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Date : 20030207

Dossier : T-571-01

Ottawa (Ontario), le vendredi 7 février 2003.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

DZEVAD CEMERLIC, M.D.

demandeur

- et -

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de révision présentée en application de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 (la Loi) et visant la décision du solliciteur général du Canada, agissant pour le compte du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de refuser la communication au demandeur de certains renseignements le concernant;

LECTURE FAITE des documents déposés et après audition des observations des parties;

ET pour les motifs d'ordonnance rendus ce jour même;


LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.     La demande est accueillie en ce qui concerne la décision d'appliquer l'exception prévue à l'alinéa 19(1)a) de la Loi à certains renseignements trouvés dans le fichier 005 au motif qu'ils ont été obtenus à titre confidentiel du gouvernement d'un État étranger ou de l'un de ses organismes, et cette décision est renvoyée au défendeur pour qu'il demande au gouvernement ou à l'organisme de consentir à la communication des renseignements ou pour qu'il remette à la Cour la preuve confidentielle d'un protocole de non-communication de ces renseignements.

2.                    La demande est rejetée en ce qui concerne la décision du défendeur d'appliquer l'exception prévue à l'article 21 de la Loi (renseignements confidentiels liés aux affaires internationales et à la défense) à certains renseignements trouvés dans les fichiers 005, 035 et 055.

3.                    La demande est accueillie relativement à la décision du défendeur d'appliquer l'exception prévue à l'article 26 de la Loi (renseignements confidentiels sur des tiers) à l'identité de certains tiers, et cette décision est renvoyée au défendeur pour qu'il pondère, de manière discrétionnaire, l'intérêt public et les droits du tiers, comme l'exige l'alinéa 8(2)m) de la Loi.

4.                    La demande est accueillie quant à la décision du défendeur d'appliquer l'exception prévue à l'article 28 de la Loi (renseignements confidentiels médicaux) aux renseignements médicaux sur le demandeur, et la décision est renvoyée au SCRS afin qu'il procède à une analyse appropriée pour déterminer si la communication desservirait le demandeur, conformément à l'article 28 de la Loi.


5.                   La demande est rejetée en ce qui concerne le refus du défendeur de confirmer ou de nier l'existence dans le fichier 045 de renseignements personnels se rapportant au demandeur au motif que tout renseignement contenu dans ce fichier bénéficie des exceptions prévues aux articles 21 ou 22 de la Loi (renseignements confidentiels liés à la sécurité nationale).

6.                    La demande est rejetée pour ce qui concerne la décision du défendeur selon laquelle une exception s'applique aux renseignements personnels que peut contenir ou non le fichier 050 au motif que ces renseignements se rapportent à des renseignements confidentiels liés au contre-espionnage.

7.                    La demande est rejetée quant à la décision du défendeur selon laquelle le SCRS n'a trouvé aucun document se rapportant au demandeur dans les fichiers 015, 020, 025 et 040.

8.                    Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens.

          Michael A. Kelen         

Juge

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, L.B.


Date : 20030207

Dossier : T-571-01

Référence neutre : 2003 CFPI 133

ENTRE :

DZEVAD CEMERLIC, M.D.

demandeur

- et -

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]    La Cour est saisie d'une demande de révision présentée en application de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, modifiée (la Loi), relativement à la décision du solliciteur général du Canada, agissant pour le compte du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de refuser la communication au demandeur de certains renseignements personnels le concernant et de refuser de confirmer ou de nier l'existence d'autres renseignements personnels sur le demandeur.


[2]    Le litige a pris naissance en l'espèce après que le demandeur eut demandéla communication de renseignements personnels le concernant détenus par le SCRS. Le demandeur a soulevéun grand nombre de questions qui se résument, selon la Cour, à trois questions principales.

1.                    Le SCRS a-t-il refusé à tort la communication de renseignements personnels en invoquant les exceptions prévues aux articles 19 (renseignements obtenus à titre confidentiel du gouvernement d'un État étranger), 21 (renseignements confidentiels liés aux affaires internationales et à la défense), 26 (renseignements confidentiels sur des tiers) et 28 (renseignements confidentiels médicaux) de la Loi?

2.                    Le SCRS a-t-il refusé à tort de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans deux fichiers de renseignements personnels en invoquant le paragraphe 16(2) (renseignements confidentiels liés à la sécurité nationale et au contre-espionnage)?

3.                    Le SCRS a-t-il fait une recherche appropriée dans les quatre fichiers de renseignements personnels qui, selon lui, ne renferment aucun renseignement sur le demandeur?

LES FAITS

La demande de communication

[3]        Le demandeur croit avoir fait l'objet, à un moment, d'une enquête du SCRS et que cette enquête a suscité une certaine méfiance à son endroit dans sa communauté. Le 7 août 1997, afin de rétablir sa réputation, il s'est prévalu du paragraphe 12(1) de la Loi en demandant au SCRS de lui communiquer tout renseignement le concernant contenu dans ses fichiers de renseignements personnels. Voici le libellé de l'article 12 :




12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent, au sens de la Loi sur l'immigration, a le droit de se faire communiquer sur demande :

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

12. (1) Subject to the Act every individual who is a Canadian Citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and refugee Protection Act has a right to and shall, on request, be given access to :

(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and

(b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to tender it reasonably retrievable by the government institution.

