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Date : 19990908

Dossier : IMM-4780-98

Ottawa (Ontario), le mercredi 8 septembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON      

ENTRE :

NIMA HAGHIGHI,

demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision qui fait l'objet du contrôle est annulée et la demande d'établissement présentée par le demandeur au Canada et fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration est renvoyée au défendeur afin qu'un autre agent d'immigration rende une nouvelle décision.


La question suivante est certifiée :

L'agent d'immigration qui examine une demande de droit d'établissement présentée au Canada pour motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration viole-t-il l'obligation d'équité qu'il a envers un demandeur lorsqu'il se fonde sur un document préparé à sa demande, tel que les recommandations et les motifs d'un agent de révision des revendications refusées, lorsqu'un tel document n'est pas communiqué au demandeur et qu'il ne lui est pas donné l'occasion d'y répondre?

FREDERICK E. GIBSON        

__________________________________

Juge                           

Traduction certifiée conforme

Philippe Méla

Date : 19990908


Dossier : IMM-4780-98

ENTRE :

NIMA HAGHIGHI,

demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par une agente d'immigration qui a conclu que les motifs d'ordre humanitaire, invoqué par le demandeur pour pouvoir présenter au Canada sa demande d'établissement, en vertu

du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration[1], étaient insuffisants. La décision est datée du 24 juillet 1998.

[2]         Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de l'agente d'immigration et renvoyant la demande de droit d'établissement présentée en sol canadien à un autre agent d'immigration pour qu'il rende une nouvelle décision.


[3]         Le demandeur est un citoyen d'Iran. Il prétend qu'il a été détenu dans ce pays du fait de sa fréquentation d'un membre des moudjahiddin. En septembre 1993, le demandeur s'est enfui au Canada. Au moment de son arrivée au pays, il avait 17 ans. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La revendication a été rejetée principalement en raison du manque de crédibilité du demandeur. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée devant la Cour. La demande d'autorisation a été rejetée. Le demandeur a présenté une demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié. Cette demande a été rejetée et aucune demande de contrôle judiciaire du rejet n'a été présentée.

[4]         Le 15 octobre 1997, le demandeur a présenté au Canada une demande de droit d'établissement pour des motifs d'ordre humanitaire. Relativement à cette demande, il a été interrogé le 6 avril 1998 par l'agente d'immigration qui a rendu la décision qui fait aujourd'hui l'objet du contrôle judiciaire Lors de cette entrevue, le demandeur a tout d'abord communiqué qu'il s'était converti au christianisme ici au Canada au mois de juillet 1996. Il a fait valoir que cette conversion constituait un motif supplémentaire de craindre de retourner en Iran. Il a été donné au demandeur la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires, appuyées par toute preuve documentaire de son choix, relativement à ce nouveau motif de sa crainte. Il a fait usage de ce droit par l'intermédiaire de son avocate.

[5]         Comme la pratique le veut dans de tels cas, l'agente d'immigration a renvoyé la demande, les observations s'y rattachant et les documents à l'appui de celle-ci à un agent de révision des revendications refusées pour une « évaluation du risque » . L'évaluation du risque comportait la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

- je n'ai devant moi aucune preuve péremptoire qui me permette de conclure que le demandeur serait exposé à un risque objectivement déterminable menaçant sa vie, à une sanction excessive ou qu'un traitement inhumain pourrait lui être infligé s'il était renvoyé en Iran.


Pour en arriver à cette conclusion, l'agent de révision des revendications refusées s'est fondé sur les pièces qui lui ont été communiquées par l'agente d'immigration, sur le U.S. Department of State Country Reports on Human Rights Conditions for 1997, particulièrement pour l'Iran ( le « 1997 DOSS Report » ), et sur le dossier d'immigration du demandeur. Le 1997 DOSS Report ne fait pas partie des pièces qui ont été communiquées par le demandeur à l'appui de sa demande fondé sur des motifs d'ordre humanitaire.

[6]         Sans communiquer avec le demandeur l'évaluation du risque défavorable ou l'aviser qu'elle s'était basée sur le 1997 DOSS Report, l'agente d'immigration a rendu la décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. Dans les notes de l'agente d'immigration, sous la rubrique « remarques » , elle écrit notamment :

[TRADUCTION]

...M. Nima Haghighi a été interrogé le 6 avril 1998, et a demandé à être considéré en vertu de l'article 114(2) de la Loi sur l'immigration du Canada à titre de demandeur indépendant. À mon avis, les motifs sont insuffisants pour que l'on considère favorablement le traitement de ce cas à partir du Canada.

