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Date : 19990728


Dossier : T-111-98


ENTRE



     FRASER SHIPYARD AND INDUSTRIAL CENTRE LTD.,


demanderesse,


et


EXPEDIENT MARITIME COMPANY LIMITED,

EXPEDIENT MARITIME CO. (CYPRESS) LTD.,

INTERNATIONAL COFFEE AND FERTILIZER

TRADING CO. (INCOFE), MERMAID SHIPPING CO. LTD. et les propriétaires      et toutes

les autres personnes ayant un droit sur le navire " ATLANTIS TWO ",


défendeurs,


et


LES OFFICIERS ET L'ÉQUIPAGE DU NAVIRE

" ATLANTIS TWO ", LE REGISTRE DE LA LLOYD et

ABN-AMRO BANK N.V.,


intervenants.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"un appel de l"ordonnance datée du 11 juin 1999 dans laquelle le protonotaire Hargrave traitait de l"ordre de priorité des créanciers dans une action réelle, en ce qui concerne le produit de la vente de l"Atlantis Two, un navire qui avait été saisi en janvier 1998 et qui avait été vendu sur ordonnance judiciaire en août 1998.

[2]      La décision elle-même comporte environ 110 pages et est divisée en 212 paragraphes; il y était question de divers créanciers dans une action réelle ainsi que de l"établissement de l"ordre de priorité et du rang des créanciers. Mega Marine Services Ltd., dont le privilège maritime a été rejeté, les motifs y afférents étant énoncés aux paragraphes 78 à 82 inclusivement, est la seule partie qui a interjeté appel contre la décision.

[78]      Mega Marine Services Ltd. (Mega Marine) réclame le prix de deux culasses de moteur, les factures y afférentes ayant été fournies à l'Atlantis Two, FAB Houston (Texas), en septembre et en décembre 1997. Les factures, dont les montants sont à peu près identiques, s'élèvent en tout à 41 577 $. Dans chacune, un montant élevé est demandé pour le transport. Il semble qu'une culasse ait été livrée en Australie et l'autre à Vancouver. Étant donné qu'il est fait mention du transport dans la facture et compte tenu des directives d'expédition qui y sont énoncées, à savoir FAB Houston, il est clair que ni l'une ni l'autre des culasses n'a été directement fournie à un navire.
[79]      L'avocat de Mega Marine affirme que l'opération se rapporte à des biens livrés aux États-Unis, FAB Houston. Le problème découle du fait qu'il est difficile de déterminer si un privilège maritime américain existe. Dans ce cas-ci, les factures sont adressées comme suit : [TRADUCTION] " Capitaine ou propriétaires de l'Atlantis Two , a/s Off-Shore Oil Services (UK) Ltd. ", Londres, Angleterre. Rien dans la documentation ne montre que les culasses aient de fait été livrées à l'Atlantis Two ; il y est plutôt simplement fait mention qu'elles doivent être livrées FAB Houston : or, l'Atlantis Two n'était pas à Houston.
[80]      En droit américain, les approvisionnements nécessaires doivent être fournis à un navire. Cette exigence ne veut pas dire par exemple que le fait de mettre du combustible de soute à bord du chaland d'un tiers, puis de le livrer à un navire dans un port américain, protège le navire contre un privilège maritime du simple fait qu'un intermédiaire est en cause. Cette règle américaine, selon laquelle il faut en fait fournir les approvisionnements nécessaires au navire, est plutôt fondée sur le libellé de l'article 971 du United States Code, qui exige que les approvisionnements nécessaires soient fournis à un navire; le libellé de cette disposition, dans sa version actuelle, est à peu près le même que le libellé antérieur. La question est résumée dans Tetley on Maritime Liens and Claims (supra), à la page 595 :
[TRADUCTION]
À l'article 971, l'expression " fournit [...] à un navire " était employée, ce qui veut dire que les biens ou services devaient réellement être fournis à un navire, sinon à un navire précis. Dans l'arrêt de principe Piedmont Coal v. Seaboard Fisheries , (1920), 254 U.S. 1, à la page 8, la Cour suprême des États-Unis a statué que le charbon qui avait été mis dans des soutes appartenant au propriétaire de plusieurs navires, sur la terre ferme, n'était pas un " approvisionnement nécessaire ". Le charbon devait être distribué à ces navires et, de fait, il a en fin de compte été en totalité ou en partie chargé à leur bord. Pourtant, cela ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle le bien devait être fourni à un navire, parce le charbon était fourni au propriétaire des navires plutôt qu'aux navires eux-mêmes.
L'arrêt Piedmont Coal mentionné par M. Tetley est encore valable en droit : voir par exemple Foss Launch & Tug v. Char Ching Shipping USA, [1987] A.M.C. 913.
[81]      En l'espèce, rien ne montre que les culasses aient été fournies à l'Atlantis Two. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel il y avait un intermédiaire, comme l'exploitant d'un chaland qui aurait livré le combustible de soute du fournisseur, auquel cas ce dernier possède en fait un privilège maritime contre le navire qui a reçu le combustible. La situation en l'espèce se rapproche davantage de celle qui a été décrite dans l'arrêt Piedmont Coal. En vendant la marchandise FAB Houston, Mega Marine n'a pas directement fourni les culasses elle-même, ou par l'entremise d'un agent, à l'Atlantis Two. Mega Marine possède peut-être un droit personnel quelconque, mais elle n'a pas établi l'existence d'un privilège maritime contre l'Atlantis Two. Mega Marine n'a pas droit à une partie du produit de la vente.
[82]      Puisque j'ai conclu à l'inexistence d'un privilège maritime, je n'ai pas à me demander, en ce qui concerne Mega Marine, si les approvisionnements nécessaires qu'un fournisseur américain livre à un navire dans un port étranger donnent lieu à un privilège maritime, mais il s'agit néanmoins d'une des questions qui se posent à l'égard de la réclamation d'Unitor ASA, que j'examinerai maintenant.
[Je souligne.]

