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Date : 19990924


Dossier : T-2012-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 SEPTEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     HENY JREIGE,

     défendeur.



     J U G E M E N T


     Pour les motifs exposés, l'appel du ministre est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.

     François Lemieux

    

     J U G E



Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.



Date : 19990924


Dossier : T-2012-98


ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     HENY JREIGE,

     défendeur.


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION ET FAITS

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de la Loi sur la citoyenneté qui porte sur le respect des conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en appelle de la décision du juge de la citoyenneté Rakovich, datée du 27 août 1998, qui a accueilli la demande de citoyenneté de Heny Jreige, un citoyen du Liban (le défendeur). Le présent appel a été institué par voie de demande, conformément à l'article 300 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]      Le défendeur a reçu le droit d'établissement au Canada à titre de résident permanent le 14 décembre 1993, avec sa femme et ses deux jeunes enfants. Il a immédiatement loué un appartement à Montréal. Il a obtenu des numéros d'assurance sociale, des cartes de santé et un permis de conduire, et il a ouvert un compte bancaire.

[3]      Le 2 février 1994, le défendeur a entrepris le premier de ses nombreux voyages d'affaires au Moyen-Orient et en Europe. Lors de ce premier voyage, il s'est absenté pendant 73 jours et est revenu au Canada le 15 avril 1994. Le 8 mai 1994, soit trois semaines plus tard, le défendeur a quitté pour son deuxième voyage d'affaires cette année-là. Il est resté absent pendant 31 jours, revenant au Canada le 8 juin 1994. Le 10 août 1994, il a quitté le Canada pour un troisième voyage d'affaires de 50 jours et plus tard la même année, il a fait un quatrième voyage d'affaires de 61 jours. Cette façon de faire s'est continuée en 1995 avec six voyages à l'étranger; en 1996, avec six voyages d'affaires à l'étranger; et, de janvier à septembre 1997, avec trois voyages d'affaires à l'étranger.

[4]      Le défendeur a déposé sa demande de citoyenneté canadienne le 2 septembre 1997, approximativement quatre ans après avoir reçu le droit d'établissement. Il devait avoir 1 095 jours de résidence selon la Loi; il n'a été au Canada que 650 jours.

[5]      Le 8 juillet 1994, le défendeur a constitué une société connue sous le nom de Merge International Marketing Inc. Cette compagnie canadienne est décrite par le défendeur comme une compagnie de consultation internationale en marketing. Le 1er juillet 1994, le défendeur a signé une entente de consultation avec Al-Arrayed Trading EST, une entreprise des Émirats arabes unis.

LES MOTIFS DE DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

     a)      Les motifs de décision

[6]      Dans un avis au ministre en date du 27 juillet 1997, le juge de la citoyenneté a exposé les motifs pour lesquels elle était convaincue que le défendeur avait respecté les conditions de résidence prévues par la Loi. Elle a dit ceci :

[traduction]
Reasons - Motifs : Documents présentés à l'audience : formulaire T4 original, 1997. Bien qu'il n'ait pas le nombre de jours de résidence prévu, le demandeur a présenté une déclaration crédible d'intention, ainsi que des indications irréfutables, qui constituent une preuve qu'il a établi et maintenu son centre de mode habituel de vie au Canada. Toutes les autres exigences étant satisfaites, j'ai par conséquent accueilli sa demande de citoyenneté.

     b)      Le questionnaire qui sous-tend les motifs de décision

[7]      L'avis au ministre contient en annexe un questionnaire intitulé " Motifs de décision en matière de résidence ", qui est rempli par les juges de la citoyenneté. L'introduction à ce questionnaire est rédigée comme suit :

[traduction]
Afin de déterminer si le requérant a démontré qu'il a centralisé son mode de vie au Canada, je me suis posé les questions énoncées par le juge Reed dans l'affaire Koo (Re) (1992), 19 Imm. L.R. (2d), 1, 59 F.T.R. 27, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).
J'ai abordé chacune de ces questions de la façon suivante.

[8]      La première question que le juge de la citoyenneté s'est posé et sa réponse sont rédigées comme suit :

[traduction]
Q.      La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant sa première absence? La plupart de ses absences sont-elles récentes et ont-elles eu lieu juste avant la date de la demande de citoyenneté?
R.      Non, mais les absences du requérant sont dues à ses activités commerciales.

