Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010216

Dossier : IMM-694-01

                                                     Référence neutre : 2001 CFPI 92

ENTRE :

                                       JOY OBASOHAN

requérante

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY


[1]    Il s'agit en l'espèce d'une requête présentée en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et ses modifications, afin d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre la requérante par l'agente d'exécution Steffler le 4 janvier 2001. La requérante a notamment invoqué dans sa requête le préjudice irréparable causé à son enfant, Anita Isimeme Disi, une citoyenne canadienne née au Canada le 20 juillet 1999.

1. Les faits

[2]    La requérante est une citoyenne nigérienne qui a été admise au Canada le 18 juin 1995 et qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention dès son arrivée à l'aéroport international Pearson. La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a rejeté sa revendication le 16 juillet 1996. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SSR a été rejetée. Une demande d'inclusion dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada a également été rejetée en 1999.

[3]    En juin 1999, la requérante s'est mariée avec Joseph Disi, un citoyen nigérien qui s'était vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1999 et qui avait obtenu le statut de résident permanent au Canada en janvier 2000. Les conjoints ont cohabité pendant quelques mois et Joseph Disi est le père de la fille de la requérante. Une demande de parrainage de la requérante a été présentée par Joseph Disi, mais il semble qu'elle n'a pas été déposée avant l'automne 2000. Citoyenneté et Immigration Canada n'a pas encore rendu sa décision sur cette demande.


[4]                Le 25 octobre 2000, la requérante a rencontré un agent d'immigration du Canada en compagnie de son mari et de son représentant en immigration. La rencontre a été ajournée au 8 novembre 2000 pour permettre à la requérante de produire une preuve de la demande de parrainage ainsi que des documents confirmant la naissance de sa fille. Le 8 novembre 2000, la requérante a produit son passeport nigérien et a été informée que l'agente d'exécution procéderait à son renvoi du Canada. On lui a dit d'obtenir un passeport pour sa fille si elle voulait que celle-ci l'accompagne. Après un certain délai, le passeport a été obtenu et remis à Immigration Canada.

[5]                Le 4 janvier 2001, la requérante, accompagnée de son mari, de sa fille et de son avocate, a eu une autre rencontre avec l'agente d'exécution Steffler. Mme Steffler a informé la requérante qu'elle serait renvoyée du Canada le 15 février 2001, mais que dans l'intervalle, son avocate pouvait présenter des observations au sujet des risques que la requérante et sa famille courraient si elle était renvoyée au Nigéria.


[6]                Au cours des trois premières semaines de janvier 2000, la requérante s'est présentée au cabinet de son avocate pour rencontrer celle-ci et un assistant. Lors de ces rencontres, la requérante a discuté de sa situation familiale avec l'assistant lui dévoilant que ses rapports avec son mari étaient difficiles, qu'elle ne voulait pas quitter sa fille mais qu'elle craignait beaucoup de l'emmener au Nigéria parce qu'on y pratique la mutilation des organes génitaux des femmes. Malgré ces craintes, la requérante a dit à l'assistant de ne pas inclure les renseignements sur sa situation familiale dans les observations présentées à l'agente d'exécution.

[7]                Quelques jours seulement avant l'audition de la présente affaire le 15 février 2001, la veille de son renvoi, la requérante a révélé à son avocate que son mari l'avait agressée le 22 août 1999 et qu'il avait également molesté sa fille, qui était alors âgée d'un mois. Son mari était si furieux d'avoir été réveillé qu'il a immobilisé la requérante et jeté le bébé par terre. Le bébé avait la tête enflée et il a été admis à l'hôpital (Hospital for Sick Children) à Toronto. La requérante et son mari ont ensuite été accusés de voies de fait contre un membre de la famille et il leur a été ordonné de ne plus se fréquenter. Les accusations ont finalement été retirées de même que l'ordonnance de ne plus se fréquenter. Par la suite, la requérante a reçu de nombreuses visites à domicile de la société d'aide à l'enfance (Children's Aid Society) et a reçu l'assistance d'un employé du Macaulay Child Development Centre à Toronto.

[8]                La requérante affirme qu'elle n'a pas divulgué ces informations parce qu'elle redoutait la réaction de son mari ainsi que les répercussions que cela pourrait avoir sur son emploi et sur son statut d'immigrante et, par le fait même, sur la demande pendante de parrainage.


[9]                Le 9 février 2001, l'avocate a écrit à l'agente d'exécution Steffler pour l'informer des faits divulgués par la requérante et lui demander de reporter le renvoi de la requérante jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue sur la demande de parrainage ou jusqu'à ce qu'il ait pu être possible de présenter une demande pour qu'elle soit autorisée à obtenir le droit d'établissement à partir du Canada, pour des raisons d'ordre humanitaire. C'est en raison de la décision d'exécuter la mesure de renvoi, malgré les effets possibles sur l'enfant de la requérante, qu'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est sollicité jusqu'à ce que le contrôle judiciaire de la décision puisse être obtenu.