[3]      Dans sa plaidoirie, l"avocat de Mega Marine allègue que le protonotaire a commis une erreur en concluant que" [r]ien dans la documentation ne montre que les culasses aient de fait été livrées à l'Atlantis Two ; " et qu"en se fondant sur le droit étranger à l"appui de la thèse selon laquelle les marchandises doivent être fournies " directement " au navire, le protonotaire a interprété la jurisprudence d"une façon erronée.

[4]      Cet appel a été contesté par ABN-AMRO BANK N.V., qui est titulaire d"une hypothèque sur le navire et à qui une somme considérable est due; si la Cour concluait que l"appelante possédait un privilège maritime en sa qualité de fournisseur d"approvisionnements nécessaires, le montant restant auquel ABN-AMRO aurait droit serait encore moindre.

[5]      Je dois d"abord déterminer quelle est la norme de révision applicable. Les principes pertinents sont examinés en détail dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463, 149 N.R. 273, [1993] 1 C.T.C. 186, 93 D.T.C. 5080, de la Cour d"appel fédérale :

[...] au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l"égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam , [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l"appel contre l"ordonnance discrétionnaire d"un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
a)      l"ordonnance est entachée d"erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d"un mauvais principe ou d"une mauvaise appréciation des faits,
b)      l"ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l"issue du principal.
Si l"ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l"issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l"affaire depuis le début.

[6]      L"avocat de l"appelante soutient que le protonotaire a peut-être mal interprété les faits et exercé son pouvoir discrétionnaire d"une façon erronée lorsqu"il a interprété le droit américain en se fondant sur un mauvais principe.

