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Date : 20020819

Dossier : IMM-4425-01

Référence neutre : 2002 CFPI 885

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 19 août 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

         MOHAMMAD SHAHZAD NAJMI, ITRAT NAJMI,

ALI NAJMI, HAMZA NAJMI et KIRAN NAJMI

                                                                                          demandeurs

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Le demandeur principal, Mohammad Shahzad Najmi, est un citoyen du Pakistan âgé de 38 ans. La demanderesse, Itrat Najmi, est sa conjointe. Les autres demandeurs, Ali, Hamza et Kiran Najmi, sont les enfants mineurs du couple. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de ne pas leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

QUESTIONS EN LITIGE DEVANT LA SSR

[2]    La SSR a déterminé que les questions en litige étaient les suivantes :

1.          l'identité des demandeurs à titre de ressortissants du Pakistan et leur résidence dans ce pays;

2.          la crédibilité;

3.          la crainte fondée de persécution.

ANALYSE

(a) Identité et résidence


[3]                La SSR a conclu que M. et Mme Najmi étaient peut-être nés au Pakistan sur la foi du permis de conduire de M. Najmi et du fait qu'ils parlaient l'ourdou et le panjabi pakistanais. Le tribunal n'a toutefois accordé aucune valeur aux certificats de naissance des enfants qui lui avaient été présentés parce qu'ils ne portaient pas de date et qu'ils avaient été signés par le médecin du service de cardiologie d'un hôpital. La SSR n'a fait aucun commentaire, défavorable ou non, sur le certificat de naissance de M. Najmi. Elle n'a pas précisé, dans ses motifs, le poids qu'elle a accordé au certificat de naissance de Mme Najmi, si un certain poids lui a été effectivement accordé, et les raisons pour lesquelles elle aurait pu douter de son authenticité. Elle aurait dû expliquer dans ses motifs pour quelles raisons elle doutait de l'authenticité des certificats de naissance de M. et de Mme Najmi, si elle avait des doutes au sujet de leur provenance.

[4]                La SSR a conclu également qu'elle ne disposait d'aucune preuve fiable indiquant que les demandeurs étaient au Pakistan après 1997.

[5]                La SSR n'a cependant fait aucune allusion à une lettre de la société de bien-être de la ville de Margalla [dossier du tribunal, page 62], qui confirmait que M. Najmi était travailleur social à Margalla et qu'il avait fait beaucoup parler de lui en 1999 lors d'une dispute portant sur la construction éventuelle d'une mosquée dans la ville.


[6]                La SSR n'est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté et qui est contraire à sa conclusion. Cependant, plus les éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés expressément et analysés dans ses motifs sont importants, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que la SSR a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve. Cela est particulièrement vrai dans les cas où la SSR traite en détail des éléments de preuve qui étayent sa décision, mais passe sous silence ceux qui la contredisent. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.), aux paragraphes 16 et 17.

[7]                En l'espèce, la lettre de la société de bien-être corroborait à la fois la présence de M. Najmi au Pakistan et son rôle dans la dispute concernant la construction d'une mosquée. M. Najmi prétend que c'est à cause de ce rôle qu'il craint avec raison d'être persécuté. Dans ces circonstances, j'estime que la lettre de la société de bien-être était tellement fondamentale pour la revendication de M. Najmi que je déduis du fait que la SSR ne l'a pas mentionnée dans ses motifs qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve lorsqu'elle a conclu à l'absence d'élément de preuve fiable démontrant que M. Najmi et sa famille étaient au Pakistan après 1997.


