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Date : 20030612

Dossier : IMM-2988-02

Référence : 2003 CFPI 734

OTTAWA (ONTARIO), le 12 juin 2003

EN PRÉSENCE du juge James Russell

ENTRE :

                                                NAFICE SAWAN, MAGIDA SAWAN,

                                              MEHDI SAWAN ET MELANIE SAWAN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée sous le régime des articles 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et 82.1 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi), sur autorisation délivrée par la Cour le 7 février 2003. La demande vise la décision rendue par la Section du statut de réfugié (la SSR ou la Commission) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 8 juin 2002, déterminant que Mme Nafice Sawan et sa famille (les demandeurs) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs veulent obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission et prescrivant le réexamen de leur revendication par un tribunal différemment constitué.

LES FAITS

[2]                 Madame Nafice Sawan (la demanderesse principale) est citoyenne libanaise; Magida et Melanie Sawan sont ses filles et Mehdi Sawan, son fils. Les enfants sont tous citoyens libanais également.

[3]                 Les demandeurs affirment craindre avec raison d'être persécutés par les autorités libanaises, par les autorités syriennes et par les membres du Hezbollah, du fait d'opinions politiques qu'on leur impute et de leur appartenance à un groupe social, à savoir leur famille.

[4]                 La demanderesse principale et ses filles soutiennent en outre qu'elles appartiennent à un autre groupe social, celui des femmes menacées de persécution en raison de leur sexe.


[5]                 Monsieur Mahmoud Sawan, le mari de la demanderesse principale et le père des trois autres demandeurs, possédait une entreprise de camionnage à Barasheet, dans le sud du Liban. Il avait des relations commerciales avec des Israéliens et réalisait des opérations commerciales en Israël.

[6]                 Les demandeurs ont affirmé que M. Sawan a été arrêté et maltraité par les autorités syriennes en 1985, dans la ville de Saadanayel, parce qu'il avait posé des affiches critiquant l'occupation du Liban par la Syrie.

[7]                 Au mois de juin 2000, après le retrait d'Israël du Liban, des membres du Hezbollah auraient abordé M. Sawan à quelques reprises et auraient menacé de le tuer ainsi que sa famille parce que, selon eux, il travaillait avec les Israéliens et qu'il se livrait à de l'espionnage pour leur compte.

[8]                 La demanderesse principale a déclaré également que son mari lui aurait dit qu'il avait été battu trois fois par des Libanais de la région. Les gens qui l'avaient battu avaient également rôdé en automobile autour de sa maison à deux reprises. Selon la demanderesse principale, son mari était à la maison et il les aurait reconnus.

[9]                 Les demandeurs ont soutenu qu'ils ignoraient l'existence de ces menaces jusqu'à ce que M. Sawan vende son camion, au mois de juillet 2000, et explique à sa famille pourquoi il voulait qu'elle quitte le pays.

[10]            Tous les membres de la famille ont quitté le Liban au mois d'août 2000. Un ami de M. Sawan les a aidés à se rendre clandestinement par bateau à Chypre, où ils ont passé dix jours. Selon les demandeurs, M. Mahmoud Sawan ne les a pas accompagnés en Amérique du Nord à cause de restrictions financières; il est resté à Chypre. Il n'est pas partie à la revendication de statut de réfugié.

[11]            Les demandeurs sont arrivés aux États-Unis où ils ont passé trois semaines, puis ils sont entrés au Canada le 10 septembre 2000, et ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 27 septembre 2000.

[12]            L'audition de la revendication a eu lieu le 30 avril 2002 à Edmonton (Alberta). La demanderesse principale, son frère Khaled Sawan, qui est citoyen canadien, et la fille aînée de la demanderesse principale, Magida Sawan, ont témoigné à l'audience.

[13]            La Commission a rendu sa décision déterminant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention le 8 juin 2002. Les demandeurs ont sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire le 26 juin 2002.


La décision de la Commission

[14]            La Commission a jugé que la demanderesse principale avait témoigné de façon vague et contradictoire et qu'elle avait été incapable de répondre à de nombreuses questions. L'argument des différences culturelles (selon lequel les femmes au Liban ne sont pas toujours informées des décisions) invoqué pour expliquer l'ignorance de la demanderesse au sujet d'incidents présentés comme cruciaux pour la sécurité de la famille n'a pas entièrement convaincu la Commission. Toutefois, ce ne sont pas les réserves de la Commission au sujet de la crédibilité qui ont fondé sa décision de rejeter la revendication.

