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Date : 19980605


Dossier : T-2463-93


(AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l"impôt sur le revenu)

ENTRE


SA MAJESTÉ LA REINE,


demanderesse,


et


HUANG AND DANCZKAY LIMITED,


défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge WETSTON

[1]      La demanderesse, Sa Majesté la Reine (le ministre), interjette appel contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l"impôt a accueilli, le 17 juin 1993, l"appel que la défenderesse avait interjeté à l"égard de ses années d"imposition 1980, 1981, 1983 et 1985. La défenderesse Huang and Danczkay Limited (le contribuable) est une compagnie immobilière dont le contrôle est canadien, constituée en vertu des lois de l"Ontario.

[2]      Les parties ont convenu que les faits suivants ne sont pas en litige :

     [TRADUCTION]
     1. La défenderesse, une corporation de l"Ontario constituée en 1971, est une corporation privée dont le contrôle est canadien. Les propriétaires, Michael Huang et Bela Danczkay, détiennent une participation égale dans la corporation.
     2. La défenderesse exploite une entreprise de génie-conseil et d"aménagement et de gestion immobilières.
     3. En 1979, la société Silver Creek-Cedarwood (" Silver Creek-Cedarwood "), une société en commandite constituée sous le régime des lois de l"Alberta, a été créée par B.P.M. (Mill St.) Developments Limited, une filiale en propriété exclusive de la défenderesse, à titre de commandité, et de Michael Huang et Bela Danczkay, à titre de commanditaires (les " promoteurs "). En 1979, 350 actions supplémentaires ont été émises au public pour la somme de 10 000 $ chacune, dont 1 500 $ étaient payables au moment de la signature et le solde, soit 8 500 $, était payable, sous forme d"un billet à ordre, en versements annuels de 2 500 $, 2 500 $, 1 000 $, 1 000 $, 750 $ et 750 $, plus l"intérêt sur le solde impayé, calculé au taux de 11 1/2 pour 100 par année et payable chaque année.
     4. Silver Creek-Cedarwood a été constituée dans le but de faire l"acquisition de certains terrains et d"y construire des groupes d"habitations (les " projets "), de les détenir et de les exploiter. Par un accord conclu le 29 novembre 1979 (l"" accord de transfert "), Silver Creek- Cedarwood a fait l"acquisition des projets. Elle a offert en contrepartie d"assumer les obligations du vendeur à l"égard de la défenderesse, lesquelles obligations s"élevaient à 1 700 500 $.
     5. Par un accord en date du 29 novembre 1979 (la " convention d"aménagement ") conclu entre Silver Creek-Cedarwood, la défenderesse et les promoteurs,
         i) la défenderesse a accepté d"achever les projets pour la somme de 9 522 976 $ et de fournir certains services initiaux essentiels à Silver Creek-Cedarwood, ainsi qu"ils sont décrits au paragraphe 6 ci-dessous;
         ii) les promoteurs et la défenderesse ont convenu d"établir certaines conventions et garanties relativement aux projets.

     6. En vertu de la convention d"aménagement, la défenderesse a accepté de fournir à Silver Creek-Cedarwood les services initiaux énumérés dans le tableau qui suit, pour la contrepartie qui y est indiquée.

Silver Creek

Cedarwood

Total

Droits d"assurance hypothécaire de la SCHL

79 300 $

66 536 $

145 836 $

Droits de demande de prêt hypothécaire à la SCHL

7 350

7 735

15 085

Intérêt pendant la construction et la location avant occupation

1 493 823

1 217 282

2 711 105

Droits de garantie d"hypothèque

80 291

67 368

147 659

Droits de courtage hypothécaire

64 233

53 894

118 127

Honoraires d"avocat pour la préparation des documents relatifs au financement hypothécaire et d"autres documents