[4]    Le SCRS a répondu à la demande dans une lettre datée du 3 octobre 1997 informant le demandeur de ce qui suit :

(i)                    aucun renseignement le concernant ne figurait dans les fichiers SIS PPU 015 (Dossiers du SCRS), SIS PPU 020 (Demandes d'accès), SIS PPU 025 (Candidats à un poste au SCRS) et SIS PPU 040 (Enquêtes sur des agissements illicites);

(ii)                  le défendeur lui communiquait 32 pages de renseignements trouvés dans le fichier SIS PPU 005 (Évaluation de sécurité/Avis), mais appliquait des exceptions à certains éléments en application des articles 19 et 21 de la Loi;

(iii)                 le défendeur lui communiquait 49 pages de renseignements trouvés dans le fichier SIS PPU 035 (Plaintes contre le SCRS ou ses employés), mais appliquait des exceptions à certains éléments sur le fondement de l'article 21;

(iv)              le défendeur lui communiquait cinq pages de renseignements trouvés dans le fichier SIS PPU 055 (Sécurité et intégrité des propriétés, des biens et des employés du gouvernement), mais appliquait des exceptions à certains éléments suivant les articles 21, 26 et 28;

(v)                  le fichier SIS PPU 045 (Dossiers d'enquête du SCRS) ayant été classé inconsultable, le défendeur refusait de confirmer ou de nier qu'il renfermait des renseignements personnels le concernant;

(vi)              conformément au paragraphe 16(2) de la Loi, le défendeur refusait de faire état de l'existence de renseignements personnels le concernant dans le fichier SIS PPU 050 (Activités du SCRS pour assurer sa propre protection).


L'enquête du Commissaire à la protection de la vie privée

[5]        Le demandeur a saisi le Commissaire à la protection de la vie privée d'une plainte selon laquelle le SCRS avait refusé de lui communiquer des renseignements personnels le concernant contenus dans les fichiers 005, 035, 040 et 055. Les conclusions du Commissaire figurent dans la lettre datée du 23 février 2001 qu'il a transmise au demandeur. Voici ce qu'il dit à la page 3 :

[traduction] Comme vous le savez, pendant notre enquête, nous avons remis en question certaines des exceptions invoquées par le SCRS pour vous refuser la communication de certains renseignements. Après avoir pris connaissance de ses observations, je suis maintenant convaincu que le SCRS pouvait vous refuser l'accès à certains des renseignements personnels demandés contenus dans les fichiers PPU 005, 035 et 055. Nous avons pu également confirmer que le SCRS a fait une recherche dans le fichier PPU 040 afin d'y trouver des renseignements personnels vous concernant et qu'il n'en a trouvéaucun.

[6]    Même si le demandeur ne s'était pas plaint de la suite donnée par le SCRS à sa demande de communication visant les fichiers 015, 020, 025, 045 et 050, le Commissaire s'est également penchésur la manière dont le SCRS avait traité la demande s'y rapportant. Il a confirmé que le SCRS avait entrepris une recherche dans les fichiers 015, 020 et 025, mais n'y avait trouvé aucun renseignement personnel sur le demandeur. Le Commissaire a également estiméque la réponse du SCRS concernant les fichiers 045 et 050 satisfaisait aux exigences de la Loi.

La demande présentée à la Cour

[7]    Le 2 avril 2001, la Cour a été saisie d'une demande de révision fondée sur l'article 41 de la Loi et visant le refus de l'institution fédérale de communiquer des renseignements personnels. Bien que l'obtention d'un avis du Commissaire à la protection de la vie privée constitue un préalable à l'exercice de ce recours, la décision du Commissaire n'est pas l'objet de la révision. Le texte de l'article 41 est le suivant :




41. L'individu qui s'est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

41. Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

[8]    À l'appui de sa demande, le demandeur a joint un affidavit portant sa signature et un certain nombre de pièces, y compris des articles de journaux et des copies de plusieurs lettres transmises à des fonctionnaires.

[9]    Le défendeur a produit l'affidavit du directeur général de la sécurité interne du SCRS, M. Daryl Zelmer. Des copies des documents envoyés au demandeur en réponse à ses demandes sont jointes à l'affidavit. Le 31 mai 2001, Madame le protonotaire Aronovitch a rendu une ordonnance autorisant le défendeur à produire sous scellé un affidavit supplémentaire confidentiel. L'affidavit supplémentaire de M. Zelmer expliquait en détail le refus de communiquer au demandeur des renseignements contenus dans les fichiers 005, 035 et 055. Tous ces renseignements ont été communiqués à la Cour à titre de pièces jointes à l'affidavit supplémentaire. Ce document précise également si les fichiers 045 et 055 renferment des renseignements sur le demandeur et, dans l'affirmative, il en révèle la teneur à la Cour et explique le refus de les communiquer. L'affidavit supplémentaire de M. Zelmer ne fait pas partie du dossier public de la Cour et sera rendu à l'avocate du défendeur dès que la Cour aura statué sur la demande.

DÉROULEMENT DE L'AUDIENCE

[10] L'article 51 de la Loi établit la procédure à suivre lors de l'audition d'une demande fondée sur l'article 41 :




51. (1) Les recours visés aux articles 41 ou 42 et portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements personnels est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l'article 21 et sur les cas concernant la présence des dossiers dans chacun desquels dominent des renseignements visés à l'article 21 dans des fichiers inconsultables classés comme tels en vertu de l'article 18 sont exercés devant le juge en chef adjoint de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette Cour qu'il charge de leur audition.

