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                                                                                                                                 Date : 20040819

                                                                                                                             Dossier : T-290-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1155

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 19 AOÛT 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

              LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                            BERNICE HEAMAN

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Depuis février 1998, Mme Heaman est admissible à des prestations de sécurité de la vieillesse, en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, chapitre O-9, et modifications (la « LSV » ). Durant l'année 2000, Mme Heaman, qui a pris sa retraite de la fonction publique fédérale en 1994, a reçu un versement non récurrent au titre de l'équité salariale. Le demandeur, le ministre du Développement des ressources humaines (le « ministre » ), a considéré que les sommes reçues au titre de l'équité salariale constituaient un ajustement salarial rétroactif dont il devrait être tenu compte dans le calcul du supplément de revenu garanti de la défenderesse (le « supplément » ). Cet ajustement réduisait de plus de 100 $ par mois le supplément de Mme Heaman. Mme Heaman a été informée de cette décision par lettre datée du 24 décembre 2001, dans laquelle on pouvait lire : « Vous pouvez faire appel à un tribunal de révision » .

[2]         Mme Heaman a fait appel à un tribunal de révision, qui l'a entendue et qui a fait droit à son appel dans une décision datée du 20 janvier 2003. Le tribunal de révision écrivait ce qui suit :

[traduction] Il n'existait aucun précédent persuasif donnant à entendre que ces sommes n'auraient pas dû être considérées comme un revenu gagné pour l'année 1994... ou une année antérieure, ou comme une somme forfaitaire en application du Guide d'administration de la sécurité de la vieillesse. En conséquence, la somme reçue ne devrait pas être prise en compte dans le calcul du supplément de revenu garanti de l'appelante.

[3]         Le ministre sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]         Le point déterminant de cette demande est celui de savoir si le tribunal de révision a outrepassé sa compétence lorsqu'il a jugé l'appel de Mme Heaman au lieu de le renvoyer à la Cour canadienne de l'impôt.


[5]         Selon le demandeur, le tribunal de révision n'était pas compétent pour juger l'appel de Mme Heaman. Il dit que la LSV obligeait le commissaire des tribunaux de révision à renvoyer à la Cour canadienne de l'impôt l'appel de Mme Heaman. La présente demande soulève un point de droit. S'agissant de l'interprétation des lois, le tribunal de révision n'est pas dépositaire de connaissances spécialisées que n'aurait pas la Cour fédérale. Un tribunal de révision comprend trois membres, dont l'un seulement d'entre eux doit être membre du barreau d'une province (alinéa 82(7)a) de la LSV). L'objet de la LSV n'est indiqué nulle part dans la Loi, et le Régime de pensions du Canada ne confère aucun droit d'appel ni ne contient aucune clause privative en ce qui a trait aux décisions du tribunal de révision. La norme de contrôle qu'il faut appliquer est donc celle de la décision correcte. Cette norme de contrôle a également été acceptée par le juge MacKay dans l'affaire Procureur général du Canada c. Comeau, 2004 CF 1034, où la Cour avait affaire à une demande de même nature.

[6]         Mme Heaman n'a pas accepté la décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 27.1(2) de la LSV. Elle a donc fait appel de cette décision à un tribunal de révision, en application du paragraphe 28(1) de la LSV :


(1) L'auteur de la demande prévue au paragraphe 27.1(1) qui se croit lésé par la décision révisée du ministre -- ou, sous réserve des règlements, quiconque pour son compte -- peut appeler de la décision devant un tribunal de révision constitué en application du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada.

(1) A person who makes a request under subsection 27.1(1) and who is dissatisfied with the decision of the Minister in respect of the request, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal under subsection 82(1) of the Canada Pension Plan.


[7]         Cependant, le paragraphe 28(2) de la LSV est ainsi rédigé :



Lorsque l'appelant prétend que la décision du ministre touchant son revenu ou celui de son époux ou conjoint de fait, ou le revenu tiré d'une ou de plusieurs sources particulières, est mal fondée, l'appel est, conformément aux règlements, renvoyé pour décision devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision de la Cour est, sous la seule réserve des modifications que celle-ci pourrait y apporter pour l'harmoniser avec une autre décision rendue aux termes de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt ...