25 000

25 000

50 000

Aménagement paysager

100 000

50 000

150 000

Administration et services de location

362 000

243 300

605 300

Garantie de trésorerie

171 525

145 349

316 874

2 383 522 $

1 876 464 $

4 259 986 $



     7. Le coût total du projet et des services initiaux pour Silver Creek-Cedarwood a été de 14 920 000 $. Conformément à la convention d"aménagement, Silver Creek-Cedarwood a établi un billet à ordre de 3 107 300 $ (le " billet garantissant le prix d"achat ") en faveur de la défenderesse. Ce billet prévoyait le remboursement du principal sur une période de six ans, plus l"intérêt calculé au taux de 11 1/2 pour 100 par an. En outre, le billet garantissant le prix d"achat prévoyait un droit de compensation au cas où la défenderesse ne s"acquitterait pas de ses obligations en vertu de la convention d"aménagement.
     8. En 1980, la société Stonehill, une société en commandite constituée sous le régime des lois de l"Alberta, a été créée par 444222 Ontario Limited, une filiale en propriété exclusive de la défenderesse, à titre de commandité, et de Michael Huang et Bela Danczkay, à titre de commanditaires. En 1980, 450 actions supplémentaires ont été émises au public pour la somme de 10 000 $ chacune, dont 2 500 $ étaient payables au moment de la signature et le solde, soit 7 500 $, était payable, sous forme d"un billet à ordre, en versements annuels de 2 500 $, 1 500 $, 1 500 $, 1 000 $ et 1 000 $, plus l"intérêt sur le solde impayé, calculé au taux de 12 pour 100 par année et payable chaque année.
     9. La société Stonehill a été constituée dans le but de faire l"acquisition de certains terrains à Scarborough (Ontario), d"y construire deux groupes d"habitations ou d"en achever la construction et de les exploiter (le " projet Stonehill "). Le 30 juin 1980, la société Stonehill a fait l"acquisition auprès de la défenderesse des terrains où l"aménagement du projet Stonehill était prévu et a partiellement achevé la construction de bâtiments, pour un prix convenu de 7 000 000 $.
     10. Par un accord daté du 30 juin 1980 (la " convention d"aménagement de Stonehill ") conclu entre la société Stonehill, la défenderesse et les promoteurs,
         i) la défenderesse a accepté, moyennant un prix ferme, d"achever le projet Stonehill et de fournir certains services initiaux essentiels à la société Stonehill;
         ii) les promoteurs et la défenderesse ont convenu d"établir certaines conventions et garanties relativement au projet Stonehill.
     11. En vertu de la convention d"aménagement de Stonehill, la défenderesse a accepté de fournir à la société Stonehill les services initiaux énumérés dans le tableau qui suit, pour la contrepartie qui y est indiquée.


100 Wintergarden

Springdale Place

Total

Droits d"assurance hypothécaire de la SCHL

71 875 $

48,125 $

120 000 $

Droits de demande de prêt hypothécaire à la SCHL

10 500

5 250

15 750

Intérêt pendant la construction et la location avant occupation

736 430

477 720

1 214 150

Droits de garantie d"hypothèque

217 958

145 938

363 896

Honoraires d"avocat pour la préparation des documents relatifs au financement hypothécaire et d"autres documents touchant les opérations

