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                                                                                                                                  Date: 20000602

                                                                                                                       Dossier: IMM-933-99

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

DALIA MARIA VIERAS PALOMARES

                                                                                                                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit ici du cas classique de la personne qui est au mauvais endroit au mauvais moment. Mme Palomares a été témoin d'un meurtre dans des circonstances qui donnaient à entendre que l'armée vénézuélienne était en cause. On a tenté de la faire taire. Elle s'est enfuie du pays par crainte et est venue au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié. La section du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'elle n'était pas un réfugié. La demanderesse a présenté une demande en vue de faire infirmer la décision de la SSR.


[2]         La demanderesse travaillait comme réceptionniste à l'aéroport La Carlota, à Caracas, Venezuela. Au mois de novembre 1994, elle a été témoin du vol d'un avion à l'aéroport, au cours duquel un collègue de travail a été tué. Les auteurs du crime, qui étaient membres de l'armée, étaient masqués, mais la victime a pu démasquer l'un d'eux avant d'être tué. La demanderesse a vu le visage du criminel. Elle a été ligotée et battue avec un autre collègue et des menaces de mort ont été proférées contre eux s'ils signalaient ce qu'ils avaient vu.

[3]         Le lendemain, la demanderesse a signalé ce qu'elle avait vu aux autorités militaires. Dans son Formulaire de renseignements personnels, elle déclare qu'une enquête a été menée et qu'il a été constaté que le personnel militaire volait des avions et les vendait en Colombie. Il s'agissait apparemment du troisième vol de ce genre.

[4]         Au cours de la seconde semaine du mois de janvier 1995, la demanderesse a été interrogée par les enquêteurs militaires; ces derniers lui ont montré des photographies qui lui ont permis d'identifier l'homme dont le masque avait été retiré. Le 25 janvier 1995, deux hommes sont entrés par effraction chez elle et ont battu son frère pour avoir des renseignements sur ses allées et venues. Heureusement, son frère ne savait pas où elle était à ce moment-là. Le 19 février, deux hommes masqués sont de nouveau entrés par effraction chez elle et ont tiré des coups de feu au hasard. Le père de la demanderesse a été tué au cours de la mêlée. Les assaillants se sont enfuis lorsque les voisins sont apparus sur les lieux.


[5]         La police judiciaire technique a été informée du meurtre du père de la demanderesse. Des agents de la police ont interrogé la demanderesse mais, étant donné qu'elle ne pouvait pas identifier les criminels, ils se sont contentés d'ouvrir un dossier.

[6]         La demanderesse a quitté son appartement pour se loger dans un endroit plus sûr pendant qu'elle prenait des dispositions pour quitter le pays. Au mois d'avril 1995, elle a quitté le Venezuela pour venir au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée.

[7]         La SSR a entendu la revendication le 19 novembre 1998 et a rendu, le 1er décembre 1998, une décision dans laquelle il a été conclu que la demanderesse n'était pas un réfugié parce qu'elle n'était pas persécutée pour l'un des cinq motifs prévus par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Il a été conclu que la demanderesse était victime d'une activité criminelle qui n'avait rien à voir avec les motifs pour lesquels le statut de réfugié peut être revendiqué.

[8]         La demanderesse présente cette demande de contrôle judiciaire pour le motif que la SSR aurait dû examiner sa revendication sur la base suivante :

1-          les criminels étaient membres des forces militaires;

2-          bien qu'elle ait pu identifier l'un des criminels, l'enquête n'a donné aucun résultat concret;


3-          après qu'elle eut identifié l'un des criminels, on a tenté de la tuer;

4-          ces deux faits donnent à entendre que l'armée était de connivence avec les criminels, de sorte que la demanderesse est victime d'actions étatiques;

5-          lorsque la corruption existe partout, la condamnation de la corruption peut constituer un acte politique;

6-          la preuve documentaire montre que la corruption existe partout au Venezuela, et ce, à tous les paliers du gouvernement;

7-          par conséquent, les motifs des individus qui tentaient de faire du mal à la demanderesse étaient de nature politique plutôt que criminelle ou, subsidiairement, ces individus considèrent que les motifs de la demanderesse sont de nature politique.


[9]         La demanderesse se fonde sur la décision que le juge Wetston a rendue dans l'affaire Berrueta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 109 F.T.R. 159, [1996] A.C.F. 354, où le juge avait annulé une décision dans laquelle la SSR avait conclu que le demandeur avait été victime d'une activité criminelle lorsqu'on s'en était pris à lui après qu'il eut dénoncé la corruption gouvernementale. Dans ce cas-là, le demandeur avait été actif dans le domaine de la politique avant que les allégations de corruption aient été faites; de plus, la preuve établissait que les individus qu'il accusait de corruption était intimement liés à l'administration locale. Dans ces conditions, le juge Wetston a conclu que le fait de dénoncer la corruption peut constituer une attaque de nature politique et que les tentatives de suppression effectuées par les individus accusés de corruption peuvent être des actes politiques. Cet élément n'existe pas en l'espèce, étant donné que la demanderesse ne s'était jamais auparavant livrée à des activités politiques et qu'elle n'a pas signalé le meurtre à la police en invoquant des raisons d'ordre politique.