[15]            La Commission a relevé que les demandeurs n'avaient pas présenté d'éléments de preuve au sujet de difficultés qu'ils auraient éprouvées personnellement. Elle a conclu que les incidents dont M. Sawan a été la victime n'étaient pas « suffisamment graves, répétitifs ou persistants pour constituer cumulativement de la persécution » et qu'ils ne pouvaient fonder une crainte justifiée de persécution du fait d'opinions politiques. Par extension, la Commission a déterminé que, suivant la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne risquaient pas dtre persécutés pour des opinions politiques imputées ou parce qu'ils faisaient partie de la famille proche de M. Sawan.


[16]            La Commission a conclu également, en se fondant sur la preuve documentaire, que même si M. Sawan pouvait être poursuivi, comme « collaborateur présumé » , à cause de ses relations avec des Israéliens, il bénéficierait de l'application régulière de la loi et que les peines n'étaient pas disproportionnées par rapport à l'objet de la loi.

[17]            Enfin, la Commission a estimé que la crainte de persécution liée au risque que les demanderesses courraient, en tant que femmes, en cas de renvoi au Liban, n'était pas fondée. La Commission a jugé que les demanderesses pouvaient retourner à Saadanayel et qu'il n'y avait pas lieu de considérer à leur égard le risque d'emprisonnement avant procès, vu sa conclusion que la crainte des demandeurs d'être persécutés du fait d'opinions politiques imputées ou du fait de leur association avec M. Mahmoud Sawan n'était pas fondée.

LES QUESTIONS EN LIGIGE

[18]            1.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments dont elle disposait?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant sa décision?


L'ARGUMENTATION

Les demandeurs

Première question :                 Conclusions de fait erronées et crédibilité

[19]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a fondé sa décision négative sur des conclusions en matière de crédibilité tirées de façon abusive. Selon eux, les conclusions de la SSR ne tiennent pas compte du fait que dans leur culture les femmes ne sont pas informées de ce en quoi consiste exactement le travail des hommes et qu'elles n'ont pas le droit de poser des questions à cet égard. La Commission n'a jamais vraiment motivé sa conclusion que l'explication des différences culturelles ne suffisait pas à dissiper ses doutes au sujet de la crédibilité du témoignage de la demanderesse principale, et cela a faussé son appréciation du reste de la preuve.

[20]            La Commission a également indiqué que des contradictions entre le témoignage de la demanderesse principale et celui de son frère, Khaled Sawan, au sujet de l'arrivée des demandeurs au Canada soulevaient des doutes quant à la crédibilité. Les demandeurs soutiennent que la Commission n'ayant signalé aucun autre problème de crédibilité relativement au témoignage de Khaled Sawan, donné sous serment, elle aurait dû le considérer comme véridique et évaluer les revendications en fonction du reste de la preuve crédible (Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 309).

[21]            Les demandeurs soutiennent en outre que l'affirmation selon laquelle M. Mahmoud Sawan serait soupçonné de collaboration avec des Israéliens était étayée par la preuve documentaire dont disposait la Commission. Khaled Sawan avait déclaré dans son témoignage - qui devait être accepté pour la raison susmentionnée - que Mahmoud Sawan faisait des affaires en Israël et que les membres du Hezbollah avaient interrogé la mère de ce dernier pour savoir où il se trouvait. Khaled Sawan avait également témoigné au sujet de l'exécution de huit personnes qui se trouvaient dans une situation analogue à celle de Mahmoud Sawan et au sujet du degré exacerbé de colère qui était manifesté, au Liban, à ceux qui étaient soupçonnés de collaborer avec Israël et à leur famille. Si la Commission n'a pas accepté cet élément de preuve, elle ne s'en est pas expliquée en termes clairs.

[22]            Les demandeurs font valoir que la Commission n'ayant pas mentionné dans ses motifs le témoignage de Khaled Sawan à l'appui des revendications de statut de réfugié, il est possible de penser qu'elle a tiré une conclusion de fait erronée non fondée sur les éléments dont elle disposait (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 163 F.T.R. 127).


