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Date : 19990907

Dossier : T-1261-98

ACTION RÉELLE EN AMIRAUTÉ

                                   

ENTRE :

ANNACIS AUTO TERMINALS (1997) LTD.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES

PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « CALI »

demandeurs

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]         Ces requêtes trouvent leur origine dans la vente du Cali, dans la facture non réglée de la compagnie demanderesse pour frais de mouillage, et dans la préoccupation du créancier hypothécaire que le produit de la vente, qu'il espère pouvoir obtenir en remboursement partiel de l'hypothèque, sera consacré de façon trop importante aux frais de mouillage qui continuent à s'accumuler.

[2]         Plus particulièrement, la demanderesse réclame une ordonnance prévoyant de réserver, à même le produit de la vente du Cali placé dans un compte en fiducie portant intérêt, la somme de 58 252,80 $ canadiens pour payer les frais de mouillage à ce jour, ainsi qu'une ordonnance portant que cette somme lui soit remise. International Trust and Finance Corporation (ITFC), créancier hypothécaire qui a maintenant un intérêt dans le produit de la vente, plaide la règle 339(2) pour obtenir une modification des ordonnances antérieures qui ont accordé une priorité à la réclamation d'Annacis Terminals pour les frais de mouillage qui s'accumulent.

CONTEXTE

[3]         La demanderesse, Annacis Auto Terminals (1997) Ltd. (Annacis Terminals), est propriétaire d'une installation de terminal et de quais sur la rivière Fraser à Annacis Island. Elle a assumé le contrôle des installations d'un prédécesseur du même nom en 1997, héritant ainsi du Cali dans son poste de mouillage.

[4]         Le Cali est un vraquier enregistré au port de Limassol à Chypre, qui appartenait à l'origine à la Califa Shipping Company Limited of Cyprus (Califa) et sur lequel une hypothèque a été concédée à ITFC en garantie d'un prêt de 5 millions $US.

[5]         Le 4 décembre 1996, Califa a conclu un contrat avec le prédécesseur d'Annacis Terminals pour une période indéterminée de mouillage dans ses installations afin de procéder à ce qui devait être des réparations mineures. Les frais de mouillage étaient fixés à 0,20 $ le mètre de longueur du navire et l'heure. Le jour suivant, le Cali est arrivé au poste de mouillage d'Annacis Terminals et il y est resté très longtemps.

[6]         Le 19 juin 1998, Annacis Terminals a introduit cette action pour obtenir 299 770,18 $ pour frais de mouillage impayés, ainsi qu'une ordonnance de vente.

[7]         Par la suite, Annacis Terminals a déposé une requête à la Cour demandant la vente judiciaire du Cali, ainsi qu'une ordonnance accordant à sa réclamation pour les frais de mouillage la même priorité que les frais de shérif. En conséquence, une ordonnance de vente et la commission d'évaluation et de vente ont été délivrées le 5 août 1998. J'ai toutefois accordé jusqu'au 31 octobre 1998 à Califa pour réaliser une vente de gré à gré, à défaut de quoi le navire serait vendu en vertu de l'ordonnance de vente et de la commission. Quant à la priorité, j'ai fixé les frais de mouillage à 16 cents le mètre de longueur du navire et l'heure à partir du 22 juillet 1999 (date à laquelle Annacis Terminals a présenté sa requête) et décidé que ces frais auraient la même priorité que les frais de shérif. Je n'ai toutefois pas tranché la question de la priorité à accorder aux frais de mouillage antérieurs, puisque cela aurait eu des conséquences sur toutes les réclamations dans l'affaire et que la question de la priorité des réclamations réelles antérieures ne pouvait être décidée qu'en les abordant toutes ensemble.

[8]         Le 13 octobre 1998, ITFC a présenté une requête pour obtenir l'autorisation de vendre le Cali à Chenco Marine pour la somme de 235 000 $US. Comme condition de vente, Chenco Marine devait faire de son mieux pour enlever le navire du poste de mouillage au plus tard 45 jours après le paiement du solde du prix de vente. Le délai de 45 jours avait été accordé à la demande de ITFC, afin que Chenco Marine puisse avoir le temps de faire remorquer le navire jusqu'aux démolisseurs. Par suite d'une erreur dans la jauge annoncée, le prix de vente du navire a été diminué à 210 000 $US le 1er décembre 1998.

