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Date : 20020128

Dossier : T-867-96

Référence neutre : 2002 CFPI 96

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 JANVIER 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                        QUADCO EQUIPMENT INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                                                TIMBERJACK INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         La Cour statue sur une action en contrefaçon de brevet introduite par Quadco Equipment Inc. (la demanderesse) contre Timberjack Inc. (la défenderesse). La demanderesse allègue que, depuis le 13 juillet 1995, la défenderesse fabrique ou fait fabriquer pour elle-même, utilise, distribue, vend, lance, commercialise et annonce au Canada une tête d'abattage dotée d'un bras collecteur qui incorpore l'invention décrite dans les revendications des lettres de brevet canadiennes 1103130 (le brevet 130) détenu par la demanderesse. En particulier, la demanderesse affirme que la défenderesse a porté atteinte à ses droits exclusifs en fabriquant, utilisant et vendant au Canada une tête d'abattage munie d'un bras collecteur comportant les caractéristiques exposées dans les revendications 1, 4 et 7 du brevet 130.

[2]         Les têtes d'abattage sont des accessoires que l'on peut placer à l'avant d'une machine, comme un chasse-neige, ou à l'extrémité d'une flèche, comme une pelle rétrocaveuse.

[3]         La défenderesse allègue que sa tête d'abattage n'incorpore pas la présumée invention décrite dans les revendications du brevet, et qu'en conséquence, la défenderesse n'a porté atteinte à aucun droit exclusif valide que possède la demanderesse en vertu du brevet 130.

[4]         La défenderesse conteste également la validité du brevet 130 en invoquant l'évidence, la portée trop vaste et l'absence de nouveauté et d'utilité.

CONTEXTE

[5]         La demanderesse exploite une entreprise dans le cadre de laquelle elle élabore, conçoit, fabrique et vend des produits forestiers et en particulier de l'équipement d'abattage d'arbres.

[6]         La défenderesse exploite pour sa part une entreprise de fabrication et de vente de produits et d'équipements forestiers.


[7]         Le brevet 130 a été délivré le 16 juin 1981 à Logging Development Corporation pour une période de dix-sept ans. Ce brevet lui conférait le droit exclusif de fabriquer, produire, utiliser et vendre à des tiers au Canada une tête d'abattage dotée d'un bras collecteur incorporant l'invention décrite dans les revendications 1 à 7 du brevet.

[8]         Le brevet a été cédé à Quadco le 13 juillet 1995 et la cession a été dûment enregistrée le 12 octobre 1995 au Bureau des brevets sous le numéro 1429002. Le brevet a expiré le 6 juin 1998. La demanderesse réclame des dommages-intérêts relativement aux dispositifs vendus par la défenderesse entre la date où la demanderesse a acquis le brevet pour la première fois et la date d'expiration du brevet.

[9]         Il n'y a que trois revendications en litige : les revendications 1, 4 et 7. En voici le texte :

[10]       Revendication 1 : Un bras collecteur amélioré fixé à un dispositif servant à ramasser et à tenir plusieurs arbres, ledit bras collecteur amélioré comprenant un premier bras monté sur le cadre du dispositif de manière à pivoter suivant un certain arc autour d'un premier axe, un doigt mobile monté sur le bout libre du bras, un vérin hydraulique dont une des extrémités est reliée au cadre et l'autre extrémité à une chape qui pivote librement autour du premier axe, et un organe de liaison pivotant relié par ses extrémités opposées à ladite chape et audit doigt.


[11]       Revendication 4 : Un dispositif pour couper les arbres sur lequel est fixé un bras collecteur amélioré servant à ramasser les arbres à mesure qu'ils sont coupés et constitués d'un cadre, d'un dispositif pour couper les arbres montés sur ledit cadre et ayant une première mâchoire capable de s'ouvrir et de se refermer par rapport à un premier endroit, et servant respectivement à couper et à recevoir le tronc d'un arbre debout; un dispositif servant à supporter le gros bout des arbres coupés en un deuxième endroit latéralement décalé par rapport audit premier endroit et qui comprend un plateau fixé en saillie audit cadre; un premier bras pivotant monté sur ledit cadre de manière à pivoter autour d'un premier axe de manière à décrire un arc traversant ledit premier endroit et au moins une partie dudit deuxième endroit, servant à déplacer les arbres dudit premier endroit audit deuxième endroit une fois lesdits arbres coupés; et un bras collecteur comprenant un deuxième bras pivotant monté sur ledit cadre de manière à pivoter autour d'un deuxième axe; un doigt pivotant monté sur l'extrémité libre dudit deuxième bras de manière à décrire un arc traversant une grande partie du deuxième endroit et incluant la partie traversée par ledit premier bras pivotant; un vérin hydraulique dont une des extrémités est relié au cadre et l'autre extrémité à une chape qui pivote librement autour dudit deuxième axe, et un organe de liaison pivotant relié par ses extrémités opposées à ladite chape et audit doigt.