Il [le requérant] est un demandeur de statut débouté. Il a reçu une réponse défavorable suite à une demande de DNRSRC le 8 septembre 1997. À l'entrevue portant sur les raisons d'ordre humanitaire, il a été demandé au requérant s'il y avait de nouveaux renseignements depuis la décision de l'agent de révision. Il a répondu que « oui » et, sur réception des renseignements [relatifs à la conversion au christianisme du demandeur et au risque qui en a découlé], ceux-ci ont été transmis à l'agent de révision pour une opinion. Je suis d'accord avec la décision que M. Haghighi ne courrait aucun risque s'il était renvoyé en Iran.

Le sujet est au Canada depuis 1993 et il lui a été délivré des permis de travail depuis mai 1994. Il a choisi de ne pas travailler et de dépendre totalement des services sociaux. Il a indiqué qu'il a cessé de percevoir l'aide sociale en juillet 1997 et que depuis il est devenu autonome puisque maintenant ses parents et ses amis le soutiennent financièrement. Son perfectionnement scolaire mérite des éloges et sera un atout pour lui dans le futur. Son bénévolat est admirable mais les motifs sont insuffisants pour justifier une exception.

Il n'a aucune proche famille au Canada, mais ses parents sont à l'étranger [en Iran]. Après réexamen de tous les renseignements, je suis d'avis que les raisons d'ordre humanitaire qui existent dans ce cas sont insuffisantes et que le sujet ne serait exposé à aucune difficulté excessive, imméritée ou disproportionnée s'il était obligé de quitter le Canada et de faire sa demande de l'étranger d'une manière normale.

[7]         En réponse à une demande de l'avocate du demandeur, une copie de l'évaluation du risque et des notes de l'agente d'immigration, y compris les motifs à l'appui de la décision, ont été remis au demandeur.


[8]         Les questions suivantes ont été soulevées au nom du demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.          L'agente d'immigration a-t-elle violé l'obligation d'équité en obtenant une évaluation du risque défavorable relativement à ce demandeur et en se fondant sur celle-ci sans aviser le demandeur de son contenu et sans lui donner la possibilité d'y répondre?

2.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en omettant d'exercer sa compétence, c'est-à-dire en n'ayant pas considéré elle-même la question du risque soulevée par la demande du demandeur de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire?

3.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant l'évaluation du risque prévue en vertu du Règlement sur les DNRSRC alors qu'elle devait considérer les motifs d'ordre humanitaire de la demande déposés en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, qui ne se limite pas à une définition réglementaire de risque?

4.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit dans son évaluation de la preuve :

a)          en se concentrant sur un point pour appuyer son avis que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il retournait en Iran, alors que le poids écrasant de la preuve indique le contraire?


b)          en omettant de considérer la situation du demandeur d'une manière contextuelle et en ne tenant pas compte de sa jeunesse et de son manque d'expérience en concluant qu'il « avait choisi » de ne pas travailler au Canada mais avait plutôt choisi d'étudier?

QUESTION EN LITIGE 1 : L'équité

[9]         Les principes qui sous-tendent l'obligation d'équité relativement à des décisions comme celle ici contestée font l'objet de nombreuses consignes depuis l'arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2]. Au paragraphe 23 et suivants, le juge L'Heureux-Dubé dresse une liste non exhaustive de cinq facteurs pertinents en ce qui a trait aux exigences de l'obligation d'équité procédurale en common law dans des circonstances données. Brièvement énoncé, ces facteurs sont les suivants :

1.          La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

2.          La nature du régime législatif et les « termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question » ;

3.          L'importance de la décision pour les personnes visées;

4.          Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5.          les choix de procédure que le décideur fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand le décideur a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances.

[10]       Au paragraphe 30, sous l'intertitre « Les droits de participation » , le juge L'Heureux-Dubé écrit :


Au coeur de cette analyse, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, les personnes dont les intérêts étaient en jeu ont eu une occasion valable de présenter leur position pleinement et équitablement.

