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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Dhahbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.) [2005] 3 C.F. 462

                                                                                                                                 Date : 20041203

                                                                                                                    Dossier : IMM-8436-03

                                                                                                                                                           

                                                                                                                 Référence :2004 CF 1702

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 DÉCEMBRE 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                               YOUSR DHAHBI

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demanderesse, Madame Yousr Dhahbi, s'adresse à la Cour afin qu'une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus soit rendue, obligeant le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, et plus particulièrement l'agent d'immigration rattaché à l'Ambassade du Canada en France qui est chargé d'étudier sa demande de résidence permanente, de rendre une décision finale dans son dossier.

CONTEXTE FACTUEL

[2]                La demanderesse est citoyenne tunisienne. Elle est ingénieure électricienne. Le 8 février 2001, elle a fait une demande de résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée (la demande), dans laquelle, elle déclare son époux, monsieur Adel Khribi, comme étant une personne à sa charge.

[3]                M. Khribi est également citoyen tunisien. Il est né le 11 juin 1968. C'est un musulman pratiquant. M. Khribi a commencé à résider au Canada en octobre 1993. Une demande antérieure de résidence permanente a été refusée en 1997 car il ne répondait pas aux critères. À l'époque où la demande a été présentée par la demanderesse, M. Khribi opère une petite compagnie d'informatique en Tunisie et à Montréal et fait de l'import-export. Il est également inscrit à temps plein à l'Université du Québec à Montréal et étudie en chimie. Son permis d'étude est alors valide jusqu'en août 2004.


[4]                Au cours du traitement de la demande, la demanderesse et son époux ont un enfant, Selmene, qui est né le 5 mai 2002. Celui-ci a été ajouté à titre de personne à charge dans le mois suivant sa naissance. Les époux et leur fils (collectivement, les membres de la famille) désirent s'établir au Québec.

[5]                Les membres de la famille ont été sélectionnés par la Province de Québec. Des certificats attestant que ceux-ci répondent aux exigences de la province conformément à la Loi sur l'immigration au Québec, L.R.Q. ch. I-0.2 et au Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, R.R.Q., 1981, c. M-23.1, r. 2; L.Q., 1994, c. 15, a. 12 ont été délivrés par le ministère des Relations avec les citoyens et de l'immigration du Québec le 11 janvier 2001 et 10 juin 2002 respectivement. Ces certificats sont valables pour une période de trois ans; de sorte que les certificats des époux sont échus depuis le 11 janvier 2004 et le certificat de leur fils viendra à échéance le 10 juin 2005. Ces certificats ont été fournis à l'agent désigné chargé d'étudier la demande. En l'espèce, la demanderesse a fourni tous les documents et tous les renseignements demandés par l'agent désigné aux fins du traitement de sa demande. Toutes les formalités médicales ont été également complétées.

[6]                Il a été déterminé qu'une enquête sécuritaire était nécessaire. Le 30 septembre 2002, M. Khribi a été convoqué à une première entrevue, laquelle a eu lieu le 10 octobre 2002 à la demande de M. Khribi. Une deuxième entrevue a eu lieu le lendemain. Par la suite, une troisième entrevue a eu lieu le 14 novembre 2003. Les entrevues ont été conduites par des agents de liaisons sécuritaires.

[7]                Le 26 septembre 2003, la demanderesse, par l'entremise de son procureur, a transmis une mise en demeure au défendeur pour qu'une décision finale soit rendue sans délai dans son dossier. Le 28 octobre 2003, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire pour l'émission d'un bref de mandamus a été déposée. Celle-ci a été subséquemment autorisée par la Cour.

[8]                À ce jour, soit trois ans et 9 mois plus tard, la demanderesse n'a toujours pas reçu de décision relativement à sa demande. Entre-temps, le 12 mai 2004, le visa autorisant M. Khribi à entrer au Canada pour étudier à Montréal n'a pas été renouvelé.

[9]                L'agent d'immigration désigné, Madame Terrier, est toujours en attente d'une recommandation favorable du Service canadien des renseignements et de la sécurité (SCRS) concernant M. Khribi (affidavit de Constance Terrier, paragraphe 12 et notes CAIPS). Elle dit également dans son affidavit avoir été informée que le traitement prendrait plus de temps que prévu, mais qu'aucun délai ne pouvait lui être communiqué. De fait, l'agent d'immigration désigné n'est pas non plus en mesure de préciser aujourd'hui quelle partie des antécédents du mari de la demanderesse soulève des questionnements puisque ceci relève d'un autre service.

