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Date : 20001220

CALGARY (Alberta), le mercredi 20 décembre 2000.

EN PRÉSENCE DU JUGE JOHN A. O'KEEFE

Dossier : T-2690-92

ENTRE :

CERVINUS INC.

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE

défenderesse.

Dossier : T-2691-92

ENTRE :

COLDSTREAM DEER GROUP LTD.

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE

défenderesse.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]          Il s'agit de deux actions en dommages-intérêts intentées à l'encontre de sa Majesté la Reine, représentée par le ministère de l'Agriculture, qui ont été instruites


conjointement à Ottawa. Les deux demanderesses allèguent divers chefs de dommages, dont un manque à gagner et des pertes de possibilités d'affaires, imputables selon elles à des actes fautifs de préposés de sa Majesté employés par le ministère de l'Agriculture (Agriculture Canada). Les dommages allégués auraient été causés par la décision d'Agriculture Canada d'ordonner le renvoi du Canada de deux hardes de cerfs nobles de Nouvelle-Zélande que les demanderesses avaient récemment importées. L'une des hardes était la propriété de la demanderesse Cervinus Inc. (Cervinus) et l'autre, de la demanderesse Coldstream Deer Group Ltd. (Coldstream).

CONTEXTE

[2]          Les demanderesses sont des sociétés par actions qui cherchaient à établir une entreprise d'élevage et de vente du cerf noble de Nouvelle-Zélande. La demanderesse Coldstream, filiale canadienne de la société néo-zélandaise Alpine Deer Group, avait importé environ 4 000 cerfs nobles de Nouvelle-Zélande. Elle élevait une harde de l'ordre de 1 500 têtes en 1990. La demanderesse Cervinus, constituée en 1989, avait importé sa première harde de cerfs nobles en 1990. Cervinus prévoyait aussi constituer un élevage de cerfs de reproduction et vendre le reste.


[3]                Les deux hardes de cerfs visées dans les actions ont été importées au cours de 1991. La harde de Coldstream, qui comptait 233 têtes, est arrivée le 22 mai 1991 sur un vol de la société Southern World Airlines et la harde de Cervinus, qui s'élevait à 285 têtes, est arrivée le 15 juillet 1991.

[4]                L'importation des cerfs a été précédée d'un long processus d'échanges avec Agriculture Canada en vue d'obtenir les permis d'importation des animaux. Des permis d'importation ont fini par être délivrés, assujettis à de nombreuses conditions. Ces permis d'importation et les protocoles joints constituaient les conditions prescrites à l'importation des cerfs. Les assureurs de Coldstream se sont également renseignés auprès d'Agriculture Canada sur les mesures qui seraient prises s'il advenait que les animaux soient déclarés infectés par une maladie. Ainsi, l'infection virale connue sous le nom d'Elaphostrongylus cervi, ou E. cervi, était d'une importance cruciale pour l'importation du cerf noble de Nouvelle-Zélande. Il s'agit d'une maladie parasitaire dans laquelle les vers d'E. cervi se reproduisent dans l'hôte. Et bien que le virus ne semble pas avoir beaucoup d'effets dommageables sur le cerf noble, il peut être mortel pour d'autres hôtes présents au Canada.


[5]                Parmi les conditions prescrites pour l'importation du cerf dans le présent litige figurait l'obligation de garder les hardes en quarantaine en Nouvelle-Zélande pour une certain temps et de les soumettre à intervalles réguliers à des tests d'E. cervi, qui ne devaient pas révéler la présence de larves à épines dorsales. Après leur entrée au Canada, les hardes devaient être mises en quarantaine pour une période de temps supplémentaire et continuer d'être soumises régulièrement à des tests d'E. cervi, qui devaient tous être négatifs vis-à-vis des larves à épines dorsales.

[6]                Les permis d'importation ont été délivrés au terme de très nombreux échanges entre les représentants des demanderesses et les fonctionnaires d'Agriculture Canada. M. McElheran était le fonctionnaire d'Agriculture Canada qui dirigeait la division des importations. C'était lui qui établissait les conditions des permis d'importation qui devaient par la suite être délivrés aux demanderesses.

[7]                Le protocole a été élaboré en septembre 1988. Il comportait des exigences à remplir avant l'autorisation d'entrée des cerfs au Canada. Ce protocole a été resserré en 1990, mais principalement à l'égard de la tuberculose et de la fièvre aphteuse. La partie du protocole la plus pertinente est celle qui porte sur E. cervi, ainsi conçue :

[TRADUCTION] S'agissant d'Elaphostrongylus cervi, il serait nécessaire d'effectuer des tests supplémentaires sur le reste du troupeau. S'il l'on trouvait qu'un fort pourcentage du troupeau importé était infecté à E. cervi, cela pourrait entraîner la destruction de l'ensemble du troupeau.

[8]                La harde de cerfs de Coldstream a été importée au Canada le 22 mai 1991 via l'Aéroport international Pearson. Un total de 235 cerfs ont été mis en quarantaine, deux étant morts au cours du transport.


[9]                Les cerfs de Cervinus sont arrivés le 15 juillet 1991. On les a mis en quarantaine aux installations de Lanark, en Ontario. La harde comptait 285 cerfs.

[10]            Les cerfs de Cervinus ont été soumis aux tests de larves prescrits par le permis d'importation et les résultats obtenus en août et septembre se sont révélés complètement négatifs. Mais ultérieurement, à la suite de prises d'échantillons les 18, 19 et 20 septembre, on a mis en évidence une larve dans les excréments du cerf numéro 172. Une ordonnance de renvoi des animaux du Canada a été signifiée aux dirigeants de Cervinus le 23 décembre 1991.

[11]            S'agissant de la harde de Coldstream, deux larves ont été mises en évidence chez l'animal numéro 6249 et une seule chez le numéro 6215 dans les échantillons fécaux prélevés les 17 et 18 juin 1991. Une autre série d'échantillons fécaux a été collectée mais n'a jamais été analysée. Ces cerfs ont été abattus et une autopsie complète a ensuite été réalisée. Un avis de renvoi du Canada des cerfs de la harde de Coldstream a été délivré le 16 septembre 1991. La harde a été abattue au cours de l'hiver 1992. Le ministre de l'Agriculture a refusé la demande de dédommagement qui lui a par la suite été présentée.

[12]            Les demanderesses, jugeant que le renvoi des cerfs en Nouvelle-Zélande représenterait un coût prohibitif, les ont fait euthanasier en exécution des ordonnances.


[13]            Les demanderesses se sont ensuite adressées au Ministre en vue d'obtenir des dommages-intérêts au titre de l'article 51 de la Loi sur la santé des animaux. Leur demande a été rejetée sur le fondement de l'article 54 de la Loi. Les demanderesses ont intenté les actions ici visées le 27 octobre 1992.

LES DEMANDES

[14]            Cervinus réclame en dommages-intérêts pour les pertes subies en raison de la destruction de sa harde de cerfs nobles une somme totale de 3 551 135 $, ventilée comme suit :

·            783 750 $ pour la valeur marchande de sa harde importée (2 750 $ par tête)

·            21 000 $ pour la valeur marchande des mâles (3 500 $ chacun)

·            12 800 $ pour les prolongations de baux fonciers nécessitées pour le respect des conditions du permis d'importation

·            50 000 $ pour les coûts d'exploitation des locaux de quarantaine

·            25 000 $ pour les coûts du nettoyage des locaux de quarantaine

·            2 658 585 $ pour la perte de possibilités économiques sur cinq ans


Six mâles, qui ne faisaient pas partie du dernier convoi importé, avaient apparemment été placés dans les locaux de quarantaine pour féconder les femelles. Le renvoi de ces mâles du Canada faisait aussi partie de l'ordonnance.

[15]            Coldstream réclame une somme de 6 558 082 $, répartie comme suit :

·            629 100 $ pour la valeur marchande de sa harde de cerfs (2 700 $ par tête)

·            5 762 $ pour sa perte sur la vente du matériel

·            25 574 $ pour la dépréciation du matériel vendu

·            68 014 $ pour la perte/radiation du matériel

·            36 250 $ pour les coûts afférents au nettoyage des locaux de quarantaine

·            81 151 $ pour la demande relative à M. Thorliefson

·            5 759 326 $ pour le manque à gagner

[16]            Sont affectés en compensation des sommes énumérées un montant de 1 775 $ recouvré et une somme de 45 320 $ tirée de la vente des carcasses de cerfs.


L'INSTRUCTION

[17]            Une partie considérable de l'instruction, qui a duré trois semaines, a été consacrée à l'audition des témoins experts des deux parties.

[18]            Dans le cadre de l'argumentation des demanderesses, MM. Burt et Waldrup ont témoigné sur la nature d'E. cervi.

[19]            M. Burt, dans son rapport écrit et dans son témoignage, a exposé la nature et le cycle biologique du parasite E. cervi :

[TRADUCTION] Fondamentalement, le cycle biologique comprend un stade inactif, le troisième stade larvaire [L3] [...] où le parasite vit dans les escargots et les limaces. C'est chez les escargots et les limaces qu'on trouve le troisième stade larvaire.

Lorsqu'un cerf mange par accident l'escargot ou la limace avec la végétation dont il se nourrit, le parasite au troisième stade larvaire pénètre dans l'intestin et à un endroit donné du tractus intestinal sort du tube digestif pour atteindre la cavité abdominale puis le tissu nerveux.

S'agissant de Parelaphostrongylus tenuis, ou P. tenuis, les vers se rendent au cerveau et y demeurent essentiellement. Certains peuvent s'arrêter avant, mais généralement les adultes se retrouvent dans le cerveau, dans les sinus méningés.

Dans le cas d'Elaphostrongylus cervi, ou E. cervi, les textes scientifiques proposent deux scénarios différents, mais ce qui est certain, c'est que le parasite se dirige d'abord, comme le précédent, vers le système nerveux central. Selon une école, il se rendrait au cerveau puis reviendrait au stade adulte se localiser soit juste sous l'aisselle soit à l'aine.

[...]

Lorsque les parasites arrivent à maturité, il y a effectivement un délai qui s'écoule entre l'ingestion au stade infectieux, au troisième stade larvaire dans la limace ou l'escargot [¼] il y a un délai entre l'ingestion et la maturité permettant à la femelle de pondre des oeufs.


