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T-2285-95

ENTRE :


GAÉTAN DELISLE,


Requérant,


c.


D.R.A. SUGRUE,

Commandant de la Gendarmerie royale du Canada (G.R.C.)


et


PHILIP H. MURRAY,

Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (G.R.C.)


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


Intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

     Il s'agit d'un appel logé par le Procureur général à l'encontre d'une décision intérimaire rendue par le protonotaire séance tenante le 13 janvier 1997.1 Cette décision fut conciliée dans un écrit en date du 7 février 1997 et des motifs furent alors adjoints à la décision.

     Les circonstances qui ont donné lieu à cet appel sont relatées dans la décision du protonotaire. Il suffit de dire aux fins des présentes qu'un certificat a été produit par le greffier du Conseil privé aux termes de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada2 en marge d'un contrôle judiciaire qui avait été déposé par le requérant. Par ce certificat, le greffier du Conseil privé s'opposait à la "divulgation" de certains renseignements contenus dans la requête pour contrôle judiciaire ainsi que l'affidavit, les pièces et le dossier qui par la suite furent déposés. Les renseignements en question étaient déjà consignés au dossier de la Cour depuis les mois de novembre et décembre 1995 lorsque le certificat fut produit en date du 4 novembre 1996, immédiatement avant que l'audition de la requête pour contrôle judiciaire ne débute.

     C'est ce jour même après que le certificat eût été produit que la Juge Tremblay-Lamer disposa de la requête du requérant en la rejetant. Dans ses motifs, elle note simplement le fait que les avis requis par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'avaient pas été donnés. Aucune mention n'est faite du certificat.3 La décision de la Juge Tremblay-Lamer ne fut pas portée en appel.

     L'affaire étant close,4 le greffe conscient du fait qu'un certificat avait été déposé demanda à la Juge des directives quant au sort du dossier. Celle-ci indiqua qu'en l'absence d'une requête émanant du Procureur Général, aucune directive particulière ne serait donnée quant au traitement à accorder au dossier. L'avocat du Procureur général fut avisé en conséquence et c'est ainsi que le 12 décembre 1996, il déposait une requête dans laquelle il demandait "que le dossier soit gardé confidentiel" de façon permanente.

     L'affaire devait être entendue par le protonotaire le 14 janvier 1997. L'audition de la requête fut précédée d'une requête préliminaire du Procureur général par laquelle il demandait le huis clos. L'audition de cette requête préliminaire perdura si bien qu'elle dû être ajournée. Par la même occasion la requête principale du Procureur général fut également ajournée.

     C'est lors de cet ajournement que l'avocat du Procureur général demanda que le dossier soit gardé sous scellé sur une base intérimaire jusqu'à l'adjudication de sa requête principale. Le protonotaire rejeta cette requête séance tenante. Suite à cette décision, le greffe de la Cour leva le sceau de confidentialité qui avait été apposé au dossier se conformant ainsi à la directive qui avait été émise par la Juge Tremblay-Lamer. C'est de cette décision du protonotaire par laquelle il refusa d'ordonner que le dossier soit exclu du domaine publique sur une base intérimaire que le Procureur général en appelle.

     L'appel doit être rejeté. À mon avis c'est à bon droit que le protonotaire a mis en question le sérieux de la démarche entamée par le Procureur général pour obtenir le scellé du dossier. L'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada n'a pas la portée que le Procureur général semble vouloir y attribuer. Dans l'affaire Best Cleaners and Contractors Ltd.,5 la Cour d'appel fédérale a eu l'occasion de considérer l'effet de cet article dans un contexte semblable au nôtre.

     Dans cette affaire, un certificat avait été émis par le greffier du Conseil privé à l'égard de certains renseignements issus d'un examen au préalable. Lors du procès, le Juge de première instance se fondant sur le certificat refusa de prendre connaissance de cette preuve et en interdit la production. Les renseignements en question avaient été révélés par le témoin avant que ne soit émis le certificat.

     Dans le cadre d'une décision majoritaire rendue sans toutefois qu'une dissidence soit exprimée sur ce point, la Cour d'appel conclut que le Juge de première instance avait eu tort d'exclure la preuve en question. Soulignant en particulier le fait que les renseignements avaient déjà été divulgués au moment de l'audition, le Juge Mahoney exprima l'opinion suivante :

              L'article 36.36 repose sur le principe suivant lequel le Conseil privé de sa Majesté pour le Canada sera suffisamment avisé pour ne pas divulguer les renseignements qu'il juge confidentiels et suivant lequel ce n'est que devant "le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements" qu'il est nécessaire d'invoquer le droit à la confidentialité prévu par la Loi. Une lecture objective de cet article révèle qu'il protège de la contrainte de divulguer ces renseignements et non de leur admission en preuve si ils sont obtenus autrement que par l'exercice, par le tribunal, de son pouvoir de contraindre à leur production.         
              C'est faire preuve de beaucoup d'irréalisme que de prétendre que le dépôt d'une certificat a pour effet d'effacer la production de renseignements déjà légalement divulgués à la partie adverse dans une procédure judiciaire. Tous ceux qui possèdent un intérêt légitime dans ces renseignements les ont en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la confidentialité de ces renseignements uniquement vis-à-vis de la Cour, dans un tel cas, sous-entend l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à l'administration de la justice et ce, sans aucun motif légitime apparent. Le Parlement n'a pas exprimé une telle intention et la lui prêter est tout simplement choquant.         
              À mon avis, le certificat produit dans le cadre de la présente action ne fait pas obstacle à la recevabilité en preuve des documents (a), (b), (c) ou (d) ni à la recevabilité de documents précisés dans le certificat si ils ont dans les faits été produits à l'interrogatoire au préalable, ni à la recevabilité de l'interrogatoire au préalable traitant de ces documents recevables.7         

