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     Date : 19980821

     Dossier : IMM-5202-97

ENTRE :

     MORTEZA ASNA ASHARI

     TURKAN YILDIZ,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Les demandeurs cherchent à faire annuler une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) au motif qu'il existait un parti pris ou une crainte raisonnable de partialité. Ils invoquent deux moyens à l'appui : (1) la Commission n'a pas informé le ministre qu'elle allait examiner l'exclusion du demandeur en vertu de la section E de l'article premier de la Convention; (2) la conduite de la Commission après l'audience dénotait un parti pris en faveur du défendeur.

[2]      Le premier moyen est fondé sur les dispositions législatives pertinentes, soit l'article 69.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et les paragraphes 9(2) et 9(3) des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, et sur l'affaire Kone c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 79 F.T.R. 63.

[3]      Aux termes de l'article 69.1 de la Loi sur l'immigration, si une personne demande le statut de réfugié au sens de la Convention et est en droit de saisir la Commission de sa revendication, le ministre a le droit d'être informé de la date, de l'heure et du lieu de l'audience, et d'être saisi de tous les documents pertinents sur lesquels repose la revendication, s'il en fait la demande1. Le paragraphe 69.1(5) dispose que le ministre doit avoir la possibilité de produire des éléments de preuve et, si la section E ou F de l'article premier de la Convention est mise en cause, d'interroger l'intéressé ainsi que les autres témoins et de présenter des observations.

[4]      Aux termes des paragraphes 9(2) et 9(3) des Règles de la section du statut de réfugié, si une question portant sur la section E ou F de l'article premier est soulevée, le ministre doit en être informé :

     (2) Lorsque, avant le début d'une audience, l'agent d'audience ou la section du statut est d'avis qu'une revendication dont elle est saisie pourrait mettre en cause les sections E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la Loi, l'agent d'audience en informe sans délai le ministre et lui fournit les renseignements nécessaires.         
     (3) Lorsque, au cours d'une audience, l'agent d'audience ou un membre est d'avis qu'une revendication dont est saisie la section du statut pourrait mettre en cause les sections E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la Loi, il en informe le président de l'audience et, si ce dernier l'ordonne, l'agent d'audience en informe sans délai le ministre et lui fournit les renseignements nécessaires. [Non souligné dans l'original.]         

[5]      Les sections E et F de l'article premier de la Convention disposent :

     E.      Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.         
     F.      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:         
         a)      qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;         
         b)      qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;         
         c)      qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.         

[6]      Par conséquent, aux termes de la section E de l'article premier, les personnes qui demandent le statut de réfugié au sens de la Convention peuvent se voir refuser une protection au Canada si elles ont trouvé refuge dans un pays tiers et jouissent de tous les droits d'un ressortissant de ce pays. Aux termes de la section F de l'article premier, ces personnes peuvent se voir refuser une protection si elles ont eu une conduite répréhensible qui les prive du droit à une protection internationale.

[7]      L'affaire Kone invoquée par les demandeurs se rapporte à la section F a) de l'article premier. Dans cette affaire, la Commission a attendu que tous les éléments de preuve soient produits pour informer le requérant que l'une des questions à trancher était de savoir s'il pourrait être visé par l'exclusion prévue à la section F a) de l'article premier. La Commission n'avait pas informé le ministre que cette question serait soulevée. La Commission a énergiquement " contre-interrogé " le requérant pendant qu'il témoignait. L'avocat du requérant a demandé à la Commission de se récuser et d'inviter le ministre à participer à une nouvelle audience relativement à la question de l'exclusion. La Commission a refusé de le faire et ne s'est pas référée à la clause d'exclusion dans les motifs qu'elle a prononcés pour rejeter la revendication du requérant sur le fond.

[8]      Dans le cadre du contrôle de la décision de la Commission, le juge Nadon a fait remarquer que dans l'arrêt Ramirez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 135 N.R. 390 (C.A.F.), la Cour d'appel a déclaré que la charge de prouver les faits menant à une exclusion incombe au ministre dans un cas relevant de la section F a) de l'article premier. Il a également fait remarquer que M. Waldman souscrivait à cette conclusion en ce qui concerne les sections E et F de l'article premier de la Convention2. Le juge Nadon s'est ensuite penché sur la conduite des commissaires et sur la nature des questions qu'ils ont posées au requérant. Il a conclu que la nature de ces questions était telle que la Commission avait joué le rôle d'un poursuivant, qu'elle avait " par ses questions [...] tenté de déterminer ou de prouver que le requérant avait commis un "crime" "3, et que " le tribunal a[vait] cumulé les fonctions de juge et de représentant du Ministre "4. Il s'est référé à l'arrêt Mahenchan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 134 N.R. 316 (C.A.F.), pour conclure que l'interrogatoire énergique d'un requérant par un commissaire ne constitue pas, en soi, un motif donnant ouverture à l'intervention d'une cour. Le juge Nadon a malgré tout conclu que l'interrogatoire mené dans l'affaire dont il était saisi ne visait pas strictement à obtenir des éclaircissements, mais s'apparentait à un contre-interrogatoire visant à décider si la clause d'exclusion pourrait être mise en cause.