[9]      La deuxième question posée était la suivante : [traduction] " À quel endroit résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant? " Le juge de la citoyenneté a donné la réponse suivante :

[traduction]
L'épouse du requérant est citoyenne canadienne et elle vit au Canada avec leurs trois enfants, qui sont aussi des citoyens canadiens. Le troisième enfant est né au Canada. Les parents du requérant sont décédés et il n'a ni frère, ni soeur, de sorte que tous les membres de sa famille proche sont Canadiens.

[10]      Les troisièmes question et réponse sont rédigées comme suit :

[traduction]
Q.      Le type de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu'il n'est qu'en visite?
R.      À son arrivée au Canada, le requérant s'est installé avec sa famille à l'appartement 101 du 2445 Sunset, Ville Mont-Royal. Le requérant a déménagé une fois depuis pour occuper un appartement plus grand à la même adresse. Le requérant a créé une compagnie et ses activités commerciales l'amènent à voyager fréquemment à l'étranger. Lors de ses absences, sa famille reste toujours au Canada, où il revient dès que ses activités commerciales à l'étranger sont terminées.

[11]      Les prochaines question et réponse sont rédigées comme suit :

[traduction]
Q.      Quelle est la durée des absences physiques? (nombre de jours hors du Canada par rapport au nombre de jours au Canada)
R.      Le requérant a passé 650 jours au Canada et 708 jours à l'extérieur du Canada.

[12]      La question 6 et la réponse à cette question sont rédigées comme suit :

[traduction]
Q.      L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire, par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger?
R.      Oui, la nature des activités commerciales du requérant l'amène à travailler à l'étranger, mais sa place d'affaires et sa famille sont au Canada.

[13]      Les question et réponse suivantes sont rédigées comme suit :

[traduction]
Q.      Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?
R.      L'épouse et les enfants du requérant sont des citoyens canadiens. Les enfants du requérant vont dans des écoles canadiennes. Les parents du requérant sont décédés et les membres de sa famille proche, son épouse et ses enfants, habitent au Canada et sont citoyens canadiens. Par conséquent, les liens de sang du requérant sont plus importants avec le Canada qu'avec n'importe quel autre pays du monde.

[14]      Le questionnaire se termine par un en-tête intitulé " DÉCISION ", qui doit être rempli par le juge de la citoyenneté. Elle a écrit ceci :

[traduction]
Après avoir examiné soigneusement les faits susmentionnés, j'arrive à la conclusion que le requérant a centralisé son mode vie au Canada. À son arrivée au Canada, il a loué un appartement au 2445 Sunset, Ville Mont-Royal (Québec), où il habite toujours, constitué une compagnie et commencé à mener une vie qui ressemble à celle de beaucoup d'hommes d'affaires qui sont citoyens canadiens. Les enfants du requérant ont été inscrits dans une école canadienne dès l'âge scolaire. L'épouse et les enfants du requérant sont devenus citoyens canadiens (un de ses enfants est né au Canada en 1997). Le requérant a produit ses déclarations d'impôt au Canada chaque année depuis qu'il réside en permanence au Canada. J'ai examiné soigneusement les absences du Canada du requérant, absences fréquentes mais dues, à mon avis, à la nature de ses affaires (illisible).... Il n'y a aucun doute dans mon esprit que ses voyages (illisible).... Les parents du requérant sont décédés, son épouse et ses enfants sont les membres de sa famille les plus proches et ils sont citoyens canadiens. Tous ces faits m'indiquent que ce requérant a centralisé son mode de vie au Canada et qu'il satisfait donc aux conditions énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, et j'accueille la présente demande.

ANALYSE

[15]      Des affaires de ce genre sont souvent soumises à la Cour. Une personne en affaires, active dans le commerce international, devient résidente permanente au Canada et s'y établit avec son conjoint et ses enfants; elle loue un appartement et, peu de temps après, s'absente pour faire plusieurs voyages à l'étranger après avoir obtenu un numéro d'assurance sociale, etc. Le conjoint et les enfants restent au Canada. Les voyages à l'étranger sont fréquents et assez longs. Dans certains cas, une compagnie est constituée au Canada et sert de cadre pour les activités commerciales à l'étranger.

