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Date : 19990419


Dossier : T-1552-98

ENTRE :

     THE SCHWARZ HOSPITALITY GROUP LIMITED,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN ET

     LE DIRECTEUR DU PARC NATIONAL DE BANFF,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les défendeurs sollicitent la radiation de la demande de contrôle judiciaire en s'appuyant sur plusieurs moyens, dont la tardiveté du dépôt, le défaut de s'identifier lorsque la décision ou peut-être les décisions ont été communiquées pour la première fois à la demanderesse, le fait que la demande ne porte pas que sur une seule ordonnance comme l'exige la règle 302 et celui que l'intitulé de la cause nomme en qualité de défendeurs l'office fédéral qui a rendu la décision, vraisemblablement le ministre du Patrimoine canadien, contrairement à l'alinéa 303(1)a) des règles.



LA RADIATION D'UNE DEMANDE

[2]      Règle générale, il n'est pas approprié de contester une demande par voie de requête. À première vue, on peut envisager le recours à la règle 221 pour obtenir la radiation de ce qui fut, un temps, un avis de requête introductif d'instance et qui est maintenant un avis de demande. Le paragraphe 221(1) permet la radiation d'un acte de procédure. L'expression "acte de procédure" est définie en termes généraux à l'article 2 des Règles comme un "... acte par lequel une instance est introduite ... ", le terme instance étant lui aussi défini en termes généraux. Si la règle 221 ne peut être utilisée à cette fin, c'est qu'elle fait partie de la partie 4 des Règles de la Cour fédérale , qui ne s'applique qu'aux actions.

[3]      Ainsi, les avis de demande ne doivent pas être contestés et radiés par voie de requête. Il faut plutôt les contester à l'audition. Ce principe est énoncé de façon assez catégorique par monsieur le juge Muldoon dans la décision Khalil Hasan c. Canada (Procureur général), rendue le 11 mai 1998 dans les actions T-316-98 et T-379-98, mais non publiée, dans laquelle il donne pour instructions au défendeur de se concentrer sur l'audition même, et non sur une procédure sommaire en radiation : monsieur le juge Muldoon s'est reporté à différentes décisions, dont David Bull Laboratories (Canada) c. Pharmacia Inc. (1994), 176 N.R. 48 (C.A.F.). Dans l'arrêt David Bull, la cour d'appel fédérale a souligné que " ...le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductif d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même " (page 52). La Cour fédérale a néanmoins radié à l'occasion, dans des circonstances exceptionnelles, une demande de contrôle judiciaire qui ne pouvait être entendue. Monsieur le juge Strayer n'écarte pas le recours à cette solution, dans des cas limités, lorsqu'il fait remarquer que, dans une situation nettement exceptionnelle, lorsqu'une demande est à ce point irrégulière qu'il est carrément impossible qu'elle soit accueillie, elle peut être radiée :

                 Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. (Voir, p. ex., Cynamid Agricultural de Puerto Rico Inc. c. Commissaire des brevets (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l'analyse figurant dans la discussion Vancouver Island Peace Society et al. c. Canada (ministre de la Défense nationale) et al., [1994] 1 C.F. 102; 64 F.T.R. 127, pages 120 et 121 C.F. (1re inst.)). Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.      [pages 54 et 55]                 

[4]      Dans David Bull, monsieur le juge Strayer exprimait son avis; il ne tranchait pas un litige. Cependant, la Cour a effectivement radié des demandes à l'occasion : voir, par exemple, Canadian Pasta Manufacturers Association c. Aurora Importing & Distributing Ltd., arrêt non publié prononcé le 23 avril 1997 dans l'appel A-252-97. Dans Aurora Importing, la Cour d'appel fédérale a radié une demande de contrôle judiciaire dans un cas où elle estimait qu'elle n'avait aucune chance d'être accueillie. Bien que des demandes soient radiées à l'occasion, cela ne doit pas devenir une pratique courante. Sur ce point, je fais référence à la décision que j'ai moi-même rendue dans l'affaire Laura-Lee Brown c. Procureur général du Canada (1998), 148 F.T.R. 50, à la p. 56 :

                 Ce serait un gaspillage de temps et de ressources si les requêtes interlocutoires deviennent une pratique courante pour radier des procédures de contrôle judiciaire. Par ailleurs, on gaspillerait aussi sans raison du temps et des ressources en permettant qu'une demande de contrôle judiciaire inutile qui n'aboutirait à aucun résultat pratique, progresse au-delà d'une requête en radiation. C'est peut-être bien pour ces motifs que la Cour d'appel n'a pas écarté dans la cause David Bull Laboratories, la possibilité qu'une requête soit radiée en application de la règle 419, mais a établi un critère rigoureux en vertu duquel un avis de requête introductif d'instance doit être "... manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli" .                 

En résumé, pour obtenir la radiation d'une demande par voie de requête, le défendeur doit démontrer à la fois l'existence de circonstances exceptionnelles et le fait que la demande est " manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie ".