[8]                Cette déduction est justifiée également par le fait que, pour en arriver à sa conclusion sur la question de la résidence, la SSR ne s'est pas fondée sur une preuve directe, mais sur sa conclusion selon laquelle il n'était pas crédible que personne n'ait dit aux revendicateurs qu'il leur faudrait produire les documents scolaires devant la SSR, et sur sa conclusion selon laquelle l'explication donnée par M. Najmi concernant le non-renouvellement de son permis de conduire était invraisemblable. Selon la SSR, M. Najmi a dit à ce sujet qu'après 1997 « il conduisait des voitures pour la LMP et [il] n'avait donc pas besoin d'un permis en vigueur » . La transcription indique en fait que M. Najmi a dit dans son témoignage que de nombreuses personnes conduisent sans permis au Pakistan, et qu'il conduisait lui-même sans permis et n'avait pas renouvelé son permis parce qu'il ne possédait pas de voiture et ne conduisait donc qu'à l'occasion. L'une des conclusions tirées par la SSR n'était donc pas étayée par la preuve.

[9]                Pour ces motifs, je considère que les conclusions de la SSR concernant la nationalité de M. Najmi et son lieu de résidence après 1997 ont été tirées sans qu'il soit tenu compte de la preuve.

(b) Crédibilité

[10]            La SSR a écrit ce qui suit au sujet de la crédibilité :

CRÉDIBILITÉ

La crédibilité était en cause au début de l'audience et elle l'est demeurée jusqu'à la fin. Le tribunal a tenu compte des études du revendicateur, des normes culturelles et du fait que les témoignages ont été entendus par l'intermédiaire d'un interprète. Les exemples suivants justifient les conclusions défavorables relatives à la crédibilité.

Appartenance à la LMP et profil dans le parti

Le revendicateur a soutenu qu'il résidait dans le district d'Islamabad, capitale du Pakistan. Il a soutenu qu'il s'est joint officiellement à l'aile jeunesse de la LMP en 1996. Pendant son témoignage de vive voix, il a dit qu'il était membre de la direction de l'aile jeunesse de la LMP. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi ces renseignements ne figuraient pas dans l'exposé circonstancié, il a répondu que ce n'était pas un poste élevé, que c'était un poste ordinaire. Le tribunal juge qu'un poste de direction dans une organisation politique est une fonction politique importante et qu'il n'est pas vraisemblable que le revendicateur l'omette dans son exposé circonstancié, si effectivement il faisait partie de la direction. Le tribunal conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, que le revendicateur a exagéré sa position au sein de la LMP.


Le revendicateur a allégué avoir voté aux élections de l'Assemblée nationale (AN) tenues en 1997, au Pakistan. Il savait que Nawaz Sharif était le chef de la LMP et que Benazir Bhutto était le chef du Parti du peuple pakistanais (PPP). Toutefois, interrogé au sujet de sa propre circonscription, il ne savait absolument rien, ce qui est étrange pour un prétendu membre politiquement actif de la LMP qui avait de nombreux contacts avec les dirigeants politiques, pour ainsi dire. C'est incroyable, compte tenu du fait qu'il appuie la LMP depuis 1986. Il ne connaissait pas le nom exact de sa propre circonscription. Il n'a pas donné le nom exact du candidat de l'opposition à la LMP de sa circonscription. Ce qui est le plus inquiétant, c'est que ces renseignements de base font partie de la preuve documentaire courante produite régulièrement dans toutes les revendications du statut de réfugié pakistanaises. En outre, le revendicateur a allégué qu'il avait conduit des voitures pour les députés de la LMP pendant son séjour à Karachi, de décembre 1999 à avril 2000.

Compte tenu des faits susmentionnés, le tribunal conclut que le fondement de la revendication est complètement miné. Par conséquent, le revendication doit être rejetée.

[11]            Ainsi, la SSR s'est fondée sur ce qu'elle considérait être une exagération de la position de M. Najmi au sein de la LMP et sur son manque de connaissances politiques pour mettre en doute sa crédibilité.