[12]       Revendication 7 : Un dispositif semblable à celui des revendications 4, 5 et 6 où lesdits premier et deuxième axes de pivotement sont parallèles et espacés l'un par rapport à l'autre.


[13]       La revendication 1 porte sur un « bras collecteur » servant à récolter les arbres dans un dispositif capable de ramasser et de retenir les arbres de la manière illustrée à l'annexe A. La revendication 4 vise le bras collecteur de la revendication 1 fixé à un dispositif pour couper les arbres et comportant plusieurs éléments. La revendication 7 est tributaire des revendications 4, 5 et 6. Comme les revendications 5 et 6 sont toutes deux subordonnées à la revendication 7, cette dernière n'est contrefaite que si la revendication 4 est contrefaite. Pour les besoins de la cause, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres limites qui apparaissent aux revendications 5 et 6. La revendication 7 ajoute (aux revendications 4, 5 et 6) une autre limite du fait que le bras pivotant et le bras collecteur pivotent autour de deux axes parallèles et espacés l'un par rapport à l'autre.

[14]       La défenderesse a admis avoir fabriqué et vendu une tête d'abattage dotée d'un bras collecteur semblable à l'illustration de l'appendice B.

QUESTIONS EN LITIGE

            Quelle interprétation convient-il de donner aux revendications du brevet 130? La défenderesse a-t-elle contrefait le brevet 130?

            Dans l'affirmative, le brevet 130 est-il valide?


ANALYSE

            INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

            A)        Principes

[15]       Avant de décider si le dispositif Timberjack contrefait le brevet 130, il faut interpréter les revendications de ce brevet. La Cour suprême du Canada a déclaré que l'interprétation des revendications doit se faire de façon éclairée et en fonction de l'objet (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067).


[16]       La méthode d'interprétation téléologique a été élaborée en Angleterre dans l'affaire Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (C.L.). Dans cet arrêt, lord Diplock a expliqué ce qu'il faut entendre par interprétation téléologique et il a formulé de la façon suivante la question qui se pose dans chaque cas : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l'invention est destinée à servir comprendraient-elles que le breveté voulait que l'interprétation stricte d'une expression ou d'un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l'invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s'il se peut qu'elle n'ait aucun effet important sur la façon dont l'invention fonctionne. Cette méthode a été retenue dans l'arrêt O'Hara Manufacturing Ltd. c. Eli Lilly and Company, (1989), 26 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.) et elle a été réaffirmée dans les arrêts Free World Trust, précité, et Whirlpool Corp., précité.

[17]       L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par le tribunal, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention (Whirlpool Corp., précité, paragraphe 45).

[18]       Les mots qu'un inventeur emploie pour décrire les revendications de son brevet sont souvent comparés à une clôture qui délimiterait clairement les champs faisant l'objet du monopole. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de départager l'essentiel et le non-essentiel (Whirlpool Corp., précité, paragraphe 15).


[19]       En l'espèce, les revendications doivent être interprétées en fonction des témoignages d'experts entendus en première instance concernant le sens des termes utilisés et en fonction de la compréhension que pouvait en avoir à la date du brevet un travailleur moyen versé dans l'art des têtes d'abattage munies d'un bras collecteur et ayant les connaissances usuelles des personnes travaillant dans ce domaine (Free World Trust, précité, au paragraphe 20). Ce travailleur moyen est défini plus à fond dans l'arrêt Whirlpool Corp., précité, au paragraphe 53, comme étant une personne suffisamment versée dans l'art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l'invention (H.G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd., Toronto, Carswell,1969), à la pag 185).

[20]       Dans l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 31, le juge Binnie a formulé les propositions suivantes qui résument sa méthode d'interprétation des revendications :

a)    La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b)    Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité.

c)    La teneur d'une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet.

d)    Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme « l'esprit de l'invention » pour en accroître l'étendue.

e)    Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

(i)    en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

(ii)    à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii)    selon qu'il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l'emploi d'une variante d'un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l'invention, ou

(iv)    conformément à l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu'un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v)    mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur.

f)    Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.


[21]       En raison des graves répercussions financières que la contrefaçon d'un brevet est susceptible d'avoir, il importe que les revendications soient libellées dans les termes les plus clairs possibles, de façon que les citoyens sachent quelles avenues leur demeurent ouvertes (Free World Trust, précité, aux paragraphes 41 et 42). On y parvient en s'en tenant au libellé des revendications, ce qui favorise l'équité et la prévisibilité. Le juge Binnie explique ce qui suit :

Le breveté, les concurrents, les contrefacteurs éventuels et le public en général ont donc droit à des règles claires et précises définissant l'étendue du monopole accordé. Il s'ensuit que les éléments subjectifs ou discrétionnaires d'interprétation des revendications (p. ex. la recherche de l'insaisissable « esprit de l'invention » ) doivent être tenus au minimum compatible avec l'octroi à l'inventeur de [traduction] « l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi » (Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574). La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l'équité résulte de l'interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l'objet. (Freeworld Trust, précité, au paragraphe 43).