EXAMEN DE LA REQUÊTE

Le dépôt censément tardif de la demande de contrôle judiciaire et la communication de la décision

[5]      Comme premier moyen à l'appui de la radiation de la demande, les défendeurs font valoir qu'elle a été déposée plus de trente jours après que la demanderesse a été avisée de la décision contestée. Si c'est le cas, il s'agit d'un manquement au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En l'espèce, il y a deux raisons pour lesquelles la demande ne doit pas être radiée.

[6]      Premièrement, il ne suffit pas d'invoquer la prescription pour obtenir la radiation d'une déclaration. Dans le cas d'une action, la procédure appropriée consiste plutôt à plaider la prescription et d'inscrire l'affaire pour qu'elle soit tranchée sommairement : voir l'exposé sur ce point dans B.M.G. Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996), 67 C.P.R. (3d) 27 aux p. 33 et 34. Le même principe doit s'appliquer à la radiation d'un avis de demande. La présentation d'une requête afin d'obtenir la radiation d'une demande de contrôle judiciaire - procédure conçue, par nature, comme une procédure sommaire - c'est-à-dire la présentation d'une requête relativement à une requête, constitue un gaspillage de temps et de ressources pour toutes les personnes intéressées.

[7]      Le délai de prescription, qui peut ou non jouer effectivement en l'espèce, est une question dont les parties doivent débattre entièrement devant le juge lors de l'audition de la demande.

[8]      Cela nous amène au deuxième point. Aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui fixe un délai de trente jours pour l'introduction d'une procédure de contrôle judiciaire, il s'agit des trente jours qui suivent " ... la première communication , par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance ... à la partie concernée ... ", mais un juge de la Section de première instance a le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai. En l'espèce, il paraît possible d'invoquer des arguments défendables quant à la question de savoir quand la décision contestée a été communiquée à la demanderesse, à supposer qu'elle l'ait été.

[9]      La demanderesse invoque l'arrêt Atlantic Coast Scallop Fishermen's Association et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1995), 189 N.R. 220, de la Cour d'appel fédérale, dans laquelle la Cour a souligné, à la page 222, l'obligation de l'office fédéral de communiquer lui-même la décision aux parties directement touchées. La Cour d'appel a mentionné récemment l'affaire Atlantic Coast Scallop Fishermen's dans l'arrêt Independent Contractors and Business Association c. Le ministre du Travail, non publié, prononcé le 12 mars 1998 dans l'appel A-288-97:

                 [18]      Comme la Cour le signale dans l'arrêt Atlantic Coast Scallop Fishermen's Association et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1995), 189 N.R. 220, à la page 222, le paragraphe 18.1(2) exige de l'instance décisionnelle qu'elle accomplisse un acte positif quelconque pour communiquer ses décisions aux parties directement touchées.                 
                      [non souligné dans l'original]                 

[10]      la demanderesse en l'espèce estime que la décision du ministre ne lui a jamais été communiquée. De plus, il soutient que cette décision consiste en un processus continu.

[11]      La notion de décision qui ne constitue pas une décision écrite statique, mais une décision qui s'étale dans le temps, une décision mouvante, qui consiste en un processus continu, a été examinée dans deux décisions récentes. Premièrement, dans Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada, [1993] 3 C.F. 557, le juge Gibson percevait la décision en cause comme une question qui " ... consiste en un processus continu et non pas en telle ou telle décision ou ordonnance, c'est pourquoi il est impossible de relever des dates précises ... " (page 568). De même, dans Hunter et al. c. Commissaire du Service correctionnel (Can.) et al. (1998), 134 F.T.R. 81 à la page 85, le juge Lutfy a jugé que la décision d'installer un nouveau système téléphonique dans les établissements correctionnels s'étalait dans le temps, peut-être entre novembre 1995 et avril 1996.

[12]      Compte tenu du litige quant à savoir quand la décision a été communiquée, par des mesures positives, le cas échéant, et peut-être quand elle a été rendue, la présente demande n'est pas " manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie " aux fins de la prescription invoquée.

Contrôle d'une seule ordonnance

[13]      Les défendeurs font valoir que l'avis de demande ne porte pas sur une seule ordonnance comme l'exige la règle 302. Précisons d'emblée que la règle 302 comporte un pouvoir discrétionnaire :

                 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.                 

La première idée qui vient à l'esprit est que la règle accessoire, en vertu des anciennes règles, le paragraphe 1602(4), ne conférait au juge aucun pouvoir discrétionnaire pour lever l'interdiction de présenter une demande de contrôle qui porte sur plus d'une décision. Toutefois, et je me reporte ici à la décision Puccini, précitée, un principe veut aussi que ce type de règle puisse recevoir une interprétation large dans le cas où plusieurs décisions ou ordonnances ont déjà été prises : Puccini à la page 568. la demanderesse en l'espèce soutient que le directeur a rendu plusieurs décisions interreliées, qu'un examen des différentes mesures prises avec succès par la demanderesse pour mettre son projet en oeuvre se poursuit et que le ministre du Patrimoine canadien a décidé d'imposer un moratoire. Il allègue en outre que le directeur du Parc national de Banff aurait très bien pu donner son approbation définitive, la seule étape qu'il reste à franchir, n'eut été le moratoire et que les décisions en cause consistent donc en un processus continu et non en telle ou telle décision. Cet élément peut être difficile à démontrer, mais je ne peux affirmer que la position de la demanderesse est tellement désespérée qu'elle est irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être retenue.