Aux paragraphes 31 et 32, le juge L'Heureux-Dubé poursuit :

Plusieurs des facteurs susmentionnés servent à déterminer quel type de droits de participation sont requis par l'obligation d'équité procédurale dans les circonstances. En premier lieu, une décision d'ordre humanitaire est très différente d'une décision judiciaire, car elle suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire étendu et l'examen de facteurs multiples. Deuxièmement, son rôle est aussi, dans le cadre du régime législatif, une exception aux principes généraux du droit canadien de l'immigration. Ces facteurs militent en faveur d'une application moins stricte de l'obligation d'équité. D'autre part, il n'existe pas de procédure d'appel, bien qu'il puisse y avoir un contrôle judiciaire sur autorisation de la Cour fédérale, Section de première instance. En outre, au vu du troisième facteur, il s'agit là d'une décision qui, en pratique, a une importance exceptionnelle sur la vie des personnes concernées -- le demandeur et les membres de sa famille proche, ce qui accroît l'étendue de l'obligation d'équité. Enfin, appliquant le cinquième facteur ci-haut décrit, la loi donne au ministre une grande latitude pour décider de la procédure appropriée, et les agents d'immigration, dans la pratique, ne procèdent pas à des entrevues dans tous les cas. Les pratiques et les choix institutionnels que fait le ministre sont importants, bien que ce ne soient évidemment pas des facteurs déterminants dans l'analyse. On peut donc voir que, si certains facteurs indiquent des exigences plus strictes en matière d'obligation d'équité, d'autres indiquent des exigences moins strictes, plus éloignées du modèle judiciaire.

Pondérant ces facteurs, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Shah [...] que l'obligation d'équité dans ces circonstances est simplement « minimale » . Au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et le demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité

valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable[3] .

[11]       S'appuyant sur les principes énoncés dans Baker, l'avocate du demandeur a fait valoir qu'on n'a pas donné au demandeur une « occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » et de voir son affaire « évalué[e] de façon complète et équitable » . Au coeur de ce moyen se trouvait le fait que l'agente d'immigration s'était fondée sur une recommandation défavorable de l'agent de révision, qui lui-même, s'était fondé sur le 1997 DOSS Report, et ni la recommandation de l'agent de révision et l'analyse sur laquelle elle était fondée, ni le 1999 DOSS Report et le fait qu'on s'y était fié n'ont été divulgués au demandeur. En conséquence, le demandeur n'a eu la possibilité de répondre ni à l'une ni à l'autre.


[12]       Dans l'affaire Cocojar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], une décision a été rendue relativement à des faits semblables à ceux en l'espèce et le juge Evans a décrit une des questions qu'il devait trancher de la manière suivante :

Le demandeur conteste la décision de l'agente d'immigration en invoquant quatre motifs.

i) Le rapport de l'agent de révision constituait une « preuve extrinsèque » que l'agente d'immigration devait, en vertu de l'obligation d'agir équitablement qui lui incombait, communiquer au demandeur afin de permettre à celui-ci d'y répondre avant que ne soit tranchée sa demande fondée sur le paragraphe 114(2).

[...]

Le juge Evans a continué :

L'arrêt de principe en matière de contrôle des décisions fondées sur les dispositions d'ordre humanitaire prévues au paragraphe 114(2) est l'arrêt Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.). En ce qui concerne la question de l'équité procédurale, le juge Hugessen de la Cour d'appel dit, aux pages 83 et 84, qu'étant donné la nature discrétionnaire de ces décisions, le contenu de l'obligation est minimal, bien que si l'agente « entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre » .

[13]       En ce qui concerne la question de la « preuve extrinsèque » , le juge Evans a conclu :

L'omission de communiquer le rapport ne constituait donc pas une violation du contenu « minimal » de l'obligation d'agir équitablement applicable dans ce contexte

de prise de décision. Étant donné que le rapport contenait des renseignements que le public, ce qui comprend le demandeur et son avocat, pouvait facilement obtenir, et qu'il était raisonnable que ceux-ci s'attendent à ce que l'agent de révision les consulte, ces renseignements ne constituaient pas de la « preuve extrinsèque » au sens de la règle définie dans l'arrêt Shah.

Les motifs du juge Evans ont été écrits, bien sûr, avant l'arrêt Baker de la Cour suprême du Canada.