(2) Les recours visés au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a eu lieu dans la région de la capitale nationale définie à l'annexe de la Loi sur la capitale nationale si le responsable de l'institution fédérale concernée le demande.

(3) Le responsable de l'institution fédérale concernée a, au cours des auditions en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie.

51. (1) Any application under section 41 or 42 relating to personal information that the head of a government institution has refused to disclose by reason of paragraph 19(1) or (b) or section 21, and any application under section 43 in respect of a file contained in a personal information bank designated as an exempt bank under section 18 to contain files all of which consist predominantly of personal information described in section 21, shall be heard and determined by the Associate Chief Justice of the Federal Court or by such other judge of the Court as the Associate Chief Justice may designated to hear the applications.

(2) An application referred to in subsection (1) or an appeal brought in respect of such application shall:

(a) be heard in camera; and

(b) on the request of the head of the government institution concerned be heard and determined in the National Capital Region described in the schedule to the National Capital Ace.

(3) During the hearing of an application referred to in subsection (1) or an appeal brought in respect of such application, the head of the government institution concerned shall, on the request of the head of the institution, be given the opportunity to make representations ex parte.

[11] Le 21 novembre 2002, dans Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, la Cour suprême du Canada a infirméen partie l'arrêt de la Cour d'appel fédérale [2000] 3 C.F. 589. Elle a conclu que l'alinéa 51(2)a) de la Loi, qui prévoit impérativement la tenue d'une audience à huis clos, portait atteinte à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et que cette atteinte ne pouvait être justifiée conformément à l'article premier. La disposition ne satisfaisait pas au volet atteinte minimale du critère d'application de l'article premier parce que non seulement elle exigeait la tenue d'une audience à huis clos pour décider du bien-fondédes exceptions invoquées sur le fondement des alinéas 19(1)a) ou b) ou de l'article 21, mais elle empêchait également que des questions « incidentes » ne fassent l'objet d'une audition publique. En conséquence, l'audience s'est déroulée en public, mais le détail des exceptions invoquées par le gouvernement en application de l'alinéa 19(1)a) et de l'article 21 a fait l'objet d'une audience à huis clos et ex parte comme l'exige l'article 51. Pendant l'audience à huis clos et ex parte, le SCRS a autoriséla Cour à dire publiquement qu'il avait communiqué au demandeur la quasi-totalité (environ 99 %) des renseignements détenus à son sujet.


LE FARDEAU DE LA PREUVE

[12] Dans une instance relative à la Loi sur la protection des renseignements personnels, la communication est la règle, et la confidentialité l'exception : voir Ruby (C.A.F.), précité, par. 38. Voir également Rubin c. Canada (Sociétécanadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265, à la page 276 (C.A.F.), portant sur la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1. Suivant l'article 47 de la Loi, il appartient au responsable de l'institution fédérale en cause d'établir le bien-fondédu refus de communiquer les renseignements personnels demandés. En voici le libellé :

47. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels ou le bien-fondé du versement de certains dossiers dans un fichier inconsultable classé comme tel en vertu de l'article 18 incombe à l'institution fédérale concernée.

47. In any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 43, the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose personal information requested under subsection 12(1) or that a file should be included in a personal information bank designated as an exempt bank under section 18 shall be on the government institution concerned.

[13] Dans la présente affaire, le défendeur a invoqué des exceptions impératives et des exceptions facultatives. Appelée à réviser les exceptions invoquées par le SCRS, la Cour adoptera la démarche du juge Strayer dans Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R.147, que M. le juge Laforest, dissident, a approuvée avec l'appui, sur ce point, de tous les autres juges de la Cour suprême du Canada, dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, par. 110. Voici ce que dit le juge Strayer au sujet des exceptions impératives (à la page 148) :

[¼] La nature de ce fardeau est suffisamment claire lorsque le responsable de l'établissement invoque simplement une exemption obligatoire : dans un tel cas, la Cour peut examiner la Loi et les renseignements visés par l'exemption et déterminer si, en droit, lesdits renseignements correspondent à la description des renseignements qui, d'après la Loi, doivent être exemptés.

En ce qui concerne les exceptions facultatives prévues dans la Loi, il ajoute (à la page 149) :


Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d'un établissement prenne deux décisions : 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulgués; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s'il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle-ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu'elles assument, sont mieux placées pour juger la question [¼]

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d'exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l'entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

[14] Conformément à Kelly, la Cour soumettra la décision relative à l'application d'une exception impérative et la décision de fait à la norme de la décision correcte. Pour ce qui est de la décision de nature discrétionnaire, la Cour déterminera si le SCRS a exercé son pouvoir discrétionnaire « dans les limites appropriées et selon les principes appropriés » (Ruby (C.A.F.), par. 39 et Rubin, p. 276), de même que « de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle [le pouvoir discrétionnaire] a été accordé » (Kelly, p. 149).