Une fois pondus, les oeufs passent à travers la circulation sanguine dans les veines du cerveau et de là, reviennent vers les poumons où ils éclosent sous forme de larves de premier stade, le stade L1, qui pénètrent à partir des veines, des petites veinules, des très fins capillaires dans les alvéoles pulmonaires, les petites voies aériennes. De là, elles gagnent les bronches, remontent vers la trachée jusqu'au fond de la gorge, jusqu'à l'arrière de la gueule du cerf, où l'animal les avale.

Une fois ingérées, les larves de stade L1 passent à travers le système digestif et sont éliminées avec les fèces. Les larves passent alors dans l'environnement extérieur et peuvent être ingérées sans danger ou gagner un mollusque hôte intermédiaire et arriver à maturité :

[...] elles sont avalées au moment où le cerf se nourrit et elles descendent à travers l'intestin jusqu'à leur évacuation avec les matières fécales du cerf. Elles ne se mêlent pas directement aux fèces. Elles sont reliées essentiellement à la pellicule de mucus qui recouvre les crottes.

Lorsque ces crottes sont éliminées par le cerf et tombent sur le sol, si le sol est humide, et elles ont besoin de l'humidité de la pluie, les larves L1, larves de premier stade... se détachent de la crotte pour reposer directement sur le sol. C'est l'habitat des limaces et des escargots. Elles pénètrent donc les tissus, les pieds de la limace ou de l'escargot pour envahir le corps de l'escargot.

La larve de premier stade croît, abandonne sa dépouille larvaire, sa carapace externe, sa cuticule et devient une larve de deuxième stade. Puis elle croît à nouveau, abandonne la deuxième carapace, la cuticule, et devient une larve de troisième stade. Ce processus prend, selon la température, de deux à trois semaines. La larve vit alors dans l'escargot jusqu'à ce que celui-ci soit mangé ou meurt si l'escargot n'est pas mangé.

En termes simples, voilà le cycle biologique d'E. cervi, qui envahit principalement les tissus, d'où son nom de ver du muscle ou des tissus, et de P. tenuis, connu sous le nom de ver méningé ou ver du cerveau, parce que l'adulte se localise principalement dans le cerveau.

(Transcription, volume 3, pages 562 à 566)

[20]            M. Burt a également décrit l'application normale de la technique de Baermann, test prescrit par Agriculture Canada pour la mise en évidence d'E. cervi :

·            Collecter environ de 10 à 20 grammes de matières fécales, prises à la source et non au sol

·            Placer les crottes sur du papier absorbant


·            Envelopper et placer le tout dans un entonnoir et remplir celui-ci d'eau

·            Laisser reposer 24 heures

·            Faire écouler une partie du liquide de la tige de l'entonnoir et procéder à l'examen

·            Pour l'examen, utiliser environ de 15 à 20 millilitres d'eau

[21]            M. Burt a aussi décrit le ver E. cervi adulte et la technique employée pour le mettre en évidence à la nécropsie. Il s'agit d'un ver long et étroit qu'on peut trouver en disséquant le cerf, en général en coupant la tête. On le trouve souvent à l'aisselle ou à l'aine, mais pas toujours. Les vers sont longs et extrêmement minces. Après la ponte des oeufs, les larves de premier stade se trouvent dans les poumons.

[22]            Une autre partie importante du témoignage de M. Burt a porté sur la notion de période dite de « latence » :

[TRADUCTION] Oui. La période de latence est la période qui commence au moment de l'ingestion de la larve au stade infectieux et qui couvre le temps nécessaire pour que cette larve devienne une maman ou un papa, pour que les deux s'accouplent, pour que les femelles commencent à pondre des oeufs et pour que des larves L1 commencent par apparaître à l'autre extrémité. Si on procède expérimentalement, le premier jour vous leur donnez une larve de troisième stade dans un escargot ou seule, vous la leur donnez et vous vérifiez de manière continue les excréments. Dans le cas d'E. cervi, par exemple, cette période peut prendre aussi peu que 100 jours, mais on a parfois enregistré des périodes aussi longues que 120 ou 125 jours. Tom Watson a indiqué, je pense, que la période de latence pouvait durer entre 107 et 125 jours.


(Transcription, volume 3, page 576)

[TRADUCTION] Nos travaux en Nouvelle-Zélande nous donnent une fourchette de 95 à 120, mais toujours à l'intérieur d'une période de trois à quatre mois. Voilà ce qu'on appelle la période de latence. C'est la même chose pour P. tenuis. La période de latence est effectivement très semblable, de 90 à 120 jours.

(Transcription, volume 3, page 577)

[23]            M. Burt a déclaré qu'un animal infecté pouvait évacuer [TRADUCTION] « un grand nombre » de larves, ce grand nombre variant beaucoup, de 1 000 à 12 000, voire 30 000. Il a affirmé qu'il était très rare de trouver une seule larve dans un animal infecté.

[24]            Sur la base de ses connaissances scientifiques et de sa connaissance des faits et circonstances des deux poursuites, M. Burt a exprimé l'opinion que les cerfs sur lesquels on avait mis en évidence l'évacuation de larves n'avaient pas une infection manifeste à E. cervi. Il ne croyait pas qu'il y avait à l'intérieur des cerfs un ver femelle évacuant des oeufs et des larves. Cette opinion s'appuyait aussi sur le rapport du pathologiste qui indiquait qu'aucun ver adulte n'avait été mis en évidence.

[25]            M. Burt a également traité de la question des nématodes trouvés dans les poumons de l'un des cerfs abattus – des choses blanchâtres de 10 à 20 centimètres de long. Selon M. Burt, il s'agissait de Dictyocaulus.


[26]            M. Burt a témoigné que les larves mises en évidence dans le cerf 172 [TRADUCTION] « ressemblaient à un protostrongle » mais n'avaient pu être identifiées comme E. cervi. Cela dépassait les capacités de tout parasitologue. Ces larves se ressemblaient toutes, leurs longueurs respectives étant souvent identiques. En réalité, on croyait depuis longtemps qu'E. cervi était présent au Canada jusqu'à ce qu'on trouve que le parasite était en fait un autre Elaphostrongylus, E. rangiferi.

[27]            La longueur maximale de P. tenuis est de 410 micromètres, et la longueur maximale enregistrée dans les travaux de M. Burt pour E. cervi était de 398 micromètres. Comme ces dimensions se recoupent, il n'a pas été possible de mettre en évidence de manière positive les larves d'E. cervi. Et, point important, M. Burt a témoigné que la seule façon de confirmer la présence d'E. cervi était de mettre en évidence un ver adulte. Si le cerf a une infection manifeste, on doit trouver au moins deux vers adultes (mâle/femelle) dans la carcasse. M. Burt a admis, cependant, qu'une infestation massive des poumons par des oeufs ou des larves L1 est symptomatique d'une infection manifeste. Inversement, si on n'observe pas de larves dans les poumons, il n'y a pas d'infection manifeste.

[28]            M. Burt a examiné des diapositives des larves mises en évidence sur les cerfs et a pu les identifier comme des protostrongles, mais non comme E. cervi.


[29]            M. Burt a enfin exprimé l'opinion que ces larves auraient pu être d'autres protostrongles qu'E. cervi, qui n'est pas présent au Canada, ingérés par les cerfs au moment où ils se nourrissaient.

[30]            S'agissant de la précision du test de Baermann :

[TRADUCTION] La technique de Baermann, toutefois, n'est pas d'une fiabilité absolue et même si l'on met en évidence des L1, surtout en faible nombre, il se peut que ces larves proviennent d'un autre cerf et qu'elles aient été ingérées avec la végétation consommée par le cerf testé. Par conséquent, la technique de Baermann peut donner non seulement des résultats négatifs faux, mais également des résultats positifs faux.

On peut améliorer l'efficacité de la technique de Baermann en testant le même animal à répétition pendant plusieurs jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois (les vers adultes peuvent vivre dans le cerf hôte au moins quatre ans et probablement beaucoup plus longtemps). Si le cerf est infecté, plus on répète le test, plus on a de chances de mettre en évidence des larves. Si le cerf n'est pas infecté et qu'il évacuait seulement les larves ingérées avec la végétation dont il se nourrissait, la probabilité de trouver d'autres larves se trouve grandement réduite.

(Pièce P-9, page 3 du rapport de M. Burt)

[31]            M. Burt a expliqué que la difficulté du test de Baermann résidait davantage dans le fait que les larves n'étaient pas toujours évacuées que dans la possibilité que certaines larves échappent à l'inspection. Ce qui est crucial, c'est l'examen des poumons en vue de détecter la présence de larves et d'un ver adulte.


[32]            Contre-interrogé, M. Burt a reconnu qu'il n'y avait pas de test de diagnostic absolu d'E. cervi et que les hôtes anormaux d'E. cervi peuvent causer de grandes difficultés. Ces hôtes anormaux abondent au Canada. Il a admis de plus que l'évacuation d'un faible nombre de larves rend encore moins probable l'obtention de résultats positifs au test de Baermann. Toutefois, M. Burt a continué de soutenir que l'infection manifeste d'un animal à E. cervi s'accompagnait nécessairement d'une évacuation de larves en grand nombre et pas en petit nombre.

[33]            L'avocat de la défenderesse, M. Woyiwada, a discuté d'un article dont M. Burt est le co-auteur avec un étudiant au doctorat, qui fait état d'un test de la totalité des fèces d'un cerf (1 800 grammes), réalisé 24 heures après l'ingestion forcée par l'animal de 3 000 larves d'E. cervi. L'article rapportait dans ce cas que 162, 39 et 32 larves seulement avaient été mises en évidence par la technique de Baermann.

[34]            Le deuxième expert des demanderesses, M. Waldrup, est un vétérinaire qui pratique auprès de la Texas Animal Health Commission. Il a travaillé quatre ans en Nouvelle-Zélande sur les parasites du cerf noble, étudiant la parasitologie d'E. cervi. À ce titre, il était qualifié pour déposer comme expert sur ce sujet et en médecine vétérinaire.


[35]            M. Waldrup a estimé que le diagnostic d'E. cervi, chez les animaux qui avaient évacué des larves, avait été effectué à tort. Il est arrivé à cette conviction en se fondant sur le fait que les inspecteurs n'étaient pas parvenus à détecter de vers adultes dans les carcasses des animaux et sur le fait que les tests antérieurs d'E. cervi avaient tous été négatifs. M. Waldrup était d'avis que, selon la probabilité la plus grande, une autre infection était en cause, peut-être à P. tenuis. Il estimait qu'on aurait pu éliminer l'incertitude par une augmentation du nombre et de la fréquence des tests de Baermann.