[23]            Selon les demandeurs, la SSR n'a pas tenu compte d'éléments de preuve documentaire pertinents au sujet du caractère inéquitable des procès au Liban et des violations des droits de la personne dont étaient victimes les détenus en attente de procès. Les demandeurs soutiennent d'ailleurs qu'une source documentaire importante citée par la Commission dans ses motifs renferme elle-même des contradictions; il s'agit du document Country Assessment of Lebanon, préparé en avril 2001 par la Country Information & Policy Unit de l'Immigration & Nationality Directorate du Home Office du Royaume-Uni (le rapport d'évaluation du R.-U.)

[24]            Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en n'exposant pas les raisons pour lesquelles elle a privilégié d'autres parties du rapport d'évaluation du R.-U. à celles qui faisaient état de préoccupations relatives aux droits de la personne.

Deuxième question : Erreurs de droit

[25]            Selon les demandeurs, la conclusion négative que la Commission a tirée du fait que les demandeurs mineurs ont fréquenté des écoles dans la région de Saadanayel avant juin 2000 constitue une erreur de droit puisqu'il s'agit d'une mauvaise interprétation de la preuve des demandeurs. Ceux-ci font valoir qu'avant cette date, c'est-à-dire avant le retrait d'Israël du Liban-Sud, ils ne craignaient pas d'être persécutés. Par conséquent, la Commission a erré en tirant une conclusion négative du fait qu'ils avaient régulièrement fréquenté sans incident des écoles avant juin 2000.


[26]            Les demandeurs soutiennent également qu'en concluant que les membres de la famille des demandeurs continuent de vivre dans la région de Saadanayel au Liban et qu'ils pourraient fournir appui et protection aux demanderesses, qui disent craindre d'être persécutées en raison de leur sexe, la Commission a omis de tenir compte de certains faits. Les membres de la famille restés dans la région de Saadanayel n'ont pas été en relation d'affaires avec des Israéliens et n'ont pas de liens directs avec une personne ayant fait commerce avec des Israéliens. La situation des demandeurs diffère donc de celle de leur parenté.

[27]            Les demandeurs ajoutent qu'il ne découle pas du fait qu'ils ont pu vivre sans incident à Saadanayel jusqu'au moins de juin 2000 qu'il peuvent maintenant y retourner sans danger. Cette conclusion constitue selon eux une erreur de droit et qui procède d'une mauvaise interprétation de la preuve soumise à la Commission.

[28]            Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a formulé une conclusion déraisonnable en déterminant que les agressions commises par les mêmes agents de persécution à trois reprises différentes n'étaient pas suffisamment graves, répétitives ou persistantes pour constituer cumulativement de la persécution.

Le défendeur


[29]            Le défendeur soutient que seuls les éléments de preuve présentés à la Commission doivent être pris en considération dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas tenir compte de la preuve relative à la mort en 1999 de deux personnes apparentées à Mahmoud Sawan, car cette preuve a été déposée seulement lorsque la demanderesse principale a soumis la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse n'a mentionné ces décès ni dans son FRP ni dans son témoignage.

[30]            Le défendeur conteste en outre l'affirmation que l'appelante a faite, dans son affidavit, que son mari avait été attaqué par des membres du Hezbollah, alors que la preuve présentée à la Commission indique qu'il avait été battu par des citoyens Libanais. La Cour ne devrait pas tenir compte de cet élément de preuve.

[31]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793).


[32]            Citant l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), le défendeur avance qu'il appartient à la Commission de se prononcer sur la crédibilité et sur le poids à accorder à la preuve et que si elle tire à ce sujet des conclusions raisonnables compte tenu de la preuve, il n'y a pas lieu de modifier sa décision. La Commission peut formuler des conclusions défavorables en matière de crédibilité non seulement en raison de contradictions ou d'incohérences dans les témoignages eux-mêmes mais également si la preuve est invraisemblable (Aguebor, précité). S'appuyant sur les décisions Chaudri c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1986), 69 N.R. 114 (C.A.F.) et Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81, le défendeur soutient que la Cour ne doit intervenir dans des conclusions de fait de la Commission que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire et si elles se rapportent à un élément essentiel du rejet de la revendication.

[33]            Le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission ne sont pas manifestement déraisonnables simplement parce que les demandeurs les contestent. Les conclusions de fait tirées par la Commission en l'espèce sont étayées par la preuve dont elle disposait.