[16]      La question qui se pose est celle de savoir dans quelles circonstances ces absences du Canada peuvent être présumées constituer des périodes de résidence pour satisfaire aux conditions que le législateur a énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[17]      L'avocate du ministre m'a présenté deux motifs à l'appui de son appel. Premièrement, elle a soulevé la question des déclarations inexactes du défendeur relativement à ses absences; deuxièmement, elle a prétendu que le juge de la citoyenneté avait commis une erreur manifeste en n'appliquant pas les principes juridiques appropriés aux faits de cette affaire.

     1)      Premier motif d'appel " Les déclarations inexactes

[18]      L'avocate du ministre déclare qu'un examen des sorties et entrées consignées au passeport du défendeur indique que ce dernier était absent du Canada à certains moments où il avait déclaré, dans sa demande de citoyenneté, y avoir été présent. L'avocate du ministre a cité la décision récente de mon collègue le juge Denault dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jabsheh, [1999] A.C.F. no 147, dossier T-1592-98, le 2 février 1999. Le juge Denault s'est exprimé ainsi :

[4]      La vérification du calcul des jours d'absence apparaissant au document soumis par l'intimé révèle d'abord que les absences totalisent 349 jours plutôt que 339 jours. Mais surtout, la vérification du passeport de l'intimé démontre que celui-ci, en faisant la liste des ses absences du Canada, n'a pas indiqué entre autres ses déplacements à Zürich en Suisse le 15 mai 1994, aux États-Unis le 20 mai 1994, en France les 25 et 28 octobre 1994 et en Belgique le 20 avril 1996. Tous ces déplacements, s'il faut en croire la liste des absences fournis par l'intimé, ont eu lieu alors qu'il devait se trouver au Canada. La Cour ne peut que conclure que l'intimé a omis de déclarer ou volontairement minimisé ses jours d'absence. Une simple vérification du passeport de l'intimé par la juge de la citoyenneté eut révélé l'erreur.
[5]      En l'espèce, dans la mesure où l'intimé n'a pas fait la preuve, lors de sa demande de citoyenneté, qu'il satisfaisait au critère de résidence établi par la loi, et que la juge de citoyenneté a erré dans l'application de la preuve, l'appel doit être accueilli.

[19]      L'avocat du défendeur admet cette divergence, mais déclare qu'il ne s'agit que de 20 à 25 jours de plus à l'extérieur du Canada (à comparer aux 80 jours de plus indiqués par l'avocate du ministre), que la chose n'est pas pertinente parce que reliée d'assez loin à la question principale qui m'est soumise, à savoir si le défendeur a centralisé son mode de vie au Canada, et que, de toute façon, la divergence n'était pas intentionnelle mais une simple erreur commise de bonne foi.

[20]      Je partage l'avis du juge Denault, comme m'y invite l'avocate du ministre, que les juges de la citoyenneté ont l'obligation d'examiner toute la preuve documentaire disponible, y compris les indications portées au passeport, et de vérifier l'exactitude du nombre de jours d'absence du Canada lorsque la question de résidence est décisive. À mon avis, les juges de la citoyenneté n'ont pas une fonction de nature mécanique ou routinière, mais ils doivent plutôt rendre une décision très importante qui a des conséquences fort sérieuses à savoir l'octroi de la citoyenneté canadienne. Comme l'a déclaré le juge Denault dans Jabsheh, précité, un juge de la citoyenneté qui n'analyse pas la preuve commet une erreur.

[21]      Dans l'affaire qui m'est soumise, le juge de la citoyenneté n'a pas vérifié adéquatement les absences, de sorte qu'elle n'a pas discuté de la question avec le défendeur, ne lui a pas demandé d'explications et qu'elle n'a donc pas déterminé l'importance de la divergence. Je tire la même conclusion que le juge Denault dans Jabsheh, soit que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l'évaluation de la preuve.