L'ANALYSE

Première question -Les exceptions invoquées relativement aux fichiers 005, 035 et 055

a)                   Exception fondée sur l'article 19 - Renseignements obtenus à titre confidentiel du gouvernement d'un État étranger ou de l'un de ses organismes (renseignements confidentiels provenant d'un gouvernement étranger)

[15]      Le SCRS a appliqué l'exception prévue à l'alinéa 19(1)a) à certains renseignements trouvés dans le fichier 005 au motif qu'ils avaient été obtenus à titre confidentiel du gouvernement d'un État étranger ou de l'un de ses organismes. Le texte de la disposition est le suivant :


19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus à titre confidentiel :

a) des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes;

[¼]

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that was obtained in confidence from

(a) the government of a foreign state or an institution

[¼]

[16] Dans Ruby, précité, au par. 101, la Cour d'appel fédérale a décrit comme suit l'exception prévue à l'article 19 :

L'article 19 prévoit une exception obligatoire conditionnelle : le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels obtenus à titre confidentiel d'un autre gouvernement ou d'une organisation internationale d'États à moins que ce gouvernement ou cette institution ne consente à la communication ou ne rende les renseignements publics. C'est ce que l'on appelle généralement l'exception relative aux tiers. [Non soulignédans l'original.]

L'exception prévue à l'alinéa 19(1)a) vise à prévenir la divulgation accidentelle de renseignements obtenus à titre confidentiel de gouvernements ou d'organismes étrangers. Elle est vitale au maintien des sources étrangères de renseignements de sécurité : voir Ruby (C.S.C.), par. 43-44.

[17] Le paragraphe 19(2) dispose que le responsable d'une institution fédérale peut donner communication des renseignements personnels qu'il a refuséde communiquer sur le fondement du paragraphe 19(1) si le gouvernement ou l'organisme qui a fourni les renseignements consent à leur communication ou les rend publics.


19. (2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication des renseignements personnels visés au paragraphe (1) si le gouvernement, l'organisation, l'administration ou l'organisme qui les a fournis :

a) consent à la communication;

b) rend les renseignements publics.

19. (2) The head of a government institution may disclose any personal information requested under subsection 12(1) that was obtained from any government, organization or institution described in subsection (1) if the government, organization or institution from which the information was obtained

(a) consents to the disclosure; or

(b) makes the information public.

[18] Bien que la disposition revête essentiellement un caractère facultatif, dans Ruby, la Cour d'appel fédérale a statué (aux par. 101-111) que l'alinéa 19(2)a) créait une « exigence relative au consentement » . Au par. 104, elle ajoute que, en raison de l'alinéa 19(2)a), « l'autoritéqui revendique l'exception est la personne qui doit s'assurer que le tiers ne consent pas à la communication » . Voici comment elle décrit l' « exigence relative au consentement » (par. 110) :

À notre avis, en demandant au responsable d'une institution fédérale la communication des renseignements personnels le concernant, le demandeur demande également au responsable de cette institution de faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement du tiers qui a fourni les renseignements en question. En tirant ces conclusions, nous voulons qu'il soit clair que nous examinons uniquement la question de la charge de la preuve et que nous ne déterminons aucunement les méthodes ou moyens par lesquels le consentement du tiers peut être demandé. Des considérations politiques et pratiques se rapportant, entre autres, à la nature des renseignements et à la quantitéde renseignements peuvent empêcher l'obtention d'un consentement sur une base individuelle et mener à l'établissement de protocoles qui respectent l'esprit et la lettre de la Loi et de l'exception. [Non souligné dans l'original.]

[19] Les renseignements qui ont été refusés au demandeur sur le fondement de l'alinéa 19(1)a) sont sans aucun doute visés par cette disposition. Cependant, la preuve ne révèle pas que le SCRS a fait des efforts pour obtenir du tiers ayant fourni les renseignements qu'il consente à leur communication. Le défendeur soutient qu'une telle démarche ne s'impose pas dans tous les cas et qu'il appartient à l'institution fédérale en cause de décider de ce qu'il est opportun de faire dans chacun des cas.


[20] La Cour ne partage pas l'avis du défendeur. Selon moi, il ressort du jugement de la Cour d'appel fédérale dans Ruby (par. 110) que l'institution fédérale n'est pas tenue de demander le consentement lorsqu'elle agit sur le fondement d'un protocole qui respecte l'esprit et la lettre de la Loi et de l'exception. Hormis une déclaration générale selon laquelle ces renseignements ont été obtenus « à titre confidentiel » , le défendeur n'a pas établi l'existence d'un protocole concernant la divulgation de renseignements personnels. Pour s'acquitter de son obligation suivant l'alinéa 19(2)a), le défendeur ne peut se contenter d'affirmer que les renseignements ont été obtenus « à titre confidentiel » .

[21] De plus, la prétention du défendeur selon laquelle il appartient à l'institution fédérale de décider ce qui est opportun va à l'encontre de l'esprit de la Loi, qui exige de l'institution fédérale qu'elle justifie le refus de communiquer des renseignements personnels. Si une institution fédérale pouvait décider de ce qui est approprié dans chaque cas, l' « exigence relative au consentement » prévue à l'alinéa 19(2)a) n'aurait plus de raison d'être. Étant donné que, en général, le demandeur ne connaît ni la nature ni la source des renseignements qui lui sont refusés, dans la majorité des cas, il lui sera presque impossible d'obtenir le consentement du tiers. En ce sens, permettre à une institution fédérale de décider s'il y a lieu ou non de demander le consentement prive l'alinéa 19(2)a) de toute raison d'être.

