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     Date : 19981022

     Dossier : IMM-1702-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 OCTOBRE 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS

Entre :

     SYED HAMID HUSSAIN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale dans laquelle le demandeur réclame une ordonnance infirmant la décision d'une agente des visas datée du 16 mars 1997 ;

     LA COUR ORDONNE QUE la décision de l'agente des visas soit infirmée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour être décidée en conformité avec le droit. Les dépens sont adjugés au demandeur.

OTTAWA (ONTARIO)                      John M. Evans

                        

le 22 octobre 1998                              Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19981022

     Dossier : IMM-1702-97

Entre :

     SYED HAMID HUSSAIN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] [et ses modifications] dans laquelle le demandeur réclame une ordonnance annulant la décision d'une agente des visas datée du 16 mars 1997, par laquelle celle-ci a refusé de lui délivrer un visa. Il demande également à la Cour d'enjoindre à cette même agente d'examiner et de traiter sa demande de visa en conformité avec le droit, et de tenir compte de la directive de la Cour selon laquelle le demandeur a satisfait à " l'énoncé principal " contenu sous le titre 4111-111 de la Classification canadienne descriptive des professions (ci-après la CCDP).

A. Les faits

[2]      Le demandeur, M. Hussain, est un citoyen indien, qui a présenté à l'ambassade canadienne au Caire une demande de visa dans la catégorie des immigrants indépendants afin d'obtenir la résidence permanente au Canada. Il a été convoqué en entrevue le 9 mars 1997 par une agente des visas, Mme Fahmy. Le demandeur était accompagné de son épouse et de leur petite fille. Dans son affidavit, le demandeur déclare que l'entrevue a duré environ 25 minutes. Au cours de cette entrevue, l'agente des visas a discuté d'un certain nombre de sujets, notamment de son expérience de travail, qui est au coeur de la présente instance.

[3]      Dans sa demande de visa, le demandeur a indiqué qu'il souhaitait exercer la profession de " secrétaire de direction " au Canada. Dans les documents fournis à l'appui de ses prétentions, le demandeur a décrit ses fonctions dans l'emploi qu'il occupe actuellement et a inclus une lettre de corroboration de son employeur, une importante compagnie d'Arabie saoudite, qui fabrique des matériaux de construction. Dans cette lettre, le supérieur du demandeur, soit le directeur général des Approvisionnements, déclare que le demandeur travaille pour la compagnie depuis 1978, et que depuis 1990 il occupe le poste de secrétaire de direction, après avoir occupé les postes de secrétaire et d'adjoint administratif.

[4]      La lettre énonce les fonctions exercées par le demandeur à titre de secrétaire de direction, dont les trois plus importantes pour les fins de l'espèce sont les suivantes :

     [TRADUCTION]         
     " Assurer les services d'administration et de secrétariat au directeur général des Approvisionnements, en contrôlant toutes les activités du Service des approvisionnements.         
     " Compiler des statistiques et des données pertinentes aux activités du Service et préparer des rapports périodiques décrivant l'état général des activités d'approvisionnement pour examen par la haute direction.         
     " Seconder le directeur général des Approvisionnements pour faire les rapports annuels d'appréciation du rendement des employés en vue de leur accorder des augmentations, des promotions, etc., selon la note obtenue.         

[5]      Au cours de l'entrevue, l'agente des visas a demandé au demandeur qu'elle était la nature précise de ses fonctions afin de déterminer si elles équivalaient à l'expérience qu'une personne doit posséder pour se qualifier comme secrétaire de direction dont les fonctions sont définies sous le titre 4111-111 de la CCDP. En particulier, l'agente des visas voulait déterminer si le demandeur pouvait se qualifier comme secrétaire de direction, plutôt que comme secrétaire (CCDP 4111-110). Il n'est pas surprenant de constater qu'il y a beaucoup de chevauchement dans les descriptions de ces deux postes étroitement liés : le poste de secrétaire est inclus dans celui de secrétaire de direction.

