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     T-1700-96

Entre :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     WASILY (WASIL) BOGUTIN,

     intimé.

     MOTIFS DE LA DÉCISION

Le juge McKEOWN

     Le requérant, ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, demande à produire en preuve quatre déclarations signées de personnes maintenant décédées et deux déclarations signées par une personne qui n'est plus mentalement capable. Ces six déclarations sont produites pour faire foi de leur contenu. Il s'agit d'examiner si elles satisfont à la double condition de nécessité et de fiabilité pour que la Cour en autorise l'admission en preuve, par exception à la règle d'exclusion du témoignage par ouï-dire. Il convient de rappeler les faits.

LES FAITS

     Des agents de la Section des enquêtes sur les crimes de guerre et les affaires spéciales de la GRC se sont rendus en Ukraine en 1993 pour recueillir les dépositions de témoins potentiels dans ces dossiers, dont le procureur local (le procureur) avait communiqué les noms au ministère de la Justice. Dans le cas des trois témoins interrogés en février et en juin 1993, leurs dépositions ont été prises dans le cadre d'une enquête sur un autre individu que l'intimé. Par suite de ces déclarations, celui-ci a fait l'objet d'une enquête par la GRC, et d'autres dépositions ont été recueillies à son sujet en novembre 1993.

     Dans tous les cas, les témoins ont déposé dans une langue autre que l'anglais, ce qui fait que deux interprètes étaient présents chaque fois qu'une déclaration fut recueillie. Étant donné que les circonstances dans lesquelles ces dépositions furent recueillies n'étaient pas les mêmes, il sera nécessaire de les rappeler plus spécifiquement à l'égard de chacune d'elles.

     Dans chaque cas, le témoin a été informé par l'agent de la GRC que la participation à l'entrevue était volontaire, qu'il n'avait rien à craindre, qu'il ne faisait l'objet d'aucune enquête, et que l'enquête visait uniquement des personnes vivant au Canada. Si le témoin acceptait d'être interrogé, dans les quatre cas, l'agent leur donnait lecture d'un avertissement. Il appert que lecture de l'avertissement n'a pas été donnée lors de deux entrevues de février 1993. Dans les autres cas, l'avertissement n'a pas été donné dans les mêmes termes pour chaque témoin. Toujours est-il que de façon générale, le témoin était averti que s'il refusait de témoigner, s'il gardait des renseignements par devers lui ou s'il donnait un faux témoignage, il tomberait sous le coup des articles 178 et 179 du code pénal de l'Ukraine. En particulier, dans certains cas, l'avertissement ne comportait pas les termes " refuser de témoigner ", mais employait des termes comme " refuser ou éviter de rendre témoignage ".

Illya Maslo

     Illya Maslo a été interrogé à deux reprises par des agents différents de la GRC. Il a été interrogé par l'agent Marcil au bureau du procureur en la ville de Selidovo, en Ukraine, le 12 février 1993. L'entrevue, commencée à 13 h 40, a pris fin à 15 h 25. Une représentante du ministère de la Justice du Canada, Mme Gertler, était présente ainsi que deux interprètes. Aucun autre agent de police ni le procureur n'y assistait. Comme c'est le cas de toutes les six déclarations en cause, l'entrevue n'était pas enregistrée par des moyens mécaniques.

     L'agent Marcil a posé des questions sur des événements qui avaient eu lieu durant la Seconde guerre mondiale. Il les a posées en anglais, un interprète les a traduites en russe, M. Maslo a répondu en russe, et ses réponses ont été traduites en anglais. Les notes prises par l'agent Marcil étaient en anglais puisqu'il ne parlait ni russe ni ukrainien. Tandis que l'interprète traduisait verbalement, le second interprète transcrivit l'entrevue en russe, afin que l'agent Marcil pût la faire lire et vérifier par M. Maslo par la suite. Dans la soirée, celui-ci donna ses notes à l'interprète pour l'aider dans la transcription. Il donna aux réponses de M. Maslo une forme narrative, c'est-à-dire qu'on n'y voit pas les questions et réponses comme telles.

     L'agent Marcil a posé des questions très spécifiques pour clarifier les déclarations de M. Maslo. Il fait savoir qu'il a pu demander au témoin de confirmer la date de tel ou tel événement, mais qu'il n'a pas touché à l'année indiquée par celui-ci pour dater un événement donné. Il lui a demandé ce qu'il se rappelait des brutalités et des fusillades qu'il avait vues de ses propres yeux. Il lui a posé des questions sur les victimes et sur les auteurs de ces crimes, mais n'avançait aucun nom à moins que le témoin ne le mentionnât le premier. Puis, à la fin de l'entrevue, l'agent Marcil a demandé à M. Maslo s'il savait des choses sur des personnes dont les noms n'avaient pas été mentionnés.

