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Date : 20030319

Dossier : IMM-2236-02

Référence neutre : 2003 CFPI 326

Toronto (Ontario), le mercredi 19 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                 XIN TONG HUANG

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Xin Tong Huang (le demandeur) est un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine). Il est arrivé au Canada en décembre 2000 et a revendiqué immédiatement le statut de réfugié au sens de la Convention. Il prétendait craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui étaient imputées. Après avoir entendu sa revendication du statut de réfugié le 5 mars 2002, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué, le 19 avril suivant, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision au motif qu'il n'avait pas eu droit à des services d'interprétation adéquats et que la Commission avait eu tort de conclure qu'il n'était pas crédible.

Contexte

[2]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a expliqué que son entreprise de fabrication de briques avait été fermée par les autorités chinoises en mai 2000 parce que le terrain devait servir à la construction d'une route menant à l'aéroport. En novembre 2000, le demandeur et deux autres copropriétaires de l'usine se sont présentés aux bureaux des autorités gouvernementales locales pour les critiques et pour protester contre l'indemnité qui leur avait été versée pour l'expropriation de l'entreprise. La police a été appelée sur les lieux et a procédé à des arrestations. Le demandeur prétend qu'il a été battu par des policiers, mais qu'il a pu prendre la fuite et se cacher dans une autre province. Il s'est enfui au Canada en utilisant un faux passeport obtenu auprès d'un mandataire, et il a revendiqué le statut de réfugié. Depuis son arrivée au Canada, le demandeur a appris que ses collègues sont toujours détenus. Il craint d'être arrêté et emprisonné s'il retourne en Chine.


[3]                 Le demandeur ne parlant pas anglais, un interprète mandarin était présent à l'audience devant la Commission. Après l'audience, le demandeur a écouté l'enregistrement de celle-ci avec un interprète. Il a découvert que l'interprète présent à l'audience avait commis plusieurs erreurs dans l'interprétation de l'anglais au mandarin et du mandarin à l'anglais.

[4]                 Après avoir examiné toute la preuve qui lui avait été présentée, la Commission n'était pas convaincue qu'il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté pour l'un des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié s'il retournait en Chine. La crédibilité était l'élément déterminant de la décision de la Commission.

[5]                 La Commission a conclu que le demandeur avait peut-être travaillé dans une usine de fabrication de briques, mais il n'était pas propriétaire de l'entreprise et il n'a pas arrêté de travailler parce que les autorités avaient besoin de l'usine en vue de la construction d'une route. La Commission était d'avis que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n'avait pas formulé de plaintes aux autorités gouvernementales ni protester. La Commission ne croyait pas que le demandeur avait été battu, qu'il avait vécu dans la clandestinité et qu'il était maintenant recherché par les autorités chinoises ou pour quelque raison que ce soit. En conséquence, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour conclure qu'il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner en Chine.


Questions en litige

[6]                 Les questions en litige en l'espèce peuvent être formulées de la manière suivante :

            1.         Les erreurs relevées dans l'interprétation ont-elles empêché le demandeur d'avoir une audition équitable et ont-elles porté atteinte aux droits qui lui sont garantis à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

Analyse

[7]                 Je suis d'avis, pour les motifs qui sont exposés ci-dessous, que la décision de la Commission doit être infirmée parce que le demandeur n'a pas eu droit à une interprétation fidèle et effectuée par une personne compétente, contrairement à ce qui est garanti à l'article 14 de la Charte.

Question no 1 : Les erreurs relevées dans l'interprétation ont-elles empêché le demandeur d'avoir une audition équitable et ont-elles porté atteinte aux droits qui lui sont garantis à l'article 14 de la Charte?


[8]                 Le demandeur a droit, en vertu de l'article 14 de la Charte, à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Il n'est pas tenu de démontrer qu'il a subi un préjudice réel par suite du manquement à la norme d'interprétation pour que la Cour puisse modifier la décision de la Commission (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 85 (C.A.), autorisation d'appel rejetée, [2001] S.C.C.A. no 435 (QL); R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951).

[9]                 Le défendeur prétend que la question de la qualité de l'interprétation ne devrait pas être soulevée pour la première fois dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire (Mohammadian, précité; Babir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 885, [2001] A.C.F. no 1244 (QL); Dhot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 881, [2001] A.C.F. no 1264 (QL)). Lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'il le fasse, par exemple lorsqu'il a de la difficulté à comprendre l'interprète, le demandeur doit s'opposer à la qualité de l'interprétation devant la Commission pour pouvoir soulever cette question au soutien d'une demande de contrôle judiciaire. Dans l'arrêt Mohammadian, précité, la Cour d'appel fédérale a adopté les conclusions tirées par le M. le juge Pelletier en première instance relativement à la renonciation ([2000] 3 C.F. 371, aux paragraphes 27 et 28) :

...les plaintes portant sur la qualité de l'interprétation doivent être présentées à la première occasion, savoir devant la SSR, chaque fois qu'il est raisonnable de s'y attendre.


La question de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l'interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l'audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s'attendre à ce qu'il y ait eu plainte à ce moment-là.

[10]            En l'espèce toutefois, il n'est pas raisonnable, à mon avis, de s'attendre à ce que le demandeur ait fait état des problèmes d'interprétation à l'audience. Le demandeur ne parle pas et ne comprend pas l'anglais, contrairement au demandeur dans l'affaire Babir, précitée. En outre, rien n'indique que le demandeur ne pouvait pas comprendre l'interprète, comme ce fut le cas dans l'affaire Dhot, précitée. Le problème en l'espèce concernait plutôt la mauvaise traduction de l'anglais au mandarin et du mandarin à l'anglais faite par l'interprète. On ne pourrait pas s'attendre à ce que le demandeur, qui ne parlait pas anglais, relève les erreurs dans la traduction faite par l'interprète. Le demandeur n'a donc pas renoncé à son droit de soulever la question de la qualité de l'interprétation dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire.