[6]      Les questions de l'agente des visas portaient principalement sur deux aspects des fonctions de l'emploi actuel du demandeur. Tout d'abord, l'agente des visas lui a demandé s'il signait des lettres et d'autres documents en l'absence du directeur général des Approvisionnements. Dans les notes qu'elle a tapées dans le STIDI au cours de l'entrevue, l'agente des visas a indiqué que le demandeur lui avait répondu qu'il [TRADUCTION] " ne signe rien lui-même ". Quand on lui a demandé en contre-interrogatoire si elle avait demandé des précisions au demandeur pour savoir si celui-ci signait au nom du directeur général des Approvisionnements, plutôt que son propre nom, elle a répondu qu'elle ne lui avait pas posé cette question. Toutefois, elle a également déclaré que le demandeur lui avait dit qu'il ne signait rien, et que tout ce qui devait être signé attendait le retour du directeur général des Approvisionnements.

[7]      Les questions de l'agente des visas ont également porté sur les rapports que le demandeur rédigeait tous les trois mois concernant les besoins d'approvisionnement pour les services techniques. Le demandeur a répondu que les différents services lui fournissaient les données, qu'il compilait ensuite dans un seul rapport destiné à l'examen et à l'approbation de ses supérieurs.

[8]      Dans ses notes au STIDI et dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré que le demandeur croyait qu'il était secrétaire de direction parce qu'il relevait du " directeur général ", plutôt que d'un chef de section comme tous les autres secrétaires.

[9]      L'agente des visas a également déclaré dans son contre-interrogatoire qu'elle avait l'habitude de demander aux immigrants à la fin de l'entrevue s'ils souhaitaient ajouter quelque chose, ou soulever d'autres questions qui n'auraient pas déjà été discutées au cours de l'entrevue, afin de leur donner la possibilité de fournir d'autres renseignements ou d'offrir une explication à l'appui de leur demande.

B. La décision de l'agente des visas

[10]      Dans une lettre datée du 16 mars 1997, Mme Fahmy informait le demandeur de ce qui suit : [TRADUCTION] " D'après vos qualifications et vos fonctions, votre demande a été évaluée au regard des compétences exigées d'un secrétaire (CCDP 4111-110) ", et comme elle ne lui avait accordé que 67 points d'appréciation, c'est-à-dire trois points de moins que les 70 points habituellement exigés pour qu'un visa soit délivré à un immigrant indépendant, sa demande a été refusée.

[11]      Dans ses notes au STIDI, l'agente des visas avait également exprimé son opinion qu'elle n'était pas [TRADUCTION] " convaincue qu'il pourrait se trouver de l'emploi comme secrétaire de direction au Canada compte tenu du fait que son expérience est limitée à cette profession particulière ".

C. Dispositions législatives

[12]      Le paragraphe 6(1) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] [et ses modifications] [ci-après la Loi sur l'immigration ou la Loi] énonce le principe général selon lequel un immigrant peut obtenir le droit d'établissement :

         [TRADUCTION]                 
         [...] si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant satisfait aux normes réglementaires de sélection visant à déterminer s'il pourra ou non réussir son installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure. "                 

[13]      Le Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172] [et ses modifications] [ci-après le Règlement sur l'immigration ou le Règlement] renferme le régime juridique en vertu duquel la capacité d'un immigrant éventuel à réussir son installation au Canada est déterminée. Le paragraphe 8(1) du Règlement dispose que les agents d'immigration doivent apprécier la capacité d'un immigrant à réussir son installation au Canada " a) suivant chacun des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I ".

[14]      Le sous-alinéa 9(1)b)(i) du Règlement stipule qu'un agent des visas peut délivrer un visa à un immigrant dans la catégorie du demandeur si l'immigrant obtient au moins 70 points d'appréciation. Toutefois, le paragraphe 11(3) du Règlement apporte une réserve, qui confère à un agent des visas le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa à un immigrant qui n'a pas obtenu le nombre de points d'appréciation habituellement requis, ou de refuser un visa à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis si, de l'avis de l'agent, le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant de réussir son installation au Canada.