[22]       En procédant de cette façon, ce sont les revendications écrites qui précisent la portée du monopole, mais on obtient la souplesse et l'équité en différenciant les caractéristiques essentielles ( « l'essence » ) de celles qui ne sont pas essentielles, au moyen d'une lecture éclairée de l'ensemble du mémoire descriptif par la personne versée dans l'art à qui il s'adresse (Whirlpool Corp., précité, au paragraphe 48).


[23]       L'interprétation des revendications avec le concours d'une personne versée dans l'art donne au breveté l'assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d'un expert concernant leur sens technique (Free World Trust, précité, au paragraphe 52). Il n'en demeure pas moins que le tribunal ne saurait conclure que la stricte conformité avec un mot ou une expression utilisés dans une revendication ne constitue pas une exigence essentielle de l'invention, sauf si de toute évidence, l'inventeur savait que le fait de ne pas s'y conformer n'aurait aucun effet important sur le fonctionnement de celle-ci. Le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les récrire. Lorsqu'un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu'il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu'il se trompait (O'Hara Manufacturing, précité, à la page 7).

[24]       Dans l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 51, le juge Binnie a ajouté que le public doit pouvoir s'en remettre aux termes employés à condition qu'ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. L'inventeur qui s'exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s'en prendre qu'à lui-même :

Les mots choisis par l'inventeur seront interprétés selon le sens que l'inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d'une manière qui est favorable à l'accomplissement de l'objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l'inventeur qui s'exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Le public doit pouvoir s'en remettre aux termes employés à condition qu'ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.


[25]       On peut remplacer les éléments non essentiels d'une revendication sans porter atteinte à la revendication. Il s'ensuit qu'il y a contrefaçon lorsque certaines modifications ont été apportées à une invention mais que ses éléments essentiels demeurent. Le juge Binnie explique que c'est ce qui se produit lorsqu'un élément n'était de toute évidence pas censé être essentiel ou lorsqu'un destinataire versé dans l'art aurait constaté qu'un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l'invention :

Pour qu'un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l'inventeur n'a manifestement pas voulu qu'il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l'art aurait constaté qu'un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l'invention, c.-à-d. que, si le travailleur versé dans l'art avait alors été informé de l'élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu'on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière » , sa réponse aurait été affirmative: Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu'il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat

[26]       Le juge Binnie cite également le juge Hoffmann qui, dans la décision Improver Corp. c. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181, à la page 182, a tenté de ramener l'essentiel de l'analyse proposée dans l'arrêt Catnic à une série de questions concises :

[TRADUCTION]

(i) La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative : -

(ii) Le fait que la variante n'influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l'invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l'affirmative : -

(iii) L'expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu'une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.


[27]       Pour discerner l'intention de l'inventeur en ce qui concerne un mot ou une expression de la revendication, on peut se reporter à l'ensemble du mémoire descriptif, y compris le dessin, sans toutefois élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle était écrite et, par conséquent, interprétée (Whirlpool Corp., précité, au paragraphe 52).

[28]       Il incombe au breveté d'établir une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, l'expression ou le mot descriptifs figurant dans la revendication doivent être considérés comme essentiels, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire (Free World Trust, précité, au paragraphe 57).

            B)        Les témoignages des experts

                        i)          Les témoins


[29]       La demanderesse a fait appel à l'expertise de M. François Huard, un ingénieur membre de l'Ordre des ingénieurs du Québec et de l'Ordre des ingénieurs de l'Ontario. Il a terminé des études de premier cycle en génie en 1975. M. Huard possède une expérience pratique dans le domaine des opérations forestières et de la fabrication d'équipements forestiers. Il a notamment été à la tête du Service de la recherche et du développement et du Service de génie chez Tanguay Industries Ltd., une compagnie qui fabrique de l'équipement forestier comme des abatteuses-empileuses. M. Huard possède également de l'expérience en maintien et en protection de brevets existants et en évaluation d'innovations en vue de déterminer s'il y a lieu de faire des recherches sur les brevets existants dans le domaine et de se renseigner auprès des concurrents pour déterminer s'il y a contrefaçon de brevet. Depuis 1998, M. Huard est copropriétaire de Pan-O-Starr, une entreprise où ses fonctions consistent notamment en la conception et l'élaboration de devis techniques, ainsi que le financement et la construction d'une usine de transformation du bois entièrement nouvelle. Finalement, M. Huard est également conseiller interne auprès du groupe-conseil Roche Ltée depuis octobre 2000, où son rôle consiste à entreprendre des études de pré-faisabilité et de faisabilité et à concevoir des plans d'entreprise et de gestion de projets pour la construction d'usines de fabrication de matériel mobile et stationnaire pour la division de la foresterie et de la transformation du bois de la compagnie.

[30]       Les experts qui ont déposé pour la défenderesse étaient MM. John McPhee, Al Wildey et Maurice Micacchi.