DEVOIR LÉGAL


[10]            À l'instar des autres recours extraordinaires ou brefs de prérogative mentionnés à l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, telle qu'amendée, le recours en mandamus est exercé par présentation d'une demande de contrôle judiciaire; laquelle est elle-même subordonnée au dépôt d'une demande d'autorisation présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR dans le cas où il s'agit d'une décision ou affaire tombant dans le champ d'application de la LIPR. Ce qui est le cas en l'espèce. Si la Cour est convaincue que l'agent d'immigration désigné chargé de l'étude d'une demande de résidence permanente refuse d'exercer sa compétence, ou qu'il a illégalement omis ou refuse d'accomplir un acte qu'il est légalement tenu d'accomplir, ou dont il retarde l'exécution de manière déraisonnable, la Cour peut ordonner à l'agent désigné de compléter son enquête et de rendre sa décision dans le délai que la Cour peut alors fixer (paragraphes 18.1(3) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales). Dans l'exercice de sa discrétion, lorsque le juge entend une demande de contrôle judiciaire sollicitant l'émission d'un bref de mandamus, celui-ci peut entre autres considérer le délai déjà écoulé et les raisons invoquées pour tout délai additionnel, tout en tenant compte des inconvénients occasionnés aux deux parties.


[11]            La demande de résidence permanente a été présentée en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Celle-ci a été abrogée suite à l'entrée en vigueur, le 28 juin 2002, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la LIPR). En vertu de l'article 190 de la LIPR, c'est la LIPR qui s'applique maintenant à la demande. Précisons à cet égard qu'en vertu de l'article 6 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), également applicable en l'espèce, l'étranger ne peut entrer au Canada pour s'y établir en permanence que s'il a préalablement obtenu un visa de résident permanent. Celui-ci est délivré par l'agent d'immigration désigné par le défendeur (ici Madame Terrier), lorsque l'agent est par ailleurs satisfait que les conditions prescrites dans la LIPR et au Règlement sont remplies.

[12]            En l'espèce, au Québec, en vertu d'une entente fédérale-provinciale, c'est la province elle-même qui assume la responsabilité exclusive de la sélection des étrangers désirant s'y établir comme résidents permanents. Conformément aux alinéas 9(1)a) et 20(1)a) et aux paragraphes 20(2) et 21(1) de la LIPR, le statut de résident permanent est octroyé à l'étranger qui répond d'une part, aux critères de sélection de la province et d'autre part, qui n'est pas interdit de territoire. Voilà pour ce qui est de l'obligation légale d'agir; laquelle bien entendu existe en faveur de la demanderesse et de ses dépendants si les deux conditions susmentionnées sont rencontrées.

[13]            En ce qui concerne la première condition à remplir, en vertu du paragraphe 20(1) de la LIPR, l'étranger visé au paragraphe 9(1) de la LIPR est tenu de fournir la preuve qu'il détient un certificat de sélection de la province. En vertu du paragraphe 15(1) de la LIPR, l'agent peut procéder à un contrôle dans le cadre de toute demande. Ceci étant dit, en vertu du paragraphe 15(2) de la LIPR, s'agissant de l'étranger visé au paragraphe 9(1), le contrôle de la conformité aux critères de sélection qui lui sont applicables a pour seul objet de vérifier si, sur la base du document délivré par la province, l'autorité compétente provinciale est d'avis que l'étranger répond aux critères de sélection.

[14]            En ce qui concerne maintenant la deuxième condition, en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, « [le] visa [de résident permanent] ... [est délivré] sur preuve, à la suite d'un contrôle, [que l'étranger] n'est pas interdit de territoire et se conforme à la ... loi » (mon soulignement). Emportent interdiction de territoire les faits décrits aux articles 34 à 41 de la LIPR. Le fait notamment de se livrer au terrorisme, de constituer généralement « un danger pour la sécurité du Canada » , d'être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada, ou encore d'être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre, s'est livrée ou pourrait se livrer au terrorisme, emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité en vertu de l'article 34 de la LIPR. En outre, en vertu de l'article 42 de la LIPR, emporte interdiction de territoire le fait pour un membre de sa famille, d'accompagner un interdit de territoire.

FARDEAU DE PREUVE ET CONFIDENTIALITÉ DES RENSEIGNEMENTS PROTÉGÉS


[15]            Je note que dans la LIPR, il n'existe aucune disposition reprenant exactement le texte du paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration abrogée, lequel énonçait alors clairement que le fardeau de la preuve « incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements » . Conjugué au fait que notamment l'article 19 de la Loi sur l'immigration abrogée établissait des catégories de personnes inadmissibles, cette Cour a par le passé décidé qu'il incombe à un demandeur de visa de fournir toute la preuve nécessaire afin de démontrer qu'il n'est pas inadmissible au Canada (Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 239). Ceci étant dit, je note que le paragraphe 16(1) de la LIPR précise que l'auteur d'une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous les « éléments de preuve pertinents » , et présenter à l'agent les visas et documents requis. S'agissant de l'étranger, en vertu du paragraphe 16(2) de la LIPR, les « éléments de preuve pertinents » visent notamment la photographie et la dactyloscopie, et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale. Dans le cas de la demanderesse, de son époux et leur fils, la visite médicale est cependant obligatoire en vertu de l'alinéa 30(1)a) du Règlement.