[36]            S'agissant du test de Baermann, M. Waldrup a témoigné qu'il est largement admis que la sensibilité de ce test est de 50 %. Par conséquent, si 100 animaux sont infectés, on s'attend que la technique de Baermann mette en évidence l'infection chez 50 sujets. Diverses variables influent sur le niveau de sensibilité du test, notamment l'âge des sujets, le taux d'évacuation des larves, l'existence de tests négatifs antérieurs et la durée de la quarantaine.

[37]            En contre-interrogatoire, M. Waldrup a reconnu que dans le cas où les cerfs évacuent un faible nombre de larves, la sensibilité du test de Baermann est réduite de beaucoup. Il a également déclaré que, pour que les larves d'un autre parasite ingérées par le cerf produisent des résultats positifs dans ce cas, le foin devait avoir un certain taux d'humidité. La sécheresse du foin causée par le soleil aurait tué les larves.

[38]            M. Waldrup a également affirmé qu'il ne suffit pas que le cerf provienne de la même région pour que les autres soient nécessairement infectés et que le regroupement en troupeau n'augmente pas le risque d'infection.


[39]            Le témoin expert de la défense était Mme Annie Prestwood, chef intérimaire du Department of Parasitology du College of Veterinary Medicine de l'Université de Géorgie. Elle n'a pas fait de travaux sur le cerf noble, mais en a fait sur le cerf de Virginie. Dans son témoignage, elle a pris en compte les rapports de l'expert des demanderesses ainsi qu'un article de l'inspecteur à la nécropsie, M. Alvin Gajadhar.

[40]            En ce qui concerne la longueur des vers, Mme Prestwood a témoigné que le ver E. cervi le plus court qui soit connu avait 364 micromètres; pour les P. tenuis, la longueur moyenne est de 348 micromètres jusqu'à concurrence de 380, et celle de P. andersoni, de 351 micromètres.

[41]            Mme Prestwood a témoigné que la période de latence de P. andersoni est plus longue que la durée de la quarantaine au Canada des cerfs en cause. Elle a donc estimé que l'infection visée ne pouvait pas avoir été à P. andersoni, ce qu'avaient suggéré les demanderesses comme source potentielle des larves.


[42]            Dans son rapport d'expertise écrit, considéré comme déjà lu à l'instruction, Mme Prestwood a formulé l'opinion, en reprenant les termes des articles visés de la Loi sur la santé des animaux, qu'il y avait des « motifs raisonnables » de croire que les autres cerfs (tous les autres), les cerfs qui n'avaient pas évacué de larves, étaient ou pouvaient avoir été infectés. Lorsque M. Kronick, l'avocat des demanderesses, lui a demandé sur quels faits cette opinion était basée, elle a répondu : [TRADUCTION] « Je n'ai pas de faits... parfois il faut s'arranger d'une preuve moins que parfaite. » (Transcription, page 2019). Pour les cerfs sur lesquels des larves avaient été mises en évidence, Mme Prestwood a déclaré qu'elle fondait son opinion sur le fait qu'E. cervi était la seule espèce connue de protostrongle à affecter le cerf noble et que les larves étaient d'une longueur supérieure à 400 micromètres.

[43]            Mme Prestwood a aussi ouvertement exprimé l'opinion que les animaux visés n'auraient jamais dû au départ recevoir de permis d'importation au Canada. Elle s'est montrée si préoccupée de la possibilité de l'entrée d'E. cervi en Amérique du Nord qu'elle a affirmé à la barre que seuls un abattage systématique et une nécropsie rigoureuse des animaux auraient pu la convaincre que les animaux n'étaient pas infectés à E. cervi.

[44]            La défenderesse a également fait témoigner un dénommé Stephen, au sujet de l'évaluation du risque et des facteurs à considérer dans une décision de la nature de celle qu'avait dû prendre Agriculture Canada dans cette affaire. Certaines parties seulement de son rapport écrit ont été admises en preuve, car plusieurs autres traitaient de points sur lesquels M. Stephen n'était pas compétent pour témoigner à titre d'expert. Le reste du rapport était en grande partie un cadre théorique de prise de décision en matière de maladies.


[45]            M. Alvin Gajadhar était le scientifique d'Agriculture Canada qui avait pratiqué le test des échantillons fécaux sur la harde de cerfs. Dans son interrogatoire principal, il a décrit la méthode employée pour effectuer le test et déclaré avoir trouvé des larves de 400 micromètres à la queue en tire-bouchon. M. Gajadhar a diagnostiqué E. cervi sur la base de la dimension de la larve et de la présence de l'épine dorsale. Il a également affirmé que [TRADUCTION] « les animaux n'étaient pas au Canada depuis suffisamment de temps pour avoir contracté une autre infection aux larves à épines dorsales. Les animaux avaient donc contracté l'infection en Nouvelle-Zélande, où la seule larve à épine dorsale connue jusqu'ici, selon Mason, était E. cervi » (Transcription, page 1550).

[46]            M.. Gajadhar a dit ensuite avoir transmis ses résultats à un dénommé Mason, lequel a confirmé que les larves ne pouvaient être autre chose qu'E. cervi. Une nécropsie de sept jours a été pratiquée sur le cerf de Coldstream. M. Gajadhar estimait que le renvoi du reste de la harde était nécessaire, parce que d'autres sujets auraient pu aussi être infectés, mais qu'ils avaient fait l'objet d'un mauvais diagnostic étant donné la relative insensibilité du test de Baermann. Des rencontres ont eu lieu en vue de recueillir des renseignements au sujet d'E. cervi.

[47]            M. Gajadhar a témoigné avoir basé son diagnostic d'E. cervi sur les faits suivants : les animaux provenaient de Nouvelle-Zélande; les larves trouvées correspondaient à E. cervi; le test de Baermann comporte une part d'insensibilité; les animaux avaient été gardés en quarantaine au Canada, pays où des mesures de précaution étaient prises pour que les animaux ne soient pas contaminés dans les locaux de quarantaine (Transcription, page 1629).


[48]            En contre-interrogatoire, M. Gajadhar a indiqué que son équipe avait passé une semaine, à raison de 12 heures par jour, à chercher un ver adulte dans la carcasse. L'inspection n'a pas permis de trouver de ver adulte. Il a signalé qu'on n'avait pas enregistré de mesures des larves et qu'on n'avait pas vu d'épines dorsales sur les larves collectées des animaux portant les numéros 6249 et 6215.

[49]            En réponse aux questions sur la procédure à suivre et sur l'existence d'instructions relatives à l'interruption des tests sur les sujets de Coldstream, M. Gajadhar a déclaré ne pas se souvenir de ces points. Il se rappelait toutefois que les larves mesuraient 400 micromètres, même s'il ne l'avait pas noté.

[50]            M. Michael Bringans, le dirigeant de Coldstream, était un vétérinaire propriétaire d'Orr Lake Elk Ltd., société d'animaux reproducteurs. Il a témoigné qu'il avait prévu vendre les reproductrices gravides et conserver un petit troupeau pour la reproduction au moment où cesserait l'importation. M. Bringans a témoigné avoir eu des conversations avec MM. Shantz et McElheran au sujet de la réaction d'Agriculture Canada dans le cas d'un constat d'E. cervi. M. Bringans a déclaré que M. McElheran lui avait dit que si E. cervi était mis en évidence, le cerf touché serait abattu et la durée de la quarantaine prolongée. Dans le cas où un nombre croissant d'animaux donneraient des résultats positifs aux tests, la totalité de la harde devrait alors être détruite.


[51]            M. Bringans a décrit les installations de quarantaine comme des lieux défoliés, couverts d'un plancher en terre battue et en gravier, clôturés et comportant une canalisation d'évacuation traitée au molluscicide le long du périmètre de la clôture. C'était l'aménagement prescrit par Agriculture Canada.

[52]            M. Willard Shantz et un assistant recueillaient les échantillons fécaux et les expédiaient dans un sac de plastique au laboratoire d'Agriculture Canada. Lorsque le résultat positif du test est revenu, il a été immédiatement suivi d'un avis de renvoi et M. Bringans a tenté de faire envoyer les cerfs au Mexique, mais cette mesure d'atténuation a échoué. Comme les frais de retour des cerfs en Nouvelle-Zélande se chiffraient à 1 000 $ par tête et que la valeur marchande du cerf en Nouvelle-Zélande n'était que de 80 $ à 150 $ par tête, il a été décidé de procéder à l'euthanasie des animaux au Canada. M. McElheran a dit à M. Bringans que les parasitologues de l'Ouest n'étaient pas favorables à l'introduction du cerf noble au Canada.

LES ARGUMENTS DES PARTIES


[53]            La partie du procès consacrée aux dépositions des témoins étant terminée, il a été décidé d'un calendrier pour le dépôt des observations écrites des parties. En outre, l'avocat de la défenderesse a demandé au tribunal de fixer une autre date d'audience pour la présentation orale de ses conclusions finales. Cependant, après réflexion, il a retiré au cours d'une audience ultérieure sa demande de présentation orale de conclusions finales et l'affaire a été prise en délibéré.

Les demanderesses

[54]            Dans leurs observations, les demanderesses ont fait valoir que les témoignages de MM. Burt et Waldrup, leurs témoins experts, devaient être accueillis et privilégiés par rapport à ceux de Mme Prestwood et de MM. Stephen et Gajadhar. M. Gajadhar n'avait naturellement pas qualité pour être témoin expert, mais il a présenté ce qu'il connaissait des faits en cause. Le témoignage d'expert de M. Stephen était considérablement circonscrit. Pour l'essentiel, les demanderesses soutiennent qu'il n'y avait aucun motif raisonnable de conclure que les trois animaux qui avaient évacué des larves étaient infectés à E. cervi et aucun motif de conclure que la harde dans son ensemble était infectée. Par conséquent, les ordonnances de renvoi avaient été prises à tort et étaient « nulles » .

[55]            Suivant les demanderesses, les motifs justifiant de conclure à la nullité des ordonnances et à la responsabilité de la défenderesse à l'égard des pertes entraînées par l'exécution des ordonnances sont les suivants :

1.                 Aucun diagnostic définitif d'E. Cervi n'a été posé, vu l'absence d'un ver adulte ou l'incapacité d'en trouver un.