[22] La Cour est d'avis que le SCRS n'a pas appliqué correctement l'exception prévue à l'article 19 aux renseignements contenus dans le fichier 005.

b) Exception prévue à l'article 21 -Renseignements dont la divulgation pourrait porter préjudice à la conduite des affaires internationales et à la défense (renseignements confidentiels liés aux affaires internationales et à la défense)

[23] Le SCRS a fait bénéficier certains des renseignements trouvés dans les fichiers 005, 035 et 055 de l'exception prévue à l'article 21, dont voici le texte :

21. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d'États alliés ou associés avec le Canada, au sens du paragraphe 15(2) de la Loi sur l'accès à l'information, ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d'activités hostiles ou subversives, au sens du paragraphe 15(2) de la même loi, notamment les renseignements visés à ses alinéas 15(1)a) et i).

21. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the conduct of international affaires, the defense of Canada or any state allied or associated with Canada, as defined in subsection 1592) of the Access to Information Act, or the efforts of Canada toward detecting, preventing or suppressing subversive or hostile activities, as defined in subsection 15(2) of the Access to Information Act, including, without restricting the generality of the foregoing, any such information listed in paragraphs 15(1)(a) to (i) of the Access to Information Act.


[24] L'exception prévue à l'article 21 est de nature discrétionnaire et s'applique aux renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou à la sécurité nationale. Pour invoquer cette exception, le responsable de l'institution fédérale doit établir l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice.

[25] Dans son affidavit, M. Zelmer dit que la divulgation des renseignements tenus confidentiels risquerait vraisemblablement de porter préjudice aux efforts du Canada en matière de détection, de prévention ou de répression des activités subversives ou hostiles. Les renseignements en cause touchent à la procédure suivie à l'interne pour classer et évaluer les renseignements, comme les méthodes de numérotation des dossiers et de concordance, et les résultats obtenus. Ils renferment également des données sur les systèmes cryptographiques et informatiques du SCRS. La communication des renseignements dévoilerait le fonctionnement du SCRS et l'entraverait dans l'exécution de son mandat.

[26] Dans son affidavit supplémentaire, M. Zelmer donne des précisions sur la nature des renseignements et sur le risque que leur divulgation ne soit préjudiciable. Le défendeur a établi que les renseignements tombent sous le coup de l'exception prévue à l'article 21. La Cour a gardé présents à l'esprit les propos du juge MacKay dans Ternette c. Canada (Solliciteur général) (1991), [1992] 2 C.F. 75, par. 35 (1re inst.), selon lesquels il existe un « préjudice peut-être plus grave que celui qui pourrait être perçu si l'on examinait un élément ou des éléments d'information sans savoir comment ils pourraient être joints à d'autres renseignements pour former une mosaïque importante pour ceux qui cherchent à obtenir des renseignements liés aux opérations du SCRS » . Même si la divulgation des seuls renseignements visés en l'espèce pourrait être inoffensive, la divulgation de tels renseignements sur une base régulière compromettrait certainement l'intégrité du fonctionnement du SCRS.


[27] En outre, après examen des renseignements visés par l'exception, la Cour conclut qu'ils ne portent que sur les méthodes de concordance, de classement et de classification des renseignements du SCRS et ne se rapportent pas à la situation personnelle du demandeur.

c) Exception prévue à l'article 26 - Renseignements sur des tiers (renseignements confidentiels sur des tiers)

[28]      S'appuyant sur l'article 26, le SCRS a refusé de communiquer certains des renseignements trouvés dans le fichier 055. L'article 8 joue dans l'application de cette exception. Voici les extraits pertinents de ces deux dispositions :


8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants_:

[...]


8. (1) Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be disclosed by the institution except in accordance with this section.

(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

[...]


m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution_:

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

[...]

26. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l'article 8.


(m) for any purpose where, in the opinion of the head of the institution,

(i) the public interest in disclosure clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure, or

(ii) disclosure would clearly benefit the individual to whom the information relates.

[...]

26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8.


[29]      La dernière partie de l'article 26 prévoit l'application obligatoire d'une exception empêchant une institution fédérale de communiquer des renseignements personnels sur un tiers sans le consentement de ce dernier, sauf dans l'un ou l'autre des cas énumérés au paragraphe 8(2). Les alinéas 8(2)a) à l) font état de cas particuliers où des renseignements personnels sur un tiers peuvent être communiqués, mais aucun ne s'applique en l'espèce. L'alinéa 8(2)m) autorise la communication de renseignements sur un tiers lorsque l'intérêt public le justifie ou que l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

[30]      L'alinéa 8(2)m) exige que l'institution fédérale pondère, de manière discrétionnaire, les motifs d'intérêt public qui justifient la communication ou l'avantage qu'en tirerait le demandeur, d'une part, et le droit du tiers au respect de sa vie privée, d'autre part. Vu cette exigence, tout comme celle prévue à l'article 19, l'exception que prévoit l'article 28 constitue en fait une exception obligatoire conditionnelle. Dans Ruby, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit au par. 121 :

L'article 26 visait clairement à protéger les tiers contre la communication de renseignements confidentiels les concernant. Cette disposition confère au responsable de l'institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de faire preuve de jugement en comparant les intérêts d'un tiers en matière de vie privée et les droits d'accès de la partie requérante. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) a été édicté pour qu'un équilibre discrétionnaire similaire soit maintenu entre les raisons d'intérêt public justifiant la communication et le droit à la vie privée.