     L'agent Marcil ne se servait pas d'une liste de questions préparées à l'avance. Il a posé ses questions spontanément au fur et à mesure de l'entrevue. Certaines de ses questions ont été posées dans plus d'une entrevue, mais il n'avait pas un ensemble de questions standard. Il prit ses notes sous forme narrative, ce qui donne cinq pages manuscrites très lisibles. Il fait savoir que l'entrevue prenait beaucoup de temps à cause de la traduction et de la transcription, laquelle, dit-il, consigne presque mot pour mot ce qui a été dit. Il nie expressément que l'entrevue ait duré aussi longtemps parce qu'il répétait les mêmes questions jusqu'à ce qu'il eût obtenu les réponses qu'il voulait.

     M. Maslo avait 91 ans au moment de l'entrevue et on lui demanda de se souvenir d'événements qui remontaient à 52 ans. L'agent Marcil fait savoir que M. Maslo avait une très bonne mémoire au sujet de ce qui se passait durant l'invasion allemande, et qu'il avait l'impression que celui-ci ne parlait que de ce qu'il avait vu de ses propres yeux. L'agent a dit à M. Maslo et aux autres témoins qu'ils ne pouvaient témoigner que sur ce qu'ils avaient connu de première main. Il affirme que si le témoin faisait état d'une rumeur au sujet de quelque chose, il prenait soin de noter qu'il s'agissait d'une rumeur et non d'un témoignage direct. Aucune " rumeur " n'a été consignée dans les dépositions recueillies par l'agent Marcil. Cependant, on peut lire dans sa déclaration que M. Maslo avait " entendu parler " de certains événements par d'autres et qu'il n'en était pas le témoin oculaire. Ni les présentations faites au début de l'entrevue de M. Maslo ni l'avertissement donné n'ont été consignés nulle part.

     Le lendemain matin, l'agent Marcil, Mme Gertler et les deux interprètes se sont rendus chez M. Maslo. Lecture lui a été donnée de la traduction de la déclaration et il a été informé qu'il pouvait faire toutes les rectifications qu'il voulait. L'agent de la GRC a posé une question de plus, laquelle ainsi que la réponse de Maslo a été portée au bas de la dernière page de la traduction. Après que lecture de la déclaration lui eut été donnée en russe, M. Maslo l'a signée.

     Selon l'agent Marcil, M. Maslo était un bon témoin. Il était bien plus âgé que M. Lykov, un autre témoin que l'agent Marcil devait interroger par la suite, mais il paraissait en meilleure santé. Ses facultés mentales étaient très bonnes aussi. L'agent Marcil fait savoir que M. Maslo était coopératif et répondait sans hésitation aux questions posées.

     M. Maslo a été interrogé une seconde fois par le caporal Fnukal de la GRC. L'entrevue, commencée à 15 h 13, a pris fin à 18 h 15. Elle eut lieu chez M. Maslo, à Selidovo, dans la cuisine. Aucune autorité ukrainienne n'y assistait. L'entrevue a été interrompue une fois par un homme venu réparer le téléviseur de M. Maslo.

     Le caporal Fnukal témoigne que M. Maslo était très disposé à parler. Il avait 91 ans mais son état physique était encore fort satisfaisant. Il pouvait marcher et rester assis, mais se déplaçait avec une certaine lenteur. Il portait des lunettes. Selon le caporal Fnukal, M. Maslo répondait sans hésitation aux questions posées.

     Le caporal Fnukal avait une liste de questions préparées, et il prenait des notes de temps à autre en vue de formuler d'autres questions. M. Maslo parlait russe pendant l'entrevue, et l'avertissement lui a été donné à l'aide d'une formule rédigée en russe. Lecture ayant été donnée de l'avertissement, M. Maslo a déclaré l'avoir compris et l'a signé.

     À l'ouverture de l'entrevue, le caporal Fnukal a passé en revue la déclaration du 12 février 1993 de M. Maslo avec celui-ci, puis a commencé à poser ses questions. Il fait savoir que ses questions n'étaient pas de nature accusatoire, mais visaient à aider le témoin à se concentrer sur l'époque et le lieu au sujet desquels il témoignait. Il reconnaît que ces questions ont pu sous-entendre certaines choses. Il a rayé certaines questions préparées à l'avance sur sa liste parce qu'il lui répugnait de les poser. Une collection de photographies, dont celle de l'intimé, a été montrée à M. Maslo qui n'y a reconnu personne.

     À la fin de l'entrevue, lecture a été donnée à M. Maslo de la déclaration qu'il avait faite ce jour. Il a été informé qu'il pouvait y porter les rectifications qu'il voulait. Il a persisté et a signé au bas de chaque page. Le groupe est parti à 18 h 20.

Aleksei Sapach

     Aleksei Sapach a été interrogé lui aussi à deux reprises par la GRC. La première entrevue, qui eut lieu le 9 juin 1993, fut conduite par l'agent Fradette, en présence de Mme Gertler et de deux interprètes venus de Kiev. Le groupe se rendait à bord d'une fourgonnette chez M. Sapach à Selidovo, en compagnie d'un " ancien milicien " et d'un chauffeur, ces deux derniers n'assistant ni l'un ni l'autre à l'entrevue. Le groupe est arrivé chez M. Sapach vers 11 h 20 et lui a posé quelques questions préliminaires à bord de la fourgonnette pour vérifier s'il savait quelque chose qui présenterait un intérêt pour l'enquête. M. Sapach disant avoir effectivement des éléments d'information, l'agent Fradette lui a demandé s'il accepterait d'aller au bureau du procureur de Selidovo pour une entrevue. M. Sapach a accepté. Quelques notes ont été prises lors de l'interrogatoire préliminaire, mais rien d'autre n'a été consigné.