[16]            D'autre part, s'il est vrai que, de façon générale, le fardeau de la preuve repose toujours sur le demandeur (Untel 2004 c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 360, au paragraphe 10), s'agissant de l'appréciation par l'agent d'immigration désigné des faits emportant interdiction de territoire pour raison de sécurité (article 34), d'atteinte aux droits humains et internationaux (article 35), de grande criminalité (article 36) et d'activités de criminalité organisée (article 37), l'article 33 de la LIPR précise que les faits en question sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base « de motifs raisonnables » de croire que ceux-ci sont survenus ou peuvent survenir.


[17]            Cela suppose qu'à la suite du contrôle mentionné à l'article 11 de la LIPR, l'agent d'immigration désigné, avant de prendre une décision finale, puisse se fonder sur des renseignements qui n'ont pas été fournis par un demandeur mais qui peuvent provenir d'autres sources. À cet égard, aux fins d'assurer la protection des Canadiens et le succès des efforts du Canada et des autres pays engagés dans la lutte contre le terrorisme international, il faut reconnaître que la prudence et la confidentialité dans les enquêtes liées à la sécurité nationale sont d'une importance capitale. D'ailleurs, les articles 76 à 87 de la LIPR prévoient des mécanismes particuliers de protection et d'examen par une autorité judiciaire indépendante des renseignements en matière de sécurité ou de criminalité, et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou d'un gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes (les renseignements protégés).

[18]            Dans l'état actuel du dossier, l'agent d'immigration désigné est dans l'attente d'une recommandation favorable du SCRS. Selon son affidavit et les notes CAIPS, l'agent d'immigration désigné n'a actuellement aucun motif raisonnable de croire que la demanderesse et les personnes à sa charge sont interdits de territoire. Toutefois, l'enquête sécuritaire n'est pas complétée. Si celle-ci devait révéler un obstacle légal à l'admission au Canada de ces derniers, alors un rapport devrait être préparé et transmis à l'agent d'immigration désigné afin qu'une décision finale puisse être prise conformément à la Loi. Dans un tel cas, il y a de fortes chances que la demande de résidence permanente soit refusée (sur la base de « motifs raisonnables de croire » ). Néanmoins, la difficulté actuelle dans le présent dossier, c'est que l'agent d'immigration ignore complètement où en est rendue l'enquête sécuritaire et pourquoi une recommandation favorable du SCRS se fait attendre.


[19]            Ceci étant dit, dans le présent dossier de demande de contrôle judiciaire le défendeur a choisi de ne pas produire d'affidavits émanant des deux agents de liaison sécuritaire qui ont interrogé M. Khribi en 2002 et 2003. À aucun moment des procédures, le défendeur a-t-il indiqué par ailleurs à la Cour que la nature des renseignements présentement pris en compte ou susceptibles de l'être dans le cadre du contrôle effectué en vertu de l'article 11 de la LIPR, requérait que la présente demande de contrôle judiciaire soit entendue par un juge désigné. En effet, le paragraphe 87(1) de la LIPR, qui se retrouve à la section 9 - Examen de renseignements à protéger, prévoit explicitement que le Ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au « juge » d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115; ce qui inclut donc les renseignements protégés que l'agent d'immigration désigné peut avoir obtenus de diverses sources à la suite du contrôle effectué en vertu de l'article 11 de la LIPR. À cet égard, le paragraphe 87(2) de la LIPR précise que l'article 78 de la LIPR s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé. Bien entendu, la demande en vertu de l'article 87 de la LIPR et les renseignements protégés seront exclusivement examinés par un juge désigné (article 76 de la LIPR).


DROIT À UNE DÉCISION DANS UN DÉLAI RAISONNABLE

[20]            Le défendeur ne conteste pas le fait que la première condition mentionnée à l'alinéa 9(1)a) de la LIPR (répondre aux critères de sélection de la province) était rencontrée à l'époque où les présentes procédures ont été engagées par la demanderesse. Reste la deuxième condition mentionnée à l'alinéa 9(1)a) de la LIPR (non interdiction de territoire). Précisons d'emblée que l'état de santé des membres de la famille n'est pas en cause ici; en effet, l'état de santé de l'étranger peut emporter l'interdiction de territoire dans les cas mentionnés à l'article 38 de la LIPR. Ce qui retarde plutôt la décision finale à venir dans le dossier de la demanderesse, c'est la situation particulière de l'époux de la demanderesse, M. Khribi. Dans son mémoire, le défendeur fait valoir que dans l'exécution de ses fonctions, l'agent d'immigration désigné doit, entre autres, être satisfait que l'admission au Canada de la demanderesse et de ses personnes à charge ne contreviendrait pas au paragraphe 34(1) de la LIPR. Or, des « préoccupations en matière de sécurité » sont soulevées dans le cas de M. Khribi. Tel qu'il appert des deux affidavits soumis par le défendeur, les vérifications en matière de sécurité ne sont pas terminées, ce qui explique le délai supplémentaire encouru pour qu'une décision finale soit prise relativement à la demande.


