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     Date : 20000407

     Dossier : T-36-99


Ottawa (Ontario), le vendredi 7 avril 2000


EN PRÉSENCE DU JUGE GIBSON


ENTRE :

     SHOWTIME NETWORKS INC.,

     demanderesse,

     -et-

     WIC PREMIUM TELEVISION LTD.,

     défenderesse.


     ORDONNANCE


La demande de contrôle judiciaire est rejetée


Une ordonnance supplémentaire adjugeant les dépens sera rendue plus tard.


                             FREDERICK E. GIBSON                                      J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.




     Date : 20000407

     Dossier : T-36-99


ENTRE :

     SHOWTIME NETWORKS INC.,

     demanderesse,

     -et-

     WIC PREMIUM TELEVISION LTD.,

     défenderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


INTRODUCTION


[1]      Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire visant une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) dans laquelle ce dernier conclut qu'une opposition déposée par la défenderesse à l'encontre de la demande d'enregistrement de marque de commerce no 794,289 présentée par la demanderesse à l'égard de la marque SHOWTIME (la marque) soulève une question sérieuse. Par suite de cette décision, il a transmis une copie de la déclaration d'opposition à la demanderesse conformément au paragraphe 38(5) de la Loi sur les marques de commerce1 (la Loi), accompagnée d'une lettre datée du 9 décembre 1998.

LES PARTIES

[2]      Selon la déclaration que la défenderesse a déposée devant la Cour le 28 juillet 19982, la demanderesse est une personne morale constituée en société dans l'État du Delaware qui, aux États-Unis et non au Canada, est habilitée, aux termes d'une licence, à diffuser, par elle-même ou par l'intermédiaire de tiers, des signaux de programmation encodés ou à en autoriser la diffusion. La demanderesse a recours a un ou plusieurs satellites - en orbite à une altitude attribuée aux États-Unis par l'Union internationale des télécommunications - dont les États-Unis ont autorisé l'utilisation, par la demanderesse ou une société affiliée, en vertu d'une licence, pour fournir des services aux résidents des États-Unis. La défenderesse affirme dans sa déclaration que l'" empreinte " du signal de la demanderesse obtenue du ou des satellites révèle qu'elle a empiété sur le territoire canadien, au détriment de la défenderesse.

[3]      La défenderesse, une société constituée en Alberta, exerce son activité dans l'ouest du Canada et a son siège social à Edmonton (Alberta). Son entreprise consiste à diffuser ou transmettre directement ou indirectement des signaux encodés de programmes de télévision et à autoriser directement ou indirectement des abonnés à les décoder moyennant des frais. La programmation de la défenderesse comprend des émissions à la carte et des émissions à abonnement.

LA DEMANDE D'ENREGISTREMENT DE MARQUE DE COMMERCE

[4]      La demanderesse a soumis sa demande d'enregistrement de marque de commerce le 6 octobre 1995, pour une utilisation en liaison avec [TRADUCTION] " des services de télévision par câble; des services de télévision récréative, savoir la production et la distribution de diverses émissions de télévision par câble, de télévision à la carte et de télévision par ondes hertziennes ". Conformément au paragraphe 16(2) et à l'article 14, la demande était fondée sur l'utilisation et l'enregistrement de la marque aux États-Unis.

[5]      La demande d'enregistrement de marque de commerce a été annoncée dans le numéro du Journal des marques de commerce du 1er juillet 1998.

LES DISPOSITIONS DE LA LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE RELATIVES AUX OPPOSITIONS

[6]      Le paragraphe 38(1) de la Loi prévoit que toute personne peut produire une déclaration d'opposition au bureau du registraire dans les deux mois suivant l'annonce d'une demande d'enregistrement. Le paragraphe 38(2) énumère quatre motifs d'opposition : si la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30 de la Loi, si la marque de commerce n'est pas enregistrable, si le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement et si la marque de commerce n'est pas distinctive. Le paragraphe 38(4) exige du registraire qu'il rejette l'opposition et donne avis du rejet à l'opposant lorsqu'il " estime " (" considers that ") qu'elle ne soulève pas une question sérieuse pour décision. Bien que le détail ne soit pas déterminant, il est intéressant de signaler que la note marginale accompagnant le paragraphe 38(4) est " Opposition futile " (" Frivolous opposition "). Le paragraphe 38(5) énonce que le registraire doit faire parvenir une copie de la déclaration d'opposition au requérant s'il " est d'avis que " (" considers that ") l'opposition soulève une question sérieuse pour décision. Il semble que l'envoi de la copie de la déclaration d'opposition au requérant introduise officiellement l'instance d'opposition. Le paragraphe 38(7) prescrit que le requérant et l'opposant doivent avoir l'occasion de soumettre la preuve sur laquelle ils s'appuient et de se faire entendre. Le paragraphe 38(8) prévoit ce qui suit :