[7]      La Commercial Instruments and Maritime Liens Act1 américaine prévoit ce qui suit :

Personnes réputées être autorisées à fournir des approvisionnements nécessaires
a)      Les personnes suivantes sont réputées être autorisées à fournir à un navire des approvisionnements nécessaires :
     (1)      le propriétaire;
     (2)      le capitaine;
     (3)      une personne qui est chargée de l'administration du navire au port où les approvisionnements sont fournis; ou
     (4)      un officier ou un agent désigné par :
         (A)      le propriétaire;
         (B)      un affréteur;
         (C)      un propriétaire dans cette affaire;
         (D)      un acheteur convenu en possession du navire.
Preuve de l'existence d'un privilège maritime
a)      Sauf ce qui est prévu à l'alinéa b), toute personne qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire, sur les instructions du propriétaire ou d'une personne mandatée par le propriétaire :
     (1)      acquiert un privilège maritime sur le navire;
     (2)      peut intenter une action réelle au civil en vue de faire valoir son privilège;
     (3)      n'est pas tenue d'alléguer ou de prouver, dans le cadre de l'action, qu'on a fait crédit au navire;
b)      Les dispositions qui précèdent ne s'appliquent pas à un navire de l'État.
     [Je souligne.]

[8]      L"examen des affidavits déposés par les avocats américains, fournis à titre d"avis dans l"instance, sont révélateurs en ce sens qu"ils traitent tous du mode de création d"un privilège maritime aux États-Unis; il y est également déclaré que même si des approvisionnements nécessaires sont fournis à un navire dans des eaux étrangères, cela n"a pas pour effet d"éteindre le privilège maritime; toutefois, on ne définit dans aucun affidavit ce que signifie [TRADUCTION] " qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire " et ce qu"il faut prouver pour remplir les conditions auxquelles un privilège prend naissance.

[9]      Dans ses motifs, le protonotaire a dit qu"il n"y avait rien dans la documentation qui montre que les culasses de moteur aient en fait été livrées au navire, même s"il a dit qu"" [i]l semble qu'une culasse ait été livrée en Australie et l'autre à Vancouver. ". Toutefois, l"appelant a souligné que le protonotaire avait peut-être omis de tenir compte des instructions d"expédition figurant au coin supérieur droit des factures, selon lesquelles les marchandises devaient être expédiées au capitaine de l"Atlantis Two, en Colombie-Britannique et en Australie; il s"agirait là d"une preuve prima facie montrant que les marchandises ont été livrées au navire.

[10]      L"avocat allègue en outre que, dans ses motifs, le protonotaire s"est fondé sur une citation du jugement Piedmont Coal v. Seabord Fisheries , (1920) 254 U.S. 1, au paragraphe 80 de sa décision, où il a cité Tetley on Maritime Liens and Claims, reproduit ci-dessus. Il soutient qu"un examen minutieux du jugement Piedmont Coal étaye la thèse selon laquelle le charbon mis dans des soutes appartenant au propriétaire de plusieurs navires, sur la terre ferme, n"appartiendrait pas à la catégorie des approvisionnements nécessaires fournis à un navire et qu"il n"existait donc pas de privilège maritime. Il ajoute que [TRADUCTION] " le jugement Piedmont Coal est encore valable et l"arrêt Foss Launch & Tug v. Char Ching Shipping U.S.A., [1987] A.M.C. 913 y est cité "2. L"avocat soutient qu"il incombait au décideur de faire une analyse plus détaillée de ce dernier jugement.

[11]      Il est certain qu"en droit américain, pour qu"un privilège maritime soit reconnu, une partie doit avoir effectué des réparations, ou avoir fourni au navire du matériel ou d"autres approvisionnements nécessaires sur les instructions du propriétaire du navire ou d"une personne mandatée par ce dernier. La seule question qui se pose dans cet appel se rapporte à l"interprétation des mots " qui fournit des approvisionnements nécessaires " ou " fournit ". Dans l"arrêt Foss Launch & Tug , la Cour d"appel américaine, neuvième circuit, a analysé le sens du mot " fournit ". De l"avis du juge, [TRADUCTION] " les précédents régissant l"interprétation de la Loi favorisent une interprétation stricte du mot " fournit " "; voici ce que le juge a dit, aux pages 701 et 702 du Federal Reporter :

