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Date : 20001129

Dossier : IMM-1507-00

ENTRE :

                                   XIANG CHUN LIANG          

demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]    Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, selon la signification de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 2 mars 2000.


[2]    Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. Au moment de l'audience de son affaire devant la SSR, il avait 46 ans. Il fonde sa revendication de statut de réfugié au sens de la Convention sur une crainte fondée de persécution s'il est forcé de retourner en République populaire de Chine, au motif de ses opinions politiques, réelles ou appréhendées, et de son statut de membre d'un groupe social, savoir les personnes qui ont enfreint la politique qui n'autorise qu'un enfant par famille en République populaire de Chine. Le demandeur et son épouse ont trois enfants, le plus jeune étant un adolescent.

[3]    Dans ses motifs, la SSR décrit le témoignage du demandeur en utilisant le qualificatif « décousu » . Elle a conclu qu'il n'était pas un témoin crédible au vu de certaines parties-clé de son témoignage. Les « conclusions de fait » de la SSR sont rédigées de la façon suivante dans ses motifs :

[traduction]

Je constate que le demandeur est citoyen de la Chine. J'accepte sa déclaration qu'on lui a imposé une amende pour avoir enfreint les politiques de contrôle des naissances du gouvernement chinois. Cette amende lui a été infligée il y a plusieurs années et il l'a payée. Toutefois, je ne crois pas que son épouse ait été stérilisée longtemps après la naissance de leur dernier enfant.

Je conclus que le demandeur n'intéresse plus le gouvernement de la Chine dans le cadre de sa politique de contrôle des naissances.

Je conclus au vu des notes prises lors de l'entrevue à l'arrivée du demandeur au Canada qu'il s'est malheureusement impliqué dans une affaire qui a fait faillite et que, de ce fait, il s'est considérablement endetté. Je n'accepte pas que le demandeur ait été harcelé par les responsables du secteur des pêches pour des motifs liés aux politiques de contrôle des naissances du gouvernement.

Je conclus que le demandeur a quitté la Chine pour des raisons économiques et non parce qu'il y était persécuté.


Suite à cette conclusion, la SSR a déclaré que la seule question qui restait à trancher portait sur l'impact que pouvait avoir le fait que le demandeur avait quitté la Chine illégalement. Elle mentionne que le demandeur lui a déclaré qu'il serait traité sévèrement par le gouvernement chinois suite à son départ illégal. Sur cette question, la SSR conclut ceci :

[traduction]

Je ne peux accepter qu'un départ illégal soit nécessairement un acte politique. En l'instance, le départ était d'abord lié à des impératifs économiques. Il n'y a aucun lien entre les craintes du demandeur et la définition d'un réfugié au sens de la Convention.

[4]                L'avocat du demandeur soutient qu'en rédigeant ses motifs, la SSR a écarté une partie de la preuve ainsi qu'une des questions que le président de la SSR avait lui-même soulignée au début de l'audience. À la première page de la transcription de l'audience devant la SSR[2], on trouve que le président aurait déclaré ceci :

[traduction]

Les questions que nous devrons traiter lors de cette audience sont les suivantes : ... la revendication sur place.

Avant le début de l'audience, l'avocat du demandeur avait écrit à la SSR pour souligner la question sur place, dans les termes suivants :

[traduction]

... « sur place » étant donné que le demandeur a fait l'objet d'un reportage à B.C.T.V., au cours duquel on a faussement allégué qu'il était le capitaine du navire et qu'il aurait été le propriétaire du navire qui avait amené les revendicateurs du statut de réfugié au Canada[3].


Comme il est noté dans cette citation, le demandeur et son avocat ont soutenu que le demandeur n'était ni le capitaine ni le propriétaire du navire qui l'avait amené avec plusieurs autres personnes sur les côtes de la Colombie-Britannique. Toutefois, il ne semble pas être contesté qu'étant donné l'expertise particulière du demandeur, il avait agi en tant que navigateur sur le navire et avait, en contrepartie, obtenu son passage jusqu'au Canada gratuitement.

[5]                L'avocat du demandeur a soutenu devant la SSR que, dans un tel contexte, s'il rentrait en Chine, les autorités chinoises ne le traiteraient pas seulement comme une personne ayant quitté illégalement, mais bien comme un des responsables du trafic ou, au mieux, comme un complice. En conséquence, l'avocat soutient que le traitement qui serait infligé au demandeur serait fort différent de celui qui est infligé aux Chinois qui en sont à leur première tentative pour quitter la Chine illégalement, ce qui constituerait de la persécution en vertu d'un motif prévu à la Convention.

[6]                L'agent chargé de la revendication qui a participé à l'audition de la revendication du demandeur devant la SSR a fait le commentaire suivant dans ses allégations[4] :

[traduction]

On présente aussi une revendication sur place du fait que le demandeur a été présenté lors d'une émission locale de télévision, dans laquelle on déclare à tort qu'il était le capitaine ou le propriétaire du navire ayant servi au trafic. Il est de commune renommée que les personnes identifiées par les autorités chinoises comme étant les organisateurs des opérations de trafic des humains peuvent faire l'objet de poursuites criminelles et qu'on les traite probablement beaucoup plus durement que les personnes n'ayant fait que quitter le pays illégalement. Toutefois, encore une fois il faut noter qu'il s'agit ici d'une poursuite et non de persécution, savoir une poursuite au criminel.