[9]         Peu de temps après la vente, Annacis Terminals a présenté une requête pour obtenir le paiement, à même le produit de celle-ci, des frais de mouillage accumulés depuis le 22 juillet 1998. Cette requête a été accordée et la somme de 116 505,60 $ canadiens a été versée pour couvrir les frais de mouillage jusqu'au 16 décembre 1998.

[10]       Il ressort que ITFC a conclu que sa réclamation, en tant que créancier hypothécaire devant tirer profit du produit de la vente du navire, se trouvait en danger par suite de l'accumulation continue des frais de mouillage d'Annacis Terminals. Plus grave encore, rien n'indiquait que le Cali était sur le point de quitter le terminal. Le navire est resté au poste de mouillage d'Annacis Terminals pendant une période beaucoup plus longue que prévue, pour divers motifs, dont le défaut de Califa de respecter son engagement de fournir en temps utile le certificat de radiation du Cali du Registre des navires de Limassol. De plus, le Cali étant réduit à l'état de carcasse, il ne pouvait être mouillé à l'ancre. Au début de cette année, ITFC a présenté une requête pour que la demande de paiement des frais de mouillage d'Annacis Terminals prenne rang après sa créance hypothécaire. J'ai rejeté la requête, au motif que l'ordonnance accordant la priorité à Annacis Terminals était de nature finale.

[11]       La demanderesse présente une nouvelle requête pour obtenir le paiement des frais de mouillage allant du 17 décembre 1998 au 28 février 1999. Naturellement, ITFC demande une modification de l'ordonnance de vente afin d'obtenir une certaine priorité par rapport à Annacis Terminals quant au produit de la vente.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]       Les questions en litige dans ces requêtes visent à faire déterminer si Annacis Terminals a droit à une ordonnance portant paiement des frais de mouillage accumulés depuis le 16 décembre 1998, et si ITFC peut obtenir une modification de l'ordonnance du 5 août (modifiée le 11 décembre 1998), donnant la priorité à Annacis Terminals pour les frais de mouillage jusqu'au remorquage du Cali, au motif que des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue. Plus particulièrement, ITFC demande que la réclamation d'Annacis Terminals pour les frais de mouillage prenne rang derrière toute réclamation valable de ITFC pour sa créance hypothécaire, puisqu'on n'avait pas prévu dans les ordonnances des 5 août et 14 octobre que le navire resterait au poste de mouillage d'Annacis Terminals plus de 45 jours après la conclusion définitive de la vente.

ANALYSE

La requête d'Annacis Terminals pour les frais de mouillage

[13]       La présente requête d'Annacis Terminals est semblable à celle présentée en décembre dernier pour obtenir le paiement des frais de mouillage accumulés après le 22 juillet 1998. Cette requête est essentiellement fondée sur le paragraphe 3 de l'ordonnance de vente.

                        [traduction]

3. Les frais du mouillage fournis par la demanderesse auront, de minuit le 21/22 juillet jusqu'au départ du Cali du poste de mouillage, la même priorité que les frais de shérif au taux de 16 ¢ le mètre/heure pour une longueur de 205 mètres;

Certaines parties de l'ordonnance du 14 octobre autorisant la vente du navire à Chenco Marine sont aussi pertinentes :

                        [traduction]

2g) que le produit brut de la vente en dollars US sera versé dans un compte en fiducie portant intérêt et géré par Bromley, Chapelski. La demanderesse [ITFC] est autorisée à demander, après le 18 décembre 1998, le paiement de ses frais de vente à même le produit de la vente, y compris les frais engagés pour rechercher les créanciers réels du navire « Cali » , soit pour une somme convenue entre les parties et les créanciers réels, soit pour une somme fixée par la Cour. De la même façon, après le 18 décembre 1998, Annacis Auto peut demander le paiement de ses frais de mouillage tels que fixés dans l'ordonnance du 5 août 1998;

et :

                        [traduction]

2c) le prix de vente sera versé et le navire transféré à l'acheteur selon les termes du Mémoire d'entente du 25 septembre 1998 entre Chenco Marine et les propriétaires du navire en cause ... Chenco Marine fera de son mieux pour remorquer le « Cali » du poste de mouillage d'Annacis Auto Terminals (1997) Ltd. (Annacis Auto), dans les 45 jours suivant le règlement du solde dû ...

