Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19971219

     Dossier : IMM-2260-97

ENTRE

     ANGERNEE PAMELA JAGGERNAUTH

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

         Que la transcription révisée ci-jointe des motifs d'ordonnance que j'ai prononcés à l'audience, tenue à Edmonton (Alberta), le 21 août 1997, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

                             Douglas R. Campbell

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet


LA COUR

         Voici les motifs que j'ai invoqués à l'occasion de la présente demande. La principale question qui se pose en l'espèce porte sur le sens à donner à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale lequel, de par sa formulation, prévoit un pouvoir discrétionnaire très large. Cet article se lit comme suit :

         "La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive."                 

         En l'espèce, la demande est un avis de requête introductive d'instance contestant une décision portant sur des considérations humanitaires qui a rejeté l'argument de la requérante selon laquelle ces considérations lui auraient permis de demeurer au pays. Toutefois, le problème qui s'est posé ne porte pas sur cette question particulière, parce qu'elle va suivre son cours, mais sur la question de savoir si la requérante peut rester au Canada en attendant le résultat d'une mesure d'expulsion qui doit entrer en vigueur d'ici une semaine. C'est, bien entendu, cette mesure d'expulsion qui est la véritable question, et il est demandé en l'espèce de surseoir à l'exécution de cette mesure.

         La Couronne soutient qu'il n'existe aucun lien entre l'avis de requête introductive d'instance et la mesure d'expulsion et que, en conséquence, compte tenu des diverses décisions qui ont été citées, puisqu'il n'existe aucun lien, je n'ai pas compétence pour exercer ce large pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 18.2. Il est également allégué que même si j'ai compétence à cet égard, le fond de l'affaire ne permet pas de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion.

         Pour ce qui est de la première question concernant le lien en question, je dois dire que la loi prévoit effectivement un pouvoir discrétionnaire très large, et que des opinions juridiques ont été exprimées sur ce que cela signifie. À mon avis, l'application du pouvoir discrétionnaire découlant de l'article 18.2 dépend du fond juridique et factuel de chaque affaire. Je ne pense pas qu'il soit sage de tenter d'établir des lignes directrices types ou de dire que certaines choses ne sont pas possibles, et je ne pense pas non plus qu'il soit approprié de le faire. Pour moi, chaque cas est un cas d'espèce.

         J'estime donc, ayant dit cela, que le fait qu'il puisse exister ou pas un soi-disant lien entre le véritable avis introductif d'instance contestant la décision et la mesure d'expulsion est seulement un facteur parmi d'autres.

         En fait, il existe des décisions concurrentes sur la question de savoir si le lien est nécessaire. Je n'ai pas l'intention de m'engager dans ce débat parce que, franchement, je ne crois pas que cela soit le point litigieux. En l'espèce, la question se pose de savoir si on a prouvé de façon convaincante qu'il y a lieu de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion.

         Donc, il faut prouver de façon convaincante qu'il y a lieu de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion s'il existe des motifs valables de contester la décision portant sur des considérations humanitaires. Je crois qu'il s'agit là d'un bon argument. J'estime qu'il existe une preuve solide permettant de dire que si le dossier avait été plus complet, comme c'est le cas des affidavits dont je suis saisi, le résultat aurait pu être en fait différent. Cela est réellement important en l'espèce, et c'est l'un des arguments dont j'ai parlé, savoir que la personne devant qui l'audition relative aux considérations humanitaires a réellement été tenue s'est donnée la peine d'écrire une décision et de dire que c'était un cas très difficile. Autrement dit, c'est un cas qui aurait pu aller dans les deux sens, mais il a penché au détriment de la requérante, alors que, s'il avait été un peu plus étoffé, il aurait pu pencher dans l'autre direction. Franchement, si le dossier avait été plus complet, il ne fait pas de doute que la balance aurait penché dans l'autre direction. Ainsi donc, la requérante a une cause d'action solide.

         Pour ce qui est de l'avis de requête introductive d'instance, on va encore se demander si de nouveaux éléments de preuve peuvent être examinés? Autrement dit, la preuve dont disposait la personne qui a pris la décision n'était que partielle. De nouveaux éléments de preuve sont actuellement présentés, et il y aura une autre décision à prendre sur la question de savoir si on peut en tenir compte. J'ai déjà dit que si cet obstacle était surmonté, il existerait probablement en l'espèce une cause d'action solide.