12 000

8 000

20 000

Aménagement paysager

90 000

60 000

150 000

Services de location

300 000

150 000

450 000

Garantie de trésorerie

448 260

293 880

742 140

Services administratifs

90 000

60 000

150 000

Droits de courtage hypothécaire

48 000

32 000

80 000

2 025 023 $

1 280 913 $

3 305 936 $

     12. Le coût total du projet Stonehill et des services initiaux relatifs au projet a été de 17 264 000 $. Conformément à la convention d"aménagement de Stonehill, la société Stonehill a établi un billet à ordre de 4 044 000 $ (le " billet garantissant le prix d"achat ") en faveur de la défenderesse et a accepté d"accorder la défenderesse des hypothèques correspondant au solde. Le billet garantissant le prix d"achat prévoyait le remboursement du principal sur une période de sept ans, plus l"intérêt calculé au taux de 12 pour 100 par an et payable tous les ans. En outre, le billet prévoyait un droit de compensation au cas où la défenderesse ne s"acquitterait pas de ses obligations en vertu de la convention d"aménagement de Stonehill.
     13. En 1981, la société Burnhill, une société en commandite constituée sous le régime des lois de l"Ontario, a été créée par Lachesis Developments Ltd., une filiale en propriété exclusive de la défenderesse, à titre de commandité, et de Michael Huang et Bela Danczkay, à titre de commanditaires. En 1981, 400 actions supplémentaires ont été émises au public pour la somme de 10 000 $ chacune, dont 1 250 $ étaient payables au moment de la signature et le solde, soit 8 750 $, était payable, sous forme d"un billet à ordre, en versements annuels de 2 200 $, 1 150 $, 1 150 $, 1 300 $, 1 450 $ et 1 500 $, plus l"intérêt calculé au taux déterminé par une formule.
     14. La société Burnhill a été constituée dans le but de faire l"acquisition de certains terrains à Scarborough (Ontario), d"y construire un immeuble d"habitations comprenant 238 appartements et de l"exploiter (le " projet Burnhill "). Le 21 octobre 1981, la société Burnhill a acheté à la défenderesse le titre de bénéficiaire des terrains où l"aménagement du projet Burnhill était prévu, pour un prix convenu de 1 190 000 $.
     15. Par un accord daté du 21 octobre 1981, la " convention d"achat et d"aménagement ") conclu entre la société Burnhill, l"appelante et les promoteurs,
         i) la défenderesse a accepté, moyennant un prix ferme, de construire le projet Burnhill et de fournir certains services initiaux essentiels à la société Burnhill;
         ii) les promoteurs et la défenderesse ont convenu d"établir certaines conventions et garanties relativement au projet Burnhill.
     16. En vertu de la convention d"achat et d"aménagement, la défenderesse a accepté de fournir à la société Burnhill les services initiaux énumérés dans le tableau qui suit, pour la contrepartie qui y est indiquée.

Ensemble du projet

Droits d"assurance hypothécaire de la SCHL      77 826 $

Droits de demande de prêt hypothécaire à la SCHL      14 400

Intérêt pendant la construction et la location avant occupation      1 429 976

Droits de garantie d"hypothèque      96 688

Taxes foncières, assurance et autres      119 000

Honoraires d"avocat relatifs au financement hypothécaire      20 000

Aménagement paysager      154 700

Services de location      261 800

Garantie de trésorerie      450 924

Services administratifs      238 000

Droits de courtage hypothécaire      63 070

Droits relatifs à l"achat d"une réduction de l"intérêt hypothécaire      1 221 797

Droits relatifs à l"achat d"une réduction de l"intérêt sur le billet garantissant

le prix d"achat.      359 093

     ----------------

     4 507 274 $

     ==========

     17. Le coût total du projet Burnhill et des services initiaux fournis à la société Burnhill a été de 13 996 000 $. Conformément à la convention d"achat et d"aménagement, la société Burnhill a établi un billet à ordre de 3 599 000 $ (le " billet garantissant le prix d"achat ") en faveur de la défenderesse. Le billet garantissant le prix d"achat prévoyait le remboursement du principal sur une période de six ans, plus l"intérêt calculé au taux déterminé par une formule. En outre, le billet prévoyait un droit de compensation au cas où la défenderesse ne s"acquitterait pas de ses obligations en vertu de la convention d"achat et d"aménagement.
     18. Dans le cadre de la convention d"achat et d"aménagement, la défenderesse a entrepris de faire inscrire le projet Burnhill dans le registre de la copropriété au plus tard le 1er janvier 1984, faute de quoi elle accepterait que le prix d"achat soit réduit de 1 589 000 $.
     19. La défenderesse n"a pas été en mesure de se conformer à certaines exigences municipales concernant l"inscription des immeubles en copropriété au registre de la copropriété et, par conséquent, le prix d"achat du projet Burnhill a été réduit de 1 589 000 $ conformément à la convention d"achat et d"aménagement.
     20. Dans le calcul de son revenu net pour les années d"imposition 1980, 1981, 1982 et 1983, la défenderesse a déduit la partie non perçue des billets garantissant le prix d"achat de la Silver Creek-Cedarwood et de la société Stonehill.
     21. Dans le calcul de son revenu net pour l"année d"imposition 1983, la défenderesse a déduit la partie non perçue du billet garantissant le prix d"achat de la société Burnhill.
     22. Pour chacune des années d"imposition 1981, 1982, 1983 et 1985, la défenderesse a inclus dans le calcul de son revenu le montant déduit dans le calcul de son revenu pour l"année précédente relativement à chaque billet garantissant le prix d"achat.
     23. Par des avis de nouvelle cotisation datés du 8 juillet 1988, le ministre du Revenu national a rejeté la demande de déduction de la défenderesse et a inclus dans le revenu de cette dernière le montant intégral de chacun des billets garantissant le prix d"achat pour l"année au cours de laquelle chaque billet a été reçu, étant donné que l"article 3 et le paragraphe 9(1) de la Loi empêchaient la défenderesse de demander une déduction relativement à la partie non perçue de chacun de ces billets.
     24. Par un avis de ratification daté du 1er septembre 1989, le ministre du Revenu national n"a pas admis les avis d"opposition signifiés par la défenderesse relativement aux nouvelles cotisations établies pour les années d"imposition 1980, 1981, 1982, 1983 et 1985 et a confirmé les nouvelles cotisations telles qu"elles avaient été établies à l"origine.
     Les hypothèques intégrantes ont été consenties à la défenderesse par deux des sociétés en commandite [Stonehill et Burnhill]. La défenderesse a soutenu qu"aux fins de l"impôt ces hypothèques intégrantes devraient être considérées de la façon dont elle a considéré les billets garantissant le prix d"achat.

