Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                     Date : 20040624

                                                                                                        Dossier : IMM-1819-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 911

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 JUIN 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                        LUCY EASTWOOD DENTON-JAMES

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                Le défendeur dans la présente procédure de contrôle judiciaire a soulevé une question préliminaire et demandé à la Cour de rejeter la demande au motif qu'elle est théorique.


Les faits

[2]                En 1997, Mme Lucy Eastwood Denton-James, une citoyenne canadienne, a marié M. Scott Anthony Jason James, un citoyen britannique. Après le mariage, M. James est retourné en Angleterre en attendant qu'il soit statué sur sa demande du statut de résident permanent parrainée.

[3]                Un agent des visas a conclu que M. James n'était pas admissible en vertu des alinéas 19(1)e) et f) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne loi), au motif qu'il était membre d'une organisation prônant la suprématie blanche, la Combat 18, qui dirigeait des opérations depuis Londres, en Angleterre. Après avoir pris en considération les facteurs d'ordre humanitaire, dont le fait que le couple avait un enfant né au Canada, l'agent des visas a conclu qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour justifier une exemption pour des raisons d'ordre humanitaire.

[4]                La Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de l'agent des visas. Ses motifs portent la date du 3 avril 2002. La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

[5]                Le 28 juin 2002, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), est entrée en vigueur.


[6]                L'autorisation d'engager la procédure de contrôle judiciaire a été accordée et l'audience a été fixée au 25 septembre 2003. À l'audience, le défendeur a allégué que l'affaire était théorique parce que la SAI ne pouvait se pencher sur la demande en raison de l'application des articles 64 et 196 de la LIPR. Après avoir entendu les observations des parties, il a été décidé que la question du caractère théorique de la procédure devait être entendue séparément par voie de requête préliminaire avant que la demande de contrôle judiciaire soit examinée quant au fond. Par une ordonnance en date du 26 septembre 2003, la Cour a ajourné le contrôle judiciaire sine die et établi la procédure d'examen de la question préliminaire. Ultérieurement, l'audition de la requête a été reportée jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait statué dans l'appel interjeté contre la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 28 Imm. L.R. (3d) 50 (C.F. 1re inst.), une affaire portant sur l'application de l'article 196 de la LIPR à la SAI. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale, Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 366 (QL), rendu le 3 mars 2004, a annulé la décision que la Cour fédérale avait rendue.

Les questions en litige

[7]                Dans la requête, les parties ont soulevé les questions suivantes :


1.          Le paragraphe 350(5) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) s'applique-t-il à une décision de la SAI si la Cour fédérale n'a pas annulé la décision et renvoyé l'affaire pour nouvelle décision avant le 28 juin 2002, soit la date d'entrée en vigueur de la LIPR?

2.          L'article 196 de la LIPR s'applique-t-il seulement aux appels interjetés en vertu de l'article 70 de l'ancienne loi ou s'applique-t-il aussi aux appels interjetés par les répondants en vertu de l'article 77 de l'ancienne loi?

3.          Indépendamment des dispositions transitoires, la SAI a-t-elle le pouvoir, vu les articles 63 et 64 de LIPR, de décider de la question juridictionnelle de savoir si l'article 64 s'applique à la personne parrainée?

Analyse


[8]                La question en litige dans la présente instance est la suivante : si la demande de parrainage présentée par la demanderesse était renvoyée à la SAI pour qu'elle rende une nouvelle décision, ce réexamen serait-il régi par la LIPR ou par l'ancienne loi? Si c'est la LIPR qui s'applique, alors certaines de ses dispositions pourraient interdire que la SAI prononce une nouvelle décision et rendre la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse théorique. Le paragraphe 350(5) du Règlement prévoit que :


Il est disposé conformément à l'ancienne loi de toute décision prise par la section d'appel de l'immigration sous le régime de l'ancienne loi qui lui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article.

If a decision of the Immigration Appeal Division made under the former Act is referred back by the Federal Court or Supreme Court of Canada for determination and the determination is not made before the date of the coming into force of this section, the Immigration Appeal Division shall dispose of the matter in accordance with the former Act.


[9]                Si je décide que cette disposition fournit une réponse complète à la question de savoir quelle loi s'applique aux faits de l'espèce, je n'ai pas à examiner les deux autres questions soulevées par les parties.

[10]            Le défendeur soutient que l'article 196, une disposition transitoire de la LIPR, s'applique à l'espèce. Cet article est rédigé de la façon suivante :


Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.



[11]            Avant de déterminer si le paragraphe 350(5) s'applique, je dois d'abord faire un commentaire sur la jurisprudence portant sur l'article 196 de la LIPR. La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale, dans trois décisions récentes, ont examiné le sens de l'article 196 de la LIPR. Dans la présente requête, la demanderesse et le défendeur ont présenté des analyses très détaillées de ces décisions, tant dans leurs argumentations écrites que dans leurs plaidoiries. La première de ces décisions est l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Medovarski, précité. Les deux autres sont des décisions récentes de la Cour fédérale : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Sohal), [2004] A.C.F. no 813 (C.F.) (QL), et Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 814 (C.F.) (QL).