         On m'a cité une décision du juge Muldoon, qui énonce ce qui peut être un moyen d'éviter des résultats inévitables en l'espèce, savoir que les gens présentent des demandes pour contester des décisions seulement lorsqu'il existe une menace de renvoi; ce qui est sous-entendu c'est que souvent ces demandes sont fallacieuses et nullement fondées. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. Il s'agit d'une affaire où il existe une véritable question à trancher. La requérante a présenté sa demande pour contester l'ordonnance portant sur des considérations humanitaires, à mon avis, pour des motifs valables, et non pour des motifs fallacieux.

         Cela étant dit, je pense franchement qu'il importe de tenter de peser le pour et le contre de deux questions, celle de savoir s'il faut simplement laisser l'expulsion suivre son cours ou s'il importe de la suspendre, en attendant les résultats de la demande d'autorisation de contester la décision portant sur les considérations humanitaires. J'estime qu'il s'agit d'un cas où il ne faut pas séparer la demande d'autorisation de la mesure d'expulsion. Celles-ci sont indissociables, en fait, et je crois qu'il importe de voir si le critère à trois volets peut être respecté pour permettre d'accorder le sursis à exécution.

         Pour ce qui est de savoir s'il existe une cause solide d'action ou s'il existe une question valable à trancher, je crois avoir déjà dit qu'il en existait une. Cela répond donc au premier volet du critère. Quant à la question du préjudice irréparable, encore une fois, la preuve relative à la contestation - contestation tout à fait normale d'ailleurs - devra être plus complète si la requérante veut avoir gain de cause. Je suis impressionné toutefois par le rapport psychologique du Dr Keep qui, selon mon observation, corrobore le fait que si Mme Jaggernauth devait être renvoyée du pays, un préjudice irréparable lui serait causé. Je sais qu'une jurisprudence parle du niveau à atteindre pour y arriver. Je suis convaincu que ce niveau est atteint en l'espèce quant au fond et que, par conséquent, cet aspect du critère est aussi respecté.

         La troisième question consiste à se demander si la balance des inconvénients penche en faveur de la requérante. Cela ne fait pas de doute. Lui faire quitter le pays à ce stade donnerait lieu à un inconvénient supérieur à celui causé par le fait pour le ministre d'attendre simplement jusqu'à ce que la demande d'autorisation soit accueillie ou non. Les trois volets du critère sont donc respectés.

         Ce que je crois nécessaire, c'est de suspendre la mesure jusqu'à ce que la demande d'autorisation ait été tranchée. Au cas où la demande d'autorisation serait rejetée, le sursis prendrait fin. À supposer que la demande d'autorisation soit accueillie, ce sursis prendra fin mais devra être renouvelé si la requérante réussit à obtenir l'autorisation de saisir la Cour d'une demande. Je n'accorde aujourd'hui qu'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation.

         Si cela s'impose, il sera nécessaire de soulever cette question à nouveau après que la question de l'autorisation aura été tranchée; j'ai disposé de peu de temps pour me prononcer, l'affaire étant en suspens depuis mai, et nous sommes en août maintenant. Sincèrement, je ne sais pas ce à quoi il faut s'attendre en l'espèce pour ce qui est de la date de la réponse; souhaitons qu'elle vienne bientôt.

         Me Peterson, je pense que vous devriez vous préparer à faire cette demande le jour où la question de l'autorisation sera tranchée, selon l'issue de l'affaire. Si vous n'obtenez pas gain de cause dans votre demande d'autorisation, vous ne le ferez pas, car il ne restera plus rien à débattre. Si vous obtenez gain de cause, vous devrez argumenter de nouveau.


Me Peterson :

         Ainsi donc, si la demande d'autorisation est acceptée, le sursis à exécution prend fin.

LA COUR :

         Si elle est acceptée, vous allez devoir présenter votre argumentation de nouveau, en attendant l'issue de cette audition, pour que la mesure d'expulsion soit suspendue encore une fois.

         Merci pour vos arguments.

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-2260-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Angernee Pamela Jaggernauth c.
                             MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 21 août 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU                      19 décembre 1997

ONT COMPARU :

    Douglas Peterson                  pour la requérante
    Brad Hardstaff                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Snyder & Company                  pour la requérante
    Avocats
    George Thomson
    Sous-procureur général
    du Canada                      pour l'intimé
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.