[31]       M. McPhee est professeur agrégé en génie d'étude de systèmes à l'université de Waterloo. Il fait également l'objet d'une nomination conjointe à la faculté de génie mécanique de la même université. En 1990, il a obtenu un doctorat en génie mécanique. Ses activités de recherche actuelles sont axées sur la cinématique et la dynamique des systèmes mécaniques, appliquées à la mécanique, à la robotique et aux véhicules. M. McPhee a obtenu quelques récompenses pour ses travaux et il est l'auteur et le coauteur de plusieurs articles concernant la cinématique et la dynamique des mécanismes. Il est membre de plusieurs associations professionnelles et il recense aussi pour plusieurs revues spécialisées des articles concernant les théories des mécanismes et des machines. M. McPhee a travaillé comme ingénieur-conseil pour l'Agence spatiale canadienne, F.A.G. Bearings, Diemaco Inc. et Techform Products Limited. Finalement, en 1996, il a entrepris une analyse dynamique et une analyse statique et une étude d'optimisation portant sur une abatteuse-empileuse pour Timberjack Inc.

[32]       M. Wildey est un ingénieur qui travaille dans l'industrie de l'exploitation des arbres depuis 1963. Il s'est chargé de la conception de diverses machines servant à l'exploitation forestière et il est l'inventeur désigné de 15 brevets canadiens, de 13 brevets aux États-Unis et de deux brevets canadiens en instance qui se rapportent tous à l'industrie de l'exploitation forestière. M. Wildey est présentement directeur des projets spéciaux chez Timberjack Inc.

[33]       M. Micacchi est ingénieur. Il travaille dans le domaine de la conception de matériel d'exploitation forestière depuis une douzaine d'années, dont six ont été consacrées à la conception de têtes d'abattage comme celles qui sont en litige dans la présente instance. M. Micacchi travaille présentement pour Timberjack Inc. comme directeur de la recherche et de la conception de sa division de l'exploitation forestière. Il supervise une équipe d'ingénieurs chargés de concevoir du matériel d'exploitation des arbres. Il y a lieu de signaler que M. Micacchi est l'un des principaux concepteurs du bras collecteur qui, selon la demanderesse, contrefait le brevet 130.


ii)          La preuve

Le témoignage de M. Huard

Revendication 1

[34]       Au nom du demandeur, M. Huard a décrit les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 130 comme suit :

a) Un bras collecteur monté sur le cadre de l'appareil qui pivote selon un certain arc autour d'un premier axe et d'une chape fixée à la structure du collecteur;

b) Un doigt fixé par une tige sur le bout libre du bras collecteur;

c) Un vérin hydraulique dont une des extrémités est reliée au montant du cadre et l'autre extrémité à une chape qui pivote librement autour dudit premier axe de la structure du collecteur;

d) Un organe de liaison dont les extrémités opposées sont respectivement reliées par des tiges (535 et 536) à la chape et au doigt de la structure du collecteur.

[35]       D'après M. Huard, la revendication 1 du brevet 130 décrit les éléments essentiels sur lesquels repose le principe de fonctionnement sur deux axes de la structure du collecteur, nommément :

a) un premier axe se trouvant dans l'espace occupé par un mécanisme constitué d'une tige (502) et d'une chape (532), qui comprend deux tiges;


b) un deuxième axe se trouvant dans l'espace occupé par un mécanisme constitué d'une tige (505) et d'un organe de liaison (533), qui comprend une tige (536).

[36]       M. Huard a affirmé qu'aucune des revendications du brevet 130 ne stipule que la chape doit pivoter sur le même axe autour de la tige (502), c.-à-d. dans l'espace occupé par le premier axe de la structure du collecteur; il est plutôt clairement établi dans la revendication 1 que la chape (532) pivote librement autour du premier axe de la structure du collecteur.

[37]       En ce qui concerne l'avis de M. McPhee, qui soutient que le vérin hydraulique n'est pas un élément essentiel de la revendication 1, M. Huard répond que l'inventeur a éprouvé le besoin d'utiliser un vérin hydraulique pour actionner le bras collecteur parce qu'aucun autre organe de manoeuvre connu ne pourrait être aussi efficace.

[38]       M. Huard a expliqué que le dispositif collecteur à tête d'abattage du défendeur possédait les caractéristiques suivantes :

a) Un bras collecteur monté sur le cadre de l'appareil qui pivote autour d'un premier axe de la structure du collecteur;

b) Un doigt monté sur le bout libre du bras collecteur et articulé sur une tige;

c) Un vérin hydraulique dont une des extrémités est reliée au montant du cadre et l'autre à une chape identifiée par le demandeur comme étant une bielle pivotant librement autour dudit premier axe de la structure du collecteur;


d) Un organe de liaison articulé dont les extrémités opposées sont respectivement montées sur les tiges (535 et 536) de ladite bielle et du doigt de la structure du collecteur.

[39]       M. Huard a aussi mentionné dans son témoignage que la tête d'abattage du demandeur invoque le même principe de fonctionnement sur deux axes que la structure du bras collecteur revendiquée par le brevet 130, nommément :

a ) Un premier axe se trouvant dans l'espace occupé par un mécanisme constitué d'une tige (502) et d'une chape (532), qui comprend deux tiges;

b) Un deuxième axe se trouvant dans l'espace occupé par un mécanisme constitué d'une tige (505) et d'un organe de liaison (533), qui comprend une tige (536).