(8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l'opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

[7]      Finalement, le paragraphe 56(1) de la Loi prévoit un droit d'appel devant notre Cour de toute décision du registraire, ce qui inclut les décisions rendues sous le régime du paragraphe 38(8). Le paragraphe 56(1) est ainsi conçu :

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

LA DÉCLARATION D'OPPOSITION

[8]      La défenderesse n'invoque que le premier des motifs d'opposition décrits brièvement ci-dessus; elle soutient donc que la demande d'enregistrement de la marque SHOWTIME ne satisfait pas aux exigences de l'article 30 de la Loi. Plus particulièrement, elle affirme dans sa déclaration d'opposition que ladite demande d'enregistrement ne renferme [TRADUCTION] " ni état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été ou sera utilisée ni déclaration crédible de la conviction du requérant qu'il a le droit d'employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande d'enregistrement ".

[9]      Postérieurement à la décision du registraire, prise sous le régime du paragraphe 38(5) de la Loi, de transmettre un copie de la déclaration d'opposition à la demanderesse et, même, après l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, la défenderesse a modifié sa déclaration d'opposition pour y inclure un motif supplémentaire. Ce dernier motif, il va sans dire, n'est pas visé par la demande de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]      La demanderesse soutient que la présente demande de contrôle judiciaire ne vise qu'à faire déterminer si le registraire a commis une erreur de droit en concluant (" estime ") que la déclaration d'opposition déposée par la défenderesse soulevait une question sérieuse à trancher.

[11]      Je suis d'avis que se pose une question supplémentaire, préliminaire, à savoir s'il convient que la Cour entende la présente demande de contrôle judiciaire, compte tenu du régime prévu par la Loi au sujet des oppositions.

ANALYSE

[12]      Selon moi, la conclusion du registraire selon laquelle une déclaration d'opposition soulève une question sérieuse constituerait ordinairement une décision pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Toutefois, il s'agit d'une décision interlocutoire en ce sens qu'elle ne statue pas définitivement sur l'opposition.

[13]      Or, dans l'arrêt Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, le juge Létourneau a écrit :

     ... il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer.

                                 [Non souligné dans l'original]

[14]      Dans l'affaire Novopharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra4, j'ai fait le commentaire suivant à propos du passage précité, souligné aux mêmes endroits :

     Selon moi, les mots soulignés du premier extrait de l'arrêt Szczecka supposent en premier lieu que la Cour a le pouvoir d'exercer le contrôle judiciaire visé à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard d'un jugement ou d'une décision interlocutoire, et en second lieu, que dans des circonstances spéciales, il convient d'exercer ce pouvoir. En toute autre circonstance, l'exercice de ce pouvoir risque d'entraîner "[...] une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer".

[15]      La décision interlocutoire faisant l'objet de la demande de contrôle judiciaire, dans cette affaire, était une décision du registraire en matière d'opposition. J'ai écrit, à la p. 849 :

     ... si la Cour devait se prononcer en appel [ou même dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire] sur toutes les décisions préliminaires rendues au cours des procédures d'opposition, chacune de ces décisions, si elle a une incidence sur la décision définitive du registraire, pouvant faire l'objet d'une révision dans le cadre de l'appel interjeté à l'encontre de la décision définitive [en vertu de l'article 56 de la Loi], les procédures d'opposition pourraient être pratiquement paralysées par une série d'appels. À l'évidence, ce résultat ne serait pas conforme à l'économie de la Loi sur les marques de commerce .
     La Cour devrait-elle donc entendre les demandes de contrôle judiciaire dirigées contre des décisions interlocutoires ou préliminaires rendues dans le cadre de procédures d'opposition alors que cela risque de conduire au résultat qu'elle a cherché à éviter en adoptant une [TRADUCTION] "[...] interprétation stricte plutôt que libérale [...]" du mot "décision" au paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce ? Je ne le pense pas.

[16]      J'ai tiré la conclusion suivante à la p. 851 :

     Au vu des faits devant moi, je conclus qu'il existe un autre recours approprié ouvert à la requérante, savoir un appel à l'issue des procédures d'opposition, dans l'hypothèse où la requérante n'aurait pas gain de cause, appel au cours duquel la décision du registraire qui nous occupe pourrait être contestée. La nature de l'erreur qu'aurait commise le registraire selon la requérante résulte en effet de l'interprétation, correcte ou erronée, de la Loi sur les marques de commerce et de son règlement d'application. Comme la Loi sur les marques de commerce prévoit un appel à la Cour, c'est-à-dire la juridiction saisie de la demande de contrôle judiciaire, l'on ne saurait prétendre que le droit d'appel pourrait être quelque peu affaibli sur le plan qualitatif. Donc, je conclus que l'ensemble des facteurs devant être pris en considération pour déterminer s'il y a lieu de procéder au contrôle judiciaire en l'espèce incitent à ne pas l'exercer.
     Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire dont je suis saisi, je conclus qu'il y a lieu de refuser d'exercer le contrôle judiciaire demandé au nom de la requérante.