[3]      Il s"agit de savoir si les parties non recouvrées des billets garantissant le prix d"achat (les billets) et les hypothèques intégrantes (les hypothèques) sont des " sommes à recevoir " au sens de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi de l"impôt sur le revenu (la Loi).

[4]      Le ministre soutient que les billets et les hypothèques ont été réalisés par la défenderesse au cours des années en question et qu"ils doivent être inclus dans le calcul du revenu de la défenderesse aux fins de l"impôt en vertu des articles 9 et 12 de la Loi et conformément aux principes comptables généralement reconnus (les PCGR). Il affirme que la défenderesse a confondu la constatation du bénéfice au cours de l"année d"imposition où il est réalisé et le cas dans lequel elle peut avoir droit à une provision à l"égard des montants non reçus ou des paiements futurs éventuels.

[5]      Il est en outre soutenu qu"étant donné que les billets et les hypothèques constituaient la contrepartie reçue par la défenderesse au moment de la vente des propriétés en question, la défenderesse les a à juste titre inclus à titre de sommes à recevoir au cours des années où les ventes ont eu lieu. Il est reconnu qu"en même temps que ces ventes, la défenderesse a pris en charge des obligations futures éventuelles qui auraient peut-être donné lieu à des dépenses au cours d"années futures. Il est également soutenu que ces dépenses conditionnelles n"étaient pas des déductions du genre qui pourrait faire l"objet d"une provision en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi , comme la défenderesse l"a initialement allégué.

[6]      Le ministre affirme que les obligations que la défenderesse a prises en charge à l"égard des billets et des hypothèques sont à juste titre considérées comme des " dettes éventuelles ", c"est-à-dire comme des montants qui pourraient à un moment donné dans l"avenir devenir payables en vertu de la garantie de trésorerie. Il est en outre soutenu qu"une dette éventuelle ne peut pas être considérée comme une dépense engagée pendant l"année en cours, conformément à l"alinéa 18(1)e ). Toutefois, indépendamment de la question de savoir si ces obligations constituent des dettes éventuelles ou des dépenses conditionnelles qui peuvent faire l"objet d"une provision, les billets et les hypothèques auxquels elles se rapportaient étaient des sommes à recevoir qui doivent être incluses dans le revenu au cours des années où elles ont été réalisées, afin de donner l"image la plus fidèle possible du bénéfice réalisé par la défenderesse au cours d"une année donnée.

[7]      En d"autres termes, le ministre déclare que la défenderesse tente de transformer une dette éventuelle, c"est-à-dire un montant qui peut devenir payable dans l"avenir en vertu d"une des obligations se rapportant aux billets ou aux hypothèques, en un revenu non gagné, par opposition à une déduction courante, comme une provision, comme elle avait initialement tenté de le faire. Il est soutenu que les billets et hypothèques sont réalisés au cours des années où ils sont reçus. En tant que dettes éventuelles, les obligations se rapportant aux billets et aux hypothèques peuvent uniquement être comptabilisées à titre de déductions au cours des années d"imposition où elles sont réellement acquittées.