[15]      Les facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement suivant lesquels les immigrants sont appréciés et qui sont pertinents à l'espèce sont les facteurs 4 et 9. Le facteur 4, soit le " facteur professionnel ", précise, notamment, que des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions (ci-après la CNP), dans les fonctions essentielles. Le facteur 9, soit la " personnalité ", exige que l'agent des visas apprécie les immigrants :

         " [...] au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge son en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables. "                 

[16]      Au moment où la demande de visa en l'espèce a été traitée, les compétences d'une personne relativement à une profession donnée étaient déterminées par référence à la CCDP, et non à la CNP. La CNP a depuis remplacé la CCDP, mais les principes applicables demeurent les mêmes.

[17]      Les descriptions de la CCDP les plus pertinentes à la présente demande sont les suivantes :

         4111-111 SECRÉTAIRE DE DIRECTION (bureau)                 
         " Remplit des fonctions administratives et de secrétaire de direction : Exécute des tâches analogues à celles qui sont énoncées sous le titre 4111-110 SECRÉTAIRE (bureau), en mettant à profit son expérience de secrétaire et ses connaissances en administration et en relations publiques. Organise des conférences et des réunions, et s'occupe de trouver et de compiler l'information nécessaire à l'employeur. Traite des affaires courantes lorsque l'employeur est absent. Peut accomplir d'autres tâches connexes et notamment surveiller des employés de bureau. "                 
         4111-110 SECRÉTAIRE (bureau)                 
         Fixe les rendez-vous, répond aux demandes de renseignements, prend la dictée et libère son employeur de certains travaux de bureau et de certains détails administratifs et affaires courantes de moindre importance, en exécutant toute combinaison des tâches suivantes : Lit et transmet le courrier reçu. Joint les dossiers pertinents aux lettres qui demandent réponse de l'employeur. Prend la dictée en sténographie ou sur une sténotype et transcrit en dactylographie les notes sténographiques ou les enregistrements au dictaphone. Rédige et dactylographie la correspondance. Classe la correspondance et autres documents. Répond aux demandes de renseignements par téléphone ou transmet l'appel à la personne compétente et effectue des appels à l'extérieur. Fixe les rendez-vous pour son employeur et les lui rappelle en temps voulu. Reçoit les visiteurs, s'enquiert du motif de leur visite et dactylographie des rapports statistiques. Dresse les procès-verbaux des réunions. Peut classer des documents confidentiels touchant le personnel. Peut établir les itinéraires des voyages et faire les réservations nécessaires. Peut être désigné selon les fonctions, par exemple : Secrétaire juridique, Secrétaire médicale, Secrétaire privé, Secrétaire aux rendez-vous.                 

[18]      Il semble y avoir entre ces deux professions trois différences pertinentes en l'espèce. Premièrement, " l'énoncé principal " sous le titre CCDP 4111-111 indique qu'un secrétaire de direction remplit " des fonctions administratives et de secrétaire de direction " [non souligné dans l'original]. Par ailleurs, sous le tire CCDP 4111-110, on ne précise pas pour quelle personne les services de secrétariat sont assurés et, en décrivant la nature du travail effectué par un secrétaire, on fait référence à " certains travaux de bureau et [à] certains détails administratifs et affaires courantes de moindre importance " [non souligné dans l'original]. Deuxièmement, dans le cadre de ses fonctions, un secrétaire de direction " s'occupe de trouver et de compiler l'information nécessaire à l'employeur " alors qu'un secrétaire " dactylographie des rapports statistiques ". Troisièmement, un secrétaire de direction " traite des affaires lorsque l'employeur est absent ". Il n'y a rien d'analogue à cela dans la description des fonctions d'un secrétaire.



D. Les questions en litige

[19]      L'avocat du demandeur, M. Rotenberg, conteste la décision de l'agente des visas en invoquant des motifs de fond et de procédure. Il prétend que l'agente des visas a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de la description des fonctions d'un secrétaire de direction donnée dans la CCDP sous le titre 4111-111, aux faits de la cause. L'avocat du demandeur fait également valoir que l'agente des visas a commis une erreur de droit en tenant compte, au facteur 4, de l'expérience limitée du demandeur, et de l'effet négatif que cela aurait sur sa capacité de trouver du travail au Canada en tant que secrétaire de direction.