[8]            L'emploi du présent de l'indicatif (ou du mot « shall » dans la version anglaise) au paragraphe 28(2) de la LSV donne à entendre que le pouvoir du tribunal de révision n'est pas facultatif ou discrétionnaire. Un appel concernant le « revenu » de l'appelant est nécessairement renvoyé pour décision devant la Cour canadienne de l'impôt. Comment alors le mot « revenu » est-il défini? L'article 2 de la LSV donne la définition suivante :


_revenu_ Le revenu d'une personne pour une année civile, calculé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu ...

_income_ of a person for a calendar year means the person's income for the year, computed in accordance with the Income Tax Act ...


[9]         Selon un avis de nouvelle cotisation pour l'année 2000, qui fait partie du dossier de la présente instance, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) a considéré la somme reçue par Mme Heaman au titre de l'équité salariale comme un revenu gagné cette année-là aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'unique fondement de l'appel de Mme Heaman au tribunal de révision est le suivant : la somme reçue par elle en 2000 au titre de l'équité salariale devrait-elle être considérée comme un revenu gagné durant cette année civile, aux fins du calcul du supplément qui lui est payable? Le paragraphe 28(2) de la LSV entre donc en ligne de compte.


[10]       La compétence d'un organe officiel tel que le tribunal de révision est limitée à celle que prévoit sa loi organique (affaire Comeau, précitée). Vu le grief d'appel de Mme Heaman et le texte impératif du paragraphe 28(2) de la LSV, le tribunal de révision a outrepassé sa compétence lorsqu'il a jugé l'appel de Mme Heaman. Le tribunal de révision était tenu, en application du paragraphe 28(2) de la LSV, de renvoyer l'appel de Mme Heaman devant la Cour canadienne de l'impôt pour décision. Par conséquent, la décision du tribunal de révision devrait être annulée.

[11]       En arrivant à cette conclusion, je souscris à la décision à laquelle est arrivée mon collègue le juge MacKay dans l'affaire Comeau, précitée. Les sommes en cause dans ce précédent se composaient d'un REER que Mme Comeau avait encaissé, et il ne s'agissait donc pas comme c'est le cas ici d'une somme versée au titre de l'équité salariale, mais le raisonnement du juge MacKay sur cet aspect de la compétence est également applicable aux circonstances dont je suis saisie. Comme c'était le cas dans l'affaire Comeau, le tribunal de révision n'a pas le pouvoir de dicter la manière dont le ministre devait traiter le revenu de Mme Heaman pour l'année en question.

[12]       Je suis contrainte d'annuler la décision du tribunal de révision parce qu'il n'était pas compétent, mais ce qui me trouble, c'est que le ministre n'ait pas soulevé cette exception d'incompétence avant ou durant l'audience du tribunal de révision. En conséquence, Mme Heaman et sa famille - des retraités et plaideurs autoreprésentés - ont subi des inconvénients considérables. L'affaire doit maintenant être renvoyée au tribunal de révision et, si Mme Heaman entend la mener plus loin, il lui faudra présenter des conclusions à la Cour de l'impôt. Tout cela aurait pu être évité si le ministre avait reconnu plus tôt la difficulté. Vu les circonstances inhabituelles de la présente demande, et dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je suis disposée à accorder à Mme Heaman des dépens fixés à la somme de 500 $.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est accueillie, la décision du tribunal de révision est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen; et

2.          Des dépens fixés à la somme de 500 $ sont payables sur-le-champ à la défenderesse.

                                                                                                                              _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-290-03

INTITULÉ :                                           LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES c. BERNICE HEAMAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                     WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 17 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                          LE 19 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Shawna Noseworthy                                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. et Mme Heaman                                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

En son propre nom                                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Hamiota (Manitoba)

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