     M. Sapach s'en fut au bureau du procureur en voiture en compagnie de l'agent Fradette et de son groupe. L'agent Fradette a fait savoir à M. Sapach que sa participation à l'entrevue était complètement volontaire. Il lui a expliqué pourquoi ses collègues et lui-même se trouvaient à Selidovo et pourquoi ils posaient des questions. M. Sapach a été informé qu'il était libre de répondre ou non aux questions posées. L'entrevue a duré de 11 h 55 à 13 h 58. Aucun représentant de la police ni le procureur n'y assistait. L'agent Fradette avait apporté une liste de questions. La transcription en russe de la déclaration porte en première page un avertissement dont l'interprète a donné lecture à M. Sapach. Ce fut là le seul avertissement donné à ce dernier. L'agent Fradette reconnaît qu'il n'était pas certain de la teneur des articles du code pénal d'Ukraine cités dans l'avertissement.

     Au cours de l'entrevue, les questions posées par l'agent Fradette étaient traduites en russe, et les réponses données par M. Sapach traduites en anglais. L'interprète chargé de consigner les questions et les réponses en russe, a eu pour instructions de les transcrire fidèlement. L'agent Fradette a pris quelques notes au cours de l'entrevue pour se guider dans ses questions comme il ne s'en tenait pas strictement aux questions préparées à l'avance.

     À la fin de l'entrevue, le groupe a dû revenir chez M. Sapach pour que celui-ci pût prendre ses lunettes. La déclaration a été signée et la collection de photographies examinée. Lecture de la déclaration consignée par l'interprète a été donnée à M. Sapach, qui a été informé qu'il pouvait y apporter toute rectification qu'il voulait. Celui-ci a persisté dans son témoignage et a signé chaque page.

     Selon l'agent Fradette, M. Sapach jouissait visiblement de ses facultés mentales, comprenait les questions et y répondait sans hésitation, sauf quand il s'arrêta pour se concentrer sur des événements qui remontaient loin dans le passé. Son état physique n'était pas aussi satisfaisant que son état mental. Il était sous traitement médical pour son diabète, il avait eu une crise cardiaque, il avait été blessé à la jambe pendant la guerre, et avait des ennuis avec son foie. Il était cependant capable de se déplacer par ses propres moyens.

     M. Sapach a été interrogé de nouveau le 24 novembre 1993, chez lui à Selidovo. L'entrevue, arrangée par les soins du bureau du procureur de la ville, fut conduite par le caporal Fnukal. Celui-ci, Mme Gertler et deux interprètes se rendirent chez M. Sapach à 8 h 35 et terminèrent l'entrevue vers 11 h 45. Aucune autorité ukrainienne n'était présente. À la question de savoir s'il préférait l'ukrainien ou le russe, M. Sapach a choisi le russe, c'est pourquoi la formule imprimée en russe a été utilisée. Les questions posées par le caporal Fnukal en anglais furent traduites en russe, et les réponses données en russe par M. Sapach furent traduites en anglais.

     Le caporal Fnukal a ouvert l'entrevue par des questions sur la déclaration du 9 juin 1993 de M. Sapach, puis a posé d'autres questions. La nouvelle déclaration de M. Sapach comporte trois pages sur M. Bogutin et, selon le caporal Fnukal, il ne s'agit pas là de choses rapportées de seconde main.

     Le caporal Fnukal fait savoir que M. Sapach était coopératif. Il a signé l'avertissement en russe après que lecture lui en eut été donnée. Chaque bas de page a été paraphé par l'interprète et le caporal Fnukal, et signé par M. Sapach. Tous les trois ont signé la dernière page de la déclaration. Aucun modification n'a été apportée à celle-ci.

     Selon le caporal Fnukal, M. Sapach jouissait de ses pleines facultés mentales et comprenait visiblement les questions posées. Son état physique n'était pas aussi satisfaisant que son état mental. Il avait le diabète, avait eu une crise cardiaque 12 ans avant l'entrevue et était un invalide au second degré en raison de blessures reçues pendant la guerre. Il prenait des espèces médicinales pour son diabète, sans autre médicament.

M. Lykov

     M. Lykov a été interrogé deux fois par la GRC. Il avait été interrogé et avait fait des dépositions aux autorités de l'ancienne Union soviétique à 11 reprises au moins. Le requérant ne cherchait pas à produire en preuve ces dépositions.