[21]            Il est à noter que la LIPR et les règlements pris sous son autorité n'imposent pas de limites ou de délais spécifiques aux agents d'immigration désignés relativement à la détermination qu'ils doivent faire concernant les demandes de résidence permanente. Toutefois, il est reconnu qu'un délai déraisonnable dans le traitement d'une demande de résidence permanente, en l'absence d'explication adéquate, peut être considéré comme équivalent à un refus d'agir. En pareil cas, lorsque les conditions habituelles (obligation légale, droit clair, absence d'autre recours, balance des inconvénients) pour l'obtention d'un bref de mandamus sont par ailleurs remplies (Karavos v. Toronto and Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 3 R.C.S. 1100; Khalil c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1999] 4 C.F. 661), cette Cour peut rendre une ordonnance forçant le défendeur afin que l'agent d'immigration désigné rende une décision finale à l'égard de la demande de résidence permanente (Conille, précité; Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1016 (C.F. 1re inst.) (QL); Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1677 (C.F. 1re inst.) (QL); Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 189).

[22]            À la lumière des motifs donnés par la Cour suprême de l'Alberta dans l'affaire Re Civil Service Association of Alberta, Branch 45 and Alberta Human Rights Commission et al. (1975), 62 D.L.R. (3d) 531 (Alta. S.C.), Madame la juge Tremblay-Lamer qui a rendu la décision de cette Cour dans l'affaire Conille, supra, précise que trois conditions s'imposent pour qu'un délai soit jugé déraisonnable :

1)          le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;


2)          le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables; et

3)          l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

[23]            Normalement, selon les documents publics, le traitement à Paris d'une demande de résidence permanente pour un travailleur qualifié avec une offre d'emploi confirmée serait entre cinq et neuf mois (Ambassade du Canada en France « Visa et Immigration: délais de traitement » , en ligne : Gouvernement du Canada < http://www.dfait-maeci.gc.ca/canadaeuropa/france/visas/ delais-fr.asp > . À première vue, le délai actuel paraît certainement plus long que ce que la nature du processus semble exiger de façon prima facie. En ce qui a trait à la responsabilité du délai, les attestations médicales et autres documents requis par l'agent d'immigration désigné ont déjà été fournis par la demanderesse, et le dossier était complet à cet égard le 30 juillet 2002, de sorte qu'en date d'aujourd'hui, on peut ici parler d'un délai additionnel de deux ans et trois mois que le défendeur tente de justifier par l'enquête sécuritaire présentement en cours.

PRÉOCCUPATIONS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ


[24]            Selon l'affidavit de Madame Terrier, agent d'immigration désignée à l'Ambassade du Canada à Paris, la transmission de dossiers à la section de vérification des antécédents est une routine pour toutes les personnes de nationalité tunisienne pour lesquelles une demande de résidence permanente est traitée. Dans le cas de M. Khribi, l'agent de liaisons sécuritaires a déterminé qu'une enquête plus approfondie était nécessaire. La preuve au dossier n'indique cependant pas combien de temps une telle enquête sécuritaire requiert habituellement. Il s'agit d'une lacune importante dans la preuve du défendeur. Dans son affidavit, M. Khribi fournit par ailleurs plusieurs détails concernant les questions qui lui ont été posées par les agents de liaisons sécuritaires impliqués dans le dossier de la demanderesse. Je note que ceux-ci n'ont fourni aucun affidavit et que M. Khribi n'a pas été contre-interrogé, de sorte qu'à ce stade, je suis prêt à tenir pour avérés les faits qu'allègue M. Khribi dans son affidavit.

[25]            M. Khribi a eu une première entrevue le 10 octobre 2002 à l'ambassade du Canada à Paris avec l' « agent de liaison en matière de sécurité » , un certain Éric. Celui-ci lui a posé plusieurs questions relativement aux activités de sa compagnie, ses employés et les sociétés avec laquelle celle-ci fait affaires en Tunisie et à Montréal, ainsi que pour les raisons de son séjour. L'agent était également très intéressé à obtenir des détails sur sa pratique religieuse, sur les mosquées qu'il fréquentait, sur ses opinions personnelles à l'égard de l'intégrisme religieux, sur ses amis et ses relations. Plus particulièrement, l'agent l'a interrogé au sujet de certaines personnes ayant des noms arabes qui auraient pu fréquenter son commerce à Montréal. Il a alors été convenu que l'entrevue se poursuivrait le lendemain et, qu'à cette occasion, l'agent lui exhiberait des photos de ces personnes.