[12]            La preuve produite par M. Najmi démontrait ce qui suit en ce qui concerne ses liens avec l'aile jeunesse de la LMP :

C      il appuyait la LMP depuis 1986 et en était membre depuis 1996;

C      il avait été nommé secrétaire général de son unité en mars 1996;

C      l'unité comptait de 4 000 à 4 800 membres;

C      le poste de secrétaire général n'était pas un poste élevé au sein de l'organisation, mais un poste très ordinaire;


C      il y avait trois autres membres de son unité à part lui; ces personnes occupaient les postes de président, de vice-président et de secrétaire de l'information;

C      à titre de secrétaire général, il avait l'habitude de se réunir avec les autres membres et d'apposer des affiches sur les murs des écoles et des collèges;

C      outre les quatre membres de la direction, il y avait des bénévoles;

C      il avait parlé, avec un autre membre de l'aile jeunesse, à un représentant de l'autorité d'aménagement de la capitale, qui avait accepté d'arrêter la demande de construction de la mosquée parce que l'aile jeunesse soutenait l'autorité depuis longtemps.


[13]            À mon avis, cette preuve - et l'ensemble de la preuve produite devant la SSR en fait - n'appuie pas la conclusion du tribunal selon laquelle M. Najmi a exagéré sa position au sein de la LMP. M. Najmi a indiqué que le poste qu'il occupait n'était ni élevé ni extraordinaire, et que c'est pour cette raison qu'il n'avait pas mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il occupait un poste de direction. La SSR a tiré à tort une conclusion défavorable de cette omission. En outre, elle s'attendait à ce que M. Najmi possède l'expertise politique d'un membre occupant un poste plus élevé au sein du parti. Sa conclusion selon laquelle un poste de direction est une « fonction politique importante » ne reposait sur aucune preuve.

[14]            Quant au manque d'expertise ou de connaissances politiques de M. Najmi, le ministre reconnaît que la SSR a commis une erreur en concluant que celui-ci ne pouvait pas donner le nom du candidat de la LMP de sa circonscription. Le ministre admet également que la SSR a commis une autre erreur en affirmant que M. Najmi avait indiqué dans son témoignage qu'il avait conduit des voitures pour des députés de l'assemblée nationale à Karachi, en 1999 et en 2000.

[15]            Ces deux erreurs, ajoutées au fait que la SSR s'attendait à tort à ce que M. Najmi possède une expertise dans le domaine politique, sont importantes parce que, comme il a été indiqué précédemment, la SSR dit ensuite que « [c]ompte tenu des faits susmentionnés, le tribunal conclut que le fondement de la revendication est complètement miné. Par conséquent, le revendication doit être rejetée. »

[16]            En tirant cette conclusion qui n'était pas étayée par des motifs convaincants reposant sur la preuve, la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle.


(c) Crainte fondée de persécution

[17]            La SSR a écrit ce qui suit :

Le revendicateur est arrivé au Canada après le coup d'État militaire perpétré par le général Parvez Musharraf le 12 octobre 1999. Depuis le coup d'État, la preuve documentaire ne mentionne aucune violence politique du genre de celle qui existait pendant les régimes du chef du PPP, Benazir Bhutto, et du chef de la LMP, Nawaz Sharif. Les hommes de main de la LMP ne ciblent plus le PPP. Les hommes de main du PPP ne ciblent plus la LMP. Il n'existe aucune preuve fiable que le SSP cible les membres des partis politiques ou des sympathisants sunnites.

Le tribunal a examiné la preuve documentaire avec soin. Il conclut qu'elle n'appuie pas objectivement le récit du revendicateur.

[18]            Au soutien de sa revendication du statut de réfugié, M. Najmi affirmait que c'est en raison de son appartenance à l'aile jeunesse de la LMP qu'il avait tenté avec d'autres d'amener le gouvernement à intervenir afin de faire cesser la construction d'une mosquée par une secte sunnite rivale, le Sipah-e-Sahaba, dans son quartier. Grâce aux efforts de M. Najmi et d'autres personnes, la construction de la mosquée a été arrêtée. Les travaux de construction de la mosquée ont toutefois repris après que l'armée a pris le pouvoir au Pakistan en octobre 1999. M. Najmi et sa famille ont alors reçu des menaces du Sipah-e-Sahaba, un groupe extrémiste, à cause de l'opposition de M. Najmi au projet. La crainte de M. Najmi résultait de son opposition personnelle et manifeste au Sipah-e-Sahaba et non de ses activités politiques comme telles.