[34]            Selon le défendeur, la question de savoir si du harcèlement constitue de la persécution est une question mixte de fait et de droit qui relève de la compétence spécialisée de la Commission, et ses conclusions en cette matière ne peuvent être modifiées que si elles sont clairement erronées. Le défendeur cite à cet égard l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.).

[35]            Le défendeur se reporte aussi à l'arrêt récent de la Cour suprême Housen c. Nikolaisen, [2002] A.C.S. no 31 (QL), dans lequel la Cour suprême a statué, dans une affaire de négligence, qu'une cour d'appel ne doit intervenir à l'égard des questions mixtes de fait et de droit que s'il y a eu « erreur manifeste et dominante » .

[36]            Le défendeur souligne que la crédibilité globale des demandeurs a été mise en doute en raison de contradictions entre les différents témoignages donnés devant la Commission et du témoignage insatisfaisant de la demanderesse principale.


[37]            Le défendeur fait également valoir que le frère de la demanderesse n'a pas témoigné que le mari de la demanderesse commerçait avec des Israéliens, mais seulement que d'autres avaient dit que son mari était allé en Israël.

[38]            Selon le défendeur, la présomption de véracité des témoignages donnés sous serment, dont le principe a été formulé dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), peut être repoussée s'il existe des raisons valides de douter de leur véracité. En l'espèce, la Commission avait de telles raisons de douter de la franchise des demandeurs.

[39]            Le défendeur soutient de plus que l'omission de la Commission de mentionner expressément certains éléments de preuve ne signifie qu'elle n'en a pas tenu compte. S'appuyant sur les arrêts Woolaston c. Canada (Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102 et D'Souza c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 1 C.F. 343 (C.A.), il affirme qu'un tribunal administratif est présumé avoir pris en considération tous les éléments de preuve déposés devant lui à moins que le contraire ne soit démontré. En l'espèce, les demandeurs contestent tout simplement le poids que la Commission a attribué à certains des éléments de preuve.

[40]            Le défendeur établit une distinction entre la présente espèce et la décision Khan, précitée, invoquée par les demandeurs, du fait que dans cette dernière affaire des erreurs évidentes dans certains documents avaient amené la Cour à conclure que des documents n'avaient pas été pris en considération. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[41]            Le défendeur soutient que la Commission a correctement examiné la définition de « persécution » , conformément aux décisions Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), Olearczyk c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 18 (C.A.F.), Murugiah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 230 et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

[42]            Selon le défendeur, il est possible que l'accumulation d'actes qui, individuellement peuvent ne pas constituer de la persécution, soit perçue comme de la persécution. La Commission a le pouvoir de déterminer si des incidents de harcèlement ou de discrimination sont suffisamment graves pour constituer cumulativement de la persécution. La Cour ne doit intervenir que lorsque la conclusion formulée sur la question est arbitraire ou déraisonnable. En l'espèce, la Commission pouvait raisonnablement tirer la conclusion qu'elle a formulée, conformément à Sagharichi, précité.

[43]            La conclusion de la Commission, selon laquelle des menaces isolées et les trois incidents de violence physique dont Mahmoud Sawan avait été victime dans une courte période de temps ne constituaient pas de la persécution, n'était pas arbitraire ou déraisonnable.

ANALYSE

[44]            En préliminaire, la Cour signale, relativement à la question de l'objection élevée par le défendeur à certaines parties de l'affidavit de la demanderesse principale, que la demanderesse avait bien fait mention, dans l'exposé circonstancié de son FRP, des deux personnes apparentées à son mari qui avaient été tuées par le Hezbollah en 1999. Elle y a en effet indiqué qu'elles avaient été tuées [TRADUCTION] « il y a environ deux ans » . Le FRP a été signé le 11 janvier 2001. Par conséquent, la preuve de l'affirmation par la demanderesse que deux membres de la famille de son mari avaient été tués par le Hezbollah en 1999 avait été soumise à la Commission et cette portion de l'affidavit de la requérante est certainement recevable.

[45]            L'exposé circonstancié contenu dans le FRP de la demanderesse et la déclaration solennelle fournie à CIC au moment du dépôt de la revendication font tous deux état de menaces proférées contre son mari et sa famille par le Hezbollah. De plus, la demanderesse principale a déclaré dans son témoignage devant la Commission que son mari lui avait dit qu'il avait été attaqué par des Libanais appartenant au Hezbollah.