[26]            Le 11 octobre 2002, M. Khribi rencontrait de nouveau le même agent, qui lui a alors montré trois photos de grand format sur lesquelles apparaissent trois personnes différentes. Dans son affidavit, M. Khribi admet qu'il a alors identifié un homme qu'il avait déjà vu à la mosquée et qui était un client de son magasin à Montréal.

[27]            Une troisième rencontre avec M. Khribi a eu lieu quelque dix mois plus tard, soit le 14 août 2003. L'entrevue a encore une fois eu lieu à Paris. Celle-ci a été conduite par un autre agent, en l'occurrence « l'agent de liaisons sécuritaires responsable du territoire de Paris » . Dans son affidavit, M. Khribi mentionne que les mêmes questions auxquelles il avait déjà répondu en octobre 2003 lui ont été posées à nouveau par l'agent. M. Khribi est d'avis que plusieurs questions étaient d'ordre personnel. Il était réticent à parler de sa pratique et de ses convictions religieuses mais il a quand même répondu aux questions posées. D'autre part, plusieurs questions ont également été posées concernant les manifestations politiques auxquelles il avait pu participer au début des années 1990 en Tunisie et concernant les démêlés qu'il avait pu avoir avec la police tunisienne. À un moment de l'entrevue, l'agent a demandé à M. Khribi : « Appartenez-vous à une organisation islamique tunisienne, En Nahda ou autre? » . L'agent lui a également demandé s'il était allé en Arabie saoudite, au Pakistan ou en Afghanistan. M. Khribi a répondu par la négative à toutes ces questions. Il a également nié connaître l'une ou l'autre des personnes apparaissant sur les trois photos qu'on lui avait déjà exhibées en octobre 2002. Selon l'affidavit de M. Khribi, l'agent n'a, semble-t-il, pas apprécié ses dernières réponses. L'agent a donc décidé de mettre fin à l'entrevue en lui mentionnant qu'il n'était « pas sérieux » et qu'il était « dommage » qu'il n'ait pas voulu « faire le tour du jardin » avec lui.

[28]            D'autre part, aux paragraphes 16, 17 et 18 de l'affidavit de Monsieur De Rose, un officier de niveau supérieur rattaché à l'ambassade du Canada, à Paris, en date du 10 septembre 2004, on peut lire ce qui suit :

The case of Mr. Adel Khribi, the Applicant's spouse, displays many aspects which, when viewed holistically, have led to concerns for the safety and security of Canada. Mr. Khribi is a citizen of Tunisia. He has lived abroad, more particularly in Montreal, a city in which islamic militants are known to operate, and would, therefore, be a more valuable target for recruitment by a terrorist organization. Finally, he is studying chemistry, and while this is a legitimate field of study it is also a field which has the potential to be of assistance to an organization seeking to obtain, acquire, or develop weapons of mass destruction.

The officer responsible for the Applicant's application for permanent residence has assessed all aspects of the application and has identified legitimate concerns for the safety and security of Canada. He has therefore initiated detailed enquiries with partner agencies to ascertain whether or not Mr. Khribi does pose a threat. Naturally, such in-depth enquiries require considerable time and effort to ensure that the Canadian public is protected. The results of these enquiries have not yet been received.

In matters of security, if there are concerns, these must be addressed. If the individual presents a threat to the safety and security of Canada and Canadians, his application must be denied. Conversely, if a visa officer has concluded that an applicant does not pose a threat, then the case should be processed as expeditiously as possible. In this case, full information has yet to be received which would permit the officer to render a decision.


[29]            Le défendeur soumet devant cette Cour qu'il existe des « préoccupations en matière de sécurité dans le présent dossier » ; un questionnement qui est d'autant plus légitime, plaide le défendeur, lorsqu'on considère le contenu même de l'affidavit de M. Khribi, dont les principaux éléments ont été soulignés plus haut. D'autre part, le défendeur s'appuie également sur l'affidavit de Monsieur David De Rose, qui est généralement impliqué dans des questions relatives à la sécurité, et qui explique que la demande a été référée au SCRS et d'autres agences affiliées pour que des contrôles sécuritaires soient effectués avant qu'une décision finale soit prise par l'agent d'immigration désigné.