     Le 15 février 1993, M. Lykov a été interrogé par l'agent Marcil qui était accompagné de Mme Gertler et des deux interprètes. M. Lykov a été interrogé en russe au bureau du procureur à Kirovograd. L'entrevue, commencée à 10 h 15, a duré jusqu'à 13 h 56. Il n'y avait dans la pièce personne d'autre que le groupe de l'agent Marcil et le témoin lui-même. À l'ouverture de l'entrevue, l'agent Marcil et ses compagnons se sont présentés, puis ont assuré M. Lykov qu'il n'avait rien à craindre puisqu'il ne faisait l'objet d'aucune enquête.

     L'agent Marcil ne se servait pas d'une liste de questions préparées à l'avance. Ses questions, posées en anglais, furent traduites en russe, et les réponses données par M. Lykov en russe, furent traduites en anglais. L'agent Marcil a pris des notes qu'il arrangeait sous forme de narratif. Il avait fait en vue de l'entrevue un croquis pour se faire une meilleure idée de la configuration du lieu dont parlait le témoin.

     L'agent Marcil fait savoir qu'il formulait ses questions en contexte de temps et de lieu pour M. Lykov puisque les incidents en question remontaient à 50 ans. Il ne voulait pas déborder du cadre de l'enquête. Il affirme cependant qu'il n'aiguillait le témoin sur aucun incident en particulier et ne reprenait aucune de ses déclarations.

     Il a posé des questions pour clarifier les propos de M. Lykov, à qui il a posé certaines questions très spécifiques, savoir par exemple s'il se souvenait des brutalités et des fusillades. Il lui a demandé qui y prenait part, mais n'a suggéré aucun nom au témoin. Puis, vers la fin de l'entrevue, il lui a cité des noms qui n'avaient pas été mentionnés jusque là. L'agent Marcil fait savoir que si M. Lykov avait fait état d'une rumeur, celle-ci aurait été consignée comme telle dans la déclaration. Il n'y a cependant aucune mention de " rumeur " tout au long de la déclaration de M. Lykov, bien que l'agent Marcil eût noté que M. Lykov avait " entendu " quelque chose au sujet d'une personne visée par une enquête.

     Les notes ont été traduites sur le champ puisque que lecture a été donnée de sa déclaration à M. Lykov en russe, à la conclusion de l'entrevue. Il a été informé qu'il pouvait y apporter des rectifications. Il n'en a demandé aucune et la déclaration a été signée par l'interprète, M. Lykov et l'agent Marcil.

     M. Lykov a dit à l'agent Marcil qu'il avait des ennuis avec son coeur, qu'il souffrait des séquelles de blessures reçues pendant la guerre et qu'il n'était pas en bonne santé. Selon l'agent Marcil, M. Lykov était coopératif, participait de façon ouverte et répondait à toutes les questions posées. Il paraissait un peu fragile et physiquement faible, mais jouissait de ses facultés mentales et comprenait les questions posées. Je note cependant que dans l'une et l'autre de ses déclarations, certaines réponses de M. Lykov étaient déroutantes.

     Le 15 novembre 1993, M. Lykov a été interrogé de nouveau, cette fois par le caporal Fnukal. Celui-ci a témoigné en détail devant la Cour à l'aide de ses notes, affirmant que l'entrevue eut lieu chez M. Lykov, dans la partie qui servait de chambre à coucher et de salle de séjour. Cependant, la déclaration de M. Lykov prise par le caporal Fnukal indique en première page qu'elle a été faite au bureau du procureur à Kirovograd.

     Le caporal Fnukal, Mme Gertler et les deux interprètes participaient à l'entrevue, à laquelle n'assistait ni aucun représentant de la police locale ni le procureur. Elle s'est ouverte à 12 h 10 avec les présentations et la lecture de l'avertissement. M. Lykov a apposé sa signature au bas de la page de l'avertissement pour indiquer qu'il en comprenait le sens. S'étant vu offrir le choix de la langue à employer au cours de l'entrevue, il a choisi l'ukrainien, au contraire de l'entrevue précédente où il avait opté pour le russe. L'entrevue, commencée à 12 h 20, a pris fin à 16 h 30.

     Le caporal Fnukal avait une liste de questions préparées à l'avance. Il a aussi pris des notes, mais il n'y a pas une transcription textuelle de l'entrevue. Ces notes ne servaient qu'à l'aider dans l'entrevue. Les questions qu'il posait en anglais ont été traduites à l'intention de M. Lykov, dont les réponses données en ukrainien ont été traduites en anglais. Au fur et à mesure, le second interprète transcrivit la déclaration en ukrainien, tandis que le caporal Fnukal arrangeait ses propres notes selon les questions et réponses.