[46]            Compte tenu de la preuve susmentionnée, qui avait été soumise à la Commission, l'objection du défendeur à la recevabilité de certaines parties de l'affidavit de la demanderesse principale est sans fondement et doit être écartée.

[47]            L'analyse que la Commission a faite de la revendication des demandeurs est problématique à plusieurs égards. La Commission a affirmé qu'il existait des « contradictions flagrantes » entre le témoignage de la demanderesse principale et celui de son frère, mais elle ne s'est pas fondée sur ces contradictions pour rejeter la revendication. La Commission a plutôt conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir suivant la prépondérance des probabilités que M. Sawan pourrait être soupçonné de collaboration avec Israël et risquer d'être persécuté s'il retournait au Liban. Le défendeur reconnaît cela et soutient que les réserves de la Commission relativement à la crédibilité ne sont entrées en ligne de compte que lorsqu'il s'est agi de donner le bénéfice du doute aux demandeurs.

[48]            La Commission a ensuite analysé la preuve documentaire relative au traitement des collaborateurs présumés et elle a conclu que, même si des poursuites pouvaient être intentées contre Mahmoud Sawan, elles seraient soumises à l'application régulière de la loi, et que les peines imposées ne seraient pas disproportionnées par rapport à l'objet de la loi.


[49]            La seule preuve des activités commerciales du mari de la demanderesse principale avec Israël provenait du témoignage du frère de la demanderesse. Il avait entendu des gens du Liban-Sud dire que son beau-frère se rendait dans la zone occupée par Israël. La Commission a jugé qu'il ne s'agissait pas là d'une preuve fiable pouvant démontrer suivant la prépondérance des probabilités que M. Sawan serait ciblé et risquerait d'être persécuté s'il retournait au Liban. Toutefois, les contradictions que la Commission a relevées entre le témoignage de Khaled Sawan et celui de la demanderesse principale avaient trait, suivant les motifs de la Commission, « à l'entrée de la famille au Canada » .

[50]            La Commission n'explique pas le raisonnement qu'elle a suivi pour déterminer que le témoignage de Khaled Sawan (sur ce qu'il avait entendu dire au sujet du transport de marchandises en Israël effectué par M. Sawan) ne constituait pas une preuve fiable suffisante du risque de persécution. Il est possible que le ouï-dire n'ait pas convaincu la Commission; en effet, Kahled Sawan a témoigné qu'il avait entendu dire que Mahmoud Sawan livrait des marchandises dans la zone israélienne. Si tel était le cas, toutefois, la Commission aurait dû exposer ses réserves dans ses motifs au lieu de laisser la question ouverte aux conjectures. La Commission n'indique pas clairement si elle n'a pas cru le témoignage du frère de la demanderesse principale ou si elle a accepté le témoignage mais a estimé que sa force probante n'était pas suffisante pour convaincre le tribunal qu'il y avait un risque de persécution. La Commission n'a pas appliqué équitablement aux faits de la présente espèce le principe énoncé dans l'arrêt Maldonado, précité. Dans cette décision, la Cour d'appel a statué, à la p. 650 :

Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. En l'espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant


[51]            À mon avis, l'affirmation générale contenue au par. 24 de l'argumentation du défendeur, selon laquelle la Commission avait [TRADUCTION] « de nombreuses raisons valides » de douter de la véracité du témoignage des demandeurs est erronée.

[52]            Deuxièmement, la Commission a conclu, au sujet du traitement et des peines qui seraient imposés à M. Sawan et, par extension, à sa famille, qu'ils « ne semblent pas disproportionné[]s par rapport à l'objectif de la loi » . La Commission a fait une comparaiton sans avoir analysé entièrement « l'objectif de la loi » . À mon avis, il s'agissait d'une conclusion déterminante pour la décision finale de la Commission selon laquelle Mahmoud Sawan et les demandeurs ne craignaient pas avec raison dtre persécutés.

[53]            Cette conclusion donne à penser que l'analyse de la Commission aurait dû comporter une comparaison entre la proportionnalité de l'objectif de la loi et le traitement et les peines imposés aux personnes accusées « d'être entré[e]s en Israël et de traiter avec l'ennemi » . Or on se demande quel objectif de la loi la Commission a examiné. Comme la Cour d'appel fédérale l'a établi dans Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (QL), les motifs écrits de la Commission doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour qu'un revendicateur puisse comprendre pourquoi sa revendication est rejetée et décider s'il demandera ou non l'autorisation d'interjeter appel.