2.                 Agriculture Canada avait conclu que les animaux étaient infectés à E. cervi même avant la nécropsie.

3.                 Agriculture Canada est lié par contrat aux demanderesses en raison des conditions énumérées dans le permis d'importation.

4.                 Agriculture Canada aurait dû au moins confirmer le diagnostic d'E. cervi avant de prendre les mesures qu'il a décidées.

5.                 Agriculture Canada a modifié les conditions du permis d'importation en adoptant une approche beaucoup plus fermée au risque.

6.                 Selon les termes du permis d'importation, il ne suffit pas qu'il y ait seulement des larves d'E. cervi, mais il faut une infection manifeste à E. cervi chez l'animal visé.

7.                 Par conséquent, les ordonnances de renvoi ont été délivrées à tort et dans la mesure où les demanderesses devaient s'y conformer, elles constituent des actes fautifs à leur égard.


8.                 La seule déduction juste qui se dégage de la preuve est que les animaux abattus n'étaient pas infectés à E. Cervi et qu'Agriculture Canada n'était pas justifié de conclure que la harde dans son ensemble [TRADUCTION] « pouvait être contaminée par une maladie, E. cervi. » Le fait que les animaux provenaient de Nouvelle-Zélande, pays où la présence d'E. cervi est connue, ne peut constituer des « motifs raisonnables » à l'appui de la validité des ordonnances de renvoi.

La défenderesse

[56]       Pour sa part, la défenderesse soutient que, pour que sa responsabilité soit engagée à l'égard des demanderesses, le préjudice doit non seulement être imputable aux effets d'une décision invalide d'Agriculture Canada, mais aussi à une décision qui a été prise avec négligence. Selon la demanderesse, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire n'entraîne pas de responsabilité dans le mesure où il s'est accompagné d'une prudence raisonnable. La défenderesse soutient qu'elle n'était pas tenue par une obligation distincte de prudence à l'égard des demanderesses, et que même dans l'hypothèse contraire, elle n'a pas manqué à son obligation.

[57]       Les ordonnance de renvoi sont valides si un vétérinaire-inspecteur arrive à la conviction qu'un animal est infecté par une maladie et si cette conviction s'appuie sur des motifs raisonnables. L'inspecteur ne doit pas nécessairement être persuadé que l'animal est contaminé par la maladie, mais seulement avoir un doute raisonnable. Par conséquent, la défenderesse soutient que les ordonnances de renvoi peuvent être valides même sans un diagnostic confirmé d'E. cervi. MM. Shantz et Georgeson estimaient que les cerfs pouvaient être atteints par l'infection; et pour arriver à cette conviction, ils se sont appuyés sur leurs collègues compétents en ces matières.


[58]       Les motifs raisonnables qui, selon la défenderesse, permettent de conclure que ces animaux pouvaient être touchés par une maladie sont notamment les suivants : l'évacuation de larves à épines dorsales; le fait que les cerfs avaient été importés de Nouvelle-Zélande; les mesures des larves, soit 400 micromètres; la conception des locaux de quarantaine visant à réduire la probabilité d'une contamination ou d'une infection par un protostrongle du Canada; la durée insuffisante de la présence des cerfs au Canada pour permettre l'infection par un protostrongle et l'évacuation subséquente de larves; la mise en évidence de larves à épines dorsales dans les poumons de l'animal à la nécropsie. L'incapacité de détecter un ver adulte n'est pas déterminante, opinion qui a fait l'unanimité chez tous les témoins experts.

[59]       De plus, la défenderesse déclare que les termes du permis d'importation spécifiaient clairement qu'aucun cerf ayant obtenu un résultat positif au test des larves à épines dorsales ne serait admis au Canada et ne faisaient aucune mention d'un diagnostic positif obligatoire d'E. cervi. Rien non plus n'établissait l'obligation d'Agriculture Canada de procéder aux tests ni l'existence d'un contrat ou d'obligations contractuelles. Toute obligation de la part d'Agriculture Canada était spécifiquement écartée dans le permis lui-même.

[60]       En outre, la preuve déposée au procès a établi que le test de Baermann n'est pas fiable et que les tests supplémentaires auraient été « inutiles » . Les animaux malades n'auraient pas été repérés dans au moins 50 % des cas. Jusqu'à 99 % des larves n'étaient pas mises en évidence par les tests.


[61]       Enfin, en ce qui concerne le préjudice, la défenderesse prétend que les demanderesses surestiment la valeur marchande des hardes. La valeur maximale par tête indiquée par Cervinus est de 2 750 $; quant à la perte des possibilités économiques, la preuve est peu convaincante et contradictoire, Cervinus ayant affirmé vouloir vendre presque toutes les biches gravides avant la naissance des faons. La valeur marchande maximale selon Coldstream est de 2 700 $ par tête.

ANALYSE

[62]       Pour trancher les présentes actions, il faut prendre en considération la preuve scientifique considérable qui a été exposée, tirer les conclusions de fait qui s'imposent et appliquer le droit à la lumière de ces conclusions. On trouvera ci-dessous les conclusions de fait nécessaires pour statuer sur les actions.

Le cycle biologique

[63]       En premier lieu, il convient d'examiner les témoignages présentés sur le cycle biologique du parasite E. cervi. Je tiens pour acquis que la preuve présentée sur le cycle biologique du parasite E. cervi, exposée de manière fouillée principalement par M. Burt, et plus sommairement par M. Waldrup, est exacte et acceptée. Les experts de la défense n'ont pas véritablement traité la question et, en tout cas, n'ont pas contredit les témoignages des experts des demanderesses.


[64]       À mes yeux, l'aspect le plus déterminant du cycle biologique est le fait que les larves d'E. cervi doivent passer par un hôte intermédiaire pour finir par infecter l'hôte final, en l'occurrence le cerf noble. Après leur évacuation par un autre cerf (manifestement ou non infecté), les larves doivent se loger dans un escargot ou un autre mollusque pour atteindre leur maturité. Ce n'est qu'au terme de la maturation jusqu'au troisième stade qu'elles peuvent déclencher une infection manifeste. M. Burt a témoigné que ce processus de maturation peut prendre plusieurs semaines. Lorsque le mollusque est ingéré par un cerf, les larves peuvent atteindre un autre stade de maturité, le stade adulte, et s'il y a au moins un ver mâle et un ver femelle dans le cerf, déclencher l'infection manifeste.

[65]       Par conséquent, l'infection à E. cervi n'est pas transmissible directement d'un cerf à l'autre. Il ne s'agit pas d'un cas où l'on peut s'attendre très raisonnablement à la présence de la maladie, ou à sa transmission dans la harde par l'effet de la proximité des membres. Naturellement, le bon sens suggère qu'il y a un risque de transmission chez des animaux vivant en proximité, compte tenu des caractéristiques du cycle biologique. Si l'un des membre du troupeau évacue des larves, il est possible que ces larves se retrouvent dans un escargot et y viennent à maturité, ce qui pourrait déclencher une infection manifeste chez un autre cerf. Toutefois, le seul fait qu'un cerf évacue des larves n'entraîne pas nécessairement l'infection, ni le risque d'infection, d'un autre membre de la harde. Cela est d'autant plus vrai dans le cas où les facteurs de risque, comme la présence de mollusques, sont éliminés. Le risque d'infection provient de l'ingestion de mollusques porteurs de larves du troisième stade de maturité.


État des animaux nos 172, 6249 et 6215

[66]       Il faut statuer sur la présence ou l'absence d'E. cervi chez les cerfs dont les résultats au test ont été positifs. Pour dégager une conclusion en cette matière, je me suis appuyé sur les témoignage des experts au procès ainsi que sur d'autres éléments de preuve circonstanciels. Comme je l'ai indiqué précédemment, j'ai accordé plus de poids aux témoignages de MM. Burt et Waldrup qu'à celui de Mme Prestwood.

[67]       En ce qui a trait à la preuve issue des témoignages scientifiques des experts, je privilégie celle de MM. Burt et Waldrup à celle de Mme Prestwood. Je le fais en raison de l'expertise relativement plus grande des experts des demanderesses sur le cerf noble. Mme Prestwood est sans doute une experte en parasitologie (ce qu'ont d'ailleurs immédiatement concédé les experts des demanderesses), mais elle n'avait pas d'expérience professionnelle relativement au cerf noble et encore moins en ce qui concerne E. cervi en particulier. Je dis cela sous cette réserve que j'estime que le témoignage de Mme Prestwood n'a pas contredit de manière importante la preuve des experts des demanderesses sur les points cruciaux.


[68]       M. Burt a exprimé l'opinion que les trois cerfs visés n'étaient pas manifestement infectés à E. cervi. À la lumière de ce témoignage et des autres qui ont été présentés au procès, je conclus que les trois animaux n'étaient pas atteints par l'infection à E. cervi. Les titres de compétences de M. Burt sont nombreux et impressionnants et il avait manifestement plus d'expérience touchant le cerf noble et E. cervi que tous les autres experts qui ont témoigné au procès.

[69]       J'ai également pris en compte d'autres circonstances que M. Burt a sûrement prises en considération lui aussi. La preuve laisse entendre que la nécropsie des animaux a été très complète. M. Gajadhar a témoigné avoir consacré une semaine au complet, en compagnie d'autres personnes, à raison de douze heures par jour, à chercher un ver adulte dans la carcasse des cerfs. Ils n'ont pas réussi à en repérer un. M. Burt a témoigné pour sa part qu'à la lumière de son expérience, un ver adulte était mis en évidence à chaque inspection raisonnablement fouillée.

[70]       J'ai aussi pris en compte, comme autre facteur pour arriver à la conclusion qu'il n'y avait pas d'infection à E. cervi, le taux extrêmement peu élevé d'évacuation de larves. Malgré la démonstration des lacunes de sensibilité des tests faisant appel à la technique de Baermann, la mise en évidence d'une ou deux larves seulement dans un échantillon fécal doit signifier un faible taux d'évacuation de larves. M. Burt a indiqué que les animaux manifestement infectés présentent des taux d'évacuation élevés et relativement constants.


