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     Date : 20000811

     Dossier : T-398-00


Ottawa (Ontario), le 11 août 2000

En présence de Madame le juge Dawson


Entre

     BARRY McCABE

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


Le juge DAWSON


[1]      Il y a en l'espèce requête du défendeur, avec demande d'autorisation de dépôt à bref préavis, en annulation ou modification de l'ordonnance rendue ex parte par le juge Rouleau et portant que l'ensemble des pièces certifiées transmises au greffe par la Commission nationale des libérations conditionnelles et certains éléments du dossier du demandeur, doivent être tenus confidentiels conformément à la règle 151(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles).

[2]      Il y a lieu de noter que l'ordonnance susmentionnée indique expressément qu'elle s'applique « jusqu'à nouvelle ordonnance contraire obtenue par l'une des parties » . Elle a été rendue ex parte pour préserver la confidentialité des documents en question, tout en prévoyant expressément que de nouvelles requêtes pourraient être introduites par les parties.

[3]      Le demandeur consent au dépôt à bref préavis, mais s'oppose à la requête du défendeur. À titre subsidiaire, il demande que l'ordonnance susmentionnée soit modifiée de façon à préserver la confidentialité de la transcription de l'audience de la Commission nationale des libérations conditionnelles, d'une expertise psychiatrique et de certains rapports psychologiques. Ces documents sont actuellement tous visés par cette ordonnance.

[4]      Les documents en question, transmis par trois lettres distinctes de la Commission nationale des libérations conditionnelles, se trouvent en la possession du greffe depuis les 20, 27 et 28 avril 2000 ou à peu près. L'ordonnance en cause a été rendue le 10 juillet 2000, à la suite d'un avis de requête déposé le 7 juillet 2000.

[5]      Avant la transmission de ces pièces au greffe, certains renseignements en ont été occultés par la Commission nationale des libérations conditionnelles en application du paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada. L'attestation déposée auprès de la Cour en application de cette dernière disposition indique que la Commission s'oppose à la production de documents qui révèlent ou identifient, ou tendent à révéler ou à identifier, des victimes ou des témoins. Cette objection a été faite pour des raisons d'intérêt public. Selon l'attestation, l'intérêt public en jeu consiste en la crainte que la divulgation des renseignements en question ne compromette la sécurité de victimes et de témoins; qu'à l'avenir, les témoins et autres sources d'information répugnent à se manifester si la confidentialité n'était pas garantie; et que les dispositions légales qui assurent la protection des témoins et des victimes (l'article 141 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition) ne perdent de leur efficacité si la Commission nationale des libérations conditionnelles était tenue de produire ces renseignements.

[6]      La requête en instance doit être saisie dans le contexte du principe général de la publicité de la justice dans ce pays. Ce principe a été étendu aux documents déposés auprès de la Cour. Les cas de dérogation au principe de publicité sont étroitement circonscrits.

[7]      Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fazalbhoy (T-2589-97, 13 janvier 1999 (C.F. 1re inst.)), mon collègue le juge Gibson s'est prononcé en ces termes :

     [11]      Pour justifier une dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires, et je suis convaincu que ce principe s'étend à la publicité et à l'accessibilité des dossiers de la Cour, la Règle 151(2) exige que la Cour soit convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels en question comme confidentiels. Le passage tiré de l'arrêt Pacific Press, précité, indique clairement que la partie qui demande la confidentialité, c'est-à-dire l'intimé en l'espèce, a un lourd fardeau à assumer.

[8]      Le désir légitime de tout un chacun de garder privées ses affaires ne constitue pas en droit un motif suffisant pour solliciter une ordonnance de confidentialité. La Cour n'ordonne la mesure de protection prévue à la règle 151 que si elle est convaincue que la partie requérante satisfait au double critère subjectif et objectif à observer en la matière; cf. AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (A-289-98, A-315-98, A-316-98, 11 mai 1999, C.A.F.) confirmant la décision rapportée dans (1998), 81 C.P.R. (3d) 121. Sur le plan subjectif, la partie requérante doit prouver qu'elle est convaincue que la divulgation nuirait à ses intérêts. Objectivement, elle doit prouver, selon la norme de la probabilité la plus forte, que les renseignements en question sont en fait confidentiels.

[9]      En l'espèce, j'ai autorisé le dépôt d'un affidavit dans lequel le demandeur articule son objection à la divulgation des documents en question, parce qu'à mon avis, il s'agit d'une requête en modification de l'ordonnance, qui prévoyait expressément la possibilité de modification. Je dois cependant noter qu'aucun affidavit n'avait été déposé à l'appui de la requête initiale.