[30]            Le défendeur renvoie également la Cour aux affaires Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 et Charkaoui (Re) (C.F.), [2004] 3 R.C.F. 32. Je suis entièrement d'accord avec les principes généraux énoncés dans ces décisions. Les impératifs de sécurité nationale expliquent sans doute le fait qu'en général, depuis le 11 septembre 2001, les enquêtes sécuritaires soient menées avec le concours d'agences extérieures, de sorte que celles-ci prennent plus de temps. Cependant chaque dossier est un cas d'espèce. Aussi, je ne suis pas certain qu'à elles seules et sans aucune autre justification précise et spécifique se rapportant directement au dossier, de telles considérations puissent justifier qu'une enquête s'éternise au point de rendre le délai déraisonnable (Conille, précité; Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1016 (C.F. 1re inst.) (QL); Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1677 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[31]            D'ailleurs, je note que dans les affaires Suresh et Charkaoui, précitées, et Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 509 (C.F.) (QL), le défendeur n'avait pas seulement invoqué de grands principes liés à la sécurité nationale mais avait également soumis de nombreux éléments de preuve inquiétants, sérieux et très spécifiques concernant les demandeurs impliqués. En effet, dans Suresh, précité, l'attestation s'appuyait sur l'opinion du SCRS selon laquelle M. Suresh était membre des LTTE, organisation qui, selon le SCRS, se livre au terrorisme au Sri Lanka et est active au Canada sous les auspices du World Tamil Movement. Dans Charkaoui, précité, le ministre croyait que M. Charkaoui était membre du réseau d'Oussama ben Laden. Je note également que dans ces affaires, le juge désigné ne s'était pas seulement fié sur l'opinion du SCRS. En effet, le juge désigné avait eu la chance lui-même d'examiner les renseignements protégés qui ont été déposés à l'appui du certificat et du mandat d'arrestation. De plus, je note également que dans Almrei, précité, le juge désigné traitait d'une révision de la détention d'un étranger en vertu de l'article 84(2) de la LIPR.

[32]          En ce qui concerne l'affaire Kang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1544 (C.F. 1re inst.) (QL), je suis d'avis qu'elle n'est d'aucune assistance ici. Les faits dans Kang, précité, sont en réalité très différents de ceux que l'on retrouvent dans la présente affaire. En effet, dans Kang, précité, la Cour s'était demandée si les intérêts de la justice seraient bien servis par l'émission d'une ordonnance de mandamus pour forcer le défendeur à prendre une décision quant à la demande de résidence permanente, alors que le pilier central sur lequel était basé cette demande, soit le statut de réfugié du demandeur, faisait l'objet d'une contestation judiciaire à cette époque.


[33]            Je note également que dans les affaires Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1096 (C.F. 1re inst.) (QL) et Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1695 (C.F. 1re inst.) (QL) qui sont également citées par le défendeur, le SCRS avait déposé un rapport de sécurité, ce qui n'est pas le cas ici. D'autre part, dans l'affaire Aowad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1581 (C.F. 1re inst.) (QL), l'existence d'une enquête de sécurité prolongée s'expliquait par le fait que le demandeur avait avoué être associé au groupe El-Fatah.

[34]            Ceci étant dit, il m'apparaît parfaitement légitime que M. Khribi ait été convoqué aux trois entrevues dont il a été question plus haut. Cela a naturellement entraîné des délais additionnels. La demanderesse doit être prête à accepter ces inconvénients. D'autre part, faut-il le rappeler, en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, « les visas et autres documents requis par le règlement ... sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, que [l'étranger] n'est pas interdit de territoire et se conforme à la ... Loi » (mon soulignement). Or, la dernière entrevue sécuritaire a eu lieu le 14 août 2003, soit il y a environ 15 mois. Les questions qui ont été posées à l'occasion de ces entrevues m'apparaissent également légitimes. Il est clair que celles-ci ont un lien rationnel avec la question de savoir s'il existe des « motifs raisonnables » de croire que l'admission au Canada de M. Khribi pourrait « constituer un danger pour la sécurité du Canada » . À ce sujet, le fait pour la demanderesse ou les personnes à sa charge de ne pas avoir de casier judiciaire ne prouve pas en soi que des risques en matière de sécurité n'existent pas. De même, la présence au Canada de M. Khribi dans les années précédant le non-renouvellement de son visa étudiant n'est pas déterminant.

[35]            Enfin, rien dans le présent dossier ne me permet aujourd'hui de donner suite à l'allégation de profilage racial du procureur de la demanderesse. Il s'agit d'une affirmation gratuite, non fondée sur les faits au dossier. Si je me réfère au contenu de l'affidavit de M. Khribi, à la lumière des réponses évasives ou négatives données par celui-ci à l'occasion des entrevues en question, je suis prêt à accepter que des vérifications supplémentaires et qu'un complément d'enquête pouvaient être requis dans les circonstances. La question est plutôt de savoir combien de mois ou d'années après la tenue des entrevues en question, ces vérifications supplémentaires devraient prendre. Malheureusement, la preuve fournie par le défendeur ne me permet pas de répondre à cette question.