     Pour commencer, le caporal Fnukal a montré à M. Lykov sa déclaration de juin et l'a engagé à la lire. Celui-ci l'a fait, mais en a eu assez et a refusé de la lire jusqu'au bout. L'un des interprètes l'a donc lue à haute voix à son intention. M. Lykov a été ensuite interrogé au sujet de cette déclaration. Au cours de l'entrevue, il a dû quitter la pièce 14 fois en raison d'une incontinence d'urine causée par un rhume. Il souffrait aussi de douleurs qui descendaient de son dos jusqu'aux jambes, et était supposé recevoir des injections pendant 21 jours en traitement. Cependant, il n'en avait eu que cinq. Selon le caporal Fnukal, il jouissait de ses pleines facultés mentales, comprenait les questions posées et y répondait de façon concise. Je note cependant que les réponses consignées ne sont pas concises dans bien des cas. Le caporal Fnukal fait savoir que M. Lykov était coopératif.

     Mme Gertler ne posait normalement pas de questions au cours de ces entrevues, mais à l'occasion, glissait une question écrite sur un bout de papier au caporal Fnukal. Parfois, elle avait la possibilité de parler avec un témoin. Selon le caporal Fnukal, toutes les questions et réponses figuraient dans la transcription. Si Mme Gertler voulait poser une question, elle la communiquait parfois à haute voix au caporal Fnukal, et celui-ci la posait au témoin. Cette façon de procéder n'interrompait pas le cours de l'entrevue et ne semait pas la confusion puisque une seule personne parlait à la fois. Il était rare que plus d'une personne parlent à la fois car ceci n'était pas souhaitable. Le fait que M. Lykov devait aller 14 fois aux toilettes était complètement indépendant de la volonté des enquêteurs.

     À un moment donné, le caporal Fnukal a demandé à M. Lykov s'il serait en mesure de reconnaître l'intimé dans une collection de photographies. M. Lykov a répondu : " Oui, si vous me montrez les photographies ". Cependant, il n'a reconnu personne dans la collection de photographies qu'on lui montrait.

     Le caporal Fnukal pense que le chauffeur et les interprètes retenus en Ukraine ont été retenus à titre privé, et non par l'intermédiaire des autorités ukrainiennes. Parfois, un agent de police conduisait le groupe chez le témoin. Le caporal Fnukal ne se souvient pas s'il en était ainsi dans le cas de M. Lykov.

     À la fin de l'entrevue, lecture a été donnée de la déclaration consignée en ukrainien à M. Lykov, qui a été informé qu'il pouvait y apporter les rectifications qu'il voulait. Il a signé la déclaration sans aucune modification, et l'interprète et le caporal Fnukal l'ont paraphée.

ANALYSE

     Les règles de droit applicables en la matière ont été définies par la Cour suprême du Canada dans R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, où elle a prescrit la " méthode d'analyse fondée sur des principes " pour ce qui est de l'admission du témoignage par ouï-dire. Dans Khan , Mme le juge McLachlin indique en page 540 : " Je suis convaincue qu'en appliquant les critères traditionnels des déclarations spontanées le juge du procès a rejeté à juste titre la déclaration de la mère ". À son sens, la déclaration en question n'était ni contemporaine ni faite sous la contrainte ou l'intensité émotive qui fournirait la garantie de fiabilité sur laquelle se fonde traditionnellement la règle des déclarations spontanées. À mon avis, les six déclarations en cause ne tombent pas dans le champ d'application de la règle des déclarations spontanées, et ce pour les motifs énoncés par Mme le juge McLachlin. Elle a ajouté en page 540 :

     La question est donc de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, les restrictions de la règle du ouï-dire devraient être assouplies dans le cas d'un témoignage d'enfant.         

     Et encore, toujours en page 540 :

     Traditionnellement, la règle du ouï-dire a été considérée comme absolue, sous réserve de diverses catégories d'exceptions comme les aveux, les déclarations de mourants, les déclarations contre intérêt et les déclarations spontanées. Bien que cette attitude ait procuré un certain degré de certitude à la règle en matière de ouï-dire, elle s'est souvent avérée trop rigide devant de nouvelles situations et de nouvelles exigences du droit. Au cours des dernières années, les tribunaux ont donc parfois adopté une attitude plus souple, fondée sur les principes qui sous-tendent la règle du ouï-dire, plutôt que les restrictions des exceptions traditionnelles.         

     En page 541, elle a fait sien le raisonnement tenu par lord Pearce qui, par motifs dissidents dans Myers v. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001, pages 1040 et 1041, a dégagé les quatre critères qui s'attachent à toutes les exceptions :

     Premièrement, l'affaire doit comporter une difficulté d'obtenir d'autres preuves, car il ne fait aucun doute que la recevabilité des exceptions est fondée sur cette difficulté même. Deuxièmement, le déclarant doit être désintéressé; c'est-à-dire, désintéressé au sens que sa déclaration ne serve pas son intérêt personnel. Et, troisièmement, la déclaration doit avoir été faite avant le différend ou litige de sorte qu'elle ait été faite sans parti pris découlant de l'existence d'un différend ou litige que le déclarant pourrait être soupçonné de favoriser. Enfin, et cela me semble l'une des meilleures raisons de l'admettre, le déclarant doit avoir eu des moyens de connaissance qui ne sont pas à la portée des gens ordinaires.         