[TRADUCTION]
Prenons comme point de départ le sens ordinaire du 46 U.S.C. 971. La loi dit essentiellement : " [...] toute personne qui fournit des approvisionnements nécessaires à un navire [...]. " Il importe tout d"abord de noter que le verbe " fournir " est employé sous la forme active et non au passif. La loi aurait pu être libellée ainsi : " Les approvisionnements nécessaires qui sont fournis à un navire " peuvent donner lieu à un privilège maritime. En pareil cas, même la demande ou l"utilisation fortuites d"approvisionnements nécessaires par un navire pourraient créer un privilège maritime valide grevant le navire. En créant une catégorie privilégiée de créanciers, le Congrès a décidé de ne pas libeller la loi au passif; nous croyons qu"il convient d"inférer qu"en employant le mot " fournit " le Congrès voulait dire qu"il fallait prévoir à quels navires particuliers les " approvisionnements nécessaires " étaient fournis ou qu"il fallait désigner à l"avance pareils navires.
[...]
Notre interprétation restrictive du mot " fournit " est étayée par des précédents qui existent depuis longtemps, en ce qui concerne l"interprétation du 46 U.S.C. 971. Le jugement Piedmont & Georges Creek Coal Co. v. Seaboard Fisheries Co. , 254 U.S. 1, 41 S.Ct. 1, 65 L. Ed. 97 (1920), et les décisions auxquelles il a donné lieu sont ici particulièrement pertinents. Dans le jugement Piedmont, la Cour suprême a refusé de reconnaître l"existence de privilèges maritimes grevant les navires à bord desquels le charbon qui avait été vendu à crédit au propriétaire de ces navires avait été utilisé. Le vice n"était pas fondé " sur le fait que l"on avait omis d"établir que le charbon était fourni aux navires, mais sur le fait qu"il n"avait pas été prouvé que le charbon avait été fourni par le réclamant " : Piedmont , 254 U.S. à la page 13, 42 S.Ct. à la page 5.
Les intimés soutiennent que le jugement Piedmont est fondé sur la simple omission de prouver la quantité de charbon que chaque navire faisant partie du groupe de navires en cause avait en fait reçue. Toutefois, il est clair que le jugement Piedmont n"a pas été interprété d"une façon aussi stricte. Dans la décision Bankers Trust Co. v. Hudson River Day Ligne , 93 F. 2d 457 (2d Cir. 1937), des privilèges maritimes avaient été refusés à un fournisseur qui avait livré du mazout aux barges de l"acheteur en vertu d"un contrat unique de fourniture en vrac. En refusant de reconnaître le privilège, la Cour a interprété la conclusion qui avait été tirée dans le jugement Piedmont à l"égard du mot " fournit " comme exigeant que les approvisionnements, " même s"ils avaient été livrés en vrac au propriétaire de la flotte en vertu d"un seul contrat, [devaient avoir été] expressément commandés par le propriétaire et avoir été livrés à ce dernier par le fournisseur en vue d"être utilisés à bord des navires désignés dans des proportions déterminées ". Id. , à la page 458 (c"est la cour du deuxième circuit qui a souligné) (citant The American Eagle , 30 F. 2d 293, 295 (D.Del. 1929)).
Dans le jugement Dampskibsselskabet Dannenbrog c. Signal Oil & Gas Co., 310 U.S. 268 (1940), la Cour suprême a décidé de reconnaître un privilège maritime uniquement après avoir fait la distinction suivante à l"égard du jugement Piedmont : " En l"espèce, le mazout a été fourni exclusivement aux navires en question, il a été livré directement aux navires et il a été ainsi facturé; il n"y a rien dans le contrat général qui prévoie que les approvisionnements devaient être livrés [dans une certaine mesure] au crédit des navires ". Id. -- la page 277. Par conséquent, la décision rendue dans Dampskibsselskabet devrait être interprétée comme s"appliquant uniquement aux cas dans lesquels un fournisseur a veillé, d"une façon déterminable, à désigner les marchandises ou services qu"il s"est engagé à fournir en vue d"une utilisation à bord du navire particulier à l"égard duquel un privilège est par la suite revendiqué. Voir également The Everosa, 93 F.2d 732, 735 (1st Cir. 1937) (privilège reconnu) (" En l"espèce, le capitaine d"un navire particulier avait commandé du charbon à la société; le charbon avait été envoyé à un navire particulier, il avait été chargé à bord du navire par le représentant de la société et il avait été payé par le capitaine "); Carr v. George E. Warren Corp. , 2 F.2d 333, 334 (4th Cir. 1924) (privilège reconnu) (" En l"espèce, le charbon avait en fait été acheté au crédit des bateaux à vapeur, facturé à ces bateaux et utilisés par ces bateaux. "). [Je souligne.]