[14]       L'avocate du demandeur a fait valoir que, compte tenu de l'arrêt Baker, et vu les faits que le juge Evans devait prendre en considération, la décision devrait être différente aujourd'hui. Je suis d'accord.


[15]       Je ne suis pas convaincu que la question de savoir si un document sur lequel s'est fondé un agent d'immigration, comme la recommandation d'un agent de révision et ses motifs, est une « preuve extrinsèque » ou non, soit encore la question à se poser mais je conclurais que cette question demeure ouverte relativement à un document comme le 1997 DOSS Report. Il me semble plutôt que la question est maintenant de savoir si l'agent d'immigration, en omettant de divulguer un document comme la recommandation d'un agent de révision et ses motifs, et plus tard en se fondant sur celui-ci, a privé la personne ou les personnes dont les intérêts étaient en jeu, en l'occurrence le demandeur, « ...d'une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » ou a privé le demandeur « ... d'une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à [son] affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable » .

[16]       Je conclus qu'un tel déni a eu lieu en l'espèce. Alors que l'agent de révision s'est fondé principalement sur les pièces relatives aux motifs d'ordre humanitaire présentées par demandeur, y compris les observations supplémentaires présentées et la preuve documentaire fournie à la suite à l'audience, il ressort de l'examen des motifs de la recommandation de l'agent de révision qu'il s'est plus lourdement appuyé sur certaines pièces que sur d'autres, ainsi que sur le 1997 DOSS Report, au point que l'avocate du demandeur a fait valoir que l'agente d'immigration a commis une erreur de droit en se concentrant sur une pièce alors que, comme le précise une observation de l'avocate, « le poids écrasant de la preuve indique le contraire » . Si l'occasion lui en avait été donnée, l'avocate du demandeur aurait certainement proposé une autre interprétation des pièces dont disposait l'agent de révision et aurait vivement conseillé à l'agente d'immigration de rejeter la recommandation de l'agent de révision et de conclure en faveur du demandeur.

[17]       Pour cet unique motif, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait-être accueillie.

QUESTION EN LITIGE 2 : Le défaut d'exercice de compétence


[18]       Bien que ma conclusion relativement à la question de l'équité soit déterminante en l'espèce, supposé que je sois appelé à certifier une question sur ce point, je vais néanmoins examiner brièvement les autres questions soulevées par le demandeur.

[19]       L'avocate du demandeur a fait valoir que l'agente d'immigration a commis une erreur en déléguant de fait l'évaluation du risque, un élément central de la décision qu'elle devait rendre, à l'agent de révision ou en se contentant d'approuver automatiquement la recommandation de l'agent de révision qui a été faite sur la base d'un critère particulier, inapplicable au rendu d'une décision devant tenir compte de motifs d'ordre humanitaire.

[20]       Je ne suis pas d'accord avec cette position que l'on fait valoir pour le compte du demandeur. Dans l'extrait de ses motifs précité, l'agente d'immigration indique qu'elle est « d'accord avec la décision de l'agent de révision » . Il est dommage que l'agente d'immigration fasse mention de la recommandation de l'agent de révision en tant que « décision » mais je suis convaincu que cette référence n'a aucun sens déterminant. L'agente d'immigration poursuit, plus loin dans ses motifs, en exprimant son propre avis que « ...le sujet ne serait exposé à aucune difficulté excessive, imméritée ou disproportionnée s'il était obligé de quitter le Canada et de faire sa demande de l'étranger d'une manière normale » . Je suis convaincu par cette dernière déclaration que l'agente d'immigration n'a pas délégué à l'agent de révision, ou adopté la recommandation de ce dernier en ses propres termes, mais qu'elle a, en des termes plus appropriés relativement à la demande qu'elle devait examiner, rendu sa propre décision quant au risque, en ne donnant que le poids qu'il fallait à la recommandation de l'agent de révision.

QUESTION EN LITIGE 3 : L'évaluation du risque


[21]       Ma conclusion quant à cette question découle de ma conclusion relativement à la deuxième question en litige. Je suis totalement convaincu que l'agente d'immigration n'a pas adopté un critère d'évaluation du risque trop rigoureux.