[40]       De l'avis de M. Huard, on ne fait que prolonger le mécanisme du premier axe en y ajoutant une tige supplémentaire. Il a aussi fait remarquer qu'aucune des revendications du brevet 130 ne mentionne que la chape doit pivoter autour de la tige (502), dans le même plan que cette dernière, c.-à-d. dans l'espace occupé par le premier axe de la structure du collecteur; plutôt, la revendication 1 établit clairement que la chape pivote librement autour d'un premier axe de la structure du collecteur.


Le témoignage de M. McPhee

Revendication 1

[41]       Témoignant pour le demandeur, M. McPhee a indiqué que la revendication 1 comportait trois éléments principaux :

1. Un cadre.

2. Un mécanisme constitué de quatre pièces disposées de la façon suivante :

i. Un « premier bras » qui pivote autour d'un axe et qui est fixé au cadre de la tête d'abattage.

ii. Une « chape » qui pivote autour du même axe que le premier bras fixé sur le cadre.

iii. Un « doigt » fixé à l'aide d'une tige sur le bout libre du premier bras.

iv. Un « organe de liaison » dont les deux extrémités sont fixées par l'entremise d'une tige à la chape et au doigt.

3. Un vérin hydraulique qui fournit la puissance de manoeuvre entre le cadre et la chape.

[42]       M. McPhee a souligné que le cadre est essentiel en tant que fondement du mécanisme. Le mécanisme, c.-à d. les quatre composants et la façon dont ils sont raccordés, est aussi un élément essentiel de la revendication 1. Toute variante du nombre de composants ou à la façon dont ils sont reliés modifierait la nature du mécanisme. Il ne considère pas le vérin hydraulique comme un élément essentiel de la revendication 1.


[43]       M. McPhee s'est opposé aux modifications que M. Huard a apportées au libellé de la revendication 1.

[44]       Il a aussi témoigné que le principe de fonctionnement sur deux axes invoqué par M. Huard se fonde sur une définition erronée du mot « axe » . Un axe désigne une ligne, et non un espace.

[45]       M. McPhee a expliqué que, bien que le nombre de composants qui constituent le mécanisme du bras collecteur de l'engin Timberjack soit le même que dans la revendication 1 (quatre), la façon dont ces éléments sont reliés entre eux est différente de ce qui est décrit dans la revendication. Cette différence a un effet matériel sur le fonctionnement du mécanisme et aboutit à un mécanisme matériellement différent de ce qui est revendiqué.

[46]       De l'avis de M. McPhee, la chape de l'engin Timberjack est montée sur le bras mobile, et non sur le cadre, à l'aide d'une tige. À la différence du brevet 130, ce n'est pas seulement la longueur du vérin hydraulique de l'engin Timberjack qui détermine l'arc de rotation de la chape; cette dernière est toujours libre de pivoter par rapport au premier bras mobile. Le mécanisme Timberjack est connu sous le nom de « mécanisme Watt-1 à six barres » , qui est fondamentalement différent d'un mécanisme à quatre barres. Ce mécanisme à six barres comprend un cadre et cinq composants mobiles : l'actionneur hydraulique, la chape, le premier bras, l'organe de liaison et le doigt.


[47]       La complexité supplémentaire du mécanisme Timberjack comparativement à celui du brevet 130 donne aux concepteurs un plus grand nombre d'options dans la recherche de l'efficacité du mécanisme. Elle procure un avantage important sur le mécanisme de la revendication 1 du brevet 130 en donnant au concepteur la possibilité d'utiliser un premier bras plus fort ou plus léger.

[48]       MM. Micacchi et Wildey partagent l'opinion de M. McPhee en ce qui concerne l'interprétation de la revendication.

            iii) Évaluation du témoignage des experts

[49]       L'avocat de la demanderesse, Me Carrière, soutient que le seul témoin expert indépendant qui s'y connaît en équipement forestier comme les « dispositifs d'abattage » est M. Huard. Me Carrière a expliqué que l'arrêt Whirlpool nous enseigne que les revendications d'un brevet doivent être interprétées à travers le regard et les connaissances du travailleur moyen versé dans le domaine dont relève le brevet. Il affirme que M. McPhee est un théoricien qui n'a pas l'expérience pratique dans le domaine que possède M. Huard. Me Carrière conteste également l'expertise de MM. Micacchi et Wildey au motif qu'ils sont des employés de la défenderesse. Ainsi, suivant la demanderesse, M. Huard est le seul travailleur moyen versé dans le domaine.