[12]      Il convient de noter que contrairement à ce qui se produisait dans l"affaire Piedmont Coal , où le charbon pouvait être livré à n"importe quel navire, les culasses de moteur ne sont pas dans ce cas-ci aussi interchangeables que du charbon. De plus, dans le jugement Piedmont Coal , la Cour a accordé énormément d"importance au fait que le charbon n"avait pas été expressément livré à un navire particulier de la flotte de 19 navires appartenant à l"acheteur; dans l"arrêt Foss Launch (supra) , il est clair que le fait que des marchandises étaient désignées comme étant destinées à un navire particulier constituait un élément essentiel pour qu"il soit possible de conclure que les marchandises étaient " fournies à un navire ".

[13]      J"examinerai maintenant attentivement les factures elles-mêmes qui ont été jointes à l"affidavit du 26 octobre 1998 de George Giannakopoulos, dont il est fait mention aux paragraphes 5 et 6. Sur la facture se rapportant à la livraison en Australie d"une culasse de moteur il était expressément mentionné que la marchandise était livrée FAB Houston, la marchandise étant facturée aux propriétaires de l"Atlantis Two, à Londres, mais au coin supérieur droit de la facture figurait l"inscription suivante : [TRADUCTION] " Expédier au : capitaine de l"Atlantis Two, pièces en transit, a/s Thevenard Shipping Agents, 103, chemin Thevenard, Caduna, Australie. " La deuxième facture de Mega Marine, qui était également adressée à Londres, FAB Houston, renferme l"inscription suivante : [TRADUCTION] " Expédier au : capitaine de l"Atlantis Two, pièces en transit, a/s Canpotex Shipping Services Ltd., Park Royal South, West Vancouver, C.-B. " Cette facture est datée du 21 novembre 1997. Selon certains éléments de preuve, le navire était à Vancouver à peu près à ce moment-là.

[14]      Comme je l"ai déjà mentionné, il n"existait aucun avis d"expert ni même aucune inférence au sujet des mots " fournit des approvisionnements nécessaires " ou " fournit directement au navire " ou pour reprendre les mots du protonotaire, " directement fournie à un navire ". En l"absence de pareil avis, la Cour peut présumer que le droit est le même que celui du tribunal compétent. Comme on l"a dit dans Dicey and Morris, The Conflict of Law , (12e éd.), à la page 226 :

[TRADUCTION]
Règle 18-(1) Lorsque c"est le droit étranger qui s"applique, il faut plaider et établir le droit à la satisfaction du juge au moyen d"une preuve d"expert ou, dans certains cas, par d"autres moyens.
(2) En l"absence d"une preuve satisfaisante au sujet du droit étranger, c"est le droit anglais qui s"applique.