[20]      Pour ce qui a trait aux motifs fondés sur la procédure, M. Rotenberg soutient que l'agente des visas a manqué à son obligation d'agir équitablement en vertu de laquelle elle est tenue d'apprécier soigneusement la demande, et de communiquer au demandeur les préoccupations qu'elle entretient au sujet de la pertinence de son expérience relativement à la profession de secrétaire de direction, afin de lui donner la possibilité de répondre.

[21]      Le cas en l'espèce soulève trois questions.

Première question :      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal la définition de " secrétaire de direction " donnée dans la CCDP sous le titre 4111-111, ou en appliquant mal cette définition aux faits de l'espèce ?
Deuxième question :      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en tenant compte sous le facteur 4 (le " facteur professionnel ") de l'annexe I du Règlement du fait que le demandeur avait travaillé uniquement pour un seul employeur ?
Troisième question:      L'agente des visas a-t-elle manqué à son obligation d'agir équitablement en ne faisant pas part au demandeur de ses réserves au sujet de la pertinence de son expérience, de façon à lui permettre de dissiper ses doutes, et en omettant de lui poser d'autres questions au sujet de la nature de ses fonctions ?

[22]      Il y a un autre point à mentionner ici, même si celui-ci n'est pas contesté en l'espèce. Le demandeur avait mentionné la profession de secrétaire de direction comme celle qu'il avait l'intention d'occuper au Canada ; toutefois, l'agente des visas n'a pas évalué formellement le demandeur pour cette profession, mais plutôt pour la profession incluse de secrétaire. Il semble que cette pratique soit contraire à l'obligation légale qui est faite aux agents d'immigration d'évaluer les immigrants dans la profession qu'ils précisent : Uy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 172 (C.A.F.).

[23]      L'avocate du défendeur, Mme Hendriks, déclare que les agents des visas ont pour pratique de ne pas faire d'évaluation formelle d'un immigrant dans une profession pour laquelle il n'est manifestement pas qualifié, et donc pour laquelle un visa lui serait refusé. Au contraire, les immigrants sont évalués dans les professions " incluses " pour lesquelles ils ont les qualifications requises, et pour lesquelles ils peuvent réunir suffisamment de points d'appréciation pour qu'un visa leur soit délivré.

[24]      M. Rotenberg ne prétend pas qu'en raison de cette pratique suivie par l'agente des visas en l'espèce son refus est entaché d'une erreur de droit. Toutefois, il pourrait être utile que les immigrants soient informés de cette pratique par les agents des visas. D'après l'avocat du demandeur en l'espèce, par exemple, M. Hussain a été très surpris quand il a appris qu'il avait été apprécié uniquement pour la profession de secrétaire. Dans une réponse écrite, en date du 8 avril 1997, à une lettre envoyée par télécopieur par le consultant en matière d'immigration du demandeur dans laquelle on demandait que l'agente des visas évalue la demande de M. Hussain pour le poste de secrétaire de direction et non de secrétaire, l'agente des visas indiquait que le demandeur [TRADUCTION] " avait été convoqué à une entrevue à nos bureaux et évalué en tant que secrétaire d'après les renseignements obtenus à l'entrevue et dont nous disposions à ce moment. Il a été informé du refus de sa demande en conséquence ". Toutefois, le demandeur a été avisé pour la première fois qu'il n'avait été évalué que pour la profession de secrétaire dans la lettre que l'agente des visas lui a adressée le 16 mars 1997.

E. Analyse

Première question : Interprétation et application du titre CCDP 4111-111

[25]      Le demandeur prétend que l'agente des visas a mal interprété le titre CCDP 4111-111 en n'accordant pas suffisamment d'importance à " l'énoncé principal " de la description d'un " secrétaire de direction ". Cet énoncé indique qu'un " secrétaire de direction " " remplit des fonctions administratives et de secrétaire de direction ". M. Rotenberg soutient que parce que le demandeur travaillait pour le directeur général des Approvisionnements, il était manifestement visé par cette brève description de la profession, et que son expérience de travail le qualifiait donc à première vue pour le poste de secrétaire de direction.