PRIMAUTÉ DU DROIT


[36]            Tel que la Cour suprême du Canada l'a rappelé dans divers arrêts, la primauté du droit est à la base même de notre système de gouvernement. Il y a une seule loi pour tous. La primauté du droit exige notamment la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif. De même, l'exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d'une règle de droit. Or, le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit. En d'autres termes, les rapports entre l'État et les individus doivent être régis par le droit (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, aux pp. 257-8; Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 142; Renvoi relative aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.S.C. 721, aux pp. 747 à 752; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, au para. 10).

[37]            En l'espèce, la demanderesse ou ses personnes à charge n'ont pas le droit d'entrer au Canada tant qu'ils ne se sont pas conformées à la Loi (paragraphe 11(1) de la LIPR). Ceci sous-entend que dans l'exécution de ses fonctions, l'agent d'immigration désigné soit notamment satisfait que l'admission au Canada de la demanderesse et de ses personnes à charge ne contreviendrait pas, entre autres, au paragraphe 34(1) de la LIPR. Tel qu'il a déjà été souligné plus haut, en vertu de l'article 33 de la LIPR, l'interdiction de territoire pour raison de sécurité est appréciée sur la base « de motifs raisonnables de croire » que l'un ou l'autre des faits mentionnés au paragraphe 34(1) de la LIPR sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Or, il est évident que lorsque des questions de sécurité sont en jeu, l'agent d'immigration désigné doit pouvoir compter sur l'assistance de services spécialisés en la matière. Ceci étant dit, permettre au SCRS de retarder indéfiniment la conclusion de son enquête et ainsi empêcher l'agent d'immigration désigné de rendre une décision finale relativement à une demande de visa équivaut à une usurpation des pouvoirs qui sont exclusivement conférés par la Loi au défendeur ou à la personne qu'il désigne, ce qui est évidemment contraire à la Loi et permet à la Cour d'intervenir en pareil cas (Conille, supra, au para. 26).


[38]            Aussi, bien que le délai actuel ait été expliqué en partie, tel que je l'ai indiqué plus haut, la preuve du défendeur comporte des lacunes importantes. Aussi, je ne suis pas prêt à permettre au défendeur de retarder indéfiniment sa décision. Je ne peux à un stade aussi avancé du dossier (il y a déjà eu deux entrevues avec M. Khribi) me contenter de la réponse évasive qui a été fournie à l'agent d'immigration désigné à l'effet qu'aucun délai ne pouvait lui être communiqué quant à la conclusion de l'enquête sécuritaire. Faut-il le rappeler, la demande de résidence permanente à été faite en février 2001 et nous sommes aujourd'hui en décembre 2004, soit trois ans et neuf mois plus tard. La Cour ne peut pas faire abstraction de l'ensemble du délai écoulé et du fait qu'aujourd'hui, le défendeur n'est pas en mesure de dire quand une décision finale pourra être rendue dans le dossier de la demanderesse. Il est impératif que l'enquête sécuritaire amorcée par le SCRS soit complétée et que la décision finale attendue de l'agent désigné soit rendue dans un délai raisonnable. D'un autre côté, l'absence au dossier d'éléments de preuve spécifiques sur l'étendue des délais supplémentaires anticipés dans ce dossier, ainsi que dans des dossiers du même genre où des préoccupations au niveau de la sécurité sont soulevées par le défendeur, ne me permet pas, pour le moment, de déterminer ce qui peut constituer dans les circonstances un délai raisonnable.


[39]            Ceci étant dit, je note que le procureur du défendeur a reconnu à l'audience qu'un délai additionnel de 12 mois (l'affaire a été entendue le 3 novembre 2004) serait sans doute très difficile à justifier, ce qui pourrait rendre l'ensemble du délai écoulé depuis la présentation de la demande en février 2001 excessif et déraisonnable dans les circonstances. Toutefois, le procureur du défendeur a indiqué qu'il n'y a aucun élément de preuve spécifique au dossier à l'effet qu'une décision finale pourrait être rendue au cours des 12 prochains mois. Au contraire, les circonstances particulières du présent dossier justifient peut-être que l'enquête sécuritaire se prolonge même au-delà de 12 mois. Je l'ignore, tout comme l'agent désigné et le procureur du défendeur l'ignorent également. Dans les circonstances, il aurait été souhaitable qu'avant de soumettre un affidavit (quitte à ce qu'une demande en vertu de l'article 87 de la LIPR soit présentée), l'agent désigné se renseigne auprès des instances concernées et soit en mesure d'indiquer à la Cour : a) les raisons précises pour lesquelles l'enquête sécuritaire n'est pas encore complétée et doit, le cas échéant, se poursuivre pour un certain temps encore; et b) dans quel délai additionnel on peut s'attendre à ce qu'une décision finale soit rendue compte tenu des circonstances particulières du présent dossier (l'affidavit de M. De Rose est incomplet et ne répond pas aux préoccupations exprimées dans ces motifs).