[17]      Je suis d'avis qu'il est possible de tirer la même conclusion en l'espèce.

[18]      Les auteurs Brown et Evans ont écrit, dans leur ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada5, postérieur aux décisions Szczecka et Novopharm :

     [TRADUCTION]
     On peut à première vue conclure de l'existence dans une loi d'un droit d'appel à l'encontre d'une décision administrative que le législateur avait l'intention d'écarter l'exercice du pouvoir de surveillance judiciaire. De fait, certains tribunaux ont statué, même si une disposition prévoyant un droit d'appel n'exclut pas nécessairement l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, que l'existence d'un droit d'appel a pour effet de leur enlever compétence. L'explication principale de cette règle générale est que l'existence d'un droit d'appel dans une loi suppose de la part du législateur qu'il a estimé préférable que l'examen de la Cour se fasse sur la base d'un dossier administratif complet, dans une perspective plus large et en faisant peut-être intervenir une norme d'examen moins empreinte de retenue.

                                 [citations omises]

Brown et Evans apportent la réserve suivante à la " règle générale " aux pages 3-15 et 16 de leur ouvrage :

     [TRADUCTION]
     ... la règle générale ne s'applique pas si l'existence du droit d'appel n'est pas certain, si le demandeur n'est pas partie à l'instance administrative et ne jouit d'aucun droit d'appel ou si les questions en litige ne seraient pas examinées en appel.

                                 [citations omises]

[19]      Selon moi, les circonstances où la " règle générale " ne s'applique pas correspondent aux " circonstances spéciales " auxquelles le juge Létourneau fait allusion dans le passage de l'arrêt Szczecka cité plus haut. Les circonstances invoquées par la demanderesse pour justifier en l'espèce l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'entendre la demande de contrôle judiciaire sont les dépens, les retards et l'opinion de la demanderesse selon laquelle l'opposition est sans fondement. Aucune de ces circonstances ne figure dans la liste de circonstances où, selon Brown et Evans, la " règle générale " ne s'applique pas, et aucune n'est, selon moi, analogue à ces circonstances spéciales.

[20]      Par conséquent, je suis d'avis que la Cour ne devrait pas entendre la présente demande de contrôle judiciaire et que le processus d'opposition établi par la Loi sur les marques de commerce devrait se poursuivre jusqu'à son aboutissement, lequel comporte, en faveur de la demanderesse si elle n'a pas gain de cause dans l'instance en opposition, le droit d'appel prévu au paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce. Il s'ensuit que je n'examinerai pas le bien-fondé des arguments présentés relativement au contrôle judiciaire lui-même.

CONCLUSION

[21]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

LES DÉPENS

[22]      J'ai indiqué, à la fin de l'instruction de la présente affaire, que je réservais ma décision et que je donnerais aux avocats la possibilité de présenter des observations écrites au sujet des dépens afférents à la présente demande de contrôle judiciaire ainsi qu'aux requêtes préliminaires entendues immédiatement avant l'audition de ladite demande. Les avocats disposeront chacun de sept jours à compter de la date des présents motifs pour s'échanger leurs observations sur les dépens et pour les produire à la Cour. Ils auront ensuite sept jours pour déposer une réponse. Une ordonnance supplémentaire adjugera les dépens.

                             FREDERICK E. GIBSON                                      J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

7 avril 2000

Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-36-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SHOWTIME NETWORKS INC. c. WIC PREMIUM TELEVISION LTD.

DATE DE L'AUDIENCE :      30 mars 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 7 avril 2000


ONT COMPARU :

Randall Hofley              pour la demanderesse

et

Justine Whitehead


William McKenzie              pour la défenderesse

et

Lisa James


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott              pour les demanderesses

Ottawa (Ontario)

Crawford, McKenzie          pour la défenderesse

McLean & Wilford

Orillia (Ontario)

__________________

1 L.R.C. (1985), ch. T-13.

2 Dossier T-1538-98.

3 (1994) 116 D.L.R. (4th) 333, à la p. 335 (C.A.F.).

4 [1996] 2 C.F. 839, à la p. 847 (C.F. 1re inst.).

5 Donald J.M. Brown, c.r. et John M. Evans, Toronto, Canvasback Publishing, 1998, à la p. 3-14.

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