Le défendeur approprié

[14]      Le dernier moyen invoqué par le défendeur, selon lequel l'avis de demande ne devait pas désigner, en qualité de défendeur, l'office fédéral, vraisemblablement le ministre du Patrimoine canadien, est plus difficile à trancher. La question du défendeur approprié a posé problème à l'occasion depuis la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 3 C.F. 447, dans laquelle la Cour d'appel fédérale a statué que l'office fédéral visé par le contrôle en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cor fédérale n'était peut-être pas un défendeur. La règle 303, qui traite des défendeurs dans une procédure de contrôle judiciaire, codifie l'état du droit postérieur à la décision Bernard :

                 303.(1) Défendeurs - Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :                 
                      a) toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;                 
                 (2) Demande de contrôle judiciaire - Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n'est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.                 
                 (3) Remplaçant du procureur général - La Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d'agir à titre de défendeur ou n'est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l'office fédéral visé par la demande.                 

La règle 303 établit clairement que doit être désignée comme défendeur toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée " autre que l'office fédéral visé par la demande ". Dans l'affaire Bernard , la Cour d'appel a établit clairement que l'office fédéral n'est pas une partie à l'instance et ne peut donc pas être désigné comme défendeur. Dans l'affaire Bernard, l'office fédéral désigné à tort en qualité de défendeur, n'avait pas cette qualité et il ne devait pas être autorisé à participer à l'instance, à moins d'avoir demandé l'autorisation d'y participer en qualité d'intervenant en vertu de l'ancienne règle 1611. C'est un des problèmes que le juge Heald a dû trancher dans l'affaire Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et al. (1997), 117 F.T.R. 129 et qu'il a résolu, lors de l'audition, en supprimant l'office fédéral en qualité de défendeur, mais en l'ajoutant en qualité d'intervenant. Dans l'affaire Zündel, il restait un défendeur, savoir le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

[15]      En l'espèce, si l'on tient pour acquis que c'est le ministre du Patrimoine canadien qui a rendu la décision, il est clair qu'il ne peut être partie à la demande. Le directeur du parc national de Banff est vraisemblablement un défendeur superflu. Néanmoins, les juges de la Cour font preuve de créativité en ce qui concerne les défendeurs lorsque les circonstances l'exigent. Dans l'affaire Vancouver Island Peace Society c. Canada (1993), 64 F.T.R. 127, monsieur le juge MacKay n'était pas disposé à rejeter une demande de certiorari simplement parce que le procureur général n'avait pas été joint à l'instance en qualité de représentant légal du gouverneur général en conseil. Le juge MacKay, a tiré cette conclusion en soulignant que, quoi qu'il en soit, le procureur général avait déjà reçu signification en vertu de la règle 1604, à laquelle a succédé le sous-alinéa 304(1)b)(iii). Monsieur le juge Heald a lui aussi fait preuve de créativité dans l'affaire Zündel précitée, en permettant une modification à l'instruction afin de désigner comme intervenant l'office fédéral désigné à tort en qualité de défendeur.

[16]      Une telle créativité, dans les cas où l'office fédéral est irrégulièrement désigné en qualité de défendeur, ne permettra peut-être pas à la demanderesse de s'en tirer, sans compter qu'il est possible qu'un juge refuse d'autoriser la modification appropriée. Toutefois, la désignation d'un office fédéral en qualité de défendeur n'est pas toujours fatale, depuis l'affaire Bernard. En fin de compte, on ne peut trancher la présente requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire en raison de la désignation de l'office fédéral en qualité de défendeur en statuant qu'il s'agit d'une situation manifestement irrégulière au point qu'elle n'a aucune chance de succès.



CONCLUSION

[17]      Le résultat de la requête du défendeur ne consiste pas à dire que la demanderesse aura vraisemblablement gain de cause ni même qu'il est possible qu'elle ait gain de cause, mais plutôt qu'il ne s'agit pas du cas exceptionnel mentionné par le juge Strayer dans David Bull, précité. La requête est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.


" John A. Hargrave "

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

19 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1552-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      The Schwartz Hospitality Group Limited

                                 c.

                     Le ministre du Patrimoine canadien et

                     Le directeur du parc national de Banff


REQUÊTE TRANCHÉE SUR LA BASE DE PRÉTENTIONS ÉCRITES, SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE LE 19 AVRIL 1999

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Kirk N. Lambrecht              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Judson E. Virtue              POUR LA DEMANDERESSE

MacLeod Dixon

Calgary (Alberta)

Kirk N. Lambrecht              POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

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