     Mme le juge McLachlin a réduit, page 542, en deux conditions générales les quatre critères dégagés par lord Pearce :

     Les quatre critères de lord Pearce peuvent se ramener à deux exigences générales : la nécessité et la fiabilité. En l'espèce, la déclaration de l'enfant à sa mère satisfait à ces exigences générales ainsi qu'aux critères plus précis. Il y avait nécessité puisque, comme le juge du procès l'a conclu, les autres éléments de preuve de l'événement étaient inadmissibles. Pour reprendre les propos de lord Pearce, la situation comportait une difficulté d'obtenir d'autres éléments de preuve.         

La nécessité

     Dans Smith, supra, le juge en chef Lamer cite en page 934 le passage suivant sur la nécessité de l'ouvrage Wigmore on Evidence (22 éd., 1923), vol. III :

     " il faut donner au critère de la nécessité une définition souple "         

     "

     (1) Il se peut que l'auteur de la déclaration présentée soit maintenant décédé, hors du ressort, aliéné ou, pour quelque autre motif, non disponible aux fins de la vérification [par contre-interrogatoire]. C'est la raison la plus courante et la plus évidente "         
     (2) La déclaration peut être telle qu'on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment-ci, obtenir des mêmes ou d'autres sources une preuve de même valeur. ["] La nécessité n'est pas aussi grande; on peut supposer qu'il s'agit d'une simple commodité. Mais le principe demeure le même.         

     Et d'ajouter en page 934 : " Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas limitées ". Il cite la jurisprudence Khan puis rappelle les faits de cette cause Smith, pour conclure en page 937 :

     À mon avis, la preuve par ouï-dire des déclarations faites par des personnes non disponibles pour témoigner au procès devrait généralement être admissible, lorsque les circonstances dans lesquelles les déclarations ont été faites satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité énoncés dans l'arrêt Khan, et sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel que possède le juge du procès d'exclure la preuve lorsque sa valeur probante est faible et que l'accusé pourrait subir un préjudice indu.         

     Dans Etienne v. McKellar General Hospital (1995), 38 C.P.C. (3d) (C.O. Div. gén.), qui était une affaire de faute professionnelle médicale, le juge Platana a conclu que les rapports d'expertise de deux médecins, qui ne pouvaient témoigner au procès, n'étaient pas admissibles pour le motif qu'ils n'étaient pas nécessaires. Il a cité entre autres facteurs déterminants la question de savoir si ces témoins sont devenus soudainement et de façon imprévue indisponibles à la date du procès, et si les rapports avaient été préparés par le principal praticien traitant qui avait fait des observations personnelles, que lui seul connaissait à l'époque.

     Le juge Platana conclut que le mauvais état de santé de l'un des docteurs avait été connu depuis un certain temps avant le procès et qu'il était clair que le demandeur avait la possibilité de s'assurer d'autres rapports d'expertise après cette date. Il analyse ensuite la question du moment en ces termes, page 348 :

     [TRADUCTION]

     Pour ce qui est de savoir quel est le moment déterminant, on peut dire que l'intervalle de temps qui sert de repère dans cette action a commencé en novembre 1985 et s'est poursuivi jusqu'à l'amputation du pied en 1989. Comme noté supra, le rapport du Dr Banerjee a été fait en 1992, et celui du Dr Carroll en 1993, plus de six ans après l'opération chirurgicale qui est à l'origine de cette action. À mon avis, on ne peut dire que ces rapports ont été établis à un moment déterminant ni que l'état du demandeur a pu changer après l'amputation du pied en 1989.         

     Et de conclure en page 349 :

     [TRADUCTION]         
     Je conclus de tout ce qui précède que la condition de nécessité ne peut être remplie dans ce contexte. Le préjudice que subirait le défendeur si j'autorisais le dépôt de ces rapports sans contre-interrogatoire serait bien plus grave que le préjudice que subirait le demandeur en cas de refus de dépôt.         

     Étant donné l'âge et l'état de santé des témoins en question lors de ces entrevues, on ne saurait dire que la mort de deux d'entre eux et l'incapacité mentale du troisième étaient soudaines et imprévues. Pour ce qui est du second facteur cité par le juge Platana, j'ai eu moi-même l'occasion d'entendre neuf témoins en Ukraine au sujet d'événements qui eurent lieu à Selidovo pendant l'occupation allemande. Ces témoins, qui étaient soumis à un contre-interrogatoire, ne s'entendaient pas tout le temps sur les détails de ces événements. Les trois témoins qui donnaient les déclarations en cause parlaient des mêmes événements mais eux aussi se contredisaient sur des détails.

     Étant donné que neuf témoins ont fait des dépositions au sujet des événements qui s'étaient produits à Selidovo pendant l'occupation allemande, je vois qu'il n'était pas difficile de s'assurer d'autres témoignages. Ces six déclarations ont été faites 50 ans après que les incidents qui en faisaient l'objet se furent produits à Selidovo, à la différence des dépositions qui, dans la cause Khan, avaient été faites peu de temps après le fait. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas raisonnablement nécessaire d'introduire en preuve les six déclarations en question. À mon avis, elles ne remplissent pas la condition de nécessité, qu'ont dégagée lord Pearce et la Cour suprême du Canada.