[12]            Lorsque je compare les faits de l'espèce avec ceux des décisions que je viens de mentionner, je note une différence notable. En l'espèce, la SAI avait déjà rendu une décision sur le fond de l'appel avant l'entrée en vigueur de la LIPR. Ce n'était pas le cas de ces trois décisions, où la SAI n'avait pas tenu d'audience ou rendu de décision avant le 28 juin 2002. La demanderesse allègue que, vu cette différence, le paragraphe 350(5) du Règlement s'applique de telle façon que, si le contrôle judiciaire est accueilli, la décision est annulée, l'affaire est renvoyée pour nouvelle décision et la SAI doit réexaminer le dossier en fonction de l'ancienne loi. Selon elle, cela signifierait que, si la Cour renvoie l'affaire à la SAI, les dispositions de la LIPR, et en particulier le paragraphe 64(1) et l'article 196, n'auraient aucune application, vu que le nouvel examen serait régi par les dispositions de l'ancienne loi, et l'ancienne loi ne contient aucune disposition interdisant au répondant d'un étranger qui a été déclaré non admissible pour des motifs de sécurité d'interjeter appel à la SAI.


[13]            Le défendeur soutient que ce n'est pas ainsi qu'il faut interpréter le paragraphe 350(5). Selon lui, cette disposition s'applique à un nombre limité de cas, soit dans les affaires où, avant le 28 juin 2002, la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada a annulé et renvoyé à la SAI pour réexamen une décision qu'elle avait rendue avant le 28 juin 2002 et que la nouvelle décision n'est pas rendue avant le 28 juin 2002.

[14]            La différence entre les deux interprétations porte sur la date de la décision de la Cour fédérale ou de la Cour suprême qui annule la décision de la SAI. Le défendeur allègue que le paragraphe 350(5) s'applique seulement lorsque la décision de la cour a été rendue avant le 28 juin 2002. La demanderesse allègue pour sa part que la disposition s'applique peu importe la date à laquelle la cour a rendu sa décision.

[15]            Je considère que c'est la demanderesse qui a la bonne interprétation. Le paragraphe 350(5) prévoit que la SAI devra trancher une affaire en vertu de l'ancienne loi si les conditions suivantes sont présentes :

1.          Il doit y avoir une décision de la SAI « prise [...] sous le régime de l'ancienne loi » , c'est-à-dire une décision rendue avant le 28 juin 2002;

2.          La Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada doit avoir annulé cette décision et l'avoir renvoyée à la SAI pour qu'elle la réexamine;


3.          La nouvelle décision de la SAI ne doit pas avoir été rendue « avant l'entrée en vigueur du présent article » .

[16]            Selon l'interprétation du défendeur, les trois conditions doivent avoir été présentes au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR. Mais ce n'est pas ce que la disposition énonce. La deuxième condition ne comporte pas de restriction quant au temps. Par conséquent, en l'espèce, si la Cour décidait de renvoyer l'affaire à la SAI pour réexamen, les trois conditions seraient remplies :

1.          La décision de la SAI a été rendue le 3 avril 2002, soit avant l'entrée en vigueur du Règlement le 28 juin 2002;

2.          La Cour fédérale annule la décision;

3.          La nouvelle décision de la SAI ne serait pas rendue avant le 28 juin 2002.

[17]            Par conséquent, je conclus, en me fondant sur le sens ordinaire des termes du paragraphe 350(5), que la nouvelle décision de la SAI serait rendue en fonction de l'ancienne loi.


[18]            La demanderesse soutient que son interprétation du paragraphe 350(5) est conforme à celle des juges majoritaires dans l'arrêt Medovarski, précité, que le juge Evans a exprimée ainsi :

Je note que le paragraphe 350(5) du Règlement porte que toute décision prise par la SAI avant le 28 juin 2002, qui lui est renvoyée par la Cour fédérale ou par la Cour suprême du Canada, fera l'objet d'un nouvel examen conformément à l'ancienne loi, même si on n'en avait pas disposé à l'entrée en vigueur de la LIPR. Cette disposition n'a pas d'impact sur les questions en litige ici, mais elle vient diminuer le nombre de cas visés par l'article 196 en vertu de l'interprétation qui lui est donnée par Mme Medovarski.

Sans en faire une analyse, le juge Evans semble avoir tenu pour acquis que le paragraphe 350(5) s'appliquait de la façon que je viens de décrire. Bien qu'il s'agisse là d'une opinion incidente, cette partie des motifs des juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale semble bien soutenir la position de la demanderesse quant à l'interprétation qu'il faut donner au paragraphe 350(5).