[8]      Le témoin expert du ministre, M. Irving L. Rosen, a identifié deux méthodes acceptables aux fins de la constatation du bénéfice par un " promoteur " comme la défenderesse : la méthode de la comptabilisation du bénéfice à l"achèvement des travaux et la méthode de la comptabilisation du bénéfice au prorata des travaux. À son avis, la défenderesse s"est conformée aux PCGR en adoptant initialement la première méthode pour comptabiliser les billets et les hypothèques à titre de sommes à recevoir. Toutefois, M. Rosen a témoigné que, pour que la défenderesse applique la méthode de l"achèvement des travaux et comptabilise les billets et les hypothèques à titre de sommes à recevoir au cours de l"année où ils ont pris naissance, aux fins de l"entreprise et aux fins de l"enregistrement, sans comptabiliser ces mêmes billets et hypothèques comme des sommes à recevoir aux fins de l"impôt est contraire aux principes comptables établis.

[9]      M. Rosen estimait que les diverses obligations se rapportant aux billets et aux hypothèques n"influent pas sur la réalisation du revenu et, par conséquent, sur le moment où elles sont comptabilisées à titre de revenu gagné. Il est plutôt soutenu que ces obligations constituent des conditions qui influent uniquement sur le recouvrement du billet ou de l"hypothèque à recevoir. Il est soutenu que si un coût réel découlant d"une de ces obligations a été engagé à une date ultérieure, une provision distincte pourrait être établie à ce moment-là pour tenir compte des montants payés à ce moment-là.

[10]      La défenderesse affirme que les billets et les hypothèques n"étaient des sommes à recevoir que selon les échéanciers fixés dans les conventions d"aménagement, et uniquement si elle continuait à s"acquitter des obligations stipulées dans chaque convention d"aménagement. Il est soutenu qu"à cause de ces conditions continues, la défenderesse n"avait donc pas le droit immédiat, absolu et inconditionnel d"engager des poursuites à l"égard de la partie non recouvrée des billets et des hypothèques au cours de l"une quelconque des années d"imposition en question.

[11]      La défenderesse déclare que les montants non recouvrés qui étaient dus en vertu des billets et des hypothèques n"auraient pas dû être inclus dans son revenu aux fins de l"impôt de ces années-là. Il est soutenu que la défenderesse n"aurait pas dû les inclure initialement, sous réserve d"une provision visant à tenir compte des obligations non acquittées s"y rapportant. En outre, il est soutenu que le fait d"avoir inclus les billets et les hypothèques dans le revenu à titre de sommes à recevoir ne donnait pas une image fidèle du bénéfice réalisé par la défenderesse, pour l"une quelconque des années ici en cause, indépendamment de la question de savoir si une provision s"appliquait aux obligations continues, ou si les obligations étaient considérées simplement comme des dettes éventuelles.

[12]      Il est soutenu que l"image la plus fidèle du revenu de la défenderesse pour l"une quelconque des années ici en cause est celle selon laquelle les billets et les hypothèques ne sont pas considérés comme des sommes à recevoir tant que la défenderesse n"a pas le droit immédiat, absolu et inconditionnel de recouvrer les montants stipulés dans l"échéancier fixé en vertu des billets et des hypothèques. Selon la défenderesse, cette méthode est conforme aux principes comptables généralement reconnus qui s"appliquent en l"espèce, c"est-à-dire la norme comptable américaine no 66 (la NC) et les pratiques comptables recommandées à l"égard des compagnies immobilières (les PCRCI) établies par l"Institut canadien des compagnies immobilières publiques (l"ICCIP). Il est soutenu qu"il faut se reporter à la NC no 66 et aux PCRCI étant donné que le manuel de l"Institut Canadien des Comptables Agréés ne traite pas expressément de ce cas.

[13]      De l"avis du témoin expert de la défenderesse, M. Wardell, il faut fondamentalement déterminer le rôle qu"avait la défenderesse dans les trois projets relatifs aux IRLM, pour être en mesure d"effectuer l"analyse comptable appropriée à l"égard des critères relatifs à la constatation du bénéfice qui s"appliquent en l"espèce. M. Wardell déclare que la défenderesse n"agissait pas comme un simple entrepreneur qui suivrait les méthodes comptables que les entrepreneurs emploient habituellement lorsqu"ils constatent un bénéfice tiré d"un contrat. La défenderesse agissait plutôt à titre de promoteur immobilier et aurait dû constater son bénéfice conformément aux PCGR applicables aux opérations immobilières.