La Cour d'appel a ensuite ajouté qu'il fallait tenir compte du sous-alinéa 8(2)m)(i) pour appliquer l'exception prévue à l'article 26 (au par. 124) :

[...] on ne sait pas trop si le SCRS a tenu compte du sous-alinéa 8(2)m)(i) en refusant la communication de renseignements concernant les tiers et si, par conséquent, il a appliqué de la façon appropriée l'exception revendiquée conformément à l'article 26 de la Loi.


[31]      Coauteur de l'arrêt Ruby, M. le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, est arrivé à une conclusion semblable dans Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2001] 3 C.F. 70, par. 10-11, pourvoi entendu et pris en délibéré par la Cour suprême du Canada le 29 octobre 2002, [2001] SCCA no 251 (QL), une affaire portant sur l'application du sous-alinéa 8(2)m)(i) dans le contexte de la Loi sur l'accès à l'information, précitée.

[32]      Le défendeur dit avoir établi que les renseignements personnels dont la communication a été refusée sur le fondement de l'article 26 tombent sous le coup de cette exception et que le SCRS a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l'alinéa 8(2)m).

[33]      La Cour n'est pas convaincue que le SCRS a exercé son pouvoir discrétionnaire en pondérant les intérêts opposés en cause pour l'application de l'exception prévue à l'article 26. La seule preuve offerte à cet égard est la déclaration générale de M. Zelmer selon laquelle la communication de certains renseignements personnels a été refusée sur le fondement de l'article 26 parce qu'ils portaient sur des personnes susceptibles d'être identifiées. La Cour reconnaît que les renseignements se rapportaient à des tiers et tombaient sous le coup de l'article 26, mais aucune preuve ne permet à la Cour de conclure que le SCRS s'est livré à la pondération discrétionnaire exigée à l'alinéa 8(2)m).


[34]      La Cour arrive à la conclusion que le SCRS a omis de soupeser le droit des tiers en cause au respect de leur vie privée et le fait que les renseignements non communiqués renfermaient simplement les noms de tiers identifiés par le demandeur lors de ses échanges avec le SCRS.

d) Exception prévue à l'article 28 - Renseignements médicaux (renseignements confidentiels médicaux)

[35]      Le SCRS a refusé la communication des autres renseignements contenus dans le fichier 055 en invoquant l'article 28 et le fait qu'il s'agissait de renseignements médicaux sur l'état physique ou mental du demandeur et que leur communication desservirait ce dernier. Voici le libellé de l'article 28 :


Dossiers médicaux

28. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur l'état physique ou mental de l'individu qui en demande communication, dans les cas où la prise de connaissance par l'individu concerné des renseignements qui y figurent desservirait celui-ci.


Medical record

28. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that relates to the physical or mental health of the individual who requested it where the examination of the information by the individual would be contrary to the best interests of the individual.


[36]      Comme l'indique l'emploi du mot « peut » , l'exception prévue à l'article 28 est discrétionnaire. Dans son affidavit supplémentaire, M. Zelmer fait état des renseignements dont la communication a été refusée et justifie l'application de l'exception. Selon le défendeur, la preuve montre que le SCRS a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les renseignements.

[37]      Deux conditions doivent être remplies pour qu'une institution fédérale puisse invoquer l'exception que prévoit l'article 28. Premièrement, les renseignements doivent porter sur l'état physique ou mental de l'individu qui en demande communication. En l'espèce, il ne fait aucun doute que les renseignements portent sur l'état physique ou mental du demandeur.


[38]      Deuxièmement, le responsable de l'institution fédérale doit déterminer si la communication des renseignements demandés desservirait ou non l'individu. Suivant le paragraphe 13(1) du Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508 (le Règlement), il peut à cette fin demander l'avis d'un médecin et d'un psychologue en situation légale d'exercice quant à savoir si la prise de connaissance des renseignements par l'individu lui porterait préjudice. L'article 14 du Règlement dispose que le responsable de l'institution fédérale peut également exiger de l'individu qu'il consulte les renseignements en personne et en la présence d'un médecin ou d'un psychologue en situation légale d'exercice afin que celui-ci puisse lui donner des explications ou des éclaircissements à leur sujet.

[39]      La Cour estime qu'un lourd fardeau pèse sur l'institution fédérale lorsqu'il s'agit de justifier l'application de l'exception prévue à l'article 28. Contrairement aux autres exceptions légales, dont l'application exige la pondération du droit de l'individu aux renseignements personnels et des intérêts d'autrui, l'article 28 implique une pondération entre le droit de l'individu aux renseignements personnels et son propre intérêt déterminé par le responsable de l'institution fédérale. Nul besoin de dire que, dans notre société, chacun a généralement le droit de décider de ce qui sert son intérêt. Ce droit ne doit pas être écarté à la légère.


[40]      Le défendeur n'a pas justifié devant la Cour l'application de l'exception prévue à l'article 28. Le SCRS s'est servi de l'article 28 comme d'une exception générale pour refuser la communication de renseignements portant sur l'état physique ou mental du demandeur, sans tenir compte de la seconde condition applicable. Rien ne permet de conclure que le SCRS a effectué une quelconque analyse pour déterminer ce qui était au mieux des intérêts du demandeur. En outre, aucun médecin ou psychologue en situation légale d'exercice n'a été consulté, et la possibilité de permettre au demandeur de consulter les renseignements en présence d'un tel médecin ou psychologue n'a pas été envisagée. L'omission d'envisager ces deux possibilités ne constitue pas en soi un motif d'annulation de la décision du SCRS, mais elle confirme la conclusion de la Cour selon laquelle le SCRS n'a pas fait d'analyse appropriée de l'intérêt du demandeur comme le lui commandait l'article 28.