L'alinéa 2c) de l'ordonnance du 14 octobre 1998 ne confère pas au tiers Chenco Marine le bénéfice d'un mouillage gratuit. Ces dispositions quant à la priorité des frais de mouillage, au paiement par la Cour du produit de la vente pour régler les frais de mouillage, et à l'enlèvement du Cali du poste de mouillage sont toutes des éléments pertinents en l'instance. Un autre élément pertinent dans la présente requête est la remise du certificat attestant que le Cali a été radié du Registre des navires de Limassol :

                        [traduction]

17. Le prix de vente prévu ... sera versé sur présentation aux acheteurs ... des documents suivants ...

E) un certificat de radiation du Registre des navires ou, à défaut, un engagement écrit de la part des vendeurs, adressé aux acheteurs, confirmant qu'ils obtiendront et transmettront aux acheteurs le certificat de radiation dans les quatre semaines suivant la livraison du navire. (Clauses additionnelles du mémoire de vente du Cali, en date du 25 septembre 1998)

[1]         Telles que rédigées, les ordonnances précitées permettent à Annacis Terminals de réclamer les frais de mouillage postérieurs au 22 juillet 1998 pendant une période indéterminée, avec une haute priorité. La demanderesse obtient donc gain de cause dans sa requête pour obtenir un paiement additionnel pour les frais de mouillage accumulés entre le 17 décembre 1998 et le 28 février 1999. En effet, bien que j'accorde un certain redressement à ITFC, je n'ai pas l'intention de le rendre rétroactif au détriment d'Annacis Terminals.

La requête de ITFC en vertu de la règle 399(2)a)

[2]         Dans sa requête initiale, ITFC demande l'ajournement de la requête d'Annacis Terminals pour obtenir des frais de mouillage additionnels et annonce une requête à venir en vertu de la règle 399(2)a) pour obtenir la modification des ordonnances antérieures accordant la priorité à Annacis Terminals pour les frais de mouillage. Toutefois, on trouve dans le dossier de requête de ITFC des prétentions écrites portant sur la requête en vertu de la règle 399. Annacis Terminals a réagi comme si cette requête était une instance séparée. Comme les deux avocats étaient prêts, il n'y avait aucune raison d'attendre plus longtemps pour procéder.

[3]         La règle 399(2) prévoit notamment la modification d'une ordonnance, ou la délivrance d'une ordonnance modificatrice, au motif que des faits nouveaux ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue :

399. (2) Annulation sur preuve prima facie

- La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l'un ou l'autre des cas suivants

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue; ...

(3)Effet de l'ordonnance - Sauf ordonnance contraire de la Cour, l'annulation ou la modification d'une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

L'ancienne règle 1733, qui a été remplacée par le texte précité, prévoyait un redressement similaire :

Annulation des jugements en raison de faits nouveaux ou de fraude

Règle 1733

1733. Une partie qui a droit de demander en justice l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordonnance en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d'attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d'action, par simple demande à cet effet dans l'action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.

Je cite la règle 1733 pour démontrer qu'elle correspond à la nouvelle règle 399(2), étant donné que la jurisprudence est antérieure à la nouvelle règle 399.

[4]         En règle générale, lorsqu'une ordonnance est rédigée et signée, ou rendue à l'audience (voir la règle 392(2)), elle est définitive sous réserve d'appel. Il y a toutefois certaines circonstances qui justifient une exception à cette règle.