[26]      En réponse, l'avocate du défendeur, Mme Hendriks, soutient que la description de la profession, y compris les fonctions typiquement exercées par la personne visée, doivent être lues dans leur ensemble, et qu'aucune attention spéciale ne doit être attachée à " l'énoncé principal " qui n'a d'autre but que de donner une brève description générale de la profession. En outre, selon elle, il ne serait pas compatible avec le but poursuivi par la CCDP dans la sélection des immigrants que les descriptions qui y figurent soient interprétées comme permettant à une personne de se qualifier pour une profession en faisant largement référence à la personne pour laquelle l'immigrant éventuel travaille, plutôt qu'à la nature des fonctions réellement exercées.

27]      À mon avis, l'avocate du défendeur a raison quand elle soutient que la description doit être lue dans son ensemble, et qu'aucune attention particulière ne doit être accordée à " l'énoncé principal ". Bien que les descriptions des professions contenues dans la CCDP lient légalement les agents des visas, et la présente Cour, par suite du fait qu'elles sont incorporés par renvoi dans la Loi à l'annexe I de la Loi sur l'immigration, elles ne doivent pas être interprétées de façon aussi méticuleuse, par exemple, qu'un acte de fiducie. Elles doivent plutôt être interprétées de façon globale, en gardant à l'esprit qu'à l'origine elles n'ont pas été rédigées comme des textes juridiques.

[28]      L'avocat du demandeur a un meilleur argument, toutefois, quand il prétend que l'agente des visas a commis une erreur en n'attachant aucune importance au fait que le demandeur relevait du directeur général des Approvisionnements parce que, [TRADUCTION] " selon ma connaissance locale ", déclare-t-elle dans son affidavit, cela renseignait probablement davantage sur le nombre d'années de service du demandeur auprès de la compagnie que sur le degré de responsabilité qui lui était confié.

[29]      Dans les circonstances de l'espèce, la " connaissance locale " de l'agente des visas constitue un facteur extrinsèque sur laquelle elle s'est appuyée pour prendre sa décision. L'agente des visas n'était saisie d'aucun autre élément de preuve lui permettant de conclure que le fait que le demandeur relevait du directeur général était un indice du nombre de ses années de service auprès de cet employeur, plutôt que de son degré de responsabilité. Qui plus est, le demandeur n'était pas au courant que l'agente des visas s'appuyait, en partie, sur cette connaissance locale pour évaluer sa demande de résidence permanente au Canada. L'équité exige que l'agente des visas communique ces renseignements au demandeur de façon à lui donner la possibilité d'y répondre.

[30]      M. Rotenberg soutient également que l'agente des visas a commis une erreur en interprétant de façon trop restrictive la description donnée sous le titre CCDP 4111-111 de la profession de secrétaire de direction comme étant une personne qui, notamment, " traite des affaires courantes lorsque l'employeur est absent ". L'agente des visas a uniquement demandé si le demandeur avait le pouvoir de signer des documents en l'absence du directeur général et quand il lui a répondu qu'il ne le faisait pas, elle a apparemment déduit, de cette seule réponse , qu'il ne s'occupait pas des affaires courantes en l'absence de son employeur. Je conviens qu'il s'agit là d'une erreur de droit de la part de l'agente des visas. Signer son propre nom sur un document n'est sûrement qu'une simple indication du pouvoir qu'a une personne de s'occuper des affaires courantes, et l'agente des visas n'aurait pas dû se fonder uniquement sur cet élément pour parvenir à sa conclusion.

Deuxième question : l'expérience limitée du demandeur

[31]      M. Rotenberg fait également valoir que la déclaration de l'agente des visas dans ses notes au STIDI indiquant qu'elle n'était pas [TRADUCTION] " convaincue qu'il pourrait se trouver de l'emploi comme secrétaire de direction au Canada compte tenu du fait que son expérience est limitée à cette profession particulière " constitue une erreur étant donné qu'il s'agit d'un élément non pertinent en vertu des facteurs 3 ou 4 (expérience et facteur professionnel) et que cela ne peut être pris en considération que sous le facteur 9 [personnalité] énumérés à l'annexe I du Règlement.