2. Les arguments

[10]            À l'audience, l'avocate de la requérante a fait valoir que malgré les questions de crédibilité, la requérante est une femme vulnérable se trouvant dans une situation très difficile. La requérante a soutenu qu'étant donné les circonstances, elle ne pouvait pas laisser son enfant avec son père, un argument que l'avocat de l'intimé a accepté. La requérante a aussi fait valoir qu'elle ne pouvait pas emmener l'enfant au Nigéria parce qu'il est connu qu'on y pratique la mutilation des organes génitaux ainsi que la traite des femmes.


[11]            L'avocate de la requérante a également laissé entendre que, compte tenu des circonstances de l'affaire, on n'avait pas tenu pleinement compte de l'intérêt de l'enfant qui est née au Canada. Quels que soient les reproches que l'on puisse faire à la mère parce qu'elle a tant tardé à révéler sa situation, on ne devrait pas en faire subir les conséquences à sa fille. Pour éviter un préjudice irréparable, il faudrait surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'un examen de l'intérêt de l'enfant puisse être fait et, le cas échéant, que cet intérêt soit examiné indépendamment de celui de la requérante.

[12]            L'avocat du ministre a soutenu que l'agent chargé du renvoi ne doit pas examiner aussi tardivement dans la procédure s'il existe des raisons d'ordre humanitaire eu égard à l'intérêt de l'enfant. L'intérêt de l'enfant est une question dont doit se préoccuper l'agent d'immigration au cours d'un examen pour des raisons d'ordre humanitaire, mais non un agent d'immigration exécutant une mesure de renvoi prévue par la loi. Néanmoins, même si l'agente chargée du renvoi n'avait pas à tenir compte de l'intérêt de l'enfant en l'espèce, elle l'a quand même fait et a conclu qu'aucun préjudice irréparable ne serait causé étant donné que l'enfant quitterait le Canada si sa mère en décidait ainsi et qu'elle serait confiée aux soins de sa mère. Enfin, le consentement du parent serait requis avant qu'il ne puisse y avoir mutilation des organes génitaux, une pratique à laquelle s'oppose le gouvernement nigérien mais qui est encore largement suivie dans ce pays.


[13]            L'intimé a également souligné que la requérante était au courant de la mesure de renvoi et qu'elle aurait dû prendre plus rapidement des mesures pour assurer le bien-être de sa fille. La présente requête est inopportune et c'est le parent et non l'État qui doit s'occuper de protéger les intérêts de cet enfant.

3. Décision

[14]            Je conclus qu'étant donné les circonstances inhabituelles de l'espèce, la requête visant à obtenir un sursis devrait être accueillie. Je ne suis pas convaincu malgré les efforts déployés par les fonctionnaires de l'Immigration, qu'on a suffisamment tenu compte de l'intérêt de cet enfant canadien. Une question sérieuse a été soulevée, savoir dans quelles circonstances l'agent chargé du renvoi doit tenir compte de l'intérêt d'un enfant canadien. Je souligne que cet intérêt n'a pas été défendu de façon distincte au cours de la présente procédure.

[15]            De plus, à mon avis, un préjudice irréparable sera causé dans l'intervalle si l'enfant devait être renvoyée au Nigéria avec sa mère. Même si la Cour se préoccupe normalement du préjudice irréparable causé à un requérant, en l'espèce, l'intérêt de l'enfant est inextricablement lié à celui de la requérante. En attendant un examen approfondi de la question sérieuse ou de l'intérêt de l'enfant, je considère que le cas de la requérante et celui de sa fille sont en fait inséparables.


[16]            La requête visant à obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi datée du 4 janvier 2001 est accueillie jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par la requérante, ou jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue sur les motifs d'ordre humanitaire touchant l'intérêt de l'enfant. S'il n'est possible d'évaluer ces éléments que dans le cadre d'une demande distincte fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, j'ordonne que la requérante dépose, sans délai, une demande de droit d'établissement au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Une ordonnance à cet effet a été prononcée le 15 février 2001 après l'audition de la présente demande.

[17]            Je remercie les avocats des deux parties qui ont débattu la présente affaire au cours d'une conférence téléphonique.

                                                             (signature ) W. Andrew MacKay     

JUGE

OTTAWA (Ontario)

16 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             IMM-694-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            Joy Obasohan c. M.C.I.

REQUÊTE VISANT À OBTENIR UN

SURSIS ENTENDUE PAR

TÉLÉCONFÉRENCE :                                    15 février 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Ottawa et Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge MacKay en date du 16 février 2001

ONT COMPARU :

Patricia Ann Ritter                                             pour la requérante

David Tyndale                                       pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma Ritter                                                     pour la requérante

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.