[9]      Je ne peux pas considérer que les motifs prononcés dans l'affaire Kone reposent sur le fait qu'aucun avis n'a été donné au ministre. La décision qui a été rendue repose sur la nature de l'interrogatoire mené par la Commission. C'est cette conduite qui a amené le juge à conclure qu'il existait un parti pris ou une crainte raisonnable de partialité.

[10]      La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Arica c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995), 82 N.R. 392, est également pertinente. Dans cette affaire, le ministre avait été informé qu'une exclusion fondée sur la section F a) de l'article premier serait soulevée. La Cour d'appel a fait des commentaires sur le pouvoir de la Commission de prendre des décisions en l'absence de la participation du ministre. Elle s'est référée aux règles 9(2) et 9(3) des Règles relatives à la détermination du statut de réfugié en notant que si la question de l'exclusion fondée sur la section F a) de l'article premier est soulevée avant le début de l'audience, le ministre doit en être informé, et que si elle est soulevée au cours de l'audience, le président de l'audience a le pouvoir discrétionnaire d'informer le ministre. La Cour a statué que le fait que le ministre n'avait pas participé à l'audience n'avait pas diminué le pouvoir de la Commission. Elle a déclaré, aux pages 396 et 397, que la Commission était habilitée, indépendamment de la participation du ministre, à " prendre une décision relativement à la clause d'exclusion en se fondant sur la preuve présentée " :

     [...] Le fait que le ministre ne participe pas à l'audience, soit parce qu'il ne le désire pas soit parce qu'il n'a pas droit à l'avis aux termes de la règle 9(3), ne diminue pas le droit de la Commission de rendre une décision sur la question de l'exclusion : voir Fletes c. Canada, [1994] 83 F.T.R. 49; et Gutierrez c. M.E.I., IMM-2170-93, 11 octobre 1994, inédit, à la p. 8. [Non souligné dans l'original.]         

[11]      L'avocat des demandeurs cherche à établir une distinction entre l'arrêt Arica et l'espèce au motif que le ministre savait qu'une question fondée sur la section F a) de l'article premier était soulevée dans cette affaire, de sorte que la Commission ne pouvait pas avoir usurpé le rôle du ministre comme elle l'avait fait dans l'affaire Kone. Ainsi qu'il vient d'être mentionné, je ne suis pas convaincue que la décision rendue dans l'affaire Kone tenait au fait que le ministre n'avait pas été informé. Elle tenait à la façon dont la Commission avait interrogé le requérant. Le fait que le ministre doit être informé en vertu du paragraphe 9(2) et le fait qu'il pourrait l'être en vertu du paragraphe 9(3) sont des exigences visant à protéger les intérêts du ministre; c'est également le but des dispositions prévues à l'article 69.1 de la Loi. Si le ministre aurait dû être informé de la manière prévue au paragraphe 9(2) en l'espèce, il pourrait chercher à faire annuler la décision. Cependant, les demandeurs ne peuvent pas invoquer un vice de procédure semblable s'ils n'ont subi aucun préjudice de ce fait.

[12]      Les demandeurs ne prétendent pas qu'ils n'ont pas été régulièrement avisés que la section E de l'article premier serait mise en cause. Un avis a été donné au début de l'audience. L'audience a duré trois jours répartis sur plusieurs mois. Aucun argument valable n'a été invoqué au sujet du fait que la façon dont la Commission a interrogé les demandeurs à l'audience prouvait l'existence d'un parti pris ou d'une crainte raisonnable de partialité. La Commission a interrogé les demandeurs dans le but d'obtenir des éclaircissements sur la question de savoir si le demandeur, un ressortissant iranien, avait obtenu la citoyenneté turque à la suite de son mariage avec une Turque. L'argumentation des demandeurs repose uniquement sur le fait que le ministre n'a pas été informé de l'audience. Ce motif n'est pas suffisant pour prouver l'existence d'un parti pris ou d'une crainte raisonnable de partialité.