[22]      Dans certaines circonstances, le fait que le juge de la citoyenneté n'ait pas examiné de façon exhaustive la durée des absences, ainsi que le défaut de la personne qui demande la citoyenneté canadienne de déclarer de façon exacte ses périodes de présence ou d'absence au Canada, peuvent fort bien suffire, en soi, à justifier l'annulation de la décision du juge de la citoyenneté. La question de l'importance du fait et celle de l'intention du requérant se posent alors. En l'instance, je ne suis pas disposé à accueillir l'appel pour ce simple motif. Je partage l'avis de l'avocat du défendeur que la divergence n'est pas importante, lorsqu'on examine le nombre total de jours d'absence du Canada de M. Jreige. De plus, la preuve me convainc que le défendeur a commis une erreur de bonne foi en faisant ses calculs.

     2)      La question de fond " a-t-on satisfait aux conditions de résidence?

[23]      Les récentes décisions de la Cour en matière de citoyenneté qui guident l'évaluation de la question de savoir si on a satisfait aux conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi ont fait ressortir, à mon avis, les principes suivants :

     1)      Conformément à l'intention du Parlement, qu'on peut tirer de la lecture de la loi ainsi que de l'examen de l'objectif des conditions de résidence, la vie et la présence au Canada constituent le facteur primordial.
     2)      L'analyse du critère de résidence doit être divisée en deux parties : l'établissement de la résidence et le maintien de la résidence.

[24]      Tout d'abord, une personne qui demande la citoyenneté doit démontrer l'établissement de sa résidence au Canada. À mon avis, c'est à cet égard que la présence physique au Canada s'impose le plus, et celle-ci constituait d'ailleurs le fondement de la décision du juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208. Dans cette affaire, le juge Thurlow a conclu que le requérant, un étudiant, avait établi sa résidence au Canada par suite de sa présence physique à l'Université Acadia, où il étudiait en vue d'un diplôme.

[25]      Cette première étape, soit l'établissement d'une résidence au Canada, est essentielle, puisque si le requérant ne la franchit pas, on ne peut tenir compte de ses périodes d'absence du Canada.

[26]      Sur cette question, je me range aux propos de mon collègue le juge Nadon dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Cheung, T-2841-96, le 10 juin 1998, où il déclarait, en analysant les motifs de jugement du juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis, précité, que :

[6]      Il ressort des remarques du juge Thurlow qu'avant que les jours d'absence puissent être examinés aux fins des conditions de résidence posées par la Loi, cette personne doit avoir établi son chez-soi dans ce pays avant de partir. En l'espèce, il ne fait pas de doute, à mon avis, que l'intimé n'a jamais établi son chez-soi au Canada avant de partir pour faire de nombreux voyages à Hong Kong. Il découle de la preuve que l'intimé a simplement installé sa famille au Canada pour retourner ensuite à Hong Kong afin d'y continuer ses activités commerciales. L'intimé n'ayant jamais établi son chez-soi au Canada, il ne saurait, à mon avis profiter des jours physiquement passés à l'extérieur du Canada pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.
[7]      Interpréter autrement l'alinéa 5(1)c) de la Loi constituerait une reformulation de cet alinéa, ce que le Parlement ne m'autorise pas à faire. Je suis entièrement d'accord avec les commentaires faits par le juge Pinard dans Affaire intéressant Chow, 6 janvier 1997, T-2629-95, où il tient les propos suivants :
     Suivant une certaine jurisprudence, il n'est pas nécessaire que la personne qui demande la citoyenneté canadienne soit physiquement présente au Canada pendant toute la durée des 1 095 jours, lorsqu'il existe des circonstances spéciales ou exceptionnelles. J'estime toutefois que des absences du Canada trop longues, bien que temporaires, au cours de cette période de temps minimale, comme c'est le cas en l'espèce, vont à l'encontre de l'objectif visé par les conditions de résidence prévues par la Loi. D'ailleurs, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant une des quatre années qui précèdent immédiatement la date de sa demande de citoyenneté.

[27]      Après qu'un requérant a établi sa résidence au Canada, la question peut se poser de savoir s'il a maintenu ou non son mode de vie centralisé au Canada. À ce sujet, l'analyse quant à la résidence peut être plus souple face à des absences temporaires, puisque le requérant aura satisfait à la première condition de base, à savoir l'établissement de sa résidence au Canada.