     Or dans l'instance, les renseignements en question sont au vu et su de tous depuis novembre et décembre 1995. La Juge Tremblay-Lamer a pris connaissance de ces renseignements puisque ce n'est que le jour même de l'audition que le certificat fut produit. Le Juge Denault en aurait aussi pris connaissance dans le cadre d'une requête préliminaire qui fut présentée devant lui.

     Comme le fait remarquer le Juge Mahoney, l'article 39 a pour but de prévenir la divulgation de renseignements confidentiels en empêchant les tribunaux d'en contraindre la divulgation et d'en prendre connaissance. Il n'a pas cependant d'effet à l'égard de renseignements qui ont déjà été divulgués. Quoique l'on puisse dire de l'effet de l'article 39 sur le pouvoir d'un tribunal de considérer et prendre connaissance de la preuve devant lui, il me semble évident que cet article n'autorise pas un tribunal à ordonner que des renseignements qui ont déjà été divulgués devant lui soient par la suite soutirés du domaine publique. Le protonotaire a conclu que le droit du Procureur général au scellé du dossier lui semblait trop incertain pour justifier une ordonnance intérimaire; il s'agit là d'une conclusion qui était justifiée à la lumière du droit applicable.8

     Le Procureur général prétend aussi que le protonotaire n'avait pas la compétence pour rendre l'ordonnance attaquée. Il se fonde à cet égard sur l'article 4 de l'ordonnance du Juge en chef adjoint datée du 31 octobre 1985 concernant les pouvoirs des protonotaires. Le texte anglais de cet article est cité par le Procureur général :

         Under rule 336(1)(g) the Senior Prothonotary and the Associate Senior Prothonotary are empowered to hear and dispose of any interlocutory application in the Trial Division other than the following, that is to say:         
         4.      any application for an order for disclosure of information or documents which in their nature are confidential or in respect to which a direction to withhold them from public inspection has been given by a judge.         

     Compte tenu de cette ordonnance, le Procureur général prétend que la compétence du protonotaire ne lui permettait que d'accorder la requête intérimaire puisqu'en la refusant il autorisait indirectement la divulgation de renseignements confidentiels.

     Je ne peux non plus donner suite à cet argument. Le protonotaire n'avait pas devant lui une requête visant à contraindre la divulgation de renseignements ou de documents. Il s'agissait au contraire d'une requête qui visait à empêcher une telle divulgation. Je répète à cet égard que l'article 39 ne peut avoir d'effet au delà de ce qui y est prévu. Or dans l'instance, le certificat à cause de son dépôt tardif n'a eu aucun des effets prévus à l'article 39; il a tout simplement été déposé trop tard. C'est par pure courtoisie que le greffe de la Cour a accordé un certain temps au Procureur général pour faire valoir ses droits à l'égard des renseignements visés par le certificat. En principe ces documents appartenaient au domaine publique.

     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

     Marc Noël

     Juge

Ottawa, Ontario

Le 24 février 1997

__________________

     1      Cet appel fut entendu et jugé d'urgence en Cour de requête à la demande du Procureur général du Canada.

     2      L.R.C. (1985), ch. C-5. L'article 39(1) se lit comme suit :          (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

     3      Puisque le certificat fut déposé qu'au cours de l'instance, ma consoeur aurait nécessairement pris connaissance du dossier et de son contenu avant l'audition sans égard au certificat.

     4      La décision de la Juge Tremblay-Lamer ne fut pas portée en appel.

     5      Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine [1985], 2. C.F. 293.

     6      Maintenant l'article 39.

     7      Idem, Note 8, Page 311. L'avocat du Procureur général a tenté de distinguer cet arrêt au motif que les renseignements dans la présente affaire auraient été obtenus ou divulgués de façon irrégulière ou illégale. La seule preuve qu'il a invoqué à cet égard est un affidavit qu'il a produit mais qu'il a ensuite retiré avant que sa signataire ne puisse être contre-interrogée. Il s'agit là d'une preuve que je ne pourrais retenir.

     8      La seule décision qui peut sembler jeter ombrage sur la décision de la Cour d'appel dans Best Cleaners est celle de la Section de première instance dans Samson v. Canada [1996]2 C.F. 483. Dans cette affaire le Juge MacKay a refusé d'appliquer l'arrêt Best Cleaners tout en reconnaissant que cet arrêt conservait tous ses effets à la lumière des faits particuliers là en cause notamment :
         Compte tenu du fait que des renseignements qui avaient par la suite fait l'objet d'une attestation en vertu de l'article 39 avaient déjà été divulgués lors de l'interrogatoire préalable, et en tenant compte du dépôt tardif de l'attestation, la veille de la date fixée pour l'ouverture du procès (page 522). (Le souligné est le mien.)
     Or, ces deux facteurs sont présents dans la présente affaire, et sont préciséments ceux sur lesquels le protonotaire a fondé sa décision.

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