[13]      J'en viens maintenant au moyen des demandeurs selon lequel la conduite de la Commission après l'audience a été de nature à susciter une crainte raisonnable de partialité. Deux affirmations sous-tendent ce moyen : la Commission a accepté des observations qui ont été déposées tardivement par l'avocate du défendeur, sans donner à l'avocat des demandeurs la possibilité de présenter des observations relativement à ce dépôt; il y a eu des communications ex parte entre l'ACR et la présidente de l'audience.

[14]      Le dossier n'appuie pas ces affirmations. L'audition de la revendication des demandeurs s'est poursuivie pendant trois jours, soit le 15 novembre 1996, le 7 mai 1997 et le 5 août 1997. À la fin de l'audience le 5 août 1997, des dispositions ont été prises en vue du dépôt d'observations écrites; l'agent chargé de la revendication a eu jusqu'au 22 août 1997 pour déposer les siennes; l'avocat des demandeurs devait répondre au plus tard le 5 septembre 1997. Les observations de l'ACR ont été déposées tardivement, soit le 25 août 1997. Une conférence postérieure à l'audience a par la suite été convoquée le 3 septembre 1997. À cette conférence, la présidente de l'audience a indiqué que bien que les observations aient été déposées au greffe, comme il était d'usage au greffe d'accepter tous les documents soumis, [traduction] " le tribunal n'a pas vu ces observations; elles ont été retenues à ma demande jusqu'à ce qu'une décision [soit] prise sur leur acceptabilité ". La présidente de l'audience a ensuite indiqué que la Commission avait une politique libérale en ce qui concerne le respect des délais, que le retard en l'espèce n'était pas exagéré puisque les observations avaient été déposées le jour ouvrable suivant la date d'échéance, et que les observations déposées tardivement seraient acceptées et examinées par la Commission. La date limite pour la présentation des observations de l'avocat des demandeurs a été reportée au 30 septembre 1997.

[15]      En ce qui concerne l'affirmation qu'il y a eu des communications ex parte entre l'ACR et la présidente de l'audience, cette dernière a déclaré que [traduction] " aucun membre du tribunal n'a discuté du fond de l'affaire avec l'ACR ". Elle a expliqué que la communication à laquelle l'avocat des demandeurs se référait était une directive donnée à l'ACR, à savoir qu'il devait présenter sa demande de prorogation de délai par écrit par l'entremise du greffier.

[16]      Pour les motifs prononcés, la présente demande sera rejetée. Ainsi qu'il a été discuté à la fin de l'audition de la demande, l'avocat des demandeurs aura sept jours à compter de la date des présents motifs pour présenter des observations, s'il y a lieu, sur la certification possible d'une question.

                                 B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 août 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-5202-97

INTITULÉ :                          MORTEZA ASNA ASHARI et autre c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

    

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 21 AOÛT 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                      21 AOÛT 1998

COMPARUTIONS :

M. DOUG CANNON                      POUR LE DEMANDEUR

MME LORIE JANE TURNER                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MCPHERSON, ELGIN, CANNON                  POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

__________________

     1          69.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication dont elle est saisie aux termes des articles 46.02 ou 46.03.
         (2) Lorsque le cas lui est déféré aux termes des articles 46.02 ou 46.03, la section du statut communique au ministre, si celui-ci en fait la demande par écrit au moment où elle en est saisie, les renseignements afférents visés au paragraphe 46.03(2) et entend la revendication le plus tôt possible après l'expiration du délai prévu au paragraphe (7.1).
         (3) La section du statut notifie par écrit à l'intéressé et au ministre les date, heure et lieu de l'audience.
         (4) [Abrogé 1992, ch. 49, art. 60.]
         (5) À l'audience, la section du statut :              a) est tenue de donner :                  (i) à l'intéressé, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des observations.                  (ii) au ministre, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger l'intéressé ou tout autre témoin et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi;              b) peut, dans tous les cas, si elle l'estime indiqué, autoriser le ministre à interroger l'intéressé ou tout autre témoin et à présenter des observations.              [Non souligné dans l'original.]

     2      Waldman, Immigration Law and Practice (1993), vol. 1, p. 8.188.

     3      (1994), 79 F.T.R. 63, par. 22.

     4      Par. 28.

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