[5]         La notion d'une exception à la règle prévoyant qu'une ordonnance est définitive a été formulée dans une ancienne décision de la Cour d'appel d'Angleterre, Scowby v. Scowby, [1897] 1 Ch. 741. Dans cette affaire, les fiduciaires qui avaient abusé d'une succession en commandant des travaux juridiques inutiles avaient été enjoints par le tribunal d'instance de lever une certaine somme à payer au tribunal. En fait, ils ont versé la somme en question à des avocats. Par la suite, les fiduciaires ont obtenu une ordonnance définitive prévoyant le remboursement de leurs frais. Ayant découvert la faute commise par les fiduciaires, la Cour a délivré une ordonnance additionnelle obligeant ces derniers à se conformer à l'ordonnance initiale en versant la somme prévue à la Cour avant de pouvoir obtenir ce qui leur était dû en vertu de la deuxième ordonnance. La Cour d'appel a confirmé le bien-fondé de la décision du juge d'instance.

[6]         Bien que la décision de délivrer l'ordonnance additionnelle, approuvée en appel, ait certainement été une conséquence de la faute expresse des fiduciaires qui devaient retirer un avantage suite à la seconde ordonnance, elle a un impact plus vaste. Elle permet de dire que lorsque des circonstances imprévues se présentent après la délivrance d'une ordonnance, la Cour peut intervenir et la modifier ou délivrer une ordonnance additionnelle, selon le cas.

[7]         Comme le souligne l'avocat d'Annacis Terminals, les tribunaux ont hésité à modifier une ordonnance ou un jugement définitif : voir, par exemple, Rostamian c. M.E.I., (1992), 129 N.R. 394 (C.A.F.). La règle 399 prévoit une exception, mais la partie qui présente la requête doit satisfaire un critère très rigoureux pour obtenir la modification ou l'annulation d'une ordonnance. Le critère est à trois volets : premièrement, il doit y avoir de nouveaux faits établis ou découverts après le prononcé de l'ordonnance; deuxièmement, la partie qui présente la requête doit démontrer que les nouveaux faits n'auraient pu être découverts plus tôt malgré qu'elle ait exercé une diligence raisonnable; et, troisièmement, il faut établir que si les nouveaux faits avaient été mis en preuve dans l'action, l'ordonnance aurait probablement été différente : voir Re Saywack c. Canada (M.E.I.), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.F.), à la p. 201 et suivantes, approuvant Dumble v. Cobourg and Peterbrough R.W. Co. (1881), 29 Gr. 121 (Ont. Ch.) et Canada c. Palmier (1998), 137 F.T.R. 71, à la page 73.

[8]         Quelle est donc l'étendue de l'expression « nouveaux faits » ? Dans Re Saywack (précitée), la Cour d'appel a conclu que les « faits » ne se limitaient pas à de nouveaux éléments de preuve. En réexaminant son ordonnance antérieure rejetant l'autorisation d'appel, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question de savoir si des motifs de la Commission d'appel de l'immigration nouvellement disponibles étaient des « nouveaux faits » aux fins de la règle 1733 (maintenant règle 399) :

Je suis d'avis que les motifs de la Commission répondent à la définition du terme « matter » (faits). Ce terme possède une signification large. Le Shorter Oxford English Dictionary (3e éd.) le définit notamment de la manière suivante : [traduction] « motif, raison ou cause de ce qu'on fait ou de ce qu'on est » . En Ontario, ce terme a été invoqué relativement à des « faits » (matter) ne constituant pas une nouvelle preuve.

[9]         Il est clair que ni Annacis Terminals, qui désirait utiliser son poste de mouillage à d'autres fins qu'au mouillage du Cali, ni ITFC, qui jouit d'une priorité élevée pour obtenir le produit de la vente après que les frais de mouillage auront été payés à Annacis Terminals, n'envisageaient un retard aussi important dans le départ du Cali du poste de mouillage d'Annacis Terminals. Ce retard était dû en partie au fait que Califa n'avait pas produit ou livré le certificat de radiation, dans le but d'obtenir un avantage immérité, et en partie au fait qu'aucun propriétaire d'un poste de mouillage valable ne voulait accueillir le Cali; toutefois, personne ne pouvait anticiper un tel retard. La prépondérance des inconvénients peut favoriser Annacis Terminals, puisqu'elle est en possession d'une ordonnance lui permettant d'obtenir le paiement de ses frais de mouillage à même le produit de la vente aussi longtemps que le navire est dans ses installations. Toutefois, Annacis Terminals est notamment en affaires pour fournir du mouillage. Ayant accepté un navire, elle doit prendre le bon avec le mauvais. Un propriétaire sans ressources et un navire qu'on ne peut retirer d'un poste de mouillage en temps utile par suite de facteurs qui ne deviennent apparents qu'assez tard, voilà des circonstances malheureuses qui font toutefois partie des risques d'être en affaires. Le propriétaire d'un poste de mouillage peut chercher à obtenir réparation par voie d'une action réelle. Comme l'acheteur du Cali n'a pu enlever le navire du poste de mouillage aussi rapidement que prévu, puisqu'il n'avait pas le certificat de radiation non plus qu'un autre poste de mouillage, facteurs qui ne sont apparus qu'assez tard, le retard est donc un nouveau fait.