Le demandeur reconnaît dans les notes préparées à son arrivée qu'il a été transporté gratuitement sur le navire des trafiquants et il l'a admis à nouveau aujourd'hui dans son témoignage. Il a été transporté gratuitement puisqu'il a servi de navigateur sur le navire. Il est clair que le demandeur n'était pas un simple passager [personne ayant quitté illégalement]. En fait, d'une certaine façon il était complice des trafiquants. Il a joué un rôle actif en contrepartie d'une prestation économique, savoir le passage gratuit. Bien qu'il n'ait pas été un « snakehead » , c'est avec son aide qu'on a pu procéder à l'opération et il est probable qu'on peut s'attendre à ce que le gouvernement chinois le traite plus durement qu'une personne qui aurait simplement quitté le pays illégalement.

[7]                Bien que la SSR ait examiné assez longuement le traitement que les autorités chinoises infligent aux personnes qui quittent la Chine illégalement pour la première fois et qui y sont renvoyées, elle n'a en aucune façon tenu compte des déclarations de l'avocat du demandeur portant que ce dernier ne serait pas perçu par les autorités chinoises comme une personne quittant illégalement le pays pour la première fois, mais bien comme un trafiquant ou un complice, ce que l'agent chargé de la revendication reconnaît être une possibilité.

[8]                Je suis convaincu qu'en reconnaissant qu'il s'agissait là d'une question dont elle était saisie, pour ensuite ne pas en tenir compte du tout dans ses motifs, la SSR a commis une erreur ouvrant droit au contrôle.

[9]                Je suis convaincu que les arguments présentés au nom du demandeur ont un fondement et que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[10]            Dans l'arrêt Gao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5], le juge Hugessen déclare ceci :

...La Section du statut ne s'est pas adressée au principal motif allégué par l'appelante au soutien de sa revendication, soit qu'elle avait participé dans des activités dites « bourgeoises » pour lesquelles elle serait punie advenant son retour en Chine. Cela étant, l'appel doit être accueilli et l'affaire renvoyée pour nouvelle audition[6].

[11]            Bien que les éléments de la revendication sur place, qui viennent s'ajouter au fait que le demandeur a aidé les trafiquants en contrepartie d'une prestation économique ne sont peut-être pas le « principal motif allégué » au nom du demandeur, il s'agit certainement d'un motif important que la SSR n'a pas du tout traité.

[12]            Au vu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire que j'aborde les autres questions soulevées au nom du demandeur. Il y en avait plusieurs, mais aucune ne me semble concluante.

[13]            Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR en l'instance est annulée et la revendication de statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour réexamen et nouvelle décision par un tribunal différent.

[14]            L'avocat du défendeur a demandé que je certifie la question suivante :

[traduction]

La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur ouvrant droit au contrôle en concluant qu'un revendicateur du statut de réfugié n'a pas une crainte fondée de persécution par suite du fait qu'elle n'a pas fait mention dans ses motifs de la revendication sur place?


L'avocat du demandeur soutient que la question telle que rédigée ne doit pas être certifiée étant donné qu'en l'instance, les faits démontrent que la SSR non seulement n'a pas fait état dans ses motifs de la revendication sur place du demandeur, mais qu'elle n'a absolument pas fait mention de la preuve liée à cette revendication. De plus, l'avocat du demandeur soutient que cette question doit être tranchée au vu de ses faits précis. Finalement, l'avocat soutient qu'il est bien reconnu en droit que la SSR doit, en traitant d'une revendication qui lui est soumise, tenir compte de toute la preuve. Comme elle ne l'a pas fait, la question est réglée.

[15]            Je partage l'avis de l'avocat du demandeur. Je suis convaincu que cette question porte sur des faits précis et qu'elle ne soulève aucune question grave de portée générale qu'on n'aurait pas déjà traitée sur des faits semblables. En conséquence, aucune question n'est certifiée.

       FREDERICK E. GIBSON        

J.C.F.C.                         

Ottawa (Ontario)

Le 29 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              IMM-1507-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :               XIANG CHUN LIANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 24 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                   29 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU

M. DEAN D. PIETRANTONIO                                              POUR LE DEMANDEUR

M. MARK SHEARDOWN                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. DEAN D. PIETRANTONIO                                              POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

M. MORRIS ROSENBERG                                                    POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


Date : 20001129

Dossier : IMM-1507-00

Ottawa (Ontario), le mercredi 29 novembre 2000

EN PRÉSENCE DE :            M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                   XIANG CHUN LIANG          

demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en l'instance est annulée et la revendication de statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour réexamen et nouvelle décision par un tribunal différent.

Aucune question n'est certifiée.

       FREDERICK E. GIBSON        

J.C.F.C.                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Dossier du tribunal, page 16, lignes 33 à 35.

[3]         Dossier du demandeur, page 32.

[4]         Dossier du tribunal, pages 47 et 48.

[5]         [1993] J.C.F. no 1052 (C.A.).

[6]         Voir aussi les décisions suivantes, qui vont dans le même sens : Mahanandan et autres c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] J.C.F. no 1228 (C.F. 1re Inst.) et Asubonteng c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] J.C.F. no 1126 (C.F. 1re Inst.).

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