[15]      Il est soutenu qu"étant donné que le droit étranger n"a pas été établi d"une façon précise, le protonotaire a peut-être fondé sa décision sur une mauvaise appréciation d"un fait essentiel. Le protonotaire a dit qu"il n"existait aucun élément de preuve à l"appui de la prétention selon laquelle les culasses de moteur en question avaient été livrées au navire. Étant donné qu"il peut exister un certain doute au sujet des faits ainsi que du droit étranger, le droit canadien en ce qui concerne l"expédition de marchandises au capitaine d"un navire expressément désigné peut suffire pour établir l"existence d"un privilège maritime.

[16]      Dans le jugement River Rima3, la Cour était saisie d"une affaire dans laquelle il était question d"un privilège maritime découlant d"un contrat en vue de la fourniture de conteneurs à une société exploitant des navires; la Cour a annulé le bref in rem , mais elle a analysé d"une façon fort claire certaines conditions qui devaient s"appliquer pour que l"existence d"un privilège maritime soit établie. La Cour analysait une disposition législative semblable à la disposition figurant à l"alinéa 22(2)m ) de la Loi sur la Cour fédérale :

any claim in respect of goods, materials or services wherever supplied to a ship for the operation or maintenance of the ship, including, without restricting the generality of the foregoing, claims in respect of stevedoring and lighterage;

une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;

[17]      En résumé, la Cour a conclu qu"il était essentiel que l"identité du navire auquel les conteneurs étaient destinés soit précisée. Lord Brandon a dit ceci, à la page 195 :

[TRADUCTION]
Il s"agit donc principalement de savoir si, eu égard aux conditions du contrat de location et à la procédure y afférente suivie par les parties, chaque série de réclamations relative à des conteneurs individuels présentée par Tiphook se rapporte à une
     [...] demande relative à des marchandises ou à du matériel fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien [...]
au sens de l"alinéa 20(2)m ) de la Loi de 1981.

     Lord Brandon ajoute ce qui suit, aux pages 197-198 :

[TRADUCTION]
     Étant donné qu"une action réelle relative à une demande présentée en vertu du sous-alinéa 22(1)a )(vii) de la Loi de 1925 pourrait uniquement être intentée contre le navire particulier visé par la demande, pareille demande devait se rapporter aux approvisionnements nécessaires fournis à un navire particulier, qui était expressément désigné dans le contrat de fourniture, ou qui avait du moins été désigné au fournisseur au moment où les approvisionnements nécessaires devaient être livrés en vertu du contrat. Étant donné que la désignation du navire particulier auquel les approvisionnements nécessaires étaient fournis constitue un élément essentiel d"une demande fondée sur le sous-alinéa 22(1)a)(vii) de la Loi de 1925, il faut inférer que cela devait également constituer un élément essentiel d"une demande fondée sur l"alinéa 1(1)k ) de la Convention, qui était fondé sur la disposition anglaise antérieure.
[...]
     Étant donné que la désignation du navire particulier auquel les marchandises ou le matériel ont été fournis constituait un élément essentiel d"une demande fondée sur l"alinéa 1(1)k ) de la Convention, cela doit également être un élément essentiel d"une demande similaire fondée sur l"alinéa 20(2)m ) de la Loi de 1981.
[Je souligne.]

[18]      Il ressort des motifs de l"ordonnance que le protonotaire ne s"est pas arrêté à la question des marchandises livrées au navire dans un port étranger par Mega Marine tel qu"il en est fait mention dans la facture; le protonotaire confirme néanmoins que les marchandises fournies par un agent américain, bien qu"elles puissent être livrées dans un port non américain, donnent lieu à un privilège maritime américain. Le fait que les marchandises étaient expédiées FAB Houston n"a rien à voir avec la livraison, mais se rapporte essentiellement à la question de la transmission de la responsabilité et du droit de propriété afférent aux marchandises.

[19]      Si je comprends bien la décision rendue dans l"affaire Aqua Gem (supra) , le juge qui préside l"audience doit faire preuve de retenue à l"égard de la décision du protonotaire à moins d"être convaincu que ce dernier a mal apprécié un fait si essentiel que cela a donné lieu à l"application non réaliste d"un principe juridique ayant une influence déterminante sur l"issue du principal.