[71]       La preuve présentée sur la longueur des larves a été plutôt ambiguë. Elle n'élimine toutefois pas la possibilité qu'un protostrongle d'une autre espèce soit la source des larves provenant des cerfs de Coldstream et de Cervinus. Il est possible que les larves aient eu une autre source, par exemple celle qu'ont suggérée les demanderesses en faisant appel au témoignage du commis de ferme, qui avait observé la présence de cerfs de Virginie à proximité des aires de récolte du foin destiné aux animaux de Coldstream en quarantaine. J'estime que cela est assez peu probable, mais possible. Quoi qu'il en soit, le témoignage de M. Burt est plus important.

État des autres animaux des hardes

[72]       Ce qui importe encore plus pour la conclusion finale dans les deux actions, c'est l'état des autres cerfs des deux hardes, au nombre de 518. Très simplement, je conclus sans difficulté que les autres membres des hardes n'étaient pas infectés à E. cervi.

[73]       La dimension la plus remarquable de l'affaire est l'absence de toute preuve concernant l'état des autres animaux des hardes. Aucun des témoins cités par la défenderesse (ou par les demanderesses d'ailleurs) n'a déposé de preuve objective tendant à indiquer la présence d'E. cervi chez les autres membres des hardes. La seule preuve objective, ce sont les résultats négatifs du test de Baermann. Pour cette raison, il n'y a aucun motif me justifiant de conclure que le reste des hardes, ou un membre en particulier, était porteur de l'infection à E. cervi. Il n'a pas été présenté de preuve non plus sur la source d'où les fonctionnaires d'Agriculture Canada auraient pu obtenir cette information.


[74]       Aucun élément de preuve n'a établi l'évacuation de larves par l'un quelconque des 518 autres cerfs des deux hardes. Les tests de Baermann prescrits par Agriculture Canada ont donné des résultats négatifs. La preuve présentée a fait ressortir que la sensibilité du test laisse beaucoup à désirer en précision, la sensibilité du test atteignant 50 % dans le meilleur des cas et les taux de non-détection de larves individuelles allant jusqu'à 99 %. Mais c'était ce que le test avait établi et il n'y a pas de motif de croire qu'un autre animal était infecté. Je note que la preuve me semble indiquer qu'une fréquence accrue des tests et une plus grande quantité de matières fécales testées auraient certainement eu pour effet d'élever le niveau de confiance à l'égard du test.

[75]       Le témoignage de Mme Prestwood sur l'état des autres membres des hardes n'a été pratiquement d'aucune aide pour trancher la question. Mme Prestwood a témoigné que rien, hormis l'abattage et la nécropsie de tous les animaux, n'aurait pu la convaincre de l'absence d'infection à E. cervi. Le moins que l'on puisse dire est que son approche est peu modérée. Mme Prestwood n'a fourni aucune preuve tendant à établir que les autres membres des hardes étaient infectés.

[76]       La défenderesse expose les motifs raisonnables sous-tendant les ordonnances, motifs qui sont tous reliés uniquement aux trois cerfs sur lesquels l'évacuation de larves a été mise en évidence. Dans son mémoire écrit, elle n'a fait aucune mention de motifs raisonnables touchant la majorité écrasante des autres cerfs des hardes qui n'avaient pas évacué de larves. Je dois donc présumer que la défenderesse n'avait aucun motif raisonnable à fournir. En ce qui me concerne, je n'ai pu en concevoir.


[77]       Par conséquent, je conclus que les autres animaux des deux hardes n'étaient pas infectés à E. cervi.

[78]       J'entends maintenant examiner comment ces conclusions, ainsi que certains éléments de preuve additionnels, eu égard au droit applicable, ont une incidence sur l'issue de la présente affaire.

LE DROIT

La Loi sur la santé des animaux

[79]       La loi en vertu de laquelle Agriculture Canada a délivré les avis de renvoi est la Loi sur la santé des animaux, L.C. (1990), ch. 21. Cette loi prévoit un système de réglementation selon lequel la présence et l'importation d'animaux venant de l'étranger ainsi que l'état d'animaux déjà présents au Canada peuvent être assujettis à des règles visant à assurer la protection de l'environnement, des autres animaux et du public contre diverses maladies et autres maux.

[80]       L'article 18 de la Loi, qui confère le pouvoir de rendre des ordonnances de renvoi, est de toute première importance en l'espèce :



18. (1) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un animal ou une chose importés au Canada soit l'ont été en contravention avec la présente loi ou les règlements, soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou sont susceptibles de l'être, soit encore sont des vecteurs, l'inspecteur ou l'agent d'exécution peut ordonner à leur propriétaire ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins de les renvoyer à l'étranger, même quand ils ont été saisis.

18. (1) Where an inspector or officer believes on reasonable grounds that an animal or thing has been imported into Canada and that it

(a) was imported in contravention of this Act or the regulations,

(b) is or could be affected or contaminated by a disease or toxic substance, or

(c) is a vector,

the inspector or officer may, whether or not the animal or thing is seized, require the owner or the person having the possession, care or control of the animal or thing to remove it from Canada.


[81]             La Loi confère à l'inspecteur le pouvoir d'ordonner le renvoi d'un animal s'il a des motifs raisonnables de croire que les animaux sont infectés par une maladie, ou susceptibles de l'être. Pour reformuler plus spécifiquement ce pouvoir, les inspecteurs d'Agriculture Canada sont habilités à ordonner aux demanderesses, Coldstream et Cervinus, de renvoyer les cerfs du Canada, s'ils ont des motifs raisonnables de croire que les animaux sont infectés à E. Cervi, ou sont susceptibles de l'être.

[82]             L'article 18 prévoit également les mêmes mesures si l'inspecteur a des motifs raisonnables de croire que les animaux ont été importés en contravention avec la Loi ou les règlements.

Violation de l'obligation prévue par la loi ou des dispositions contractuelles


[83]       La jurisprudence à laquelle les demanderesses ont eu recours pour étayer l'allégation que le permis d'importation crée des droits et responsabilités contractuels, ne s'applique pas en l'espèce. L'application des principes du droit des contrats aux faits de l'espèce serait une déformation tout à fait inacceptable de ces principes et ne doit pas servir à dégager des conclusions applicables en l'espèce.

[84]       La modification des règles, à supposer que c'est ce qui s'est produit, a pu causer une injustice, mais il n'est aucun principe qui permette à la Couronne de refuser d'exercer son pouvoir, par exemple en cas d'information nouvelle ou si on pensait qu'une maladie inconnue jusqu'ici atteignait soudainement une espèce particulière d'animaux. De plus, les obligations de la Couronne s'étendent bien au-delà des particuliers avec lesquels elle est censée « passer un contrat » : elle est tenue à l'égard des propriétaires des animaux ou des choses susceptibles d'être contaminés par l'introduction au Canada d'une maladie étrangère inconnue auparavant. Il est certain que les préposés de la Couronne qui ont autorisé cette mesure pourraient potentiellement être tenus responsables au regard d'une action distincte en négligence, mais l'inexécution d'une obligation ne pourrait pas être une cause d'action dans ce cas. La législation prescrit au gouvernement d'accomplir certains actes, et le gouvernement ne peut manquer à ses obligations pour respecter un contrat passé avec une autre partie. Il n'y avait pas de contrat en l'espèce, les permis d'importation ne constituant pas des contrats.


[85]       Les demanderesses font valoir que la note de service de M. McElheran a fait naître des attentes légitimes et une obligation de la part d'Agriculture Canada de respecter les conditions dans sa décision relative à la harde de Coldstream en particulier. Toutefois, cette conclusion n'est valable que si elle faisait partie d'un contrat, ce qui est écarté. La Cour suprême du Canada a en outre affirmé que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne peut être entravé par des lignes directrices ministérielles accessoires : Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.

[86]       Les avocats des demanderesses, dans leurs observations écrites, ont cité une abondante jurisprudence. Toutefois, une partie considérable de cette jurisprudence concernait des décisions prises à l'égard de demandes de contrôle judiciaire d'actes administratifs d'organismes publics. De plus, la jurisprudence relative aux attentes légitimes et aux théories similaires n'est pas utile dans les circonstances et ne servira pas de fondement au jugement en l'espèce.

[87]       Les affaires Re Armstrong Commercial Investigators of Canada Ltd. et al. and Turner et al (1975), 9 O.R. (2d) 284 (H.C.J.) et CIBC v. Canada (Attorney General), [1962] O.R. 253 (C.A.) fournissent un cadre à l'exercice du pouvoir discrétionnaire basé sur des « motifs raisonnables » . Ces jugements établissent que le critère pour juger de l'existence de « motifs raisonnables » est objectif. Il doit en effet y avoir des motifs raisonnables à la conviction à laquelle en arrive le décideur administratif. Pour revenir au présent litige, il doit y avoir effectivement des faits objectifs raisonnables qui conduisent l'inspecteur à croire que les animaux sont ou pourraient être infectés à E. Cervi.


[88]       On a porté à l'attention de la Cour l'arrêt Kohl c. Canada (ministère de l'Agriculture), n º du greffe A-354-94 (21 juillet 1995). Cette décision de la Cour d'appel portait sur une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de l'Agriculture ordonnant la destruction du taureau du demandeur pour éliminer la menace de propagation de l'encéphalopathie bovine spongiforme, ou maladie de la vache folle. Le juge Marceau a fait remarquer, au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, que la décision ne peut généralement être annulée que si elle a été prise de mauvaise foi ou si on conclut qu'elle a été prise « avec insouciance sans vérification de l'existence des circonstances qu'elle était censée corriger » (paragraphe 18). Encore une fois, cependant, l'affaire concernait le contrôle judiciaire d'une décision et non pas une action en dommages-intérêts résultant de l'exécution d'une décision.

[89]       Les demanderesses ont aussi fondé leur argumentation sur l'arrêt Griffin c. Canada (Agriculture Canada, Division des inspections) (1989), 26 F.T.R. 185. Cette affaire concernait des inspecteurs agricoles habilités à refuser la délivrance de permis de vente si, selon « l'avis de l'inspecteur » , on constatait la présence de certaines maladies. Les décisions ont été annulées au motif que les directives de politique accessoires avaient été considérées comme obligatoires, malgré les dispositions législatives en sens contraire, ce qui constituait une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Il s'ensuit que la note de service de M. McElheran ne peut pas vraiment être considérée comme imposant à Agriculture Canada une obligation spécifique envers les demanderesses.

