du MPO est le fait que Mme Majewski s'est fondée sur une mauvaise interprétation du mot « projet » , dans la LCEE, et du Règlement sur la liste d'inclusion. Les demandeurs disent que cette erreur se trouve au paragraphe 29 de l'affidavit de Mme Majewski :

[traduction] À mon avis, il est raisonnable de définir le projet comme l'ensemble des activités ou ouvrages qui entraînent la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson dans le Fort Creek. La délivrance d'une autorisation selon le paragraphe 35(2) est le déclencheur de l'application de la LCEE. Parce qu'une telle activité figure dans le Règlement sur la liste d'inclusion, l'assèchement et la destruction partielle sont engagés, et une évaluation environnement selon la LCEE devrait être faite.

[251]        Les demandeurs disent que la destruction du Fort Creek est une activité liée à l'ouvrage consistant à construire la mine et les installations de traitement du projet de sables bitumineux, ce qui signifie qu'elle ne peut être évaluée en tant qu'activité énumérée dans le Règlement sur la liste d'inclusion et qu'elle doit plutôt être évaluée dans le cadre de l'étude approfondie du projet lui-même d'exploitation des sables bitumineux.

[252]        TrueNorth est d'avis que ces arguments n'ont aucune valeur parce que la destruction du Fort Creek peut être considérée soit comme un « ouvrage » soit comme une « activité concrète » et qu'elle constitue à l'évidence, par elle-même, un « projet » selon la LCEE.

[253]        Le MPO reconnaît que Mme Majewski s'est trompée lorsqu'elle s'est référée au Règlement sur la liste d'inclusion pour justifier le déclenchement de l'application de la LCEE, mais c'était là un simple détail technique qui n'a eu aucune incidence réelle sur la décision finale touchant la portée du projet.

[254]        Je ne vois dans la définition de « projet » , à l'article 2 de la LCEE, rien qui puisse empêcher la destruction du Fort Creek d'être par elle-même un projet et, pour les motifs exposés par le MPO, je refuse de dire qu'une erreur sujette à révision a ici été commise.

Décision déraisonnable et autres moyens


[255]        Les demandeurs avancent plusieurs moyens pour dire que la décision contestée devrait être déclarée déraisonnable, absurde, incompatible avec la LCEE, préjudiciable au Règlement sur la liste d'étude approfondie, propice à l'incohérence, indifférente à d'importantes questions d'intérêt fédéral et sans commune mesure avec le projet d'ensemble, et elle devrait donc selon eux être annulée. J'ai examiné successivement chacun de ces aspects, et ma conclusion est que je ne suis pas convaincu que la Cour devrait intervenir sur l'un quelconque de ces moyens. Nombre des affirmations faites par les demandeurs sur les conséquences de la décision contestée sont hypothétiques et controversables. Cependant, une fois que la Cour admet qu'une décision sur la portée d'un projet devrait être liée de quelque façon au pouvoir réglementaire fédéral qui a déclenché l'application de la LCEE, il est difficile de trouver ici une faille dans la décision dont il s'agit ici, une décision qui a bien tenu compte de ce facteur et qui a défini en conséquence la portée du projet.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Les dépens de cette demande sont accordés aux défendeurs.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-213-03

INTITULÉ :               PRAIRIE ACID RAIN COALITION,

THE PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT

et TOXICS WATCH SOCIETY OF ALBERTA

                                                                                          demandeurs

- et -

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS DU CANADA et TRUENORTH ENERGY CORPORATION

                                                                                            défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MARDI 25 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Timothy Howard                                                        pour les demandeurs

Bruce Hughson (ministre)                                               pour les défendeurs

Martin Ignasiak (TrueNorth Energy Corp.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sierra Legal Defence Fund, avocats                               pour les demandeurs

Vancouver (Colombie-Britannique)

Ministère de la Justice                                                 pour le défendeur (Ministre des

Bureau régional d'Edmonton                                          Pêches et des Océans)

211 Édifice Banque de Montréal

10199-101e rue Nord-Ouest

Edmonton (Alberta) T5J 3Y4

Fraser Milner Casgrain LLP                                           pour la défenderesse

2900 Place ManuLife                                                 (TrueNorth Energy Corp.)

10180-101e rue Nord-Ouest

Edmonton (Alberta) T5J 3V5


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040916

                             Dossier : T-213-03

ENTRE :

PRAIRIE ACID RAIN COALITION,

THE PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT

et TOXICS WATCH SOCIETY OF ALBERTA

                                        demandeurs

- et -

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS DU CANADA et TRUENORTH ENERGY CORPORATION

                                          défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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