[20]      Comme je l"ai dit, je suis d"avis que la facture d"expédition montrait clairement que les culasses devait être expédiées en Australie et au Canada et qu"elles étaient destinées à un navire expressément désigné. La Cour ne disposait d"aucun avis déterminant exprimé par un expert américain, mais je suis convaincu que compte tenu de la décision rendue par la Chambre des lords dans l"affaire River Rima (supra) ainsi que de la remarque incidente qui a été faite dans l"arrêt Foss Launch & Tug (supra) , les faits et le droit étayent la conclusion selon laquelle Mega Marine possède un privilège maritime.





                             Paul Rouleau
                                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 juillet 1999


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DATE DE L"AUDIENCE :              le 14 juillet 1999

NoDU GREFFE :                  T-111-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Fraser River Shipyard and Industrial Centre Ltd. c.
                         le navire " Atlantis Two "et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 28 juillet 1999.


ONT COMPARU:

Brad Caldwell                  pour Atlantic NLN, Atlantic DE, Mega Marine Services Ltd. et Hellenic Ship Supply Inc.

Greg Blue                      pour ABN-AMRO Bank N.V., réclamante

Christopher Giaschi                  pour la demanderesse et Nautilus Australia Ltd.

Douglas Morrison                  pour INCOFE, défenderesse


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brad Caldwell

Vancouver (C.-B.)                  pour Atlantic NLN, Atlantic DE, Mega Marine Services Ltd. et Hellenic Shipping Inc.

McEwen, Schmitt & Co.

Vancouver (C.-B.)                  pour ABN-AMRO Bank N.V., réclamante

Giaschi & Margolis

Vancouver (C.-B.)                  pour la demanderesse et Nautilus Australia Ltd.



Bull, Housser & Tupper

Vancouver (C.-B.)                  pour INCOFE, défenderesse

Campney & Murphy

Vancouver (C.-B.)                  pour Expedient Maritime Company Limited, Expedient Maritime Co. (Cypress) Ltd., les propriétaires et les autres personnes ayant un droit sur le navire " Atlantis Two "et M. James Peebles, défendeurs

C.T.L. Westrans

Vancouver (C.-B.)                  pour Bernard J. Jones Shipbroker

McGrady Baugh & Whyte

Vancouver (C.-B.)                  pour le capitaine, l"officier en chef, les officiers et l"équipage

Russell & DuMoulin                  pour ICS Petroleum Ltd., réclamante

Vancouver (C.-B.)

Hara & Company

Vancouver (C.-B.)                  pour Governor Control Sales and Services Ltd.

P. Daniel Le Dressay

Vancouver (C.-B.)                  pour Ward Smith Mechanical Inc., réclamante

Evans, Goldstein & Eadie

Vancouver (C.-B.)                  pour Elander Inspection Ltd.

Owen, Bird

Vancouver (C.-B.)                  pour le Registre de navigation de la Lloyd, intervenant

Bromley, Chapelski

Vancouver (C.-B.)                  pour Unitor, réclamante

Cohen Buchan & Edwards

Richmond (C.-B.)                  pour Mermaid Shipping Co. Ltd.

Sproule Castonguay Pollack

Montréal (Québec)                  pour Strachan Shipping Co., réclamante

Stikeman, Elliott

Montréal (Québec)                  pour Man B & W Diesel AG

A.B. Oland Law Corp.

Vancouver (C.-B.)                  pour Monson Agencies Pty. Ltd.

J. W. Perrett

Vancouver (C.-B.)                  pour Triton Holdings Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          pour le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
__________________

1      46 U.S.C. par. 31301-31343.

2      Également publié dans 808 Federal Reporter (2d) 697.

3      [1988] 2 Lloyd"s Law Reports 193, décision de la Chambre des lords.

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