[32]      M. Rotenberg a raison quand il soutient que, si l'agente des visas avait examiné sous les facteurs 3 ou 4 (expérience et facteur professionnel) le fait que le demandeur n'avait travaillé que pour un seul employeur, ou n'avait occupé qu'un seul genre d'emploi, elle aurait commis une erreur, parce que l'expérience " limitée " d'un immigrant n'est tout simplement pas mentionnée comme facteur pertinent. Toutefois, il me semble que cet élément est potentiellement pertinent sous le facteur 9 (personnalité), en ce sens que cela limite l'adaptabilité du demandeur au marché du travail canadien. Étant donné que l'agente des visas n'a pas clairement indiqué en vertu de quel facteur elle a examiné cet élément, je ne suis pas convaincu qu'elle a commis une erreur en tenant compte, en vertu de l'annexe I du Règlement, de l'expérience limitée du demandeur.

[33]      Toutefois, j'ajouterais que la décision de l'agente des visas selon laquelle le fait que le demandeur occupait le poste de secrétaire de direction relevant du directeur général des Approvisionnements était plus vraisemblablement attribuable au nombre de ses années de service auprès de cet employeur qu'au degré de responsabilité qu'il assumait, étant donné surtout que le demandeur avait gravi les échelons pour parvenir à ce poste, indique manifestement qu'elle a préféré la profondeur de l'expérience plutôt que son étendue. Dans la décision Prajapati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] A.C.F. nE 1463 (C.F. 1re inst.), la Cour a déclaré, dans des circonstances assez semblables, qu'une telle conclusion semble regrettable.

[34]      L'avocate du défendeur a accepté la proposition selon laquelle les agents des visas ont l'obligation d'agir équitablement quand ils examinent les demandes de visas et que cela les oblige à poser des questions raisonnables qui leur permettront d'évaluer soigneusement une demande et, dans certaines circonstances à tout le moins, d'informer un immigrant des conclusions négatives qu'ils ont tirées relativement à cette demande, de façon que celui-ci puisse y répondre. En l'espèce, la question est de savoir si l'agente des visas a respecté cette norme minimale d'équité procédurale qui est imposée par l'obligation d'agir équitablement.

[35]      Dans ce contexte, il est important de rappeler les principaux objectifs de l'administration des contrôles en matière d'immigration. Le premier objectif est de faciliter l'admission au Canada de personnes qui respectent les conditions énoncées dans la Loi et le Règlement sur l'immigration. Le deuxième est de veiller à ce que les personnes qui ne respectent pas ces conditions soient exclues. Ces deux objectifs sont d'égale importance, et il sera vraisemblablement impossible de les réaliser si les agents des visas n'adoptent pas une procédure pour traiter les demandes de visas dont le but est de parvenir à des décisions justes et réfléchies. Par ailleurs, la charge de travail des agents ne doit pas être alourdie par des tâches procédurales imposées par la Cour qui les empêche de traiter les demandes d'une manière rapide et rentable.

[36]      Étant donné que les descriptions de secrétaire de direction et de secrétaire qui sont données dans la CCDP sont si similaires, les questions essentielles dans la présente demande de visa portent précisément sur les aspects de ces définitions qui diffèrent. Donc, pour déterminer si les fonctions du demandeur incluaient les " recherches ", l'agente des visas a posé au demandeur des questions qui avaient pour but d'établir précisément ce qu'il faisait dans l'exercice de cet aspect de ses fonctions, et qu'il décrit comme [TRADUCTION] " compiler des statistiques et des données pertinentes aux activités du Service et préparer des rapports périodiques décrivant l'état général des activités d'approvisionnement pour examen par la haute direction ". L'agente des visas a essayé de déterminer à partir des réponses du demandeur si cela signifiait qu'il effectuait des " recherches ", ce qui pour elle signifiait faire sa propre analyse ou ses propres réflexions, ou trouver lui-même l'information. Elle a conclu qu'il compilait simplement dans un seul rapport les renseignements qui lui étaient fournis par les différents chefs de section, de façon à faciliter la consultation de ces renseignements par la direction de la compagnie, et que cela ne supposait pas de " recherche ".