[19]            Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il craignait le Sipah-e-Sahaba s'il devait retourner au Pakistan, M. Najmi a dit ce qui suit :


[traduction]                  

ACR                                        Maintenant, votre crainte du Sipah-e-Sahaba découle de la construction de la mosquée dans cette ville. Il est fort possible que la construction de la mosquée soit maintenant terminée?

REVENDICATEUR               Peut-être.

ACR                                        Pourquoi alors craindre le Sipah-e-Sahaba si vous devez retourner au Pakistan?

REVENDICATEUR               Parce qu'ils m'ont donné un avertissement et qu'ils s'en sont aussi pris à moi. Ils m'ont dit : « Nous ne vous laisserons pas la vie sauve, à vous et à vos enfants. Parce que, de tous les sunnites, vous êtes la seule personne à vous être opposée à nous, et si vous commencez à (inaudible) au Pakistan, vous aurez des ennuis. »

ACR                                        Ils vous trouveront peu importe où vous serez au Pakistan?

REVENDICATEUR               Oui, bien sûr.

ACR                                        Même si vous avez essayé de les empêcher de construire une mosquée, mais il est fort possible que la mosquée soit maintenant construite?

REVENDICATEUR               Ils ne m'épargneront pas même dans ce cas.

[20]            M. Najmi a aussi indiqué dans son témoignage :

[traduction]

CONSEIL                                Bien. Voici ma dernière question, je pense : avez-vous peur de retourner - avez-vous peur du Sipah-e-Sahaba parce que vous étiez un membre de la Ligue musulmane du Pakistan ou parce que vous vous êtes opposé à la construction de la mosquée?

REVENDICATEUR               Parce que nous nous sommes opposés à eux. C'est pour cette raison.

CONSEIL                                Parce que vous vous êtes opposés à eux.

REVENDICATEUR               Oui.

CONSEIL                                C'est donc à cause de votre opposition à la construction de la mosquée.


REVENDICATEUR               Oui.

CONSEIL                                Bien. Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions.

[21]            Dans ses motifs, la SSR a écrit qu'il était « très clair » pour elle que le revendicateur avait allégué qu'il avait pu contribuer à l'arrêt de la construction de la mosquée en raison de son appartenance à l'aile jeunesse de la LMP et de ses relations politiques. Elle a ensuite conclu : « Compte tenu de tous ces facteurs, le tribunal conclut que le témoignage du revendicateur n'est pas crédible ni digne de foi. Par conséquent, il ne croit pas que le revendicateur a été membre d'un parti politique, encore moins la LMP. »

[22]            Je souscris à la prétention présentée pour le compte de M. Najmi selon laquelle, dans son analyse de la preuve documentaire, la SSR a commis une erreur en considérant que la crainte éprouvée par M. Najmi s'expliquait par son appartenance à la LMP et a ensuite conclu à tort que cette crainte n'était pas fondée parce que la preuve documentaire qui lui avait été présentée ne démontrait pas que le Sipah-e-Sahaba s'en prenait à des membres des partis politiques ou à des sympathisants sunnites. M. Najmi a expressément mentionné dans son témoignage que sa crainte était fondée sur le fait qu'il s'était ouvertement opposé personnellement à la construction de la mosquée.


CONCLUSION

[23]            Je suis convaincue, pour les motifs exposés ci-dessus, que la décision de la SSR doit être annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'une nouvelle décision soit rendue.

[24]            Les avocats n'ayant proposé aucune question à des fins de certification, aucune question n'est certifiée.

ORDONNANCE

[25]            LA COUR ORDONNE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SSR est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin de faire l'objet d'une nouvelle décision.

2.    Aucune question n'est certifiée.

                                                                         « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             IMM-4425-01

INTITULÉ :                                            MOHAMMAD SHAHZAD NAJMI et autres

c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 19 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                          Le 19 août 2002

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Rhonda Marquis                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Kingwell                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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