[11]            Le demandeur prétend que l'interprète a commis plusieurs erreurs à l'audience. Selon l'affidavit de Yimin Wu, l'interprète a notamment mal traduit différentes dates données par le demandeur, confondu les termes et expressions [traduction] « protester » , [traduction] « se plaindre » , [traduction] « discuter » et [traduction] « parler » , et donné au mot [traduction] « éloigné » le sens de [traduction] « transporté » .

[12]            La transcription indique qu'il y avait une certaine confusion concernant la date de la protestation et la date de la première visite du demandeur aux bureaux des autorités gouvernementales en vue de se plaindre. Il semble que cette confusion soit attribuable principalement au fait que l'interprète a employé indifféremment les termes et expressions [traduction] « protester » , [traduction] « se plaindre » , [traduction] « discuter » et [traduction] « parler » . L'échange suivant entre l'ACR et le demandeur, qui figure aux pages 117 et 118 du dossier certifié du tribunal, donne un exemple de cette confusion :

[traduction]

ACR :       Lorsque vous êtes allé vous plaindre le 3 novembre, étiez-vous seul?

REVENDICATEUR :            Je suis allé protester après le 20 novembre.

[13]            Un autre échange semblable a eu lieu plus tôt au cours de l'audience. La Commission s'est appuyée sur le témoignage contradictoire sur cette question pour mettre en doute la crédibilité du demandeur et pour conclure que celui-ci ne s'est pas adressé aux autorités gouvernementales pour quelque raison que ce soit.


[14]            Selon l'affidavit de Yimin Wu, l'interprète n'a pas toujours traduit fidèlement les dates; il a notamment commis des erreurs relativement à la date de destruction de l'usine. De plus, l'interprète a indiqué, au cours de l'audience, qu'il avait de la difficulté à comprendre les chiffres prononcés par le demandeur. Compte tenu de cette confusion, il est impossible de dire si le demandeur a effectivement donné des dates contradictoires concernant des événements pertinents ou si ces dates étaient attribuables à une mauvaise traduction de l'interprète. Or, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible à cause notamment de ces contradictions.

[15]            Il ressort aussi de la transcription qu'il y avait de la confusion relativement à la question de savoir si le demandeur avait été transporté ou éloigné après avoir été battu par les policiers. Selon l'affidavit de Yimin Wu, le demandeur a témoigné qu'il avait été éloigné, mais l'interprète a indiqué qu'il avait été transporté. La transcription permet de croire qu'il est très possible que les choses se soient passées ainsi. La Commission s'est aussi fondée sur cette contradiction pour mettre en doute la crédibilité du demandeur.


[16]            Il y a donc des éléments de preuve démontrant que l'interprète a commis des erreurs dans la traduction. Contrairement à ce que la Cour a dit dans Basyony c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 427, au paragraphe 8 (1re inst.) (QL), il ne s'agit pas en l'espèce de différences de nuances dans le texte original et dans la traduction. Les erreurs ne sont pas ici sans importance : elles touchent au fondement même du rejet de la revendication. La Commission s'est fondée, à tout le moins en partie, sur les erreurs de traduction pour conclure que le demandeur n'était pas crédible. Elle a rejeté la revendication du demandeur principalement en raison de cette conclusion défavorable concernant la crédibilité. À mon avis, le demandeur n'a pas eu droit, contrairement à ce qui est garanti à l'article 14 de la Charte, à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Comme la crédibilité du demandeur était l'élément déterminant en l'espèce, cela est suffisant pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

Question no 2: La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[17]            Le défendeur soutient que, même s'il y a eu manquement à la justice naturelle en l'espèce, un tel manquement n'a pas d'importance puisqu'il ressort clairement de la preuve que le demandeur n'était pas un témoin crédible, indépendamment de toute prétendue erreur d'interprétation (Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 55, [2002] A.C.F. no 178 (QL); Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL)). Selon le défendeur, la Commission pouvait raisonnablement, sur la foi du dossier, arriver aux conclusions qu'elle a tirées, et elle n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur n'était pas crédible (Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.) (QL); Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732(C.A.) (QL); Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1983] A.C.F. no 129 (C.A.) (QL)).

[18]            Il ressort clairement de l'affidavit de Yimin Wu et de la transcription que la Commission a fondé ses conclusions relatives à la crédibilité en partie sur des conclusions de fait erronées attribuables à des problèmes d'interprétation.


[19]            Bien que la Commission ait donné d'autres motifs pour expliquer sa conclusion défavorable concernant la crédibilité, il est impossible de savoir si la crédibilité du demandeur aurait été mise en doute n'eût été de toutes les erreurs de traduction dont il a été question précédemment. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

Question à des fins de certification

[20]            Aucune partie n'a soulevé une question à des fins de certification.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision. Aucune question n'est certifiée.

    « Judith A. Snider »

ligne

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-2236-02

INTITULÉ :                                                        XIN TONG HUANG

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                          Le mardi 18 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Madame le juge Snider

DATE DES MOTIFS :                                     Le mercredi 19 mars 2003

COMPARUTIONS :

Nancy Myles Elliott                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Myles Elliott                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocate

100, promenade Allstate

Bureau 503

Markham (Ontario) L3R 3H6

Morris Rosenberg                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                              Date : 20030319

                                                               Dossier : IMM-2236-02

ENTRE :

XIN TONG HUANG

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                            

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