[50]       Bien que je sois d'accord avec Me Carrière pour dire que, dans l'arrêt Whirlpool, précité, la Cour suprême a insisté sur l'importance de s'en remettre à des personnes versées dans l'art dont relève l'invention, j'estime que la Cour suprême ne traitait que des difficultés que soulèvent la « méthode du dictionnaire » et le recours à des linguistes et à étymologistes en matière d'interprétation du libellé d'une revendication. Je suis incapable de voir dans cet arrêt une invitation à écarter le témoignage d'experts hautement qualifiés dans le domaine au profit du témoignage d'experts moins compétents.

[51]       La qualité des connaissances techniques que possède M. McPhee m'a impressionnée. Non seulement cet expert possède-t-il des titres universitaires exceptionnels, mais encore il a fait état de connaissances spécialisées pratiques pertinentes en ce qui concerne les bras mécaniques. Il a en particulier donné un témoignage fort utile qui a permis à la Cour de comprendre le fonctionnement du « bras collecteur » que l'on trouve à la fois dans le mécanisme visé par le brevet 130 et par le dispositif Timberjack.

[52]       En revanche, les explications données par M. Huard au sujet du « bras collecteur » étaient confuses et contradictoires. L'ajout du mot « dans » à l'alinéa 28a) de son rapport initial n'a fait qu'amplifier sa méprise au sujet de la nature de l' « axe » .


[53]       En ce qui concerne le témoignage d'expert de MM. Micacchi et Wildey, je conclus que l'objection de Me Carrière est mal fondée. Bien que je reconnaisse qu'ils soient des employés de la défenderesse, il n'y a aucun doute qu'ils ont la compétence voulue pour témoigner comme experts. Ils ont tous les deux témoigné avec franchise et d'une manière compétente, et je n'ai décelé aucun parti pris dans le témoignage de l'un ou l'autre.

C) CONCLUSIONS

            Éléments essentiels de la revendication 1

[54]       Comme je l'ai indiqué, je crois que M. McPhee a apporté à la Cour les connaissances usuelles d'une personne travaillant dans le domaine visé par le brevet. En conséquence, je me rallie à son point de vue, à savoir que les éléments de la revendication 1 sont les suivants :

      1. Un cadre.

2. Un mécanisme constitué de quatre pièces disposées de la façon suivante :

i. Un « premier bras » qui pivote autour d'un axe et qui est fixé au cadre de la tête d'abattage.

ii. Une « chape » qui pivote autour du même axe que le premier bras fixé sur le cadre.

iii. Un « doigt » fixé à l'aide d'une tige sur le bout libre du premier bras.

iv. Un « organe de liaison » dont les deux extrémités sont fixées par l'entremise d'une tige à la chape et au doigt.

3. Un vérin hydraulique qui fournit la puissance de manoeuvre entre le cadre et la chape.


[55]       M. McPhee estime que ces éléments, à l'exception du vérin hydraulique, sont essentiels. Pour lui, il existe d'autres options qui pourraient constituer des solutions de rechange aux vérins hydrauliques. Par contre, lors du contre-interrogatoire, M. McPhee a admis que de telles solutions de rechange pourraient s'avérer peu pratiques (transcription de la séance du 28 novembre 2001, aux pages 90-91). Je ne suis donc pas prêt à statuer que le vérin hydraulique n'est pas essentiel. Je souscris à l'avis de M. Carrière selon lequel le vérin hydraulique est un élément essentiel de la revendication 1. En conséquence, tous les éléments susmentionnés sont des éléments essentiels de la revendication 1.

[56]       Je souscris à l'opinion de MM. McPhee, Micacchi et Wildey voulant que, la seule façon d'interpréter correctement la revendication 1, c'est de conclure que la chape et le bras intérieur sont tous les deux fixés par tige au même endroit sur le cadre, c.-à-d. que la chape doit tourner autour du même axe de manière à pouvoir pivoter indépendamment du mouvement du bras intérieur. Pour ce faire, il faut que la chape soit articulée sur une tige dont l'axe coïncide avec le sien. Pendant son interrogatoire, M. McPhee s'est expliqué de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Q      Pouvez-vous nous indiquer quelle partie de la revendication permet de dire que la chape et le bras intérieur doivent pivoter sur le même axe?

R      La phrase où l'on parle d'un « premier bras monté sur le cadre du dispositif de manière à pivoter suivant un certain arc autour d'un premier axe » . On parle ensuite d'une « chape qui pivote librement autour dudit premier axe » .

Il est clair que, dans les deux cas, ledit « premier axe » est le seul et même axe.


Q      Quand on utilise des expressions comme « une chape qui pivote librement autour dudit premier axe » dans la revendication, qu'est-ce qu'on entend exactement par « chape qui pivote autour d'un axe » ?

R      Pour que la chape pivote autour d'un axe, il faut qu'elle puisse tourner autour de cet axe. Pour qu'il en soit ainsi, il faut que la chape soit montée de façon articulée sur une tige dont l'axe coïncide avec le sien.

Q      Pourquoi la chape doit-elle être articulée à cet endroit?

R      Parce que le mouvement impliqué par le pivotement est un mouvement de rotation autour de cet axe. Il s'agit d'un mouvement bidimentionnel sur un plan, et la seule façon de faire pivoter un objet autour d'un axe, c'est de le relier à cet axe par un joint articulé.