Limitation de la responsabilité au titre du permis d'importation

[90]       Le texte du permis d'importation comporte la disposition suivante :


[TRADUCTION] L'importateur, ses héritiers, exécuteurs testamentaires et ayants droit dégagent Agriculture Canada de toute responsabilité à l'égard des demandes, dommages, actions ou causes d'action occasionnés ou susceptibles de l'être par l'importation des animaux, et à l'égard des demandes que l'importateur, ses héritiers, exécuteurs testamentaires et ayants droit peuvent ou pourraient faire pour ce motif.

Si le permis d'importation n'est pas un contrat, on voit mal comment cette condition, telle qu'elle est formulée, se justifierait. Si on considère qu'il s'agit d'une condition d'importation, elle est valide. Dans une multitude de cas, un organisme comme Agriculture Canada pourrait se retrouver engagé dans une poursuite, à titre de tiers ou de partie faisant l'objet d'une demande de compensation. Je ne vois, dans le texte de cette disposition, aucune indication que l'importateur renonçait à l'indemnisation du préjudice qu'il a subi en l'espèce et acceptait d'être sans recours dans le cas où les préposés faisaient preuve de négligence dans leurs décisions. Je suis certain que les importateurs auraient manifesté de l'incrédulité si, avant l'importation, on leur avait demandé d'envisager la destruction possible de centaines de cerfs sur la base de la preuve présentée ici, mais je suis convaincu que ce n'est pas là l'objet de cette disposition.

Responsabilité de l'État

[91]           La défenderesse a fondé sa défense contre la demande de dommages-intérêts pour négligence ou faute intentionnelle de l'État sur les théories de la responsabilité de la Couronne exposées dans la publication de Peter W. Hogg, Liability of the Crown, deuxième édition, 1989, The Carswell Company Limited, aux pages 18 et 131. Elle a tenté de montrer la difficulté de la charge de la preuve imposée aux demanderesses dans une telle affaire. Malheureusement pour la défenderesse, je conclus que les demanderesses se sont acquittées de cette charge.


[92]       L'article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, prévoit :


3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour:

a)les délits civils commis par ses préposés;

b)les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.

3. The Crown is liable in tort for the damages for which, if it were a private person of full age and capacity, it would be liable

(a) in respect of a tort committed by a servant of the Crown; or

(b) in respect of a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.


[93]    Selon Hogg, précité, les principes de la responsabilité de la Couronne dans une affaire comme le présent litige sont les suivants : la responsabilité de l'État à raison d'un préjudice causé par un acte de l'État n'est pas engagée si l'acte est valide ou licite. Même dans le cas où l'acte est illicite, la responsabilité de l'État n'est pas engagée en l'absence d'un délit spécifique donnant ouverture à une poursuite au titre duquel le préjudice peut être caractérisé de façon appropriée. Ce sont des actes de cette nature qui se prêteraient le mieux à une demande de contrôle judiciaire.

[94] Mais si l'acte de l'État est invalide et illicite, et que la décision a été prise avec négligence ou avec l'intention de nuire, l'action en responsabilité délictuelle pour négligence est ouverte.


[95] En plus des extraits de Hogg, précité, l'affaire G. (A.) v. B.C. (1989), 61 D.L.R. (4th) (C.A.C-B.) expose à peu près les mêmes principes. Elle concernait une décision discrétionnaire d'un organisme de service social qui avait donné lieu à des allégations de préjudice et à une poursuite. Le tribunal a statué qu'en présence d'une décision relevant du pouvoir discrétionnaire, même dans le cas où elle cause un préjudice, la responsabilité de l'État n'est pas nécessairement engagée : en l'absence de mauvaise foi ou d'insouciance, il n'y pas de cause d'action.

Limitation de la responsabilité au titre de la Loi sur la santé des animaux

[96]    L'article 50 de la Loi sur la santé des animaux exempte Sa Majesté de payer les dommages entraînés aux particuliers par l'exécution des obligations découlant de la Loi :


50. Sa Majesté n'est pas tenue des pertes, dommages ou frais -- loyers ou droits -- entraînés par l'exécution des obligations découlant de la présente loi ou des règlements, notamment celle de fournir des terrains, locaux, laboratoires ou autres installations et d'en assurer l'entretien au titre de l'article 31.

50. Where a person must, by or under this Act or the regulations, do anything, including provide and maintain any area, office, laboratory or other facility under section 31, or permit an inspector or officer to do anything, Her Majesty is not liable

(a) for any costs, loss or damage resulting from the compliance; or

(b) to pay any fee, rent or other charge for what is done, provided, maintained or permitted.



[97] La défenderesse plaide que cet article l'exonère de toute responsabilité et s'appuie sur David Hunt Farms Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1994] 2 C.F. 625 (C.A.). Il s'agissait d'un appel interjeté à l'encontre du refus d'une injonction interlocutoire visant à empêcher la destruction de bovins atteints par la maladie de la vache folle. Le juge Robertson a déclaré, à la page 634 : « [J]e ne suis pas convaincu que l'appelante ait un recours délictuel pratique et viable dans l'éventualité où on estimerait que ses animaux ont été abattus illégalement. »

[98] Mais lorsque le juge Roberston a indiqué l'absence de recours délictuel si les animaux avaient été « abattus illégalement » , il entendait par là l'abattage d'animaux non atteints par la maladie de la vache folle, maladie que l'ordonnance visait à éradiquer. Dans cette affaire, il n'était pas question de négligence ou de décision prise avec insouciance. Il s'agissait de décider s'il existait un préjudice irréparable. Ce n'est pas là une jurisprudence qui justifie de décider en l'espèce que la responsabilité à l'égard des mesures qui ont été prises est limitée.

[99]    De plus, j'estime que si les demanderesses peuvent s'acquitter de la charge de la preuve touchant la négligence, avec tous les éléments nécessaires (absence de motifs raisonnables de croire; avoir fait preuve de négligence en croyant à la présence de motifs raisonnables), le préjudice n'aurait pas alors été causé par un acte accompli dans l'exécution d'obligations « découlant de la [Loi sur la santé des animaux] » et l'article ne ferait manifestement pas obstacle à l'indemnisation.


DÉCISION

[100]     À la lumière des dispositions de la Loi sur la santé des animaux, de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et de la jurisprudence, j'arrive aux conclusions suivantes.

[101] Bien que les trois cerfs où l'on a mis en évidence l'évacuation de larves

n'aient pas été déclarés atteints par l'infection à E. cervi, Agriculture Canada avait des motifs raisonnables de croire que ces animaux étaient infectés à E. cervi, ou étaient susceptibles de l'être. Même en l'absence d'un diagnostic effectif ou potentiel d'E. cervi, le fait que les animaux évacuaient des larves, dont il était impossible d'établir de manière positive qu'elles n'étaient pas une infection à E. cervi, fournit à mes yeux des motifs suffisants de croire que les animaux avaient pu être infectés par une maladie.

[102] La décision de faire abattre ces trois animaux, dans la mesure où elle a été prise par la voie d'une ordonnance d'Agriculture Canada, était licite. La décision n'était pas entachée d'invalidité et elle n'a manifestement pas été prise avec négligence ou de manière abusive. Par conséquent, je n'accorde pas de dommages-intérêts à l'égard des trois cerfs sur lesquels l'évacuation de larves a été mise en évidence.


[103] Cependant, s'agissant du reste des animaux des hardes, il n'y avait pas de motifs raisonnables de croire que ces animaux étaient infectés par une maladie, ou étaient susceptibles de l'être. L'ordonnance de renvoi était invalide. Et s'il s'agissait d'un cas de demande de contrôle judiciaire, l'examen s'arrêterait là et les demanderesses auraient droit à une réparation sous forme de certiorari ou de mandamus. Cependant, comme les demanderesse ont intenté une action en dommages-intérêts, elles doivent en plus établir qu'Agriculture Canada a commis un délit qui leur a causé un préjudice.

[104] Comme il n'y avait effectivement aucun motif raisonnable de conclure que les animaux étaient infectés à E. cervi, la question qui reste maintenant à trancher est de savoir si ce jugement a été formé d'une manière susceptible de donner lieu à une action pour négligence.

[105] L'examen du témoignage de M. McElheran permet de prendre connaissance des échanges suivants aux pages 2651 et 2652 de la transcription :

[TRADUCTION]

17.               Après avoir mis en évidence des larves dans la harde de Cervinus, avez-vous à quelque moment demandé pourquoi les animaux avaient fait l'objet d'une ordonnance de renvoi avant la nécropsie devant confirmer que l'animal était effectivement atteint d'une maladie?

R.          L'animal a fait l'objet d'une ordonnance de destruction parce qu'on avait trouvé des larves E. cervi dans ses fèces.

17.               Est-ce que c'était alors la politique d'Agriculture Canada d'ordonner le renvoi de tous les animaux même si l'on trouvait par la suite que l'animal examiné n'avait pas une infection manifeste?

R.          La présence de larves dans les fèces indique la présence d'une infection manifeste. C'est le sens du mot manifeste.

17.               Vraiment?

R.          Oui.

17.               En êtes-vous certain?

R.          Oui.


Ce témoignage ne concorde pas avec le témoignage d'expert de M. Burt, selon lequel il faut un grand nombre de larves pour signaler une infection manifeste. Il semble donc y avoir confusion chez la défenderesse quant à la nature de l'infection manifeste.

[106] Bien qu'on ait suggéré la possibilité d'un acte malveillant de la part d'Agriculture Canada en l'espèce, le comportement fautif relève plus justement du domaine de la négligence. Je ne puis admettre qu'Agriculture Canada, et en particulier MM. Shantz, Gajadhar et Georgeson, aient eu des motifs raisonnables de croire que tous les animaux des hardes pouvaient être infectés à E. cervi. Même si la défenderesse a fait valoir qu'il était raisonnable pour l'auteur de l'ordonnance de renvoi de s'appuyer sur les avis de ceux qui avaient une plus grande expertise, comme M. Gajadhar, la preuve a établi que les dirigeants avaient pris part aux diverses étapes de l'enquête. Il ne s'agit pas d'une situation où l'opinion d'une personne a été approuvée automatiquement par une autre.

[107] Compte tenu des renseignements qui m'ont été présentés sur la nature d'E. cervi, je dois conclure que la décision d'ordonner le renvoi des hardes de Cervinus et de Coldstream, au motif qu'elles pouvaient être infectées par une maladie, a été prise avec négligence. Sans avoir la certitude que les inspecteurs ne croyaient pas à l'existence de motifs raisonnables, je sais à tout le moins qu'une telle opinion ne peut qu'être le fruit d'une manière de penser et de décider négligente et insouciante.