[10]       L'avocat d'Annacis Terminals soutient que l'arrêt Saywack porte que ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'une Cour peut modifier une ordonnance. Je suis d'accord avec lui dans la mesure où il veut dire qu'en présence de nouveaux faits, qu'on ne pouvait découvrir malgré l'exercice d'une diligence raisonnable et qui auraient eu un impact sur l'ordonnance initiale, il existe des circonstances exceptionnelles qui justifient l'application de la règle 399.

[11]       Annacis Terminals soutient que ITFC n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en l'instance. Cet argument se fonde notamment sur le délai écoulé avant que ITFC présente sa requête en vertu de la règle 399, l'ordonnance initiale fixant la priorité datant de plusieurs mois. Annacis Terminals soutient qu'un tel délai ne démontre pas une diligence raisonnable de la part de ITFC, qui devait procéder sans tarder en vertu de la règle 399. Cet argument ferait que ITFC ne pourrait présenter une requête en vertu de la règle. Je ne partage pas l'avis de la demanderesse quant aux faits, sinon en droit. Lorsque les ordonnances des 5 août 1998 et 14 octobre 1998 ont été délivrées, ITFC ne pouvait présenter une requête en vertu de cette règle puisqu'il n'y avait pas de problème à ce moment-là. En fait, il semble que la vente n'est devenue définitive qu'à la délivrance de l'ordonnance du 1er décembre 1998, alors que le prix du navire a été réduit suite à une erreur dans la jauge annoncée lors de la vente. La réduction de 25 000 $US dans l'offre a été acceptée le 1er décembre parce que, selon la preuve disponible, le navire ne se serait pas vendu plus cher dans le cadre d'un nouvel appel d'offres. Si Califa ne pouvait produire le certificat de radiation le 1er décembre 1998, ce qui était le cas, elle avait encore quatre semaines pour se conformer à cette exigence en vertu de l'entente prévoyant la vente et l'achat. Le certificat de radiation devait donc être produit vers la fin décembre. De plus, compte tenu du fait que Chenco Marine devait s'efforcer de déplacer le navire dans les 45 jours, ITFC ne pouvait présenter sa requête en vertu de la règle 399 avant la mi-janvier. De plus, rien ne pouvait faire avancer la situation puisque le Cali ne pouvait être remorqué jusqu'aux démolisseurs avant que Chenco Marine n'ait reçu le certificat de radiation, événement qui ne s'est produit que le 4 février 1999. ITFC n'a pas perdu de temps, puisqu'elle a présenté sa requête pour changer les priorités dès le 10 février 1999. Cette requête a été rejetée, sans préjudice quant à la possibilité de présenter une nouvelle requête en vertu de la règle 399(2)a). Dans les circonstances, ITFC a exercé une diligence raisonnable.

[12]       Quant au troisième volet du critère, savoir si l'ordonnance de vente initiale aurait probablement été différente si les faits avaient été connus, il est clair que c'est le cas. Je veux souligner ici que l'avocat d'Annacis Terminals a fait état de certaines inquiétudes quant à un séjour plus long du Cali, mais ce n'était qu'une hypothèse. Si l'on avait pu prévoir en octobre 1998 que la vente ne serait conclue que le 1er décembre, que Califa présenterait le certificat de radiation en retard et que le résultat serait un retard dans l'obtention des services d'un remorqueur, il est très probable que tous ces facteurs auraient fait une différence. Par conséquent, la règle 399 est applicable. Il faut toutefois trouver une solution équitable, puisqu'en même temps que ITFC voyait fondre le produit de la vente, Annacis Terminals continuait toujours lors du dépôt de cette requête à être privée de l'usage de son poste de mouillage.