[10]      L'affidavit du demandeur ne portait que sur certains rapports psychologiques et sur l'expertise psychiatrique. Il n'y était question ni de la transcription de l'audience de la Commission nationale des libérations conditionnelles ni du dossier de la demande. En ce qui concerne l'expertise psychiatrique et les rapports psychologiques, le demandeur a affirmé sous serment que leur divulgation attenterait profondément à sa vie privée en ce qu'il « n'y aurait grand-chose de mon enfance, de mon éducation et de mes relations les plus intimes qui ne serait pas du domaine public » . Aussi que les révélations contenues dans ces rapports avaient été faites par lui-même en vue de sa propre réadaptation; et qu'il n'avait jamais l'intention de les rendre accessibles au public. L'idée que les documents en question puissent être rendus publics le « dérange profondément » car, dit-il, « elle rendrait plus difficile [sa] réinsertion sociale » du fait que non seulement il aurait à « assumer publiquement [ses] antécédents criminels » , mais encore qu'il aurait à « confronter un public qui connaît et qui peut se méprendre sur la signification de ce [qu'il a] connu, en dehors de [ses] transgressions » .

[11]      En ce qui concerne le double critère subjectif et objectif susmentionné, la Cour n'a été saisie que de la preuve du motif subjectif d'objection à la divulgation de l'expertise psychiatrique et des rapports psychologiques. Aucune preuve n'a été produite quant à la conviction du demandeur que la divulgation des autres pièces visées par l'ordonnance serait contraire à ses intérêts. Rien ne justifie donc le maintien de l'ordonnance de confidentialité, qui porte sur des documents dont le demandeur ne fait pas état dans son affidavit.

[12]      En ce qui concerne les rapports psychologiques et l'expertise psychiatrique, cette dernière renferme des renseignements très détaillés sur le demandeur. En effet, c'est le contenu de cette expertise que l'avocat du demandeur a expressément relevé dans son argumentation de vive voix contre la requête du défendeur.

[13]      Cependant, le rapport d'expertise psychiatrique renferme la mention suivante :

     [TRADUCTION]

     J'ai expliqué à M. McCabe le but et la nature de l'expertise, l'utilisation des instruments d'évaluation actuarielle du risque, les limites de confidentialité, et la diffusion probable du rapport. Il a dit qu'il comprenait et l'expertise a eu lieu avec son consentement.

[14]      Vu cette déclaration, je conclus que le critère objectif, qui requiert la preuve, selon la probabilité la plus forte, que les renseignements en cause sont en fait confidentiels, n'est pas établi en ce qui concerne l'expertise psychiatrique. En conséquence, rien ne justifie le maintien de l'ordonnance de confidentialité pour ce qui est de cette dernière.

[15]      Quant au restant des documents, savoir les rapports psychologiques, ce qui inquiète le demandeur, ainsi qu'il affirme sous serment dans son affidavit, ce sont les révélations sur son enfance, sur son éducation et sur ses relations intimes. Ces détails figurent tous dans l'expertise psychiatrique, laquelle, comme j'ai noté, n'a eu lieu qu'après que le demandeur eut été expressément informé de la diffusion probable du rapport. Les rapports psychologiques répètent le gros des renseignements contenus dans le rapport d'expertise psychiatrique, ainsi que des renseignements dont le demandeur ne faisait pas état dans son affidavit. En conséquence, vu le contenu des rapports psychologiques, je conclus que le demandeur ne s'est pas acquitté de la charge rigoureuse de prouver la nécessité d'en maintenir la confidentialité.

[16]      Je note aussi le long intervalle de temps qui séparait le dépôt des pièces confidentielles auprès du greffe et l'introduction de la requête initiale du demandeur. Ce délai jette un certain doute sur le souci de confidentialité de ce dernier.

[17]      Le demandeur soutient qu'il est conforme à l'intérêt général de maintenir l'ordonnance de confidentialité, de façon que les détenus soient encouragés à s'en ouvrir totalement à leurs thérapeutes. En l'espèce cependant, la Commission nationale des libérations conditionnelles refusait de divulguer certains renseignements pour cause d'intérêt public. La Cour n'étendrait pas les soucis d'intérêt général au-delà de ceux que fait valoir cette dernière.

[18]      Le demandeur invoque la décision du protonotaire Morneau dans Teale c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 2018 (C.F. 1re inst.), qui n'a rien de commun avec l'affaire en instance : la Cour y protégeait certains renseignements personnels concernant des « tiers innocents » . Bien qu'une ordonnance subséquente ait reconnu le droit de la demanderesse à la protection de sa vie privée, la nouvelle ordonnance ne présente non plus aucun rapport puisque dans l'affaire citée, la demanderesse s'était désistée de son recours en contrôle judiciaire. En l'espèce, le demandeur poursuit toujours son recours.

[19]      Par ces motifs, la Cour fera droit à la requête en annulation du défendeur.

     ORDONNANCE

[20]      La Cour autorise le défendeur à introduire la requête en instance sur bref préavis.

[21]      La Cour annule l'ordonnance en date du 10 juillet 2000 du juge Rouleau.

[22]      Les dépens de la requête en instance suivront le sort du principal.

     « Eleanor R. Dawson »

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-398-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Barry McCabe c. Procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)


DATE DE L'AUDIENCE :          24 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MME LE JUGE DAWSON


LE :                      11 août 2000



ONT COMPARU :


M. Garth Barriere                  pour le demandeur

Mme Valerie Anderson              pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Garth Barriere                  pour le demandeur

Avocat

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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