La fiabilité

     Les trois dernières conditions qui, selon lord Pearce, s'attachent à toute exception à la règle du ouï-dire sont : le déposant doit être désintéressé, la déclaration doit avoir été faite avant que le litige ne se fasse jour, et le déposant doit avoir recueilli l'information par des voies particulières qui ne sont pas celles de tout le monde. Compte tenu de ces conditions, Mme le juge McLachlin a tiré la conclusion suivante en page 542 de l'arrêt Khan :

     Le témoignage comportait des indices sérieux de fiabilité. T. était désintéressée, en ce sens que sa déclaration ne servait pas son intérêt personnel. Elle a fait la déclaration avant même qu'il ne soit question de litige. Et il ne fait pas de doute qu'elle avait des moyens de connaissance particuliers de l'événement dont elle a fait part à sa mère. En outre, la déclaration d'un enfant en bas âge sur ces questions peut comporter en soi sa propre marque de fiabilité.         

     En l'espèce, la première déclaration de chacun des trois témoins a été faite dans le cadre d'une enquête qui n'avait rien à voir avec l'intimé. La seconde déclaration de chacun d'eux a été faite après qu'une possibilité d'action en justice eut fait surface. Les témoins savaient qu'il y avait une raison d'enquêter sur ces gens. C'est ce que je dois prendre en considération. Ces six déclarations n'étaient pas des déclarations qu'ils auraient faites spontanément juste après la survenance des faits en question. Il s'agit de déclarations faites quelque 50 ans après le fait.

     Marc Rosenberg a fait cette observation judicieuse dans son article B. (K.G.) - Necessity and Reliability (1993), 19 C.R. (4th) 69, en page 79 :

     [TRADUCTION]

     Pour examiner si une déclaration est fiable, il convient de prendre en considération les quatre dangers qui s'attachent au témoignage par ouï-dire, savoir mauvaise perception, souvenirs fictifs, inaptitude à communiquer, et manque de sincérité. ["] Le contre-interrogatoire peut débusquer la source véritable de l'information.         

     Les six déclarations en cause comportent des faits rapportés par ouï-dire, et je ne suis pas convaincu qu'un contre-interrogatoire de ces témoins n'aurait pas révélé que d'autres faits ont été rapportés par ouï-dire. Étant donné que ces témoins âgés évoquaient des choses qui remontaient à plus de 50 ans, il est très possible que des souvenirs fictifs se soient glissés dans leurs dépositions. Je note aussi que de l'aveu même de l'avocat représentant le ministre, il faut rayer des six déclarations les faits manifestement rapportés par ouï-dire. Cependant, cette radiation ne supprimerait pas la probabilité que d'autres faits rapportés par ouï-dire puissent être détectés par contre-interrogatoire. Il s'agit en l'espèce de l'un des rares cas où il faut faire exception à la règle du ouï-dire et où il faut priver le défendeur de la possibilité de contre-interroger le témoin.

     En page 929 de l'arrêt Smith, le juge en chef Lamer cite encore Wigmore, supra, où l'auteur fait observer que la règle du ouï-dire repose sur la théorie que

     c'est l'épreuve du contre-interrogatoire qui peut le mieux révéler et dévoiler, le cas échéant, les nombreuses sources possibles d'inexactitude et de manque de fiabilité que peut receler la simple déclaration non vérifiée d'un témoin.         

     Le juge en chef Lamer souligne cependant, toujours en page 929, qu'il faut examiner de plus près " la garantie circonstancielle de fiabilité et la nécessité de la preuve ". Il fait observer ensuite, page 930, que la garantie circonstancielle de fiabilité " n'exige pas qu'on établisse la fiabilité de façon absolument certaine ".

     Selon Wigmore (cité avec approbation en page 930 de l'arrêt Smith), bien qu'il ne soit pas possible de généraliser en ce qui concerne tous les cas où d'autres circonstances fourniraient un substitut pratique à l'épreuve du contre-interrogatoire, on peut identifier certaines catégories générales :

     "1422 ["] Bien que les tribunaux n'aient pas généralisé, ils ont fait suffisamment d'affirmations pour qu'on puisse dégager les catégories suivantes de motifs d'exception :         
     a. Lorsque les circonstances sont telles qu'il serait naturel de faire une déclaration sincère et exacte et de ne former aucun projet de falsification;         
     b. Lorsque, même s'il pourrait exister une volonté de falsifier, d'autres considérations, comme le danger d'être découvert facilement ou la crainte d'être puni, en neutraliseraient probablement la force;         
     c. Lorsque la déclaration a été faite dans des conditions de publicité telles qu'une erreur, s'il y en avait eu, aurait probablement été décelée et corrigée.         