La chose jugée et la règle 399

[13]       Dans ses plaidoiries orales, Annacis Terminals a avancé l'autorité de la chose jugée pour s'opposer à la requête de ITFC en vertu de la règle 399. Elle soutient que bien que cette règle fasse exception au principe de l'autorité de la chose jugée, elle ne devrait pas déroger au principe bien établi qu'il est interdit de reprendre un jugement car un litige doit se terminer à un moment donné. Annacis Terminals fonde cet argument sur le fait que j'ai rejeté la requête présentée par ITFC en février, requête par laquelle cette dernière cherchait à faire établir la priorité entre deux réclamations, question qui avait été tranchée le 5 août 1998.

[14]       Annacis Terminals soutient que la requête actuelle de ITFC, bien que présentée en vertu d'une disposition différente des Règles de la Cour fédérale, semble être identique à celle que ITFC avait présentée en février 1998 en vue d'obtenir le même résultat. L'avocat de la demanderesse cite à ce sujet la décision du juge Rothstein (alors en première instance) dans Jhajj c. Canada (M.E.I.) et autres [1995] 2 C.F. 369, aux pages 380 et suivantes, où il déclare que la règle 1733 (maintenant la règle 399) doit être conciliable autant que possible avec la règle générale de la chose jugée, et que toute demande qui aurait pour conséquence la reprise d'un jugement ne doit pas être accueillie.

[15]       Je dirais d'abord au sujet de cet argument portant sur l'autorité de la chose jugée que si j'avais insisté en entendant la requête de ITFC en février pour que les deux avocats plaident l'application de la règle 399(2)a) aux faits, ils auraient été dans l'embarras. C'est pourquoi l'ordonnance ouvrait la voie à une requête de ITFC en vertu de la règle 399(2)a), les avocats étant alors préparés en conséquence. Ceci étant, il y a une autre solution au dilemme.

[16]       Je ne partage pas l'avis de la demanderesse que la demande en l'instance est la même demande en vue d'obtenir une réparation identique. Une requête en vertu de la règle 399 est une exception au principe de l'autorité de la chose jugée. Même si la présente requête vise une réparation assez semblable à celle de la requête antérieure, elle est fondée sur la notion qu'il y a un fait nouveau qui rend l'ordonnance antérieure inappropriée ou même injuste.

[17]       L'avocat d'Annacis Terminals soutient aussi que seul un fait qui existait au moment de l'ordonnance initiale, et qui n'avait pas été découvert, tombe sous la définition de faits nouveaux dans la règle 399. La demanderesse soutient aussi que Jhajj (précitée) démontre que la Cour n'accepte pas l'idée d'un examen rétroactif illimité d'affaires remontant à une époque indéterminée. À la page 384 de sa décision, le juge Rothstein déclare ceci :

De plus, le fait pour un tribunal de se trouver devant la perspective que ses décisions puissent avoir un effet rétroactif d'une portée considérable et servir à justifier le réexamen d'un nombre inconnu d'affaires remontant à une époque indéterminée pourrait, à mon avis, avoir pour effet d'empêcher le tribunal de rendre librement ses décisions, d'élaborer le droit et, en effet, de reconnaître les erreurs passées. Interpréter la Règle 1733 de façon à permettre un effet rétroactif illimité nuirait à l'exercice adéquat et souhaitable du rôle de la Cour.

[18]       À ce sujet, je renvoie les avocats à la décision de la Chambre des lords dans Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.). Dans cette affaire, le créancier hypothécaire/vendeur avait obtenu une ordonnance d'exécution dans un jugement définitif contre l'acheteur. L'acheteur n'ayant pas obtempéré, le vendeur a pu obtenir que la Cour modifie son jugement pour lui accorder les dommages-intérêts rétroactivement.