[37]      À mon avis, l'agente des visas a posé suffisamment de questions pour lui permettre de faire une évaluation minutieuse et de déterminer que le requérant " compilait " simplement des renseignements et ne faisait pas de recherche. Je ne pense pas non plus qu'elle était tenue de communiquer au demandeur le sens qu'elle donnait au mot " recherche " utilisé sous le titre CCDP 4111-111, étant donné qu'elle n'a pas donné à ce mot un sens différent de celui qu'il a dans l'usage courant. La communication de ce renseignement au demandeur pour lui permettre d'y répondre n'aurait vraisemblablement pas amélioré la qualité de la décision de l'agente des visas.

[38]      Toutefois, quand l'agente des visas a examiné une autre des différences entre les descriptions des deux professions, par exemple le fait que le secrétaire de direction s'occupait des affaires courantes en l'absence de son employeur, ses questions ont été bien loin d'être exhaustives. Tout d'abord, elle n'a jamais demandé au requérant s'il avait le pouvoir de signer le nom du directeur général ou ses initiales en son absence ; elle semble uniquement lui avoir demandé s'il signait son propre nom. Toutefois, ce qui est plus important, l'agente des visas n'a pas exploré de façon plus approfondie avec le demandeur la nature de ses responsabilités concernant les affaires courantes en l'absence du directeur général. La question de savoir si le demandeur avait le pouvoir de signer son propre nom n'était pas assez équivalente à l'expression " traiter des affaires courantes " pour que l'agente des visas n'ait pas senti le besoin de poser d'autres questions. Après tout, les instructions concernant les signatures varient selon les entreprises.

[39]      L'agente des visas a déclaré dans son affidavit qu'elle avait " exprimé ses préoccupations " au demandeur. Toutefois, il ne ressort pas clairement ni de l'affidavit, ni des notes au STIDI, quelle était la nature précise de ses préoccupations, ou si elles ont été communiquées en termes clairs au demandeur. L'agente des visas a expliqué qu'elle avait inscrit dans ses notes au STIDI uniquement les réponses du demandeur à ses questions, et non pas les questions qu'elle lui avait posées. Je ne suis pas convaincu d'après la preuve dont je suis saisi que cette " [expression de] ses préoccupations " était suffisante pour donner au demandeur en l'espèce une possibilité raisonnable de fournir des précisions et d'élaborer sur la nature de ses fonctions en l'absence du directeur général.

[40]      Le fait que le demandeur n'ait pas eu cette possibilité laisse supposer que l'agente des visas n'a pas satisfait à son obligation d'équité procédurale à laquelle a droit le demandeur. Je conclus donc que le fait que l'agente des visas ait omis d'explorer de façon plus approfondie la nature des responsabilités du demandeur en l'absence du directeur général a porté atteinte à sa capacité de prendre une décision réfléchie, et a donc entraîné un manquement à l'obligation d'agir équitablement.

[41]      Finalement, l'agente des visas semble avoir ignoré les fonctions qu'occupait le demandeur relativement à l'appréciation du rendement des employés qui relevaient du directeur général des Approvisionnements, ou n'avoir posé aucune question à ce sujet. Cet aspect des fonctions du demandeur laisse supposer que l'aide assurée par le demandeur pouvait être beaucoup plus importante que " les travaux de bureau [...] de moindre importance " d'un " secrétaire ", et ressembler davantage aux " fonctions administratives et de secrétaire de direction " exercées par un " secrétaire de direction ". Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une question que l'agente des visas aurait manifestement dû approfondir avec le demandeur.