QUESTION EN LITIGE 4 : L'évaluation de la preuve

[22]       Malgré la prétention valable de l'avocate du demandeur, je ne peux pas conclure, quant aux pièces qu'il m'est donné d'examiner, que l'agente d'immigration a omis de tenir compte de tous les éléments dont elle disposait relativement au risque. Je conclus également que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur en omettant d'examiner le 1997 DOSS Report dont l'agent de révision avait tenu compte. La raison pour laquelle l'agent de révision s'était fondé sur ce document était expliquée de manière raisonnable dans les motifs de sa recommandation et je ne peux simplement pas conclure que l'agente d'immigration a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou de toute autre façon a commis une erreur en omettant d'examiner ce document en personne, à supposer que cela ait été le cas. Je suis prêt à supposer que cela a été le cas puisque le 1997 DOSS Report ne fait pas partie du dossier du tribunal qui a été présenté à la Cour.

[23]       L'avocate a également fait valoir que l'agente d'immigration a omis de considérer la situation du demandeur d'une manière contextuelle et, comme preuve à cela, a cité dans les motifs de l'agente d'immigration qui renvoient au fait que le demandeur avait un permis de travail depuis mai 1994 mais « avait choisi de ne pas travailler » et de dépendre des services sociaux et plus tard de l'appui de ses parents et de ses amis.


[24]       En mai 1994, le demandeur allait avoir 18 ans. Il a déclaré qu'à cette époque il n'était pas capable de trouver un travail, et qu'il avait fait le choix de poursuivre ses études et de poursuivre des activités bénévoles, cela lui permettant une plus grande familiarisation avec la société canadienne, plutôt que de continuer à chercher un travail. À l'âge de 18 ans, le demandeur ne faisait pas quelque chose de déraisonnable en choisissant cette option. Je suis d'accord avec l'avocate du demandeur que les connotations de la phrase « avait choisi de ne pas travailler » sont fâcheuses. Cela étant dit, je ne suis pas convaincu que ce deuxième choix fâcheux de terme établit le défaut de l'agente d'immigration de tenir compte de toutes les circonstances s'appliquant à ce demandeur en particulier ou, selon les termes employés dans l'arrêt Baker, de tenir compte de tout le contexte. Je conclus certes qu'il n'existe pas suffisamment de preuves du défaut de tenir compte du contexte pour constituer une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

Conclusion

[25]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision qui fait l'objet du contrôle est annulée et l'affaire est renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent d'immigration rende une nouvelle décision.

Certification d'une question

[26]       À la fin de l'audience sur cette affaire, j'ai promis aux avocats que je leur montrerais mes motifs et que je leur donnerais l'occasion de présenter des prétentions écrites relativement à la certification d'une question.

[27]       L'avocat du défendeur a recommandé la certification de la question suivante :

L'agent d'immigration qui examine une demande de droit d'établissement présentée au Canada pour motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration viole-t-il l'obligation d'équité qu'il a envers un demandeur lorsqu'il prend en compte un document, tel que les recommandations et les motifs d'un agent de révision des revendications refusées, lorsqu'un tel document n'a pas été communiqué au demandeur?


L'avocate du demandeur n'a fait aucune objection à la certification de la question et n'a porté aucun commentaire quant à la forme de la question proposée.

[28]       Je certifie la question dans les termes suivants :

L'agent d'immigration qui examine une demande de droit d'établissement au Canada pour motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration viole-t-il l'obligation d'équité qui est due à un demandeur, lorsqu'il se

fonde sur un document préparé à sa demande, tel que les recommandations et les motifs d'un agent de révision des revendications refusées, lorsqu'un tel document n'est pas communiqué au demandeur et qu'il ne lui est pas donné l'occasion d'y répondre ?

FREDERICK E. GIBSON     

___________________________

Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 septembre 1999

Philippe Méla

Traduction certifiée conforme


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                           IMM-4780-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Nima Haghighi c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE:                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                             Le 5 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :         monsieur le juge Gibson

EN DATE DU :                                               8 septembre 1999

ONT COMPARU:                

Mme Barbara Jackman                          Pour le demandeur

Mme Neeta Logsetty                                         Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman, Walman and Associates                      Pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                        Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



     [1]       L.R.C. (1985), ch. I-2.

2            [1999] A.C.S. no 39 (Q.L.)

3               Le renvoi à « Shah » est un renvoi à Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.).

4               1999 Carswell Nat 195 (C.F. 1re inst.).

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