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                                                                                                                                  Date : 20001227

                                                                                                                            Dossier : T-1944-95

OTTAWA (Ontario), le mercredi 27 décembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX

ENTRE :

                                                             BRIAN DONOVAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                ORDONNANCE

Pour les motifs déposés aujourd'hui, la Cour autorise le demandeur à déposer et à signifier une nouvelle modification de sa déclaration dans les 30 jours de la présente ordonnance. S'il s'avérait nécessaire de procéder à de nouveaux interrogatoires préalables par suite de la modification, la défenderesse obtiendra les dépens quelle que soit l'issue de la cause. Les dépens de la requête suivront l'issue de la cause. La modification en question doit respecter les Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                                                                                            « François Lemieux »              

                                                                                            ________________________________

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                                                                                                  Date : 20001227

                                                                                                                            Dossier : T-1944-95

ENTRE :

                                                             BRIAN DONOVAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]         Il s'agit d'une requête présentée pour le compte du demandeur, Brian Donovan (ci-après le demandeur) en vertu de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) (ci-après les Règles) sollicitant une ordonnance l'autorisant à modifier encore une fois sa déclaration.

LES FAITS


[2]         Le demandeur a fait l'objet d'une enquête par la Direction des enquêtes spéciales de Revenu Canada (maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada). Il en est résulté que trois mandats de perquisition ont été délivrés en vertu de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après la Loi) à l'égard des locaux commerciaux du demandeur, de sa résidence et des bureaux de H.M. Parlee and Company, le comptable agréé du demandeur.

[3]         Les perquisitions ont été menées le 17 juillet 1990 : les fonctionnaires de Revenu Canada sont alors entrés dans ces divers immeubles et ont saisi des documents. Le demandeur a intenté une action alléguant que les perquisitions avaient été effectuées en violation de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte). Il a invoqué l'arrêt de la Cour d'appel fédérale R. c. Baron, [1991] 1 C.F. 712 (ci-après Baron).

[4]         Le 6 décembre 1991, des accusations ont été portées contre le demandeur, mais la procédure a été laissée en suspens jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la légalité des perquisitions, étant donné que la demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême dans l'affaire Baron avait été accordée le 16 mai 1991.

[5]         Le 21 janvier 1993, la Cour suprême du Canada confirmait dans son arrêt Baron, [1993] 1 R.C.S. 416, l'arrêt de la Cour d'appel fédérale que l'article 231 de la Loi violait la Charte et était inopérant. Il y eut donc un arrangement dans la présente affaire en vertu duquel Revenu Canada devait rendre les documents saisis.


[6]         Le demandeur affirme que c'est à dessein que Revenu Canada a rendu les documents en un endroit qui n'était pas celui qu'il fallait et a simultanément demandé la délivrance de nouveaux mandats qui lui permettraient de saisir les documents à nouveau. Ces mandats ont subséquemment été annulés. Le demandeur a ensuite intenté la présente action contre Revenu Canada par la voie d'une déclaration déposée le 15 septembre 1995 sollicitant, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, des dommages-intérêts exemplaires et punitifs en rapport avec les perquisitions illégales, des dommages-intérêts pour intrusion illicite, des dommages-intérêts pour pertes commerciales, le remboursement des honoraires de comptable et d'avocat avec intérêt et les dépens.

ANALYSE

[7]         De façon générale, la Cour permet à une partie de modifier ses actes de procédure à tout moment en cours d'instance, sous réserve de la protection des droits de toutes les parties (voir la règle 75). Les Règles prévoient qu'il peut être apporté une modification même si cette modification a pour effet d'ajouter une nouvelle cause d'action, si la nouvelle cause d'action naît de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux de la cause d'action pour laquelle la modification est demandée (voir la règle 201).

[8]         Par ailleurs, la jurisprudence ayant trait aux demandes d'autorisation de modifier montre que, à moins de raisons claires telles qu'une injustice qui serait faite à la partie adverse qui ne pourrait être corrigée par une adjudication de dépens, la modification devrait être permise. Par exemple, le juge Décary, de la Cour d'appel fédérale, a affirmé dans l'arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 :


même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice. [Non souligné dans l'original.]

[9]         Dans l'arrêt Scottish and York Insurance Co. c. Canada (1999), 239 N.R. 131, le juge Strayer, de la Cour d'appel, a affirmé :

Dans les circonstances, nous croyons que le juge des requêtes aurait dû accorder beaucoup plus de poids au principe selon lequel, en l'absence de préjudice causé à la partie adverse, une modification doit être accordée si elle est par ailleurs appropriée. [...] [Non souligné dans l'original.]

[10]       Le juge Pratte, au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Francoeur c. Canada, [1992] 2 C.F. 333, a aussi déclaré que :

[...] Selon les Règles 420(1), 424 et 427, un amendement qui a pour effet d'ajouter une nouvelle cause d'action après l'expiration de tout délai de prescription doit quand même être admis « s'il semble juste de le faire » et « si la nouvelle cause d'action naît de faits qui sont les mêmes ou à peu près les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d'action qui a déjà fait l'objet, dans l'action, d'une demande de redressement présentée par la partie qui demande la permission de faire l'amendement » .