[54]            Troisièmement, la Commission semble s'être méprise sur la portée du fait que les jeunes demandeurs ont fréquenté des écoles dans la région de Saadanayel jusqu'au mois de juin 2000. Les actes de persécution dont Mahmoud Sawan aurait été victime et que la demanderesse principale a décrits auraient commencé en juin 2000. Le fait que les demandeurs n'ont pas éprouvé de problèmes dans la région jusqu'à cette date ne veut pas dire qu'ils y ont vécu en sécurité pendant le temps de la persécution alléguée.

[55]            La preuve documentaire indique qu'Israël a commencé à se retirer de sa zone de sécurité dans le Liban-Sud au mois de mai 2000 et que les procès des collaborateurs présumés ont commencé au mois de juin 2000. Je suis d'avis que la conclusion négative que la Commission a tirée au sujet des demandeurs était illogique.

[56]            La Commission déclare que cette conclusion de fait « renforce » la conclusion précédente selon laquelle la crainte des demandeurs d'être persécutés du fait d'opinions politiques imputées ou du fait de leur appartenance à un groupe social n'était pas fondée. Comme cette conclusion constituait un fondement secondaire de la décision finale de la Commission, cette dernière a tirée une conclusion de fait abusive donnant ouverture aux recours prévus au par. 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.


[57]            Les décisions Chaudri et Miranda, précitées, invoquées par le défendeur, énoncent le principe selon lequel les erreurs de logique dans les conclusions de fait et dans l'application des faits doivent se rapporter substantiellement à la décision rendue pour justifier l'intervention de la Cour. Je suis d'avis que la conclusion de la Commission sur le fait que l'inférence tirée relativement à cette question renforçait sa conclusion selon laquelle le risque de persécution allégué par les demandeurs n'était pas fondé était une erreur se rapportant substantiellement à la décision finale de la Commission.

[58]            Quatrièmement, les demandeurs contestent l'utilisation et l'interprétation que la Commission a faites de la preuve documentaire, plus particulièrement du rapport d'évaluation du R.-U. Ils soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de la preuve documentaire qui n'étayaient pas ses conclusions et qui démontraient que les autorités libanaises traitaient durement ceux qui étaient soupçonnés de collaborer avec Israël, sans respecter les normes internationales en matière de droits de la personne.


[59]            Dans l'arrêt D'Souza, précité, la Cour d'appel fédérale a jugé que la Commission d'appel de l'Immigration n'était pas tenue de mentionner chaque élément de preuve produit devant elle et qu'il ne fallait pas présumer de l'omission de mentionner un élément de preuve qu'il n'avait pas été pris en considération. La Cour d'appel fédérale a en outre statué, dans l'arrêt Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL), qu'un tribunal administratif est présumé avoir soupesé et examiné toute la preuve présentée, à moins que le contraire ne soit démontré.

[60]            En l'espèce, la crainte que la Commission n'ait pas entièrement examiné toute la preuve qui lui a été présentée est raisonnable. Le défendeur soutient que le rapport dans son ensemble étaye les conclusions de la Commission, mais il y est fait état d'injustice dans les procès des personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les Israéliens et de violations des droits de la personne subies par des détenus. Ces éléments de preuve contredisent les conclusions de la Commission et celle-ci aurait dû en traiter, conformément au principe énoncé par le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.

CONCLUSION

[61]            En conclusion, j'estime que la décision de la Commission comporte suffisamment d'erreurs susceptibles de révision pour que sa fiabilité soit entachée dans les circonstances. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.


[62]            Dans les sept jours suivant la réception des présents motifs, les avocats devront signifier et déposer leurs observations relativement à la certification d'une question d'importance générale. Chaque partie disposera d'un délai supplémentaire de trois jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations de la partie opposée. Une ordonnance sera rendue après ce processus.

                                                                                        « James Russell »                  

                                                                                                      J.C.F.C.                      

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           IMM-2988-02

INTITULÉ :                           Nafice Sawan, Magida Sawan, Mehdi Sawan et

Melanie Sawan c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :    Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE : 5 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE RUSSEL

DATE DES MOTIFS :        12 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Simon Yu                                                                               POUR LES DEMANDEURS

M. Rick Garvin                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Simon K. Yu                                                                          POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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