[14]      M. Wardell a témoigné que selon les critères fondamentaux permettant de constater le bénéfice se rapportant à des opérations immobilières en vertu des PCGR canadiens, le bénéfice doit pouvoir être déterminé, c"est-à-dire que la possibilité de recouvrer le prix de vente est raisonnablement certaine, et que le processus de réalisation est presque terminé, c"est-à-dire que la défenderesse n"est pas tenue de se livrer à des activités importantes après la vente pour réaliser le bénéfice. En ce qui concerne la NC no 66 et les lignes directrices de l"ICCIP, M. Wardell a déclaré que ni l"un ni l"autre de ces deux critères n"a été satisfait en l"espèce, et ce, parce que les acomptes en cause n"étaient pas suffisants et que la défenderesse était tenue de s"acquitter de diverses obligations avant que les billets et les hypothèques deviennent pleinement payables. Il fait également remarquer que la défenderesse a continué à assumer les risques liés au droit de propriété puisqu"elle agissait comme commandité à l"égard de chacun des projets relatifs aux IRLM et qu"elle avait fourni une garantie de trésorerie conformément aux conventions d"achat et d"aménagement. Par conséquent, la défenderesse n"aurait pas dû comptabiliser les billets et les hypothèques à titre de sommes à recevoir au cours des années où ils ont pris naissance, mais plutôt conformément aux échéanciers.

[15]      La Cour suprême du Canada a récemment énoncé les principes suivants, qui doivent s"appliquer sur une base individuelle, au calcul du bénéfice en vertu des articles 9 et 12 de la Loi : Canderel Limited v. The Queen 98 DTC 6100, à la page 6110 :

     (1) La détermination du bénéfice est une question de droit.
     (2) Le bénéfice tiré d"une entreprise pour une année d"imposition est déterminé en déduisant des revenus tirés de l"entreprise pour l"année en question les dépenses engagées pour gagner ces revenus :
     [...]
     (3) Dans la détermination du bénéfice, l"objectif est d"obtenir une image fidèle du bénéfice [de la défenderesse] pour l"année visée.
     (4) Dans la détermination du bénéfice, [la défenderesse] est libre d"adopter toute méthode qui n"est pas incompatible avec :
         (a) les dispositions de la Loi de l"impôt sur le revenu;
         (b) les principes dégagés de la jurisprudence ou les " règles de droit " établis;
         (c) les principes commerciaux reconnus.
     (5) Les principes commerciaux reconnus, notamment ceux codifiés formellement dans les PCGR, ne sont pas des règles de droit mais des outils d"interprétation. Dans la mesure où ils peuvent influencer le calcul du revenu, ils ne le feront qu"au cas par cas, selon les faits relatifs à la situation financière [de la défenderesse].
     (6) En cas de nouvelle cotisation, une fois que [la défenderesse] a prouvé qu"elle a donné une image fidèle de son revenu pour l"année, image qui est compatible avec la Loi, la jurisprudence et les principes commerciaux reconnus, il incombe alors au ministre de prouver que le chiffre fourni ne donne pas une image fidèle ou qu"une autre méthode de calcul fournirait une image plus fidèle.

[16]      À mon avis, le passage précité montre qu"en déterminant le bénéfice, le tribunal doit déterminer si l"affaire dont il est saisi peut être réglée au moyen d"une interprétation fondée sur l"objet visé par les dispositions pertinentes de la Loi et par les les principes établis par la jurisprudence. Dans certains cas, il se peut qu"il ne soit pas nécessaire de recourir formellement recours aux divers principes commerciaux reconnus à titre d"outils d"interprétation : Canderel , supra, à la page 6109. " Cependant, dans le cas où aucune règle juridique précise n"a été élaborée, que ce soit dans la jurisprudence ou en vertu de la Loi, le contribuable est libre de calculer son revenu conformément aux principes commerciaux reconnus et d"adopter celui parmi ces principes qui convient dans les circonstances particulières, qui n"est pas incompatible avec le droit et qui, [...] donne une image fidèle de son bénéfice pour l"année " Canderel, supra , à la page 6107.