[108] Tous les éléments de l'acte délictuel sont ici réunis : si les fonctionnaires sont tenus de veiller aux intérêts d'un large éventail de parties intéressées, ils sont manifestement tenus à l'égard des demanderesses de ne pas rendre une décision insouciante ou arbitraire, étant évident qu'elle pourrait leur être préjudiciable.

[109] Il est clair également que la norme de la diligence à l'égard des demanderesses n'a pas été respectée. Il n'y avait absolument aucun motif de croire que les animaux pouvaient être infectés à E. cervi. Le niveau des connaissances des fonctionnaires d'Agriculture Canada en matière d'E. cervi était nettement déficient. Les demanderesses étaient en droit de s'attendre qu'aucune ordonnance de renvoi ne serait rendue en pareilles circonstances. Si Agriculture Canada avait examiné correctement les faits, et rendu une décision basée sur les seules dispositions de la Loi, elle n'aurait pu ordonner le renvoi des cerfs du Canada.

[110]     On peut lire dans l'arrêt G. (A.) v. B.C., précitée, à la page 149 :

[TRADUCTION] [...] il ne peut y avoir de responsabilité si le pouvoir discrétionnaire est exercé avec une diligence raisonnable. Il ne peut y avoir de responsabilité que si la personne à qui l'on a conféré le pouvoir discrétionnaire, soit a manqué sans motif raisonnable à son obligation d'examiner l'affaire, soit est arrivée à une conclusion si déraisonnable qu'elle traduit encore un manquement à son obligation.

Selon le sens du terme [diligence raisonnable] employé, le défaut de diligence raisonnable se manifeste seulement en cas de manquement à l'obligation d'examiner l'affaire ou dans le cas où laconclusion est si déraisonnable qu'elle traduit un manquement à l'obligation.

C'est exactement notre situation – la décision rendue est tellement déraisonnable qu'elle implique de conclure presque de façon absolue à la négligence.


[111] Par conséquent, la Couronne est responsable à l'égard des dommages établis par les demanderesses, du fait que ses préposés n'avaient pas de motifs raisonnables de croire que les animaux de la harde, hormis les trois animaux abattus, étaient atteints par une maladie (E. cervi). Élément essentiel de cette responsabilité, cette décision que les décideurs alléguaient avoir prise sur le fondement de motifs raisonnables a été prise avec négligence. Les motifs raisonnables faisaient défaut. Voilà pourquoi les demanderesses ont gain de cause. Elles échouent pour les autres causes de réparation.

[112]     L'exonération de responsabilité qu'invoque la défenderesse ne peut


servir à faire échec à la cause d'action des demanderesses. De la même manière que l'État ne peut se décharger des responsabilités que lui confère la Loi en faveur des demanderesses et aux dépens des autres, il ne peut non plus se soustraire au droit en matière de négligence de la façon dont il prétend qu'il faudrait juger qu'il l'a fait. Pour l'essentiel, la condition contractuelle intègre des dispositions de la législation et de domaines semblables où le gouvernement est exonéré de responsabilité. Il existe une infinité de cas dans lesquels un importateur comme les demanderesses pourrait envisager ou fonder une cause d'action à l'encontre du gouvernement, en l'absence d'une telle disposition. Supposons que la valeur marchande des animaux a chuté soudainement et que l'importateur cherche à en attribuer le blâme au gouvernement pour avoir imposé une quarantaine si longue qu'elle a entraîné un manque à gagner. Voilà une situation qui peut être visée et envisagée par le permis d'importation. Je ne considère pas cette exonération du permis d'importation comme l'acceptation par les demanderesses que l'État est inattaquable dans le cas où il décide avec négligence de détruire entièrement toute possibilité de bénéfice.

DOMMAGES-INTÉRÊTS

[113] En règle générale, les dommages qui sont établis concernent, à mon avis, la perte résultant des ordonnances de renvoi invalides et rendues avec négligence, dans la mesure où elle vise les animaux qui ne présentaient pas de signes d'infection à E. cervi. Certains éléments de preuve touchant les plans des importateurs et la valeur marchande de ces plans étaient relativement contradictoires. Toutefois, il me faut établir, à partir de la preuve déposée sur le préjudice subi, le montant des dommages-intérêts à attribuer à chacune des demanderesses.

Cervinus

[114] Au total, 285 cerfs ont été expédiés aux locaux de quarantaine exploités par Cervinus. Parmi cette harde, un cerf (le numéro 172) présentait des signes d'évacuation de larves. Par conséquent, la demanderesse a droit à des dommages-intérêts représentant la valeur marchande des 284 autres cerfs. En outre, est également exigible la valeur marchande de six mâles qui ont été ajoutés à la harde.


[115] La demanderesse réclame une somme de 2 750 $ par cerf au titre de la valeur marchande. Cependant, la preuve de la valeur marchande indique que cette valeur varie en fonction des caractéristiques des cerfs. _Selon son témoignage, Andrew Foreman, comptable agréé, a établi, sur la base des renseignements que lui a fournis la société, une valeur marchande de 2 750 $ par cerf, et de 3 500 $ dans le cas du cerf noble mâle reproducteur. Ces mâles ont été détruits parce qu'il avaient été mis en quarantaine avec les biches pour la reproduction. M. Tattersall a déclaré pour sa part que des dommages-intérêts de 3 000 $ à 3 800 $ avaient été payés pour des cerfs. Il y a donc des circonstances faisant varier les prix. Pour cette raison, j'accorde des dommages-intérêts n'excédant pas les prétentions et j'accueille la demande de 2 750 $ par tête. La demande de 3 500 $ par mâle est accueillie.


[116] S'agissant des dommages-intérêts relatifs aux prolongations de baux et aux coûts d'exploitation et de nettoyage des locaux de quarantaine, je juge que ces coûts ne sont imputables à aucun acte fautif d'Agriculture Canada. Compte tenu de l'évacuation de larves constatée sur le cerf 172, Agriculture Canada était autorisé à exiger la prolongation des conditions de quarantaine, comme elle l'a d'ailleurs fait, et Cervinus aurait dû de toute façon assumer les coûts du nettoyage. J'accueille toutefois la demande de dommages-intérêts de 50 000 $ pour la perte d'exploitation due à la quarantaine. M. Foreman a témoigné que cette somme était une estimation de l'ensemble des coûts relatifs aux locaux de quarantaine – le clôturage, l'épandage de gravier, les travaux d'excavation – travaux qui ont une valeur permanente. Cette valeur est maintenant perdue en raison de la cessation des privilèges d'agriculture sur le terrain. Comme j'ai conclu précédemment qu'il n'y a absolument aucune preuve que plus d'un animal (le numéro 172) était infecté à E. cervi, Cervinus, au terme de toute prolongation de quarantaine prescrite, aurait donc pu continuer d'utiliser les locaux de quarantaine pour d'autres expéditions ultérieures d'animaux.

Demande relative à la perte de possibilités d'affaires (manque à gagner) de la part de Cervinus

[117] Cervinus a réclamé une somme de 2 884 461 $ en manque à gagner. Ce manque à gagner est estimé sur une période de cinq ans. Elle a également présenté des chiffres relatifs au manque à gagner sur une période de trois ans qui, selon sa demande, s'établiraient à 1 987 948 $. La demande de Cervinus au titre du manque à gagner reposait sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION] On présume que la harde de base restera intacte, comptant 285 femelles reproductrices et six mâles reproducteurs.

Paul Croft, le dirigeant de Cervinus, a fait la déposition suivante, aux pages 506 à 510 de la transcription :

[TRADUCTION]

1.                   Oui. Il y a une période de l'année, d'environ trois à quatre mois, où peut se faire la reproduction. Nous avons donc essayé de programmer l'expédition pour pouvoir introduire les mâles de manière à ce que les femelles soient toutes gravides au moment de leur vente.

17.               Donc, dans votre cycle commercial normal, les locaux de quarantaine sont vacants un certain temps?

R.          C'est exact.

17.               Pour combien de temps normalement? Quelle durée auriez-vous prévue?


R.          Nous avions espéré que la durée de la quarantaine se limite aux quatre mois. Mais la deuxième année, les délais ont été plus longs. On met les animaux en quarantaine quatre mois, puis certains des acheteurs des animaux nous ont demandé de les garder plus longtemps en quarantaine, le temps d'aménager leurs propres installations. En fait, les animaux n'étaient plus en quarantaine, mais nous les avons gardés dans nos locaux. Parfois, les animaux demeuraient un mois ou deux de plus.

Je dirais que nous avons gardé des animaux en élevage de quatre à six ou même sept mois.

18.               Au cours de cette période, vous n'aviez pas d'autres installations d'élevage. Vous aviez seulement les locaux de quarantaine.

R.          Exact. Mais un agriculteur nous avait autorisés moyennant une redevance à utiliser sa propriété pour loger des animaux.

19.               Combien en gardiez-vous à cet endroit? Vous en rappelez-vous?

R.          Voyons... nous y gardions nos six mâles. Et probablement de huit à douze femelles, si je me souviens bien.

17.               Je pense que dans votre témoignage d'hier, vous avez mentionné quatre mâles de la première harde et sept ou huit biches. Est-ce bien cela?

R.             Je me corrige. Nous avions acheté deux mâles de plus.

17.               Plus tard.

R.          Oui.

18.               Vous gardiez quatre mâles de la harde que vous aviez importée à l'origine. C'est-à-dire de la première harde.

R.          Exactement.

19.               Vous gardiez quatre mâles de la harde importée.

R.          Exact.

20.               Et sept ou huit biches de cette harde, et vous aviez vendu le reste, n'est-ce pas?

R.          Oui.

21.               Je pense que dans votre témoignage d'hier, votre plan d'affaires vous engageait, au cours d'une période donnée, à constituer votre propre harde d'environ 300 têtes.

R.          Exact.

22.               C'est pourquoi vous gardiez de sept à huit biches et quelques mâles de la première harde, n'est-ce pas?

R.          Exact.

20.               On peut penser qu'au terme d'un certain nombre d'importations, en conservant quelques biches de chaque importation, vous auriez pu atteindre au cours des années un troupeau de 300. Est-ce exact?