BALANCE DES INCONVÉNIENTS


[40]            Dans le cas présent, si je devais rejeter aujourd'hui la présente demande de contrôle judiciaire, ceci signifierait que la demanderesse devrait à nouveau présenter une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire si la décision attendue n'est pas rendue dans un délai raisonnable. Cela suppose que la demanderesse devrait attendre quelques mois encore avant d'instituer un nouveau recours. À défaut d'indication de la Cour sur ce qui constitue un délai raisonnable et ignorant de la part du défendeur combien de temps durera l'enquête sécuritaire en cours, la demanderesse fait face à un sérieux dilemme. À cela, il faut ajouter les délais additionnels qu'entraîneraient la mise en état des procédures afin qu'une nouvelle demande de contrôle judiciaire puisse être entendue par la Cour et les inconvénients supplémentaires résultant de l'obligation d'obtenir une deuxième fois l'autorisation de la Cour (autorisation qui n'est jamais acquise, ni accordée automatiquement).

[41]            Au contraire, si je devais émettre aujourd'hui un bref de mandamus ordonnant à l'agent désigné de rendre sa décision à l'intérieur d'un délai relativement court, cela risque de placer le défendeur dans une situation particulièrement difficile si l'enquête sécuritaire du SCRS ne peut être complétée à l'intérieur de ce délai. La Cour doit rechercher un équilibre entre la protection du public et des intérêts du Canada, et ceux de la demanderesse et de ses personnes à charge. D'un autre côté, le caractère incomplet de la preuve du défendeur est un facteur qui milite fortement pour qu'une audition complémentaire soit convoquée, à défaut d'accueillir la demande en mandamus et d'ordonner que la décision finale soit rendue dans un délai précis.


[42]            Ayant considéré les inconvénients de part et d'autre, et de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, je suis donc d'avis qu'il est opportun de ne pas rendre aujourd'hui une ordonnance disposant de façon finale de la demande de contrôle judiciaire. Dans l'ordonnance de nature interlocutoire qui accompagne les présents motifs, les parties sont convoquées à une audition qui aura lieu le 6 juin 2005. L'objet de cette audition complémentaire sera de recevoir les éléments de preuve présentement manquants au dossier et d'entendre les représentations additionnelles des parties. Le délai supplémentaire résultant de la convocation de l'audition complémentaire permettra au défendeur et aux instances concernées de poursuivre, voir de compléter, le volet sécuritaire de l'enquête en cours. Ceci permettra également à la demanderesse d'obtenir, si requis, de nouveaux certificats de sélection, voir de nouveaux certificats médicaux. Une conférence téléphonique avec les procureurs sera par ailleurs convoquée en février 2005 aux fins de discuter de l'impact de tout développement affectant le sort de la demande de contrôle judiciaire actuelle (par exemple si une décision finale a été rendue entre-temps), ainsi que des questions de preuve et de procédure. Un échéancier pour la signification et le dépôt d'affidavits supplémentaires et pour la tenue des contre-interrogatoires, s'il y a lieu, sera alors fixé par la Cour. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée par les parties et aucune question ne sera certifiée par la Cour à cette étape du dossier.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Aucune ordonnance finale n'est rendue concernant la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse;

2.          Les parties sont convoquées à une audition complémentaire dans le présent dossier qui aura lieu à Montréal, le 6 juin 2005, à 09h30 a.m., pour une durée anticipée d'une demi-journée;


3.          Entre-temps, les procureurs des parties seront convoqués par le registraire à une conférence téléphonique pour discuter des développements dans le dossier et des questions de procédure et de preuve, et qui aura lieu en février 2005;

4.          Des directives additionnelles pourront être émises en tout temps par directive ou ordonnance de la Cour relativement à toute question se soulevant dans le présent dossier, incluant le traitement de toute demande d'interdiction de la divulgation de tout renseignement protégé au sens de l'article 76 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, telle que modifiée;

5.          Le juge soussigné demeure saisi de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, sous réserve du pouvoir du juge en chef de désigner un autre juge en remplacement du juge soussigné dans les cas d'impossibilité ou d'incapacité d'agir;

6.          Le tout sans préjudice au droit de l'une ou l'autre partie de soumettre à la Cour que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie ou rejetée à la lumière des développements qui auront pu survenir entre la date de la présente ordonnance et la date de l'audition convoquée plus haut.


7.          Aucune question d'importance générale ne sera certifiée à ce stade.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-8436-03

INTITULÉ :               YOUSR DHAHBI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 3 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 3 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

ME MICHELLE LANGELIER                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

ME SYLVIANE ROY                                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ME MICHELLE LANGELIER                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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