[10]       La présente affaire se rapproche davantage de l'affaire Becerra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998) 153 F.T.R. 275, [1998] A.C.F. no 1201, une décision de Monsieur le juge Pinard. Dans cette affaire-là, la demanderesse était persécutée parce qu'elle n'avait pas camouflé les actes de corruption commis par un individu qui avait des relations politiques. Le juge Pinard a dit ce qui suit au sujet du critère relatif à l'appartenance à un groupe social que la Cour suprême du Canada avait énoncé dans l'arrêt Canada c. Ward, infra :

La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689 prévoit que l'appartenance à un groupe social particulier devrait être visée par l'une des trois catégories suivantes, définies à la page 739 :

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

(2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.


[11]       Le juge Pinard a ensuite conclu qu'on ne peut pas dire que la personne qui dénonce la corruption fait partie du premier ou du troisième groupe. Selon le juge, elle ne fait pas non plus partie du deuxième groupe en ce sens qu'on ne peut pas dire que le motif, bien qu'il soit louable, est essentiel à sa dignité humaine.

[12]       Il en va de même en l'espèce. Rien ne montre que la demanderesse ait été traitée comme elle l'a été du fait de son appartenance à un groupe. Au contraire, elle a fait l'objet d'actes de violence à cause d'une caractéristique fort personnelle, à savoir sa capacité de témoigner, qui pourrait donner lieu à des poursuites. En outre, la question de l'association pour des motifs « essentiels à la dignité humaine » ne se pose pas.

[13]       Une conclusion similaire a été tirée dans la décision Valderrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998) 153 F.T.R. 135, [1998] A.C.F. no 1125, où il avait été allégué devant le juge Reed qu'un homme d'affaires prospère faisait l'objet d'actes d'extorsion à cause des opinions politiques qu'on lui imputait en tant que personne prospère. Le juge a conclu qu'il n'existait pas de lien entre les victimes d'extorsion et un groupe social admissible au statut de réfugié.

[14]       La demanderesse cherche à créer ce lien entre le meurtre et la persécution étatique en signalant des éléments de preuve qui donnent à entendre que les autorités sont en cause. Elle attire l'attention de la Cour sur le fait que rien n'est arrivé aux auteurs du crime même si elle avait pu identifier l'un d'entre eux à l'aide de photos que les agents de police lui avaient montrées. Elle souligne également l'omission des autorités de prendre des mesures après le décès de son père. Elle signale la preuve documentaire selon laquelle il y a de la corruption partout au Venezuela.


[15]       À mon avis, ces éléments de preuve ne suffisent pas pour établir le lien nécessaire à l'égard du statut de réfugié. Le fait de dénoncer la corruption peut être un acte politique, mais cela n'équivaut pas toujours à pareil acte ou encore les individus corrompus ne considèrent pas toujours la chose comme un acte politique. Le risque que la demanderesse court découle du fait qu'elle a été témoin d'un crime. Même si des membres de l'appareil étatique sont en cause, le dépôt d'une plainte ne constitue pas nécessairement une action politique, et cela ne veut pas dire non plus qu'ils considéreront la plainte comme une action politique. Il est difficile de faire des conjectures au sujet de la raison pour laquelle les autorités n'ont rien fait à la suite de l'identification, mais bien que cela puisse être à cause de la corruption, cela pouvait également être à cause d'une erreur d'identification. Quant aux tentatives qui ont été faites pour tuer la demanderesse, les auteurs du crime savaient où la demanderesse travaillait. Ils n'avaient pas besoin que l'on collabore officiellement avec eux pour trouver sa maison. Il suffisait de la surveiller. Je n'entends pas minimiser les craintes de la demanderesse, mais je désire plutôt signaler que le lien entre la sanction étatique ou la collusion est faible. Pour ces motifs, la décision de la SSR n'était pas déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


[16]       La situation de la demanderesse ici en cause est semblable à celle des demandeurs dans les affaires Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 362, (1999) 163 F.T.R. 144, et Mehrabani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 427; le fait qu'elle n'est pas un réfugié au sens de la Convention ne veut pas dire qu'elle n'est pas en danger si elle retourne dans son pays. Il s'agit d'un facteur dont le ministre voudra peut-être tenir compte dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la Loi.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision que la section du statut de réfugié a rendue le 8 février 1999, dont les motifs sont datés du 1er décembre 1998, est par les présentes rejetée.

          « J.D. Denis Pelletier »           

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-933-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                DALIA MARIA VIERAS PALOMARES

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 9 DÉCEMBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Pelletier en date du 2 juin 2000

ONT COMPARU :

MABEL E. FRASER                                                    POUR LA DEMANDERESSE

SHERRY RAFAI FAR                                                 POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                      

MABEL E. FRASER                                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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