Deuxième question - Refus de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans les fichiers 045 et 050

a) Fichier 045 - Enquêtes du SCRS (renseignements confidentiels liés à la sécurité nationale)

[41]       Le défendeur a refusé de confirmer ou de nier l'existence de renseignements personnels se rapportant au demandeur dans le fichier 045, qui renferme des données sur les enquêtes du SCRS, et il a fait savoir au demandeur que si le fichier renfermait des renseignements le concernant, ils faisaient l'objet d'une exception prévue à l'article 21 ou 22. Ce fichier étant essentiellement constitué de renseignements sensibles sur la sécurité nationale, le SCRS a pour politique de refuser de confirmer ou de nier l'existence de tout renseignement dans le fichier.

[42]       En vertu de l'article 18, le gouverneur en conseil a classé le fichier 045 inconsultable : voir le Décret no 14 sur les fichiers de renseignements personnels inconsultables (SCRS), DORS/92-688. Le texte de l'article 18 est le suivant :


Fichiers inconsultables

18. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, classer parmi les fichiers de renseignements personnels inconsultables, dénommés fichiers inconsultables dans la présente loi, ceux qui sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22.

Autorisation de refuser

(2) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont versés dans des fichiers inconsultables.

Éléments que doit contenir le décret

(3) Tout décret pris en vertu du paragraphe (1) doit porter_:

a) une mention de l'article sur lequel il se fonde;

b) de plus, dans le cas d'un fichier de renseignements personnels formé de dossiers dans chacun desquels dominent des renseignements visés au sous-alinéa 22(1)a)(ii), la mention de la loi dont il s'agit.


Governor in Council may designate exempt banks

18. (1) The Governor in Council may, by order, designate as exempt banks certain personal information banks that contain files all of which consist predominantly of personal information described in section 21 or 22.

Disclosure may be refused

(2) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that is contained in a personal information bank designated as an exempt bank under subsection (1).

Contents of order

(3) An order made under subsection (1) shall specify

(a) the section on the basis of which the order is made; and

(b) where a personal information bank is designated that contains files that consist predominantly of personal information described in subparagraph 22(1)(a)(ii), the law concerned.


[43]       Le paragraphe 18(2) dispose que le responsable de l'institution fédérale peut refuser la communication de renseignements personnels versés dans un fichier inconsultable. Toutefois, il ne l'investit pas du pouvoir d'adopter une politique consistant à refuser de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans un fichier inconsultable. Une institution fédérale ne peut appliquer une telle politique que sur le fondement du paragraphe 16(2). Le texte de l'article 16 est le suivant :



16. (1) En cas de refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1), l'avis prévu à l'alinéa 14a) doit mentionner, d'une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée et, d'autre part_:

a) soit le fait que le dossier n'existe pas;

b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient.

(2) Le paragraphe (1) n'oblige pas le responsable de l'institution fédérale à faire état de l'existence des renseignements personnels demandés.


16. (1) Where the head of a government institution refuses to give access to any personal information requested under subsection 12(1), the head of the institution shall state in the notice given under paragraph 14(a)

(a) that the personal information does not exist, or

(b) the specific provision of this Act on which the refusal was based or the provision on which a refusal could reasonably be expected to be based if the information existed,

and shall state in the notice that the individual who made the request has a right to make a complaint to the Privacy Commissioner about the refusal.

(2) The head of a government institution may but is not required to indicate under subsection (1) whether personal information exists.


[44]       Dans Ruby, la Cour d'appel fédérale a statué que le paragraphe 16(2) autorisait une institution fédérale à adopter une politique consistant à refuser de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans un fichier de renseignements personnels. L'application d'une politique de ce genre en vertu du paragraphe 16(2) suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par l'institution fédérale. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé d'une manière raisonnable compte tenu des circonstances de l'espèce : voir Ruby (C.A.F.), par. 65-66. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a jugé que le ministère des Affaires extérieures avait agi de manière raisonnable en adoptant une telle politique parce que, « [é]tant donné la nature du fichier en question, la simple divulgation de l'existence ou de l'inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l'objet d'une enquête » (par. 65).


[45]       Le fichier 045 contient des renseignements sur des personnes qui font ou ont fait l'objet d'une enquête du SCRS parce qu'elles étaient soupçonnées d'avoir participé à des activités qui constituaient une menace pour la sécurité du Canada. Tout comme dans le cas considéré dans Ruby (C.A.F.), si le SCRS révélait à un demandeur l'existence ou l'inexistence de renseignements dans le fichier 045, il l'informerait en fait de toute activité d'enquête le concernant. Vu ces circonstances, la Cour a conclu qu'il était raisonnable que le SCRS applique une politique uniforme consistant à refuser de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans le fichier 045. Même un juge de la Cour ne pourrait obtenir du SCRS la confirmation qu'il fait ou non l'objet d'une enquête à ce chapitre.

b) Fichier 050 - Activités de contre-espionnage du SCRS (renseignements confidentiels en matière de contre-espionnage)

[46]       Le SCRS a également refusé de confirmer l'existence de renseignements personnels sur le demandeur dans le fichier 050, lequel renferme des données à l'appui de son programme de contre-espionnage. Le SCRS ne révèle jamais l'existence de renseignements personnels dans ce fichier, conformément au paragraphe 16(2) et il informe le demandeur que si le fichier renferme de tels renseignements, ceux-ci font l'objet d'une exception prévue au paragraphe 19(1), à l'alinéa 22(1)b), à l'article 25 ou à l'article 26.