[17]      L"alinéa 12(1)(b ) de la Loi, tel qu"il était libellé au moment pertinent, prévoyait ceci :

     (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par [la défenderesse] d"une entreprise ou d"un bien, au cours d"une année d"imposition, les sommes appropriées suivantes :
     [...]
     b) toute somme à recevoir par [la défenderesse] au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l"année, dans le cadre de l"exploitation d"une entreprise, bien que la somme ou une partie de la somme puisse n"être due que dans une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par [la défenderesse] [...]

[18]      Les parties ont convenu que les modifications récemment apportées à cette disposition n"influent pas sur la question de savoir si les billets et les hypothèques constituent une " somme à recevoir ". L"emploi de l"expression " somme à recevoir " a récemment été examiné par le juge Cullen dans la décision West Hill Redevelopment Company Limited v. The Queen, 91 DTC 5430 (C.F. 1re inst.), où la défenderesse, qui avait consenti des hypothèques aux acheteurs de ses unités condominiales à des taux d"intérêt inférieurs aux taux courants du marché était tenue d"inclure dans le revenu la valeur nominale, plutôt que la juste valeur marchande, des sommes garanties par les hypothèques à titre de sommes à recevoir conformément à l"alinéa 12(1)b ). À la page 5433, le juge Cullen a conclu que les hypothèques constituaient des sommes à recevoir au sens de la disposition en question. Il l"a fait parce que le mot " somme à recevoir " a été interprété comme signifiant que le défendeur a le droit légal inconditionnel, mais pas nécessairement immédiat, de recevoir le montant en question : The Queen v. Imperial General Properties Ltd., 85 DTC 5045 (C.A.F.) et M.N.R. v. Colford 60 DTC 1131 (C. de l"É.).

[19]      Dans le jugement Kenneth B.S. Robertson v. M.N.R. (1944), 2 DTC 655, à la page 661 (C. de l"É.), on a fait remarquer que pour qu"un montant soit considéré comme une " somme à recevoir ", le défendeur doit avoir un droit d"aliénation, d"utilisation et de jouissance absolu qui n"est assujetti à aucune restriction, contractuelle ou autre. Plus récemment, dans l"arrêt Ikea Limited v. The Queen, 98 DTC 6092, à la page 6099 (C.S.C.), Monsieur le juge Iacobucci a fait remarquer que la description de ce qui constitue une " somme à recevoir " est fondée sur le " principe de la réalisation ". Le principe de réalisation entraîne finalement l"assujettissement à l"impôt des montants reçus ou réalisés par le défendeur au cours de l"année où ils sont reçus s"ils ne sont assujettis à aucune condition ou restriction à l"égard de leur utilisation, sous réserve de toute disposition contraire de la Loi ou d"une autre règle de droit.

[20]      Par conséquent, un montant doit être considéré comme une " somme à recevoir " uniquement s"il existe un droit immédiat, absolu et inconditionnel de la recouvrer, même si le montant ne doit être recouvré qu"à un moment donné dans l"avenir. Toutefois, dans ce cas-ci, les billets et hypothèques étaient assujettis à la condition selon laquelle ils devaient être conformes aux obligations figurant dans chacune des conventions d"achat et d"aménagement. Ces obligations comprenaient la construction et l"aménagement des projets en IRLM prêts à être exploités ainsi que la gestion et la location initiale des propriétés aménagées. De plus, la défenderesse était tenue d"honorer les garanties de trésorerie pendant la durée d"application des conventions d"aménagement, d"effectuer des paiements à l"égard des services initiaux au fur et à mesure de leur échéance et de rembourser les hypothèques de priorité consenties par les institutions. Si ces obligations, qui étaient en vigueur pendant toute la durée d"application de chaque convention d"aménagement, n"étaient pas satisfaites, la défenderesse n"aurait pas le droit immédiat, absolu et inconditionnel de recouvrer les sommes à recevoir pour une période particulière stipulée dans l"échéancier s"appliquant aux billets et aux hypothèques.