(INTERROGATOIRE PRINCIPAL de John McPhee par Me JOHN P. KOCH, le 28 novembre 2001, aux pages 32-33).

[57]       M. Huard affirme que la tête d'abattage du demandeur repose sur le même principe de fonctionnement « sur deux axes » que celui du brevet 130, et que le brevet 130 ne stipule pas que la chape pivote sur le même axe autour de la tige (502).

[58]       À l'appui de l'argument voulant que la revendication ne requiert pas que la tige (502) pivote sur le même axe, M. Huard a rappelé à la Cour que la divulgation du brevet 130 mentionne, entre autres, ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] De préférence, l'emplacement des divers pivots fait en sorte que, lors de la sortie du vérin de manoeuvre (530), le premier bras (501) pivote en premier autour de la tige (502), puis le doigt pivote autour de l'axe d'articulation (505) [...].     [Non souligné dans l'original.]


[59]       D'après M. Huard, l'utilisation de l'expression « de préférence » laisse entendre que les composants du mécanisme doivent être reliés entre eux d'une certaine manière, mais qu'il peut y avoir d'autres versions des points d'articulation.

[60]       Lors de l'audience, M. McPhee a donné une autre interprétation de l'expression « de préférence » :

[TRADUCTION]

R      Je crois que M. Huard fait une mauvaise interprétation de l'expression « de préférence » . Au paragraphe 20, M. Huard dit qu'elle semble indiquer différentes façons de relier les composants entre eux. Je crois que son interprétation de cette phrase de la revendication est erronée. Je dirais que cette expression se rapporte à l'ordre dans lequel le bras se déplace, à savoir que, « de préférence » , le premier bras se ferme en premier et, « de préférence » , le doigt se ferme après la fermeture du premier bras. On arrive à ce résultat en déplaçant les divers points d'articulation, et non en changeant la façon dont le dispositif est assemblé.

(INTERROGATOIRE PRINCIPAL de John McPhee par Me JOHN P. KOCH, le 28 novembre 2001, à la page 39).

[61]       Je suis d'accord avec M. McPhee et je crois que l'expression « de préférence » ne propose pas d'autres façons de disposer le mécanisme. Le libellé de la revendication 1 est clair à ce sujet. De plus, l'explication de M. Huard n'est pas plausible compte tenu de la définition du terme « axe » . Comme M. McPhee l'a expliqué, un axe est une ligne. Je n'accepte pas l'explication de M. Huard voulant qu'un axe désigne un espace et non une ligne.


[62]       L'interprétation voulant que le terme « axe » désigne une ligne a été confirmée par M. Hamilton, l'inventeur, dans une réponse jugée comme étant au mieux des connaissances et croyances du demandeur, Quadco.

[63]       L'avocat de la demanderesse a contesté la pertinence de ces éléments de preuve en faisant valoir que, depuis le prononcé des arrêts Whirlpool, précité, et Free World Trust, précité, l'intention de l'inventeur doit être dégagée du libellé des revendications telles que la personne versée dans l'art en cause les interprète et que cette intention ne peut ressortir d'éléments de preuve extrinsèques tels que les déclarations ou les aveux faits au Bureau des brevets.


[64]       Dans l'arrêt Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd., (1994), 85 F.T.R. 160, au paragraphe 23 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a posé le principe général suivant lequel les éléments de preuve extrinsèques sont inadmissibles aux fins de l'interprétation du mémoire descriptif d'un brevet. La Cour a ajouté que ce principe s'appliquait nécessairement aussi au témoignage de l'inventeur au sujet de l'interprétation appropriée du mémoire descriptif. Les propos de la Cour dans l'arrêt Nekoosa visaient cependant l'admissibilité des témoignages d'experts (et non seulement le témoignage de l'inventeur), une question qui n'avait pas été soumise à la Cour. Qui plus est, la Cour a établi une distinction entre, d'une part, les lumières que fournit l'expert à la Cour pour l'aide à interpréter des termes techniques et, d'autre part, l'opinion personnelle de cet expert sur la question précise que le juge du fond doit trancher. La Cour a souligné que c'est au juge du fond qu'il appartient en dernier ressort d'interpréter le brevet (Nekoosa, aux pages 12 à 14).

[65]       Dans le jugement Pallmann Maschinenfabrik G.m.b.H. Co. KG c. CAE Machinery Ltd., (1995), 98 F.T.R. 125, au paragraphe 54, le juge Teitelbaum a convenu que « [...] la Cour ne peut utiliser d'éléments de preuve extrinsèques pour interpréter les revendications du brevet ou l'intention de l'inventeur [...] » Il a cependant déclaré que « [...] des personnes versées dans l'art peuvent témoigner pour aider la Cour à interpréter le brevet » . Le juge a poursuivi en déclarant que, dans cette affaire, que les déclarations de l'expert consignées sous la rubrique « état antérieur de la technique » étaient admissibles à titre de preuve fournie par une personne versée dans l'art et non pas à titre de déposition de l'inventeur.