R.          Exact.

21.               Votre plan prenait combien d'années? Cinq ans?

R.          Je pense que nous envisagions de trois à quatre ans. C'était un commerce rentable et nous attendions d'accumuler des bénéfices pour prendre de l'expansion. Nous voulions agrandir nos installations pour pouvoir gérer une expédition de 1 000 têtes. Sur ce volume de bêtes, auquel nous pensions arriver la troisième année, nous allions garder un bon pourcentage.

Si nous avions continué une autre année et atteint nos 1 000 têtes, nous en aurions probablement gardé de 100 à 150 pour créer notre propre élevage.

22.               Votre première harde, si je me rappelle bien, comptait 240 animaux ou à peu près cet ordre de grandeur. Est-ce juste?

R.          Je pense que c'était 240 biches, mais il y avait aussi des mâles sur ce nombre.

23.               Sur ce groupe, vous avez gardé environ sept ou huit biches et quatre mâles.

R.          Exact.

24.               Dans la deuxième harde, il n'y avait pas de mâles, seulement des biches, n'est-ce pas?

R.          Il y avait seulement des biches.

25.               Et on peut penser que vous auriez gardé à peu près le même nombre sur ce groupe, huit ou dix peut-être?

R.          Non, nous en aurions probablement gardé plus. Je pense qu'avec tout ce qui s'est passé cette année-là , nous n'avions même pas le temps d'y penser. Nous étions tellement préoccupés par les problèmes.

26.               Votre plan d'affaires prévoyait essentiellement qu'à ce stade vous seriez rendus à 300 avec le temps.

R.          Exact.

27.               Vous alliez faire votre première grosse contribution à cette harde avec votre troisième expédition, si je me souviens bien.

R.          Exact.

28.               Donc, vous alliez tenter d'importer peut-être 1 000 têtes dans cette troisième expédition et en conserver environ 150.

R.          C'est la raison pour laquelle nous avons ces dépenses pour l'expansion de la quarantaine.


Le rapport de M. Foreman au sujet du manque à gagner était basé sur l'hypothèse qu'il y aurait 285 femelles reproductrices pour chacune des trois années, mais aucune preuve factuelle à l'instruction n'est venue étayer cette hypothèse. M. Croft a déclaré que la pratique consistait à vendre la plupart des femelles reproductrices lorsqu'elles étaient gravides et à ne garder que quelques biches (la femelle du cerf) de chaque expédition, de manière à constituer une harde de reproduction d'environ 300 têtes au cours de trois ou quatre ans. Ce ne sont pas les faits sur lesquels le comptable agréé, M. Foreman, a établi ses estimations quant au manque à gagner. Les faits sur lesquels sont basés les rapports d'un expert doivent être établis à l'instruction. Ils ne l'ont pas été en l'espèce et, par conséquent, je ne suis disposé à accorder aucune somme pour le manque à gagner de la demanderesse Cervinus.

[118]     Je suis également prêt à attribuer à la demanderesse Cervinus des intérêts avant

jugement et les dépens de l'action.

[119]     En résumé, j'accorde les montants suivants à Cervinus Inc. :

1)        la somme de 783 750 $ pour la valeur marchande de la harde de cerfs;

2)        la somme de 21 000 $ pour les six cerfs nobles mâles;

3)        la somme de 50 000 $ pour la perte relative à la quarantaine;

4)        les intérêts avant jugement;

5)        les dépens de l'action.


Coldstream

[120]     Le témoignage de Graeme Ramshaw indique qu'il a à l'origine établi une valeur

marchande modérée de 2 700 $ par cerf. Cependant, il a également témoigné qu'il avait obtenu par la suite des renseignements indiquant que des propriétaires de cerfs nobles avaient reçu en compensation du gouvernement 3 000 $ par cerf pour la destruction de leurs cerfs qui avaient contracté la tuberculose. Je ne puis utiliser le témoignage de M. John Tattersall pour établir un prix supérieur étant donné que ce témoignage mentionne que la valeur du cerf noble fluctue en fonction de divers facteurs, notamment l'âge, l'état de santé, la qualité et les caractéristiques de l'animal. Je ne sais pas si les cerfs de Coldstream étaient ceux qui étaient visés par M. Tattersall. Je consens à attribuer des dommages-intérêts d'un montant de 2 700 $ par animal à Coldstream. Cette valeur s'applique à la demande pour 233 cerfs, les deux animaux ayant évacué des larves ayant été exclus du total. Je déduis de cette somme un montant de 45 320 $, qui représente les produits de la vente de la venaison issue des animaux abattus.

[121]     La demanderesse Coldstream a aussi réclamé les dommages-intérêts suivants :

1)                   Perte sur la vente de matériel avant le 31 mars 1992                   5 762 $

2)                   Dépréciation pour l'exercice terminé le 31 mars 1992

du matériel vendu au cours de l'exercice terminé

le 31 mars 1993                                                                        25 574 $

3)                   Perte sur la vente ou radiation de matériel en

avril 1992, comptabilisée sur l'exercice terminé

le 31 mars 1993                                                                        68 014 $

4)                   Récupération de la perte sur deux articles

pour l'exercice terminé le 31 mars 1993                                     (1 775)$

Total                             97 575 $


Comme ces sommes s'expliquent par l'impossibilité de continuer à utiliser les installations de quarantaine en raison de l'ordonnance de renvoi de toute la harde, selon les explications de M. Ramshaw, j'accorde à la demanderesse Coldstream les dommages-intérêts qu'elle réclamait pour ces éléments, soit 97 575 $.

[122]     La demanderesse Coldstream demande également des sommes de 15 250 $ et

21 000 $ reliées à la fermeture et au nettoyage des installations de quarantaine. Je n'accueille pas ces demandes, car les locaux de quarantaine auraient dû de toute façon être nettoyés en raison de la mise en évidence des larves.

[123]     De plus, la demanderesse Coldstream a réclamé 5 759 326 $ pour le manque à

gagner. La demande couvre une période de treize ans. Or il convient de se rappeler que Coldstream, dans son plan d'affaires, avait indiqué :

[TRADUCTION] La politique de CDG en matière de vente était de vendre les sujets importés après l'accouplement pour maximiser leur valeur et assurer un bon taux de fertilité.

(Transcription, pages 1093 et 1094).

Le rapport de M. Ramshaw prenait pour hypothèse que les biches devaient être gardées par Coldstream pour produire de nouveaux faons. M. Ramshaw a convenu que les chiffres de son rapport seraient différents si les biches étaient vendues pendant qu'elles étaient gravides mais avant la naissance des faons. Il a témoigné, à la page 1094 de la transcription :

[TRADUCTION]


17.               [. . .] N'est-ce pas ce dont nous venons de discuter, que dans le cas des cerfs importés, le meilleur plan d'affaires pour vous ou pour Coldstream aurait été de vendre ces cerfs au moment où leur valeur est à son maximum, soit après l'accouplement et peu avant la mise bas?

1.                   Oui.

18.               Et l'on peut penser que les seuls cerfs qui n'auraient pas quitté la harde, donc, seraient ceux qui, pour une raison ou l'autre, n'avaient pas pu être vendus, ceux qui restaient, somme toute.

2.                   Oui, ceux qui n'avaient pas été vendus à ce moment-là.

En m'appuyant sur ce témoignage, je ne suis pas disposé à accorder à Coldstream ce qu'elle demande pour le manque à gagner. Quoi qu'il en soit, même si j'avais été persuadé d'attribuer des dommages-intérêts pour le manque à gagner, la période de 13 ans est beaucoup trop longue. M. Foreman a témoigné que les comptables privilégient les prévisions sur un horizon se limitant à trois ans, certains acceptant un horizon de cinq ans. Au-delà de cinq ans, la prévision n'a pas de fiabilité.

[124]           La dernière demande de Coldstream est une somme de 81 151 $ pour les coûts

d'annulation d'une vente à M. Thorliefson. Il s'agissait d'une vente de wapitis à M. Thorliefson qui n'a finalement pas été conclue parce que le gouvernement de la Saskatchewan n'a pas autorisé l'entrée de wapitis en Saskatchewan par crainte du parasite E. cervi. Les wapitis ont été vendus à d'autres personnes, mais avec une perte de 81 151 $, imputable à un prix inférieur et aux frais de pacage. Je conclus que cette somme ne peut être accordée parce qu'il s'agit d'un dommage trop indirect.

[125]           En résumé, j'accorde à Coldstream les dommages-intérêts suivants :

1)                   Valeur de 233 cerfs à 2 700 $ chacun, moins

le produit de la vente de la venaison

des animaux abattus s'élevant à 45 320 $                                   583 780 $

2)                   Perte sur la vente de matériel avant le 31 mars 1992                       5 762 $


3)                   Dépréciation pour l'exercice terminé le 31 mars 1992

du matériel vendu au cours de l'exercice terminé

le 31 mars 1993                                                                        25 574 $

4)                   Perte sur la vente ou radiation de matériel en

avril 1992, comptabilisée sur l'exercice terminé

le 31 mars 1993                                                                        68 014 $

5)                   Moins Récupération de la perte sur deux articles

pour l'exercice terminé le 31 mars 1993                                     (1 775) $

Total                             681 355 $

[126]           J'accorde également à la demanderesse Coldstream les intérêts avant jugement et

les dépens de l'action.

ORDONNANCE

[127]           IL EST ORDONNÉ que les actions des demanderesses soient accueillies pour

les motifs qui ont été exposés.

                                                                                  John A. O'Keefe                 

                                                                                               J.C.F.C.                    

Calgary (Alberta)

Le 20 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DU GREFFE :                               T-2690-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :             CERVINUS INC.

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE

ET

N º DU GREFFE :                               T-2691-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :    COLDSTREAM DEER GROUP LTD.

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                1ER AU 5, 8, 9, 10, 12, 15, 16 AU 19 ET 26 NOVEMBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :                                   MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU :

Russell Kronick, c.r.

Barry Garland

POUR LES DEMANDERESSES

Frederick Woyiwada

Lysanne Lafond

POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg Shinder & Kronick

307 Gilmour Street

Ottawa (Ontario)

K2P 0P7

POUR LES DEMANDERESSES

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8

POUR LA DÉFENDERESSE


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20001219

Dossier : T-2690-92

ENTRE :

CERVINUS INC.,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR

LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE,

défenderesse.

Dossier : T-2691-92

ENTRE :

COLDSTREAM DEER GROUP LTD.,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR

LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE,

défenderesse.

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               

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