[19]            La demanderesse a aussi attiré mon attention sur une ordonnance décernée par la Cour le 20 mai 2004 dans l'affaire Batra et al c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), dossier IMM-1805-03. Par cette ordonnance, la juge Simpson a accueilli une demande de contrôle judiciaire, annulé la décision que la SAI avait rendue le 20 février 2003, et ordonné que l'affaire soit réexaminée en fonction de l'ancienne loi. Bien que l'ordonnance dans cette affaire n'aborde pas la question de l'interprétation du paragraphe 350(5), elle adopte clairement l'interprétation proposée par la demanderesse.


[20]            Il y a un problème à interpréter la disposition de cette façon, car alors la troisième condition semble ne servir à rien. Ce que je veux dire, c'est que l'exigence imposée par le paragraphe 350(5) selon laquelle le nouvel examen ne soit pas terminé avant l'entrée en vigueur de la LIPR semble superflu lorsque cette disposition est interprétée et appliquée après le 28 juin 2002. Cela est troublant, étant donné qu'il faut supposer que la troisième condition de cette disposition doit bien avoir un sens.


[21]            Cependant, les implications de limiter l'interprétation aux cas où la Cour est intervenue avant le 28 juin 2002 sont encore plus troublantes. Si je limite ainsi l'application de ce paragraphe, qu'advient-il des demandes de contrôle judiciaire actuellement en suspens devant la Cour fédérale? Si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, le nouvel examen par la SAI doit-il être effectué en fonction de l'ancienne loi ou de la LIPR? La réponse à cette question ne se trouve ni dans la LIPR ni dans le Règlement. Si d'une part l'article 350 dresse une liste des situations types auxquelles on prévoyait faire face au cours de la période de transition, il n'existe d'autre part aucune disposition d'application par défaut qui prévoit que tout réexamen non précisément prévu par l'article 350 sera effectué en fonction de la LIPR. Selon moi, l'article 350 est censé fournir un cadre à l'intérieur duquel peuvent être traitées toutes les décisions renvoyées pour réexamen. La seule interprétation qui permette ce résultat est celle proposée par la demanderesse, soit qu'un réexamen d'une décision de la SAI rendue avant le 28 juin 2002 et annulée par la Cour après cette date soit effectué en fonction de l'ancienne loi. L'équité de cette interprétation ne devrait pas être altérée par une exégèse excessivement technique de la disposition.

[22]            La raison d'être de la troisième condition s'explique peut-être par les circonstances entourant l'entrée en vigueur de cette disposition transitoire. Bien que l'exigence énoncée par le paragraphe 350(5) selon laquelle le nouvel examen de la SAI ne soit pas terminé au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR apparaisse superflue maintenant, le 28 juin 2002, ces quelques mots donnaient une directive précise à la SAI. À cette date, il faut présumer que la SAI avait un lot de réexamens pendants et qu'elle avait besoin d'une directive très claire quant à la façon de procéder, à savoir, faire le réexamen en fonction de l'ancienne loi ou dorénavant le faire en fonction de la LIPR. Cette troisième condition « à toute épreuve » donnait une directive claire à la SAI que ces réexamens pendants devaient être effectués en fonction des dispositions de l'ancienne loi. Par conséquent, même si ces quelques mots ne sont plus importants maintenant, ils précisaient la ligne de conduite que la SAI devait suivre à compter du 28 juin 2002.

Conclusion


[23]            Pour ces motifs, je conclus que le paragraphe 350(5) du Règlement s'applique effectivement à une décision de la SAI que la Cour fédérale lui renvoie pour réexamen après le 28 juin 2002, la date d'entrée en vigueur de la LIPR. Si le demandeur a gain de cause lors du contrôle judiciaire et que l'affaire est renvoyée à la SAI pour nouvel examen, ce nouvel examen doit être effectué en fonction des dispositions de l'ancienne loi.

[24]            Cela permet de statuer sur la requête et il n'est pas besoin d'examiner les autres questions soulevées par les parties. Par conséquent, l'article 196 de la LIPR n'a aucune application quant au réexamen et, donc, la demande de contrôle judiciaire n'est pas théorique. Étant donné que le dossier de la demande est complet, l'administrateur judiciaire devrait fixer la date de l'audition du contrôle judiciaire le plus tôt possible.

[25]            La demanderesse sollicite les dépens de la présente requête. Vu le contexte inhabituel dans lequel les questions en litige ont été soulevées et leur nouveauté, je décide, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire en matière de dépens, de ne pas adjuger de dépens.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête est rejetée, sans frais.

2.          L'administrateur judiciaire, en consultation avec les avocats des parties, fixera une date pour l'audition de la demande de contrôle judiciaire à Toronto.

                                                                                                                  _ Judith A. Snider _              

                                                                                                                                         Juge                           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-1819-02

INTITULÉ :                                              LUCY EASTWOOD DENTON-JAMES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 3 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                             LE 24 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.