[42]      J'ajouterais également que la pratique suivie par l'agente des visas qui avait l'habitude de demander à un immigrant à la fin de l'entrevue s'il souhaitait ajouter autre chose ne suffit pas pour satisfaire à l'obligation de poser des questions raisonnables qu'impose l'obligation d'agir équitablement. Cette pratique ne permet pas d'informer un demandeur des préoccupations qu'un agent des visas peut entretenir de façon à lui donner une possibilité raisonnable de dissiper ses préoccupations particulières relativement à la demande. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 20 Imm. L.R. (2d) 290 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

         [...] lorsque l'agent des visas a commencé à craindre que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises [...] elle aurait dû l'interroger expressément sur chacun des critères séparément. Le fait pour elle d'avoir simplement exprimé une crainte de façon générale et de s'être attendue ensuite à une réponse significative n'est pas compatible, selon moi, avec les exigences de l'équité en matière de procédure.                 

[43]      En l'espèce, la question essentielle était de savoir si le demandeur pouvait réunir les qualités d'un secrétaire de direction, par opposition à celles d'un secrétaire. Cette décision repose sur des faits très précis, et dans ce cas, elle exigeait manifestement plus qu'une question générale pour permettre à l'agente des visas d'évaluer adéquatement les renseignements que le demandeur lui avait donnés. Ce genre d'invitation ouverte à la fin d'une entrevue ne peut compenser l'omission de l'agente d'avoir exploré de façon plus approfondie les documents dont elle était saisie en posant des questions, ou en communiquant au demandeur la nature précise de ses doutes concernant la demande.

[44]      À mon avis, les erreurs de fond et de procédure qu'a commises l'agente des visas constituent, prises ensemble, un élément suffisant pour vicier son refus de délivrer un visa au demandeur, et sa décision est donc infirmée. M. Rotenberg m'a demandé, si je conclus en faveur du demandeur comme je viens de le faire, de renvoyer l'affaire à la même agente des visas, Mme Fahmy, en lui communiquant la conclusion de fait que le demandeur a satisfait à " l'énoncé principal " de la définition de " secrétaire de direction " que l'on trouve sous le titre CCDP 4111-111. Il fait valoir que les agents d'immigration font preuve d'une loyauté collégiale qui les amène à mal accueillir le fait que des décisions prises par leurs collègues sont infirmées et que cela éviterait d'autres refus inutiles et d'autres demandes de contrôle judiciaire, si j'accepte les conditions qu'il suggère.

[45]      Je ne peux accepter cet argument. Comme je l'ai déjà indiqué, la question de savoir si une personne a les qualités requises pour exercer une profession particulière doit être déterminée en lisant la description dans son ensemble, et en examinant l'expérience professionnelle de l'immigrant dans son ensemble. Par conséquent, il ne serait pas utile que j'indique que le demandeur a satisfait à certains éléments de la description, et que je retire ceux-ci de la décision de l'agente des visas. Il importe de se rappeler que le législateur a confié aux agents des visas, et non pas aux tribunaux, la fonction de se prononcer sur les demandes de visas, et la Cour ne doit pas usurper cette fonction. Qui plus est, je ne suis saisi d'aucun élément de preuve qui me permette d'appuyer la suggestion de M. Rotenberg selon laquelle, parce que le refus de Mme Fahmy a été infirmé, un autre agent des visas ne s'acquittera pas correctement de ses obligations professionnelles qui sont, notamment, d'évaluer équitablement la demande.

[46]      En conclusion, j'infirme le refus de l'agente des visas de délivrer un visa au demandeur et je renvoie l'affaire à un autre agent des visas pour que celle-ci soit décidée en conformité avec le droit et les motifs de la présente ordonnance. Les dépens sont adjugés au demandeur.

OTTAWA (ONTARIO)                      John M. Evans

                        

le 22 octobre 1998                              Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-1702-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SYED HAMID HUSSAIN c.
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 8 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EVANS

DATE :                  le 22 octobre 1998

ONT COMPARU :

Cecil L. Rotenberg                      POUR LE DEMANDEUR

M. Lori Hendriks                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg                      POUR LE DEMANDEUR

Don Mills (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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