[28]      En toute déférence, lorsque j'applique ces principes à l'affaire qui m'est soumise, je ne peux voir comment le juge de la citoyenneté a pu arriver à la conclusion que le défendeur respectait les conditions prévues pour l'établissement de la résidence. Le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l'application des critères de Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, où la juge Reed déclare, à la page 293 :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant " vit régulièrement, normalement ou habituellement ". Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence?

[29]      À mon avis, le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne tenant aucunement compte de l'élément de présence physique en tant que facteur essentiel dans son analyse portant sur la résidence. L'examen des questions énoncées par le juge Reed dans Koo (Re), précité, démontre clairement que celle-ci insistait surtout sur la présence physique au Canada de la personne demandant la citoyenneté.

[30]      On peut démontrer où se trouve l'erreur en examinant les motifs du juge de la citoyenneté. Par exemple, en réponse à la question numéro un, le juge de la citoyenneté constate avec raison que le défendeur n'a pas été physiquement présent au Canada pendant une longue période avant sa première absence. Elle a toutefois conclu que les absences du requérant étaient dues à ses activités commerciales. On peut dire la même chose de sa réponse à la question numéro trois, portant sur le type de présence physique au Canada, ainsi que de sa réponse quant à la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Les réponses apportées par le juge de la citoyenneté à ces questions ne reflètent pas adéquatement les principes énoncés dans Koo, précité.

[31]      L'avocat du défendeur a soutenu que je ne devais pas analyser les motifs du juge de la citoyenneté au microscope, mais que je devais plutôt m'arrêter au fait que la famille du défendeur est au Canada, qu'il a établi son domicile avec sa famille à Montréal, qu'il n'a pas d'autre domicile et que son entreprise oeuvre dans le domaine du commerce international.

[32]      L'argument de l'avocat du défendeur est mal fondé, à mon avis, car il ne tient pas compte du fait que la Loi oblige un demandeur de citoyenneté à démontrer de façon positive qu'il satisfait au critère de vivre au Canada, c'est-à-dire être présent au Canada. Une personne qui demande la citoyenneté canadienne ne peut satisfaire à cette exigence en démontrant le contraire, soit qu'elle n'est pas installée dans un autre pays parce que sa famille est au Canada.

[33]      L'avocat du défendeur a cité Re Papadogiorgakis, précité. Cette affaire ne lui est d'aucun secours, puisque le demandeur de citoyenneté dans Papadogiorgakis satisfaisait clairement au critère d'établissement de la résidence. L'avocat du défendeur a aussi cité Koo (Re), précité. J'ai déjà indiqué qu'à mon avis, cette affaire ne peut être invoquée pour démontrer que la présence physique au Canada est sans importance.

[34]      Après examen de l'ensemble de la preuve, je suis convaincu que le défendeur n'a pas établi sa résidence au Canada avant de quitter le pays pour faire ses longs voyages à l'étranger. Il ne respecte pas le critère de Koo (Re), savoir de vivre " régulièrement, normalement ou habituellement au Canada ". Pour l'essentiel, durant la période en cause, le défendeur a travaillé comme consultant pour une compagnie des Émirats arabes unis, ce qui l'obligeait à s'absenter du Canada pendant de longues périodes et de façon non temporaire. Bien que les absences du Canada du défendeur aient contribué à la qualité de vie de sa famille au Canada, ce facteur ne peut nous permettre d'ignorer les exigences clairement établies par le législateur dans la Loi. Je ne vois nulle part dans la preuve de quelle façon le défendeur se serait établi au Canada en s'intégrant dans la société canadienne. Il me semble que la présente affaire est très semblable à l'affaire Cheung , précitée, qui fait l'objet de la décision du juge Nadon.

DISPOSITIF

[35]      Pour tous ces motifs, l'appel du ministre est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.

     François Lemieux

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 24 SEPTEMBRE 1999



Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-2012-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Heny Jreige


LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)


DATE DE L'AUDIENCE :          Le 8 septembre 1999






MOTIFS DE JUGEMENT DE M. LE JUGE LEMIEUX


EN DATE DU 24 septembre 1999





ONT COMPARU :

Mme Jocelyne Murphy                          POUR LE DEMANDEUR

M. Seti K. Hamalian                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)


M. Seti K. Hamalian                          POUR LE DÉFENDEUR

Lapointe Rosenstein

Montréal (Québec)

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