[21]      À mon avis, la garantie de trésorerie avait le caractère d"une dette éventuelle, comme l"a soutenu le ministre. On ne sait pas trop quel serait éventuellement le plein effet de cette obligation, au point de vue des sommes que la défenderesse devrait verser pour l"honorer, mais il est néanmoins clair que cette obligation faisait partie des conventions d"achat et d"aménagement, qui exigeaient l"exécution en nature après une reddition des comptes. De même, pour que les hypothèques puissent être reçues par la défenderesse, comme le prévoyait l"échéancier, pendant la durée d"application des conventions d"achat et d"aménagement, la défenderesse était tenue de satisfaire à ses obligations continues à l"égard des hypothèques de priorité. Cette obligation faisait partie intégrante de la convention d"achat et d"aménagement et se rapportait directement au droit de la défenderesse de recevoir les paiements en vertu des hypothèques.

[22]      Par conséquent, par suite de ces obligations continues, la défenderesse n"avait pas le droit immédiat, absolu et inconditionnel d"engager des poursuites à l"égard de la partie non recouvrée des billets et hypothèques au cours de l"une quelconque des années d"imposition en question : Robertson , supra, à la page 661; Colford, supra, à la page 1135. La partie non recouvrée des billets et des hypothèques ne constituait donc pas une " somme à recevoir " au sens de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi et n"aurait pas dû être incluse dans le revenu au cours de l"une quelconque des années d"imposition, tant que les conditions se rapportant à chaque convention d"aménagement n"avaient pas été remplies.

[23]      Je conclus donc que la méthode comptable proposée par la défenderesse à l"égard de la comptabilisation des billets et des hypothèques est conforme à la Loi et aux principes établis dans la jurisprudence.

[24]      En outre, le ministre n"a pas réussi à me convaincre que la méthode qu"il préconisait pour déterminer le bénéfice donne une image plus fidèle du revenu de la défenderesse que celle à laquelle la défenderesse arrive au moyen des PCGR, de la NC no 66 et des lignes directrices de l"ICCIP. Comme l"a déclaré l"expert de la défenderesse, M. Wardell, les critères fondamentaux auxquels il faut satisfaire, en vertu des PCGR, pour constater le bénéfice aux fins des opérations immobilières comme celles que la défenderesse a conclues est que le bénéfice doit pouvoir être déterminé. Par suite des obligations dont la défenderesse avait convenu dans les conventions d"achat et d"aménagement, la possibilité de recouvrer le prix de vente dans chacune des trois conventions n"était pas raisonnablement certaine au moment où chaque convention a été conclue.

[25]      En outre, le processus de réalisation n"était pas presque complet au moment où chaque convention a été conclue, étant donné que la défenderesse continuait à assumer les risques liés au droit de propriété parce qu"elle agissait comme commandité à l"égard de chaque projet relatif aux IRLM et qu"elle fournissait une garantie de trésorerie, engagements qui nécessitaient sa participation après la vente aux fins de la réalisation du bénéfice. Partant, si les parties non recouvrées des billets et des hypothèques étaient considérées comme des sommes à recevoir au cours des années d"imposition où chaque convention d"achat et d"aménagement a été conclue, cela donnerait une image moins fidèle du bénéfice réalisé par la défenderesse, en sa qualité de promoteur immobilier.

[26]      Par conséquent, l"appel est rejeté. La défenderesse a droit à ses frais.

                             " Howard I. Wetston "

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 5 juin 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

N0 DU GREFFE :                          T-2463-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SA MAJESTÉ LA REINE

                             et

                             HUANG AND DANCZKAY LIMITED

DATE DE L"AUDIENCE :                  LE 31 MARS 1998

LIEU DE L"AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE WETSTON EN DATE DU 5 JUIN 1998.

ONT COMPARU :

                             Marie-Therese Boris

                                     pour la demanderesse

                             Paul Bleiwas

                             Earl I. Miller

                                     pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS :

                              George Thomson

                             Sous-procureur général du Canada

                                     pour la demanderesse

                             Goodman and Carr

                             2300-200, ouest rue King

                             Toronto (Ontario)

                             M5H 3W5

                                     pour la défenderesse

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19980605

                        

         Dossier : T-2463-93

                             ENTRE

                             SA MAJESTÉ LA REINE,

     demanderesse,

                             et

                             HUANG AND DANCZKAY LIMITED,

     défenderesse.

                    

                            

                             MOTIFS DU JUGEMENT

                            


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