[47]       Cette politique du SCRS doit être raisonnable au regard des faits de l'espèce : voir Ruby (C.A.F.), par. 65-66. Je le répète, l'application de ce genre de politique est justifiée lorsque la divulgation de l'existence ou de l'inexistence des renseignements constitue en soi une communication. Dans Zanganeh c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), [1989] 1 C.F. 244 (1er inst.), le juge Muldoon a fait état d'une autre circonstance qui justifie l'adoption d'une telle politique. Au par. 13, le juge Muldoon a autorisé le SCRS à refuser de confirmer ou de nier l'existence de renseignements dans un fichier lorsque « la reconnaissance expresse de l'existence de renseignements dans le fichier, que ceux-ci s'y trouvent ou non, peut et pourrait certes compromettre la sécurité du Canada en fournissant un point de référence, ouvrant ainsi une brèche dans la protection du secret que le Service canadien doit maintenir » .

[48]       Les renseignements versés dans le fichier 050 visent à appuyer le programme de contre-espionnage et à permettre au SCRS de se prémunir contre l'infiltration par des services étrangers hostiles et d'autres organisations dont les intérêts sont opposés à ceux du Canada. Reconnaître l'existence de renseignements dans le fichier 050 ferait savoir à un individu qu'il fait l'objet ou non d'une opération de contre-espionnage et compromettrait la sécurité du Canada en entravant le SCRS dans l'exercice de ses activités de contre-espionnage. La Cour conclut que le défendeur a convenablement exercé le pouvoir discrétionnaire conféré au paragraphe 16(2) en refusant de confirmer ou de nier l'existence de renseignements personnels sur le demandeur dans le fichier 050.

Troisième question - Le SCRS a-t-il fait une recherche appropriée dans les fichiers 015, 020, 025 et 040?


[49]       Le SCRS a informé le demandeur qu'il n'avait trouvé aucun document le concernant dans les fichiers 015, 020, 025 et 040. Le Commissaire à la protection de la vie privée a confirmé que le SCRS avait procédé à une recherche appropriée dans ces fichiers, mais n'y avait trouvé aucun renseignement concernant le demandeur. Ce dernier estime que le SCRS n'a pas dit la vérité en affirmant que ces fichiers ne renfermaient aucun document le concernant.

[50]       Compte tenu de la preuve dont elle est saisie, la Cour est convaincue que ces fichiers de renseignements personnels ne renferment aucun document se rapportant au demandeur. Lors de l'audition de la demande le 8 janvier 2003, le demandeur a dit avoir saisi le SCRS de 900 « plaintes circonstanciées » depuis 1999. Comme cette audience portait sur une demande de communication datée du 7 août 1997, elle ne visait que les documents personnels qui existaient alors ou qui avaient existé auparavant. En conséquence, ces « plaintes circonstanciées » sont antérieures et ne figurent pas dans les fichiers de renseignements pour les besoins de la présente affaire.

CONCLUSION

[51]       Le SCRS a appliqué à tort les exceptions prévues aux articles 19, 26 et 28 aux renseignements personnels sur le demandeur contenus dans les fichiers 005 et 055. L'affaire sera renvoyée au SCRS pour qu'il se prononce à nouveau sur l'application de ces exceptions. Cependant, le SCRS a observé la Loi en recherchant des renseignements sur le demandeur dans ses fichiers et en communiquant au demandeur la quasi-totalité de ces renseignements, ainsi qu'en informant le demandeur qu'aucun renseignement le concernant ne figurait dans ses autres fichiers de renseignements.


[52]       Après un examen minutieux des renseignements du SCRS sur le demandeur, la Cour conclut que le demandeur entretient une crainte injustifiée ou déraisonnable vis-à-vis du SCRS. Le demandeur, un réfugié originaire de la Bosnie, craint les services secrets, ce qui s'explique par l'expérience malheureuse vécue en Bosnie. La Cour a examiné tous les renseignements dont le SCRS a refusé la communication et elle estime que le demandeur n'a aucun motif de craindre le SCRS ni de s'inquiéter à son sujet.

                                                                   Michael A. Kelen        ______________________________

           Juge                      

Ottawa (Ontario)

7 février 2003

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20030207

            Dossier t: T-571-01

ENTRE :

DZEVAD CEMERLIC, M.D.

     demandeur

- et -

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                     

            défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                   


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-571-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Dr DZEVAD CEMERLIC, M.D.

c.

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                    

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 8 JANVIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                        7 FÉVRIER 2003

ONT COMPARU:

                                                   Dr DVEVAD CEMERLIC, M.D.

POUR LE DEMANDEUR

Me GINA M. SCARCELLA

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Dr DZEVAD CEMERLIC, M.D.

STATION A G D

25 THE ESPLANADE

TORONTO (ONTARIO)

M5W lAl

POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR

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