[11]       La Cour permettra que l'on modifie une déclaration à moins que les modifications projetées ne créent un préjudice à la partie adverse qui ne peut être corrigé par l'adjudication des dépens. Cette attitude est clairement motivée par le désir de garantir que les vraies questions en litige entre les parties sont tranchées.


[12]       En l'espèce, les modifications projetées consistent principalement en de l'information générale qui servira à mettre les demandes originales en contexte. Ces modifications se rapportent en grande partie aux mêmes faits de base. Il faut noter que l'information que le demandeur désire ajouter à sa déclaration modifiée a été mise au jour au cours d'interrogatoires préalables et que, par conséquent, il ne s'agit pas d'éléments d'information qui se trouvaient en sa possession et qu'il aurait simplement omis d'inclure dans sa déclaration originale. À mon avis, les modifications projetées aideront le juge des faits dans son examen des questions en litige.

[13]       La modification projetée quant à l'ajout de la demande de dommages-intérêts généraux ne constitue pas, selon moi, une nouvelle cause d'action. La demande de dommages-intérêts généraux constitue une demande de réparation modifiée, comme le juge Martin l'a affirmé dans Jelin Investments Ltd. c. Signteck Inc. (1991), 44 F.T.R. 39 :

[...] Il est vrai qu'en vertu de cette règle, une nouvelle cause d'action peut être ajoutée par voie d'amendement à la déclaration malgré l'expiration du délai de prescription qui s'applique à cette cause d'action. Toutefois, je ne vois pas en quoi les amendements autorisés par le protonotaire-chef adjoint donnent lieu à de nouvelles causes d'action. Celui-ci a manifestement tenu compte du fait que les causes d'action, c'est-à-dire les faits qui donnent ouverture au redressement demandé, avaient déjà été alléguées. À mon avis, le fait de demander des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices à titre cumulatif, plutôt qu'à titre alternatif, ne saurait être assimilé à une nouvelle cause d'action mais seulement à une demande de redressement modifiée.

Pareillement, le fait de demander en outre des dommages-intérêts punitifs revient simplement à demander un redressement plus important. Or, comme l'a constaté le protonotaire-chef adjoint, les faits allégués dans la déclaration originale permettaient de prévoir qu'un tel redressement pouvait être demandé. À mon avis, cette demande ne donne pas lieu à une nouvelle cause d'action. [Non souligné dans l'original.]

[14]       En ce qui concerne l'argument de la défenderesse que les modifications projetées ne sont pas conformes aux Règles, il peut facilement être remédié à ce défaut par une ordonnance forçant le demandeur à s'y conformer.


[15]       La défenderesse affirme que la présente requête justifie la tenue d'une audience. Le juge Dawson, dans Behnke c. Canada (Ministère des Affaires extérieures), [2000] A.C.F. no 1166, a fait la revue des cas où il y a lieu de tenir une audience :

Dans la décision Sterritt c. Canada (1995), 98 F.T.R. 68, confirmé (1995), 98 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.), le protonotaire Hargrave, de la Cour, a examiné la jurisprudence se rapportant à la question de savoir dans quelles circonstances la Cour fera droit à une demande présentée par un défendeur en vue de la tenue d'une audience. Il s'agit notamment des circonstances suivantes : l'affaire est complexe; l'affaire soulève des questions d'intérêt public qui sont nouvelles et une audition orale faciliterait grandement la tâche de la Cour; l'affaire requiert l'appréciation de la crédibilité des témoins et la présentation d'une argumentation juridique exhaustive; il existe des raisons impérieuses de conclure que le demandeur est incapable de présenter adéquatement sa demande par écrit; l'affaire est urgente et peut être tranchée plus rapidement si une audition orale est prescrite; un si grand nombre de personnes sont intéressées à une affaire que la tenue d'une audience permettrait d'éviter une procédure par ailleurs lourde.

[16]       En l'espèce, la défenderesse n'a pas réussi à me convaincre que l'affaire ne peut pas correctement être jugée sur dossier. Ses arguments à l'appui d'une audience ne sont tout simplement pas suffisants.

CONCLUSION

[17]       À mon avis, les modifications projetées serviront principalement à clarifier la déclaration originale et ne causeront pas d'injustice à la défenderesse.


[18]       Pour ces motifs, la Cour autorise le demandeur à déposer et à signifier une nouvelle modification de sa déclaration dans les 30 jours de la présente ordonnance. S'il s'avérait nécessaire de procéder à de nouveaux interrogatoires préalables par suite de la modification, la défenderesse obtiendra les dépens quelle que soit l'issue de la cause. Les dépens de la requête suivront l'issue de la cause. La modification en question doit respecter les Règles.

                                                                                                                            « François Lemieux »          

                                                                                                  _____________________________

                                                                                                                                                     Juge                    

OTTAWA (ONTARIO)

27 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                                                                  T-1944-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 BRIAN DONOVAN

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE EXAMINÉE SUR LA BASE DES PRÉTENTIONS ÉCRITES

CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :    LE JUGE LEMIEUX

DATE :                                                                                    27 décembre 2000

ONT COMPARU :

David R. Oley                                                               pour le demandeur

Peter H. MacPhail                                                                     pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mockler Peters Oley Rouse & Williams                                     pour le demandeur

Fredericton (N.-B.)

Clark Drummie                                                              pour la défenderesse

Saint John (N.-B.)

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