[19]       L'arrêt Johnson v. Agnew est pertinent en l'instance puisque nous avons ici un acheteur qui n'a pu respecter une des conditions de la vente, savoir de déplacer le Cali dans les 45 jours suivant la date à laquelle la vente devenait définitive. En l'instance, le créancier hypothécaire, face au défaut de Chenco Marine en tant qu'acheteur, peut demander à la Cour de modifier une ordonnance existante en se fondant sur des principes d'équité.

[20]       Finalement, Annacis Terminals soutient que ITFC a contribué à créer la situation dans laquelle elle se trouve, et donc qu'elle ne se présente pas à la Cour sans faute de sa part. L'avocat reprend certains faits à l'appui de cet argument. Malheureusement pour lui, je ne trouve pas ses arguments convaincants et je n'en traiterai donc pas. ITFC ayant fait preuve de diligence raisonnable dans la conduite de cette affaire, je considère que la position prise par Annacis Terminals à ce sujet est sans application pratique.

CONCLUSION

[21]       En essayant d'arriver à une conclusion équitable, j'ai aussi envisagé la possibilité qu'Annacis Terminals aurait pu insister pour que Chenco Marine enlève le Cali plus tôt. Peut-être que l'inaction était une situation confortable du point de vue d'Annacis Terminals, mais peut-être aussi qu'elle ne voulait rien faire qui puisse indisposer Chenco Marine ou résulter dans un délai encore plus long pour faire enlever le Cali du poste de mouillage.

[22]       Suite aux ordonnances du 5 août et 14 octobre 1998, il est clair qu'Annacis Terminals a droit aux frais de mouillage allant du 17 décembre 1998 à minuit le 28 février 1999, savoir la somme de 58 252,90 $ avec une partie proportionnelle des intérêts accumulés dans le fonds constitué par le produit de la vente. Toutefois, puisque le certificat de radiation a été délivré le 4 février 1999 et que Chenco Marine pouvait enlever le Cali du poste de mouillage d'Annacis Terminals à cette date, je n'accorderai des frais de mouillage en priorité à Annacis Terminals que pour une période de temps raisonnable. Les conditions de l'ordonnance du 5 août 1998, non plus que de toute autre ordonnance ou document, n'accordent à Chenco Marine le bénéfice de frais de mouillage prépayés après qu'elle soit devenue propriétaire du Cali. De plus, rien n'empêche Annacis Terminals de prendre une action personnelle contre Chenco Marine ou une action réelle contre le Cali pour les frais de mouillage après que Chenco Marine ait pris possession du Cali. Annacis Terminals se voit donc accorder 28 jours de plus de frais de mouillage privilégiés, cette période étant un délai raisonnable dans lequel Chenco Marine pourrait, si on insiste assez, trouver un remorqueur pour amener le Cali aux démolisseurs.

[23]       Au vu des critères de la règle 399(2) qui sont présents en l'instance, ITFC a droit en équité à une modification de l'ordonnance du 5 août 1998, telle que modifiée le 11 décembre 1998. La modification limite la priorité d'Annacis Terminals pour les frais de mouillage, celle-ci se terminant le 28 mars 1999. Toutefois, ceci ne veut pas dire qu'Annacis Terminals renonce à toute réclamation quant aux frais de mouillage avant le 22 juillet 1998 ou après le 28 mars 1999, sur la base de tout argument portant sur la priorité qui n'est pas relié aux diverses ordonnances.

[24]       Chaque partie absorbera ses dépens.

          John A. Hargrave           

Protonotaire             

Le 7 septembre 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUDIENCE EN DATE DU :            23 mars 1999

No DU GREFFE :                               T-1261-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Annacis Auto Terminals (1997) Ltd.

                                                            c.

                                                            Le navire « Cali » et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

en date du 7 septembre 1999

ONT COMPARU

            M. Glenn Morgan                   pour la demanderesse

            M. John Bromley                    pour International Trust & Finance Co.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

            Davis & Company

            Vancouver (C.-B.)                   pour la demanderesse

            Bromley, Chapelski

            Vancouver (C.-B.)                   pour International Trust & Finance Co.

            Bull, Housser & Tupper

            Vancouver (C.-B.)                   pour les défendeurs Califa Shipping et le navire « Cali »

            Mme Loreen Carroll

            Rivtow Marine                      au nom de Rivtow Marine et de RVC Holdings Ltd.

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