[66]       En l'espèce, la demanderesse a fait valoir que, depuis le prononcé des arrêts Free World Trust et Whirlpool, précités, l'intention de l'inventeur ressort du texte des revendications tel que la personne versée dans l'art en cause l'interprète et que cette intention ne saurait se dégager d'éléments de preuve extrinsèques tels que les déclarations ou les aveux faits au Bureau des brevets.

[67]       Je tiens à signaler qu'en l'espèce, la réponse fournie par M. Hamilton a été donnée dans le cadre de la présente instance, à l'étape de l'interrogatoire préalable, et non devant le Bureau des brevets.


[68]       En outre, les propos que le juge Binnie a tenus dans l'arrêt Free World Trust, précité, ont été formulés dans le contexte d'une irrecevabilité résultant du dossier de la demande de brevet (également appelée historique de la demande de brevet ou preuve extrinsèque). Le juge Blais résume bien la théorie de l'irrecevabilité résultant du dossier de la demande de brevet dans le jugement Novartis AG c. Apotex Inc., 2001 FCT 1129, au paragraphe 78, où il déclare ce qui suit :

L'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet, également appelée historique de la demande de brevet ou preuve extrinsèque, est une théorie qui a été élaborée aux États-Unis. Elle se fonde sur le principe qu'on ne peut admettre que l'inventeur fasse des déclarations à l'office des brevets, notamment des modifications de la demande de brevet, pour éviter de se voir refuser le brevet, puis, par la suite, dans le contexte d'une action en contrefaçon, prétendre que le brevet couvre des éléments ou des aspects du sujet qui ont fait l'objet d'un désistement ou d'un abandon dans les discussions avec l'office des brevets.

[69]       À mon avis, lorsque le juge Binnie a déclaré que « des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l'examen de la demande de brevet » n'étaient pas admissibles, il songeait à l'irrecevabilité résultant du dossier de la demande de brevet. En l'espèce, la déclaration de M. Hamilton a été faite au cours de l'interrogatoire au préalable et la demanderesse a accepté d'être liée par sa réponse.

[70]       Toutefois, compte tenu de l'ambiguïté concernant l'admissibilité de la réponse de M. Hamilton, j'accueille l'objection de la demanderesse et ne lui accorde aucune valeur. En tout état de cause, cela ne change pas mon interprétation de la revendication car la réponse de M. Hamilton visait uniquement à confirmer l'avis de MM. McPhee, Micacchi et Wildey.


[71]       Abstraction faite de la déclaration de M. Hamilton, j'accepte que la revendication 1 requiert que la chape et le bras intérieur soient fixés par tige au même endroit sur le cadre. S'il n'en va pas de même pour le dispositif Timberjack, il n'y aura pas de contrefaçon du brevet 130, étant donné que ce montage du mécanisme constitue un élément essentiel du brevet 130.

Le dispositif Timberjack

[72]       Les témoignages de MM. Micacchi, McPhee et Wildey m'ont convaincue que le mécanisme Watt-1 à six barres de Timberjack est différent du mécanisme à quatre barres de Quadco. Au niveau de la conception, la chape du dispositif Timberjack n'est pas fixée sur le cadre par une tige, elle est plutôt fixée sur le premier bras. Elle ne pivote pas non plus autour du même axe que le bras intérieur et elle n'est pas libre de pivoter indépendamment du mouvement du bras intérieur. Cette différence au niveau du montage du mécanisme modifie substantiellement le fonctionnement et la conception du mécanisme Timberjack par rapport au mécanisme revendiqué par le brevet 130. Comme il suffit qu'un seul élément essentiel soit différent pour qu'il n'y ait pas contrefaçon, le dispositif Timberjack ne contrefait donc pas la revendication 1 du brevet 130 puisque la revendication 1, à titre d'élément essentiel, requiert que la chape et le bras intérieur soient fixés par tige au même endroit sur le cadre.


[74]            Vu ma conclusion que le dispositif de la défenderesse ne contrefait pas la revendication 1, il n'est pas nécessaire d'interpréter les revendications 4 et 7, étant donné qu'elles incorporent les éléments de la revendication 1. Il n'est également pas nécessaire de se prononcer sur la validité du brevet 130.

                                           ORDONNANCE

L'action en contrefaçon est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

                                                                    « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                 Annexe A


                                                  Annexe B

FIGURE 10            NOUVEAU BRAS COLLECTEUR (VUE EN PLAN)

Tige de chape

Vérin

Axe d'articulation

du bras intérieur                                                                                                                                                                  Chape

Bras intérieur

Organe de liaison

Bras extérieur                                                                                                                                     


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-867-96

INTITULÉ :                              Quadco Equipment Inc. c. Timberjack Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    26 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :           28 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Jean Carrière                                                               POUR LA DEMANDERESSE

et Richard Uditsky

Brian Gray                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

et John Koch

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mendelsohn Rosentveig Shacter                                 POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Blake Cassels & Graydon                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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