     Dans R. c. B. (K.G.) (1993), 19 C.R. (4th) 1, [1993] 1 R.C.S. 740 (C.S.C.), se posait la question de l'admissibilité de déclarations antérieures incompatibles. Cette jurisprudence n'est cependant d'aucun secours en l'espèce puisque le raisonnement y était fondé sur la possibilité de contre-interroger les témoins au sujet de leurs déclarations. Étant donné qu'en l'espèce, deux des témoins sont morts et le troisième mentalement incapable, il n'y a aucune possibilité de contre-interrogatoire.

     Néanmoins, le juge en chef Lamer a tiré cette conclusion subsidiaire dans B. (K.G.) :

     " il se peut que d'autres garanties circonstancielles de fiabilité suffisent à rendre une telle déclaration admissible quant au fond, à la condition que le juge soit convaincu que les circonstances offrent des garanties suffisantes de fiabilité qui se substituent à celles que la règle du ouï-dire exige habituellement.         

     Bien qu'en l'espèce, l'absence de nécessité seule suffise à rendre inadmissibles les déclarations en question, celles-ci laissent encore à désirer sur le plan de la fiabilité. Les trois témoins de la GRC étaient certes généralement crédibles, compte tenu de leur témoignage pris dans son ensemble, mais je ne saurais conclure que leurs déclarations représentent la transcription textuelle et intégrale de ces entrevues. À un ou deux endroits, les agents témoignent que tout avait été consigné textuellement, mais ils reconnaissent par ailleurs que les questions et réponses n'avaient pas été toutes consignées. Qui plus est, il n'y a aucun enregistrement magnétique ou magnétoscopique de ces déclarations. Aucun des témoins n'a pu identifier l'intimé sur les photographies, bien que l'un d'eux pensât qu'il serait en mesure de le faire.

     L'intimé a aussi démontré que la traduction et la transcription de ces déclarations laissaient à désirer. Par exemple, toutes ces déclarations présentent des mots rayés ou ajoutés. Dans l'une d'entre elles au moins, des mots ont été raturés au point de devenir illisibles. Un témoin affirmait avoir vu quelque chose dont ne témoignait aucun des deux autres. Ce même témoin se contredisait lui-même au sujet du lieu où il se tenait pour observer les incidents rapportés. Je dois aussi tenir compte du fait que des anciens cadres dirigeants communistes locaux de l'ancienne Union soviétique participaient aux efforts de contacter et de retrouver les témoins dans les " affaires de crimes de guerre nazis ", y compris un au moins des témoins, qui donnait deux des déclarations en cause. Cet état de choses a pu influer sur les réponses des témoins.

     Outre les défauts susmentionnés sur le plan de la nécessité et de la fiabilité, il y a aussi, à la lumière des facteurs dégagés par le juge en chef Lamer dans B. (K.G.), la question de savoir si en l'espèce, lecture de l'avertissement (qui a la même fonction que l'avertissement donné au sujet des dépositions faites sous serment ou par affirmation solennelle) a été en fait donnée aux témoins et si ceux-ci en ont pris note au cours des premières entrevues. Selon les agents de la GRC, ils demandaient toujours, avant d'engager formellement l'entrevue, aux témoins potentiels si ceux-ci acceptaient de faire une déclaration. Cependant, l'avertissement, dont lecture a été faite à deux des témoins lors de leur seconde entrevue respective, comprenait l'avertissement que le fait de " refuser de témoigner " était une infraction punie par le code pénal d'Ukraine. Dans deux autres déclarations, on peut lire les mots " refuser ou éviter de rendre témoignage ". Il se peut donc que ces témoins aient senti qu'ils n'avaient d'autre choix que de se soumettre à l'entrevue. À la lumière de tout ce qui précède, je ne suis pas convaincu que les circonstances dans lesquelles les six déclarations en question ont été prises, offrent des garanties suffisantes de fiabilité qui se substituent à celles que la règle du ouï-dire exige habituellement.

Conclusion

     Les quatre déclarations signées par des personnes maintenant décédées et les deux déclarations signées par une personne qui n'est plus mentalement capable, ne sont pas admissibles en preuve. Elles ne remplissent pas les conditions de nécessité et de fiabilité, pour être admises en preuve à titre d'exception de la règle d'exclusion des témoignages par ouï-dire.

     Signé : William P. McKeown

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 3 octobre 1997

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1700-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     c.

                     Wasily (Wasil) Bogutin

DATE DE L'AUDIENCE :      12 au 15 mai 1997

                     4 septembre au 3 octobre 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE LA DÉCISION PRONONCÉS PAR LE JUGE MCKEOWN

LE :                      3 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Christopher Amerasinghe, c.r.          pour le requérant

Mme Kathryn Hucal

M. Orest H.T. Rudzik              pour l'intimé

M. Nestor I.L. Woychyshyn

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Orest H.T. Rudzik

212-2323 rue Bloor ouest

Toronto (Ontario) M6S 4W1

Nestor I.L. Woychyshyn

301-2259 rue Bloor ouest

Toronto (Ontario) M6S 1N8

George Thomson                  pour le requérant

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     T-1700-96

Entre :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     WASILY (WASIL) BOGUTIN,

     intimé

     MOTIFS DE LA DÉCISION


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